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« Nascituri te salutant ! La crise de conscience bioéthique », entretien avec J.-M. Le Méné

Publiée le 25-01-2010

ROME, Lundi 25 janvier 2010 (ZENIT.org) - Dans la perspective de la révision de la loi française de bioéthique, la Librairie La Procure organise à Paris, mercredi 27 janvier 2010, à 20h00, une rencontre autour du livre de Jean-Marie Le Méné « Nascituri te salutant ! La crise de conscience bioéthique » (Editions Salvator) avec l'auteur et Jean-Frédéric Poisson, député des Yvelines. 

Le rapport de la Mission parlementaire française sur la bioéthique, qui vient de paraître le 20 janvier 2010, « propose que la loi de 2010 vide de leur substance les dernières dispositions protectrices de l'embryon humain devenu objet de recherche », estime Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme Lejeune qui s'explique dans cet entretien accordé à Zenit.

Zenit - Monsieur Le Méné, à la veille de la révision de la loi sur la bioéthique vous venez de publier « Nascituri te salutant ! La crise de conscience bioéthique ». Quel message tenez-vous à faire passer ?

Jean-Marie Le Méné - Le but de ce livre est de donner des clés pour comprendre la révision de la loi de bioéthique. J'ai voulu remettre ses principaux contenus dans une perspective logique et dynamique, en révélant les évolutions en cours, qui démontrent la stérilité du conflit entre l'éthique et la science. Je suggère aussi de dépasser ce conflit par la prise de conscience que la coexistence entre science et éthique est souhaitable, possible mais également nécessaire pour assurer l'efficacité de l'une et l'autre.

Le sous-titre : La crise de conscience bioéthique, prend acte du fait que, pour la première fois, la conscience semble s'inviter au débat et nous dire : ce qui est légal n'est pas forcément moral. C'est un immense progrès !

Zenit - Vous y expliquez l'évolution de la transgression quant à la recherche sur l'embryon depuis 1994. Peut-on craindre encore une évolution en 2010 ? Quelles en seraient les conséquences ?

Jean-Marie Le Méné - Aujourd'hui la loi pose un principe d'interdiction pour la recherche sur les embryons assorti de dérogations. En effet depuis 2004 ces recherches ne sont autorisées que pour une durée de cinq ans si elles sont « susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs » et à condition qu'elles ne puissent « être poursuivies par une méthode alternative d'efficacité comparable ».

Or un rapport important, celui de la Mission parlementaire sur la bioéthique, vient de paraître le 20 janvier 2010. Contrairement à ce qu'ont indiqué les observateurs, ce texte marque une réelle rupture avec la législation précédente. Certes, il propose de maintenir le principe d'interdiction des recherches sur l'embryon avec dérogation, mais en supprimant la condition des méthodes alternatives d'efficacité comparable, et en remplaçant l'exigence d'un progrès thérapeutique par un simple progrès médical. Autrement dit, ce rapport propose que la loi de 2010 vide de leur substance les dernières dispositions protectrices de l'embryon humain devenu objet de recherche.

Le principe d'interdiction deviendrait purement symbolique, et ne serait en réalité qu'une coquille vide permettant dans les faits toutes les recherches sur l'embryon.

Cette possible évolution est grave quand il est démontré qu'il n'est pas nécessaire, et même qu'il est moins efficace, de recourir aux cellules embryonnaires pour obtenir des applications thérapeutiques. En effet les travaux sur les cellules souches adultes ou de sang de cordon ombilical ont déjà débouché sur des thérapies efficaces, ce qui n'est pas le cas des recherches sur les cellules souches embryonnaires.

Zenit - A votre avis quelle est la cause de ce que vous appelez la transgression progressive en bioéthique ?

Jean-Marie Le Méné - Cet attrait pour la recherche sur les cellules souches embryonnaires peut s'expliquer pour deux raisons : la survivance de positions dogmatiques classiques et l'utilitarisme économique.

Dans le sillage du slogan « il faut transgresser pour progresser » viennent se nicher des idéologies telles que le positivisme, le progressisme, et le scientisme. Il s'agit d'un matelas idéologique de base qui évacue toute référence à la conscience et à la morale.

Et puis l'on comprend surtout qu'il s'agit de donner satisfaction à des appétits financiers. La principale justification à ces transgressions consiste à rentabiliser les millions investis sur cette recherche en vendant à des laboratoires pharmaceutiques des techniques de criblages de molécules sur des cellules souches embryonnaires. En effet, il faut savoir que l'utilisation de l'embryon et des cellules embryonnaires pour la recherche est moins onéreuse que les essais sur les animaux ! Ici encore, la proposition du rapport de la Mission parlementaire est totalement incohérente dans la mesure où elle ne tient aucun compte d'une découverte scientifique majeure depuis la loi de 2004 : les cellules reprogrammées (iPS) mises au point par le Pr. Yamanaka en 2007. Ces cellules iPS peuvent remplacer avantageusement - et sans dommage éthique - les cellules souches embryonnaires s'agissant du criblage moléculaire nécessaire aux essais des laboratoires pharmaceutiques. L'embryon humain serait-il moins respectable en 2010 qu'en 2004 alors qu'il n'y a jamais eu moins de raison de déroger au respect qu'on lui doit ?

Zenit - « Nascituri te salutant ! » dénonce aussi l'eugénisme comme conséquence des diagnostics prénatal et préimplantatoire. Que peut-on prévoir des dérives eugéniques dans la loi de 2010 ?

Jean-Marie Le Méné - Sur ce point, le rapport de la Mission parlementaire accentue l'eugénisme existant à l'encontre des personnes trisomiques. En effet, il propose d'ajouter la détection de la trisomie 21 au diagnostic préimplantatoire qui ne prévoit normalement de rechercher que les maladies héréditaires dont le couple, demandeur d'une fécondation in vitro, est atteint. Cette proposition introduit un élément d'appréciation subjective dans le recours au diagnostic préimplantatoire (car la trisomie est une maladie génétique, non héréditaire, qui ne menace pas plus ce couple qu'un autre) et préjuge du sort réservé à l'embryon dépisté trisomique : l'élimination.

Ainsi, l'embryon conçu in vitro et soumis au diagnostic préimplantatoire sera présumé mort.

Oui, il y a un eugénisme d'Etat en France, et je ne suis pas le seul à le dire. Des voix autorisées, notamment le Conseil d'Etat, le Professeur Jean-François Mattei, ancien Ministre de la santé, et le Professeur Sicard, ancien président du CCNE, dénoncent un « eugénisme de masse », « une perspective terrifiante, celle de l'éradication ».

Les conséquences du diagnostic prénatal (DPN) se passent de commentaire : 96% des fœtus détectés trisomiques à l'issue de ce diagnostic sont avortés. Qui a intérêt à nous faire croire que ce sont les parents qui sont eugénistes ? Non, il s'agit bel et bien d'un choix collectif de l'Etat qui, en finançant chaque année le DPN à hauteur de 100 millions d'euros, oriente par cette offre les choix individuels des parents qui en sont finalement les véritables victimes avec leurs enfants.

Les responsables politiques actuels n'ont-ils à proposer que le renforcement de la sélection - hier par le DPN, aujourd'hui par le DPI - pour l'élimination des êtres non conformes à la norme ?

Zenit - Quel est votre sentiment général sur cette révision de la loi de bioéthique ? Pensez vous qu'il est encore possible d'espérer une amélioration ?

Jean-Marie Le Méné - Il y a un paradoxe sociétal révoltant. Collectivement nous affichons une compassion envers les personnes souffrant de handicap, de maladies génétiques, notamment dans des manifestations médiatiques, et simultanément nous demandons aux médecins de mettre tout en œuvre pour empêcher ces mêmes personnes de vivre ! Et cela au moment où des chercheurs explorent des pistes pour trouver un traitement pour la trisomie 21. Par exemple, les travaux d'un professeur américain de Stanford, William Mobley, et de son équipe, viennent de prouver que les capacités cognitives de souris trisomiques ont pu être nettement améliorées. Cette nouvelle, positive, démontre que cette maladie n'est pas sans solution et qu'il est utile de consacrer du temps et de l'argent à la recherche sur la trisomie 21. Un fatalisme a été rompu ! Forte de ce constat, la France de 2010 sera-t-elle capable de répondre à ce défi en développant une politique de recherche à visée thérapeutique ?

Propos recueillis par Lucie de Raimond

 

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