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La loi laisse-t-elle toujours l'obstétricien libre d'agir conformément à l'éthique médicale propre ?

Publiée le 08-10-2009

Le Dr Patrick Leblanc et Pierre-Olivier Arduin publient un article dans le Journal de Gynécologie Obstétrique et Biologie de la reproduction intitulé "L'éthique médicale à l'épreuve de la loi de bioéthique. Point de vue d'un obstétricien". Au coeur de leur réflexion, une question : la loi laisse-t-elle toujours l'obstétricien libre d'agir conformément à l' éthique médicale propre à sa spécialité ? "Y aurait-il des choix de société qui nous seraient imposés ? (...) Sommes-nous au service d'une médecine non plus vitaliste mais utilitariste ? Enfin, la définition de notre spécialité demeure-t-elle toujours valide ? Nous faudra-t-il changer son nom ?" Car, comme le rappellent les auteurs, l'obstétricien (ob-stare) est étymologiquement celui qui se tient debout devant la femme afin de l'accompagner et l'aider à donner la vie. Or, c'est cette vocation elle-même que les aspects irrationnels de la pratique obstétrique contemporaine semblent remettre en cause.
 

Par son exercice et son expérience, l'obstétricien est en effet directement confronté à la question du statut de l'être "pas-encore-né". Alors même que le foetus et l'embryon sont de facto les patients de l'obstétricien (puisque échographie, IRM, amniocentèse, etc. relèvent de la "médecine foetale", reconnue et cotée par la Sécurité sociale), le médecin se trouve confronté à la possibilité de les détruire. "L'embryon et le foetus seraient-ils dotés d'un statut infra-humain ? Ils ne peuvent être ni des choses ni des animaux. Il s'agit bien d'êtres vivants, à la fois autonomes et étroitement dépendants de l'organisme maternel et du projet parental mais il s'agit d'être indubitablement dotés d'une humanité".

Dans un tel contexte, quelle attitude adopter envers l'enfant à naître ? Comment se repérer alors que l'éthique contemporaine est évolutive et suit les progrès des techniques médicales : "Ce que nous considérions comme nuisible et une faute, tel un acharnement thérapeutique, est aujourd'hui justifié même si nous émettons de grandes réserves explicitées au couple". Certes, le Collège édicte des recommandations pour la pratique clinique (RPC), mais celles-ci sont-elles toujours en accord avec la conscience personnelle du médecin ? Celui-ci peut-il vraiment agir selon une éthique libre de toute contrainte ?

L'article interroge alors sur la latitude que la loi laisse au praticien notamment dans les questions de dépistage prénatal : "Le seul droit accordé à un être intra-utérin, sans statut légal clairement défini, serait-il son obligation de démontrer qu'il est indemne de tout handicap...même seulement suspecté ?"

De fait, le dépistage de la trisomie 21 tel qu'il a été instauré en France pose un certain nombre de questions éthiques. Le dosage des marqueurs sériques, qui permet de dépister plus de 80% des cas de trisomie 21, n'empêche pas un recours - anormalement élevé en France - à l'amniocentèse où deux foetus indemnes peuvent être éliminés pour la détection d'un seul foetus trisomique. Par ailleurs, la systématisation du dépistage soumet les femmes à des situations particulièrement anxiogènes et qui ne sont fondées que sur des probabilités ou calculs de risques. Pourtant, dans un communiqué de presse récent portant sur un tout autre thème, l'Académie de médecine ne précisait-elle pas qu'"inquiéter l'opinion sans preuves n'est en aucun cas une démarche scientifique et éthique" ? "La question est bien de savoir si la science statistique va dorénavant guider nos consciences puisque nos actes - et leurs conséquences éventuelles - qui découlent de calculs sont juridiquement permis". Il est également inquiétant de constater que nombre de femmes subissent ces examens sans avoir véritablement compris l'information préalable qui leur a été délivrée : un rapport de l'Inserm révèle ainsi que "40% des femmes interrogées n'avaient pas conscience de pouvoir être confrontées au risque abortif".

Les auteurs notent également que la Haute Autorité de Santé (HAS), tout en recommandant de proposer les solutions d'accueil des enfants trisomiques 21, se contente, elle, de détailler les méthodes de dépistage de ces mêmes enfants, sans donner d'information sur les conditions de leur prise en charge. D'où une question : "Notre discours ne s'oriente-t-il pas de plus en plus sur le choix offert entre une prise de risque et le principe de précaution ? S'agit-il toujours d'une médecine réellement personnalisée et...humaine ?" La conclusion est alarmante : "Notre relation avec les patientes est complètement biaisée".

Ces procédures défaillantes sont confirmées par les choix financiers de l'Etat qui dépense bien plus dans les programmes de dépistage - 100 millions d'euros par an - que dans ceux destinés à la recherche. Ces choix financiers et ces dispositions légales incomplètes entraînent un eugénisme implicitement organisé par l'Etat alors même que l'article 16.4 du Code Civil stipule : "Toute pratique eugénique tendant à l'organisation de la sélection des personnes est interdite". Le Professeur Sicard l'affirme sans ambiguïté : "Osons le dire : la France construit pas à pas une politique de santé qui flirte de plus en plus avec l'eugénisme (...) Je suis profondément inquiet devant le caractère systématique des dépistages, devant un système de pensée unique. (...) La vérité centrale est que l'essentiel de l'activité de dépistage vise à la suppression et non pas au traitement. Ainsi, ce dépistage renvoie à une perspective terrifiante : celle de l'éradication". Inquiétude qui ne peut être que renforcée par la nouvelle stratégie de dépistage recommandée par la HAS. Cette technique, permettant de poser des diagnostics très précoces, ouvre la possibilité d'interrompre plus aisément la grossesse, banalisant l'acte par le fait même qu'il n'y aura pas encore eu de déclaration de grossesse ni d'attachement affectif. Mais "la valeur intrinsèque de l'embryon dépend-elle de sa déclaration administrative ?" Et comment ne pas s'alarmer de la confusion que la précipitation occasionnera chez les patientes ? Comment croire que de telles conditions leur laissent effectivement une autonomie décisionnelle ?

Devant toutes ces questions, les auteurs appellent donc les obstétriciens à s'interroger sur les missions qui sont les leurs, afin que leur voix de spécialiste puisse être entendue dans la révision des lois de bioéthique.

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Leblanc P, Arduin P-O. L'éthique médicale à l'épreuve de la loi de bioéthique. Point de vue d'un obstétricien. J Gynecol Obstet Biol Reprod (Paris)(2009), doi:10.1016/j.jgyn.2009.04.003

Journal de Gynécologie Obstétrique et Biologie de la Reproduction (Patrick Leblanc et Pierre-Olivier Arduin)

 

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