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Plonger notre âme dans l'Infini, qui est Dieu

Publiée le 10-12-2018

Méditation du Père Raniero Cantalamessa, prédicateur de la Maison Pontificale, le 7 décembre 2018

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     Dans l’Eglise, nous sommes tellement pressés par des tâches à accomplir, des problèmes à résoudre, des défis auxquels répondre, que nous risquons de perdre de vue, ou de laisser comme en arrière-plan, la « porro unum necessarium » de l’Evangile (Lc 10,42), c’est-à-dire notre relation personnelle à Dieu. Qui plus est, nous savons par expérience qu’une véritable relation personnelle à Dieu est la première condition permettant de faire face à toutes les situations qui se présentent et à tous les problèmes qui se posent sans perdre la paix et la patience.

J’ai donc choisi, vénérables pères, frères et sœurs, de laisser de côté, dans ces prédications de l’Avent, toute référence aux problèmes actuels. Nous chercherons, suivant en cela les recommandations de sainte Angèle de Foligno à ses enfants spirituels, à : « nous rassembler dans l’unité et plonger notre âme dans l’infini qui est Dieu ». Prendre un bain matinal de foi, avant de commencer la journée de travail.

Le thème de ces prédications de l’Avent (et, si Dieu le veut, du Carême également) sera le verset du psaume : « Mon âme a soif du Dieu vivant » (Ps 42, 2). Les hommes de notre temps se passionnent dans la recherche de signes de l’existence d’êtres vivants et intelligents sur d’autres planètes. C’est une recherche légitime et compréhensible, même si elle est très incertaine. Rares par contre sont ceux qui recherchent et étudient les signes de l’Etre vivant qui a créé l’univers, qui y a pénétré, qui est entré dans son Histoire et qui y vit. « C’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Ac 17, 28) et nous ne nous en rendons pas compte. Nous avons le Vivant parmi nous et nous le négligeons pour chercher des êtres vivants hypothétiques qui, dans le meilleur des cas, ne pourraient faire que peu pour nous, et certainement pas nous sauver de la mort.

Combien de fois sommes-nous obligés de dire à Dieu, avec saint Augustin : « Tu étais avec moi, et je n’étais pas avec toi[1] » ? A l’inverse de nous, le Dieu vivant nous cherche, il ne fait rien d’autre depuis la création du monde. Il continue de dire : « Adam, où es-tu ? » (Gn 3, 9) Nous nous proposons ici de capter les signaux de ce Dieu vivant, de répondre à son appel, de « frapper à sa porte », pour entrer dans un nouveau contact, vivant, avec lui.

Nous nous appuierons sur la parole de Jésus : « Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira. » (Mt 7, 7) Lorsque on lit ces mots, on pense d’emblée que Jésus promet de nous donner tout ce que nous lui demandons, et nous restons perplexes parce que nous voyons que c’est rarement le cas. Mais il voulait surtout dire une chose : « Cherchez-moi et vous me trouverez, frappez et je vous ouvrirai ». Il promet de se donner lui-même, au-delà des petites bricoles que nous lui demandons, et il maintient sa promesse de manière infaillible. Celui qui le cherche le trouve ; à celui qui frappe, il ouvre ; et une fois qu’on l’a trouvé, tout le reste passe au second plan.

L’âme qui a soif du Dieu vivant le trouvera inévitablement et, avec lui et en lui, elle trouvera tout, comme nous le rappellent les paroles de sainte Thérèse d’Avila : « Que rien ne te trouble, que rien ne t’effraie ; tout passe, Dieu ne change pas ; la patience tout obtient ; qui possède Dieu ne manque de rien. Dieu seul suffit. » C’est avec ces sentiments que nous commençons notre chemin à la recherche de la face du Dieu vivant.

Retour aux choses !

La Bible est ponctuée de textes qui parlent de Dieu comme étant le « vivant ». « C’est lui le Dieu vivant », dit Jérémie (Jr 10, 10) ; « Je suis le vivant », dit Dieu lui-même en Ezéchiel (Ez 33, 11). Dans l’un des plus beaux psaumes du psautier, écrit en exil, le psalmiste s’exclame : « Mon âme a soif de Dieu, le Dieu vivant » (Ps 42, 3). Et encore : « Mon cœur et ma chair sont un cri vers le Dieu vivant » (Ps 83, 3). Pierre, à Césarée de Philippe, proclame Jésus « Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16).

C’est évidemment une métaphore tirée de l’expérience humaine. Israël s’est résigné à l’employer pour distinguer son Dieu des idoles des peuples qui sont des divinités « mortes ». Contrairement à elles, le Dieu de la Bible est « un Dieu qui respire » et sa respiration ou souffle (ruah) est le Saint-Esprit.

Après la longue domination de l’idéalisme et le triomphe de « l’idée », dans des temps plus proches de nous, même la pensée séculière a ressenti le besoin d’un retour à la « réalité » et l’a exprimé dans le cri stratégique : « Retour aux choses[2] ! »  C’est-à-dire : ne pas s’arrêter aux formulations données de la réalité, aux théories ci-dessus, à ce que communément on y trouve, mais pointer directement à la réalité elle-même qui est à la base de tout ; ôter les différentes couches de terre rapportées pour découvrir le rocher sous-jacent.

Nous devons également appliquer ce programme au domaine de la foi. Saint Thomas d’Aquin a écrit que l’objet de la foi « n’est pas une vérité à énoncer, mais une réalité[3] ». Lorsqu’il s’agit de la « chose » suprême dans le contexte de la foi, c’est-à-dire de Dieu, « revenir aux choses » signifie revenir au Dieu vivant ; briser, pour ainsi dire, le terrible mur de l’idée que nous nous sommes fait de lui et courir, les bras ouverts, à la rencontre de Dieu en personne. Découvrir que Dieu n’est pas une abstraction, mais une réalité ; qu’entre nos idées de Dieu et le Dieu vivant, il y a la même différence qu’entre un ciel peint sur une feuille de papier et le vrai ciel.

Le programme « Retour aux choses ! » a eu une application à juste titre célèbre : celle qui a conduit à la découverte que les choses… existent. Cela vaut la peine de relire la célèbre page de Sartre :

« J’étais au jardin public. La racine du marronnier s’enfonçait dans la terre, juste au-dessous de mon banc. Je ne me rappelais plus que c’était une racine. Les mots s’étaient évanouis et, avec eux, la signification des choses, leurs modes d’emploi, les faibles revenus que les hommes ont tracé à leur surface […] Et puis j’ai eu cette illumination. Ça m’a coupé le souffle. Jamais, avant ces derniers jours, je n’avais pressenti ce que voulait dire « exister » […] A l’ordinaire, l’existence se cache. Elle est là, autour de nous, en nous, elle est nous, on ne peut pas dire deux mots sans parler d’elle et, finalement, on ne la touche pas. Et puis voilà, tout d’un coup, c’était là, c’était clair comme le jour : l’existence s’était soudain dévoilée[4] ».

Le philosophe qui a fait cette « découverte » se déclarait athée, il n’a donc pas dépassé la constatation que j’existe, que le monde existe, que les choses existent. Mais nous pouvons partir de cette expérience et en faire un tremplin pour la découverte d’un autre Existant, l’étincelle qui rend possible une autre illumination. Ce qui a été possible avec la racine du marronnier, pourquoi cela ne pourrait-il pas être possible avec Dieu ? Dieu, pour l’esprit de l’homme, peut-il être moins réel que la racine du marronnier l’est à ses yeux ? Les Pères n’hésitaient pas à mettre au service de la foi les intuitions de vérité présentes chez les philosophes païens, même chez ceux dont l’autorité se portait volontairement contre les chrétiens. Nous devons les imiter et faire de même à notre époque.

Que pouvons-nous donc retenir de « l’illumination » de ce philosophe ? Aucune application directe, ni de contenu, mais seulement une indirecte, et de méthode. Lue avec une certaine disposition d’esprit favorisée par la grâce, cette histoire semble faite exprès pour nous faire sortir de l’habitude, pour éveiller en nous d’abord le soupçon, puis la certitude qu’il existe une connaissance de Dieu qui nous est encore inconnue. Cela dit, peut-être jusqu’à maintenant n’avons-nous pas compris ce que cela signifie de dire que Dieu « existe », qu’il est un Dieu existant ou, comme le dit la Bible, un Dieu vivant. Que nous avons donc un devoir, une découverte à faire : découvrir que Dieu « est là », au point d’en avoir, nous aussi, pour un instant, le souffle coupé ! Ce serait l’aventure de notre vie.

Cela nous aide à comprendre quelle a été l’expérience de certains convertis à qui l’existence de Dieu s’est soudainement révélée, à un moment de leur vie, après qu’ils l’aient ignorée ou reniée avec acharnement.

L’un d’entre eux était le journaliste français André Frossard, mort le 2 février 1995. Voici comment il décrit sa vie avant sa conversion :

« Dieu n’existait pas. Son image, les images en substance qui évoquent son existence ou celle que l’on pourrait appeler de ses descendants historiques : les saints, les prophètes, les héros de la Bible, n’apparaissaient nulle part à la maison. Personne ne nous parlait de lui. Nous étions des athées parfaits, de ceux qui ne se posent plus de questions sur leur athéisme. Les derniers anticléricaux qui s’opposaient encore à la religion lors de réunions publiques nous semblaient pathétiques et un peu ridicules, à l’instar de ces historiens qui s’emploieraient à démentir l’histoire du Petit Chaperon Rouge. »

Un jour d’été, las d’attendre l’ami avec lequel il avait rendez-vous, le jeune Frossard entre dans l’église voisine, observe son architecture et regarde les gens qui y prient. Et voici comment il raconte ce qui s’est passé :

« Tout d’abord, ces mots me furent suggérés : « Vie spirituelle ». Non-dits, ni même formulés par moi : sentis comme s’ils étaient prononcés à côté de moi dans un murmure par une personne qui voit ce que je ne vois pas encore. La dernière syllabe de ce prélude murmuré atteint juste le fil de la conscience, qui commence l’avalanche à l’envers. […] Comment le décrire avec ces pauvres mots ? Un autre monde d’une splendeur et d’une densité qui nous rappellent soudain les ombres fragiles des rêves réalisables. Ce monde est la réalité, la vérité : je la vois depuis la sombre rive sur laquelle je suis toujours retenu. Il y a un ordre dans l’univers, et au sommet, au-delà de ce voile de brouillard brillant, la preuve de Dieu, la preuve faite présence et la preuve faite personne de celui que j’aurais nié un instant avant […] Son irruption débordante et totale accompagnée d’une joie qui n’est rien d’autre que l’exultation du sauvé. »

Une fois sorti de l’église, son ami, voyant que quelque chose s’était passé, lui demande : « Qu’est-ce qui t’arrive ? » – Il répond : « Je suis catholique » et, comme si je craignais de ne pas avoir été suffisamment explicite, j’ajoutai « apostolique et romain ».

L’expression qui, dans notre langue, exprime le mieux cet événement est : nous rendre compte de Dieu. « Se rendre compte » indique une ouverture soudaine des yeux, un sursaut de conscience, par lequel nous commençons à voir quelque chose qui était déjà là avant, mais que nous n’avions pas vu.

Essayons de relire, sur la vague de l’ « illumination » décrite par Sartre, l’épisode du buisson ardent. Nous en aurons besoin, entre autres, pour voir comment même la pensée « existentielle » moderne peut nous aider à découvrir, dans la Bible, quelque chose de nouveau que la pensée ancienne, tout orientée dans un sens ontologique, malgré toute sa richesse, n’était pas capable de saisir.

La page de la Bible qui relate le récit du buisson ardent (Ex 3, 1s) est elle-même un buisson ardent. Elle brûle, mais ne se consume pas. Après des milliers d’années, elle n’a rien perdu de son pouvoir de transmettre le sens du divin. Cela montre, mieux que tout discours, ce qui se passe lorsque l’on rencontre vraiment le Dieu vivant. « Moïse se dit alors : « Je vais faire un détour… » » Il continue de penser et de vouloir. Il est maître de lui-même ; c’est lui qui dirige (ou croit diriger) le jeu. Mais voilà que le divin fait irruption avec ce qu’il est et impose sa loi. « Moïse, Moïse ! N’approche pas d’ici. Je suis le Dieu de ton père. » Tout à coup, tout change. Moïse devient soudain docile, soumis. « Me voici ! », répond-il en se voilant le visage, comme les Séraphins se couvraient le visage avec leurs ailes (cf. Is 6, 2). Le « numineux » est dans l’air. Moïse entre dans le mystère.

Dans cette atmosphère, Dieu révèle son nom : « Je suis qui je suis ». Transplanté sur le terrain culturel hellénistique, déjà avec les Septante, ce mot avait été interprété comme une définition de ce que Dieu est, l’Être absolu, comme une affirmation de son essence la plus profonde. Mais cette interprétation, disent aujourd’hui les exégètes, est « totalement étrangère à la pensée de l’Ancien Testament ». La phrase signifie plutôt : « Je suis celui qui est là » ; ou plus simplement : « Je suis là (ou je serai là) pour vous[5] ! » C’est une affirmation concrète, non abstraite ; elle se réfère davantage à l’existence de Dieu qu’à son essence, plus à son « être là » qu’à « ce qu’il est ». Nous ne sommes pas loin du « Je vis », « Je suis le vivant », que Dieu prononce dans d’autres parties de la Bible.

Ce jour-là, Moïse découvrit donc une chose très simple, mais permettant de mettre en marche et de soutenir tout le processus de libération qui va suivre. Il découvrit que le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob existe, qu’il est, qu’il est une réalité présente et opérant dans l’Histoire, quelqu’un sur qui on peut compter. C’est d’ailleurs ce que Moïse avait besoin de savoir à ce moment-là, et non une définition abstraite de Dieu.

Il y a quelque chose qui unit l’expérience du philosophe devant la racine du marronnier et celle de Moïse devant le buisson ardent. Tous deux découvrent le mystère de l’être : le premier, l’être des choses, le second, l’Être de Dieu. Mais tandis que découvrir l’existence de Dieu est source de courage et de joie, découvrir seulement que les choses existent ne produit, selon ce même philosophe, que « nausée ».

Dieu, sentiment d’une présence

Que signifie le Dieu vivant et comment se définit-il ? Pendant un moment, j’ai tenté de répondre à cette question en traçant un profil du Dieu vivant à partir de la Bible, mais j’ai vu que ce serait une belle sottise. Vouloir décrire le Dieu vivant, en tracer le profil, même en se fondant sur la Bible, c’est retomber dans la tentative de réduire le Dieu vivant à une idée du Dieu vivant.

Ce que nous pouvons faire, même à l’égard du Dieu vivant, c’est aller au-delà « des signes ténus de reconnaissance que les hommes ont tracé à sa surface », casser les petites coquilles de nos idées de Dieu, ou les « petits vases d’albâtre » dans lesquels nous le gardons enfermé, de sorte que son odeur se dilate et « remplisse la maison ». Saint Augustin est un maître en la matière. Le saint nous a laissé une sorte de méthode pour nous élever de cœur et d’esprit vers le Dieu vivant et véritable. Elle consiste à se répéter, après chaque réflexion sur Dieu : « Mais ce n’est pas Dieu, mais ce n’est pas Dieu ! » Pense à la terre, pense au ciel, pense aux anges ou à quoi que ce soit ou à qui que ce soit ; enfin, pense à ce que tu penses toi-même de Dieu, et chaque fois répète : « Oui, mais ce n’est pas Dieu, ce n’est pas Dieu ! » « Elève ta pensée au-dessus », répondent une à une toutes les créatures interrogées[6]. Nous devons croire en un Dieu qui est au-delà du Dieu auquel nous croyons !

Le Dieu vivant, en tant que vivant, on peut vaguement le deviner, en avoir une sorte de parfum ou de pré-sentiment. On peut en susciter le désir, la nostalgie. Plus, non. On ne peut pas enfermer la vie dans une idée. C’est pour cela qu’on peut plus facilement avoir de lui le sentiment ou l’odeur que l’idée, puisque l’idée circonscrit la personne, tandis que le sentiment en révèle la présence, la laissant dans son intégralité et son indétermination. Saint Grégoire de Nysse parle de la plus haute forme de connaissance de Dieu comme d’un « sentiment de présence[7] ».

Le divin est une catégorie absolument différente de toute autre, que l’on ne peut définir, mais seulement suggérer ; on ne peut en parler que par analogies et contraires. Une image qui nous parle ainsi de Dieu dans la Bible est celle du rocher. Peu de titres bibliques sont capables de créer en nous un sentiment aussi vivant de Dieu – spécialement de ce que Dieu est pour nous – que celui du Dieu-rocher. Nous cherchons nous aussi à goûter, comme le dit l’Écriture, « le miel du rocher » (cf. Dt 32, 13).

Plus qu’un simple titre, le rocher apparaît dans la Bible comme une sorte de nom personnel de Dieu, au point qu’il peut parfois être écrit avec une majuscule. « Il est le Rocher, son œuvre est parfaite » (Dt 32, 4) ; « Le Seigneur est le Roc éternel » (Is 26, 4). Mais parce que cette image n’inspire ni frayeur ni crainte face à la dureté et à l’impénétrabilité qu’elle évoque, voilà que la Bible ajoute immédiatement une autre vérité : il est « notre » rocher, « mon » rocher. C’est-à-dire un rocher pour nous, pas contre nous. « Dieu est mon rocher » (Ps 17, 3), « ma forteresse et mon roc » (Ps 30, 4), « notre rocher, notre salut » (Ps 94, 1).

Les premiers traducteurs de la Bible, les Septante, ont été effrayés par une image aussi matérielle de Dieu qui semblait l’abaisser et ont systématiquement remplacé le « rocher » concret par des abstractions comme « force », « refuge », « salut ». Mais à juste titre, toutes les traductions modernes ont rendu à Dieu le titre original de rocher.

Rocher n’est pas un titre abstrait ; cela ne dit pas simplement ce que Dieu est, mais aussi ce que nous devons être. Le rocher est fait pour être escaladé, pour qu’on y cherche refuge, et pas seulement pour qu’on le contemple de loin. Le rocher attire, passionne. Si Dieu est rocher, l’homme doit devenir un « rochassier ». Jésus a dit : « Apprenez du maître de maison » ; « Regardez les pêcheurs » ; saint Jacques continue en disant : « Regardez les agriculteurs ». Nous pouvons ajouter : « Regardez les rochassiers ! » Si la nuit tombe ou si une tempête vient, ils ne commettent pas l’imprudence de chercher à descendre, mais ils s’accrochent encore davantage au rocher et attendent que la tempête passe.

L’insistance de la Bible sur le Dieu-rocher vise à instaurer la confiance dans la créature, chassant ainsi les peurs de son cœur. « Nous serons sans crainte si la terre est secouée, si les montagnes s’effondrent au creux de la mer », dit le psaume ; et le motif qui nous est donné est : « Citadelle pour nous, le Dieu de Jacob » (Ps 46, 3.8).

Dieu est là, et cela suffit !

Le premier biographe de saint François d’Assise, Thomas da Celano, décrit un moment de ténèbre et presque de désespoir que le saint a vécu vers la fin de sa vie, à cause des déviations qu’il a vues autour de lui du style de vie primitif de ses frères.

« En colère – écrit-il – à cause des mauvais exemples, et ayant eu recours un jour à la prière avec une telle amertume, il s’est senti apostrophé de la sorte par le Seigneur : « Pourquoi t’inquiètes-tu, petit garçon ? Peut-être t’ai-je nommé pasteur de mon Ordre au point que tu as pu oublier que j’en reste le patron principal ? […] Ne t’inquiète donc pas, mais attend ton salut, car si l’Ordre se réduisait à trois frères, mon aide resterait toujours stable[8]« . »

Le père Eloi Leclerc, savant franciscain français qui a le mieux illustré cette phase tourmentée de la vie de François, a déclaré que le saint avait été si revivifié par les paroles du Christ qu’il se répétait cette exclamation : « Dieu est, et cela suffit ». François, Dieu est là, et cela suffit ! Dieu est là, et cela suffit[9] ! Apprenons, nous aussi, à répéter ces mots simples lorsque, dans l’Église ou dans notre vie, nous nous trouvons dans des situations semblables à celles de François et tous ces nuages ​​se dissiperont.

 

 

 

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Traduction française de Cathy Brenti

[1] Saint Augustin, in Confessions, X, 27

[2] « Zu den Sachen selbst », littéralement « Aux choses elles-mêmes », est le programme de l’école phénoménologique de Husserl.

[3] Saint Thomas d’Aquin, S. Th. II-IIae, q.1, a. 2, 2.

[4] J-P. Sartre, La Nausée, in Œuvres romanesques, Paris, Gallimard, p. 105 s

[5] Cf. G. von Rad, Theologie des Alten Testaments, I, Monaco 1966, p.194.

[6] Saint Augustin, Commentaire du Psaume 85, 12 ; cf. aussi Confessions, X, 6, 9.

[7] Saint Grégoire de Nysse, In Cant. XI, 5, 2 (PG 44, 1001).

[8] Celano, Vita seconda CXVII, 158 (Sources Franciscaines, 742).

[9] Eloi Leclerc, Sagesse d’un Pauvre, Editions Franciscaines, Paris 1959, p. 75-78.

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