Guetteurs, Veilleurs

Padre Cantalamessa - Prédicaation de Carême le 19 février 2016

 

« Aux pasteurs et aux guides spirituels j’ose dire : quand, dans la prière, vous sentez que Dieu est en colère avec le peuple qu’il vous a confié, ne prenez pas tout de suite parti pour lui, soyez du côté du peuple ! », explique le P. Raniero Cantalamessa, ofmcap., Prédicateur de la Maison pontificale, dans cette première prédication des vendredis de Carême au Vatican, pour le pape François et ses collaborateurs de la Curie romaine, donnée ce vendredi matin, 19 février, en la chapelle Redemptoris Mater du Vatican.

 

L’ADORATION EN ESPRIT ET VERITE

Réflexion sur la Constitution Sacrosanctum concilium

 

  1. Le concile Vatican II: un affluent, pas le fleuve

Après Lumen gentium pendant la période de l’Avent, je voudrais en ce carême poursuivre la réflexion sur d’autres grands documents du concile Vatican II. Mais avant de commencer ces méditations je voudrais souligner une chose. Le concile est un affluent, pas le fleuve. Le bienheureux cardinal Newman, dans son fameux Essai sur «  le développement de la doctrine chrétienne », affirme avec force qu’arrêter la tradition à un certain point de sa course, même s’il s’agit d’un concile œcuménique, c’est en faire une «  tradition morte » et non une «  tradition vivante ». La tradition c’est comme une musique. Que deviendrait une mélodie qui s’arrête sur une note, et la répète à l’infini? Cela arrive avec un disque abimé et nous savons l’effet que cela fait.

Saint Jean XXIII voulait que le concile soit pour l’Eglise « comme une nouvelle Pentecôte ». Sur un point au moins son vœu s’est exaucé. Après le concile, on a eu un réveil pour l’Esprit Saint qui n’est plus « cet inconnu » dans la Trinité. L’Eglise a une conscience plus nette de sa présence et de son action. En 2012, à l’homélie de la messe chrismale du Jeudi saint, Benoît XVI dit ceci:

« Celui qui regarde l’histoire de l’époque postconciliaire, peut reconnaître la dynamique du vrai renouvellement, qui a souvent pris des formes inattendues dans des mouvements pleins de vie et qui rend presque tangibles la vivacité inépuisable de la sainte Église, la présence et l’action efficace du Saint Esprit ».

Cela ne veut pas dire que l’on peut se passer des textes du concile ou aller au-delà d’eux; cela signifie relire le concile à la lumière des fruits qu’il a produit. Que les conciles œcuméniques puissent avoir des effets non envisagés sur le moment par ceux qui y ont pris part, est une vérité que le cardinal Newman lui-même soulignait à propos de Vatican I[1], mais que l’on trouve aussi à divers moments de l’Histoire. Le concile oecuménique d’Ephèse, en 431, avec la définition de Marie comme Theotokos, Mère de Dieu, se proposait d’affirmer l’unité de la personne du Christ, et non de promouvoir le culte de la Vierge, alors que c’est justement celui-ci qui fut l’effet le plus évident de ce concile.

S’il y a bien un domaine dans lequel la théologie et la vie de l’Eglise catholique se sont développées ces 50 dernières années, c’est celui de l’Esprit Saint. Dans toutes les grandes confessions chrétiennes, ces derniers temps, on voit s’affirmer ce que Karl Barth appelait «  la Théologie du troisième article ». C’est-à-dire commencer le credo au lieu de le finir par l’article sur l’Esprit-Saint, et tenir compte de l’ordre dans lequel la foi chrétienne s’est formée ainsi que son credo, et pas seulement de son produit final. C’est en effet à la lumière de l’Esprit Saint que les apôtres découvrirent qui est vraiment Jésus et sa révélation sur le Père. Le credo actuel est parfait et nul ne songerait à le changer, mais il marque le résultat final, le dernier stade de la foi, et non le chemin parcouru pour y arriver. Or, en vue d’une nouvelle évangélisation, il est vital pour nous de connaître aussi le chemin qui permet d’arriver à la foi, pas seulement sa codification définitive que nous proclamons par cœur dans le credo.

A’ la lumière de tout cela, les implications de certaines affirmations du concile apparaissent nettement, mais on remarque aussi des lacunes à combler, surtout précisément à propos de l’Esprit Saint et de son rôle. Saint Jean Paul II avait pris acte de cette nécessité, et en 1981, pour le XVIème centenaire du concile oecuménique de Constantinople, avait écrit dans sa lettre   apolitique:

« Tout le travail de renouveau de l’Église que le Concile Vatican II a si providentiellement proposé et commencé […] ne peut se réaliser que dans l’Esprit-Saint, c’est-à-dire avec l’aide de sa lumière et de sa puissance »[2].

  1. La place du Saint-Esprit dans la liturgie

Cette remarque générale se révèle particulièrement utile avant d’aborder la question de la liturgie. La constitution Sacrosanctun concilium est née d’un besoin, ressenti depuis longtemps et de part et d’autre, d’un renouvellement des formes et des rites de la liturgie catholique. De ce point de vue, les résultats ont été nombreux et, dans l’ensemble, absolument bénéfiques pour l’Eglise. En revanche, on sentait moins le besoin de s’arrêter sur ce qu’on appelait « l’esprit de la liturgie »[3], pour reprendre l’expression de Romano Guardini, et que moi j’appellerais plutôt « la liturgie de l’Esprit » (Esprit avec un E majuscule!).

Et comme j’ai dit que je voulais mettre en valeur, dans nos méditations, certains aspects plus spirituels et intérieurs des textes conciliaires, c’est sur ce point que nous allons réfléchir. La SC lui consacre un seul bref texte initial, fruit du débat qui précéda la rédaction finale de la constitution[4]:

« Pour l’accomplissement de cette grande œuvre par laquelle Dieu est parfaitement glorifié et les hommes sanctifiés, le Christ s’associe toujours l’Église, son Epouse bien-aimée, qui l’invoque comme son Seigneur et qui, par la médiation de celui-ci, rend son culte au Père éternel. C’est donc à juste titre que la liturgie est considérée comme l’exercice de la fonction sacerdotale de Jésus Christ, exercice dans lequel la sanctification de l’homme est signifiée par des signes sensibles et réalisée d’une manière propre à chacun d’eux, et dans lequel le culte public intégral est exercé par le Corps mystique de Jésus Christ, c’est-à-dire par le Chef et par ses membres. Par conséquent, toute célébration liturgique, en tant qu’œuvre du Christ prêtre et de son Corps qui est l’Église, est l’action sacrée par excellence dont nulle autre action de l’Église ne peut atteindre l’efficacité au même titre et au même degré. »[5].

C’est au niveau des sujets, ou des «  acteurs », de la liturgie que nous sommes aujourd’hui en mesure d’observer une lacune dans cette description. Les deux acteurs principaux sont ici: le Christ et l’Eglise. Aucune allusion à une quelconque place de l’Esprit Saint. Même dans le reste de la constitution, l’Esprit Saint n’est jamais l’objet d’un discours direct, il est seulement nommé ici et là, et toujours « de manière transversale ».

L’Apocalypse nous donne l’ordre et le nombre complet des acteurs liturgiques dans la phrase qui résume le culte chrétien: « L’Esprit et l’Epouse disent (au Seigneur Jésus), Viens! » (Ap 22, 17). Mais Jésus avait déjà parfaitement illustré   la nature et la nouveauté du culte de la Nouvelle Alliance dans sa conversation avec la Samaritaine: « L’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité » (Jn 4, 23).

L’expression «  esprit et vérité », selon le vocabulaire utilisé par Jean, ne peut signifier que deux choses: ou «  l’esprit de vérité », autrement dit l’Esprit Saint (Jn 14,17; 16,13), ou l’esprit du Christ qui est la vérité (Jn 14,6). Une chose est sûre: celle-ci n’a rien à voir avec l’explication subjective, chère aux idéalistes et aux romantiques, selon laquelle l’expression « esprit et vérité «  désignerait l’intériorité cachée de l’homme, par opposition à tout culte extérieur et visible. Il ne s’agit pas seulement d’un passage de l’extérieur à l’intérieur, mais celui de l’humain au divin.

Si la liturgie chrétienne est «  l’exercice de la fonction sacerdotale de Jésus Christ », le meilleur moyen de découvrir sa nature, c’est de voir comment Jésus exerça sa fonction sacerdotale dans sa vie et à sa mort. Le devoir du prêtre est d’offrir «  prières et sacrifices » à Dieu (cf. Hé 5,1; 8,3). Maintenant nous savons que c’est l’Esprit Saint qui mettait dans le cœur du Verbe fait chair le cri « Abba »! Ce cri renferme chacune de ses prières. Luc le dit explicitement: «  A l’heure même, Jésus exulta de joie sous l’action de l’Esprit Saint, et il dit : « Père, Seigneur du ciel et de la terre … » (cf. Lc 10, 21). Dans la lettre aux Hébreux, il est dit aussi que Jésus offrit son corps en sacrifie sur la croix «  poussé par l’Esprit éternel » (Hé 9,14), c’est-à-dire sous l’impulsion de l’Esprit Saint.

Un texte de Saint Basile nous apporte un éclairage :

«  Le chemin de la connaissance de Dieu va de l’unique Esprit, par l’unique Fils, jusqu’à l’unique Père; et en sens inverse, la bonté naturelle, la sainteté de la nature et la dignité royale vient du Père, par le Fils unique, jusqu’à l’Esprit »[6].

Autrement dit, l’ordre de la création, ou de la sortie des créatures de Dieu, part du Père, passe à travers le Fils et arrive à nous dans l’Esprit Saint. L’ordre de la connaissance ou de notre retour a Dieu, dont la liturgie est la plus haute expression, suit le chemin inverse: il part de l’Esprit, passe par le Fils et arrive au Père. Cette vision descendante et ascendante de la mission de l’Esprit Saint est présente aussi dans le monde latin. Le bienheureux Isaac de l’Etoile (sec. XII), l’illustre dans des termes très proches de ceux de Basile:

«  Comme les choses divines descendent sur nous par le Père, à travers le Fils et dans le Saint-Esprit, les choses humaines montent au Père à travers le Fils dans l’Esprit-Saint »[7].

Il ne s’agit pas, comme on le voit, de sympathiser pour l’une plutôt que pour l’autre des trois personnes de la Trinité, mais de sauvegarder le dynamisme trinitaire de la liturgie. Le silence sur l’Esprit Saint atténue inévitablement le caractère trinitaire de la liturgie. Le rappel que saint Jean Paul II faisait dans Novo millennio ineunte me paraît donc tout à fait opportun:

« Réalisée en nous par l’Esprit Saint, la prière nous ouvre, par le Christ et dans le Christ, à la contemplation du visage du Père. Apprendre cette logique trinitaire de la prière chrétienne, en la vivant pleinement avant tout dans la liturgie, sommet et source de la vie ecclésiale, mais aussi dans l’expérience personnelle, tel est le secret d’un christianisme vraiment vital, qui n’a pas de motif de craindre l’avenir, parce qu’il revient continuellement aux sources et qu’il s’y régénère »[8].

  1. L’adoration « en Esprit »

Essayons de tirer de ces considérations quelque indication pratique pour vivre correctement la liturgie et faire en sorte que celle-ci remplisse sa fonction première : sanctifier les âmes. L’Esprit Saint n’autorise pas à inventer de nouvelles formes arbitraires de liturgie ni à modifier soi-même celles qui existent déjà (ce rôle revient à la hiérarchie). Mais il est le seul à renouveler et faire vivre toutes les expressions de la liturgie. Autrement dit, l’Esprit Saint ne fait rien de nouveau mais il fait toute chose « nouvelle »! Le dicton de Jésus répété par Paul : « C’est l’Esprit qui fait vivre » (Jn 6, 63; 2 Cor 3, 6) s’applique en premier lieu à la liturgie.

L’Apôtre invitait ses fidèles à prier «  dans l’Esprit » (Ep 6,18; cf. aussi Jude 20). Que veut dire «  prier dans l’Esprit »? Cela signifie permettre à Jésus de continuer à exercer sa fonction de prêtre dans son corps, l’Eglise. La prière chrétienne devient le prolongement dans le corps de la prière de la tête. Tout le monde connaît l’affirmation de saint Augustin:

« Jésus Christ notre Seigneur, Fils de Dieu est celui qui prie pour nous, qui prie en nous et que nous prions. Il prie pour nous comme notre Père, prie en nous comme notre chef, et nous le prions comme notre Dieu. Reconnaissons donc que c’est nous qui parlons en Lui, et que c’est Lui qui parle en nous »[9].

Pour cette raison, la liturgie apparaît à nos yeux comme l’ « opus Dei », l’œuvre de Dieu », non seulement parce qu’elle a Dieu pour objet, mais aussi pour sujet; nous le prions, mais lui il prie en nous. Le cri Abbà! que l’Esprit, venant en nous, adresse au Père (Gal 4, 6; Rom 8, 15) montre que c’est Jésus, le Fils unique de Dieu, qui prie en nous, à travers l’Esprit. De lui-même, l’Esprit Saint ne pourrait en effet pas s’adresser à Dieu, en l’appelant Abbà, Père, parce qu’Il n’est pas «  engendré » mais « procède » uniquement du Père. S’il peut le faire, c’est parce qu’il est l’Esprit du Christ qui continue en nous sa prière filiale.

Mais c’est surtout quand la prière devient « fatigue » et « lutte » que l’on découvre toute l’importance de l’Esprit Saint dans notre vie de prière. L’Esprit devient la force de notre « faible » prière, lumière pour notre prière éteinte ; en un mot, l’âme de notre prière. Vraiment, il «  irrigue ce qui est aride », comme nous le disons dans la séquence de Pentecôte.

Tout cela arrive par la foi. Il suffit que je dise ou pense: «  Père, tu m’as donné l’Esprit de Jésus ; formant, donc un «  seul Esprit » avec lui, je récite ce psaume, célèbre cette sainte messe ou garde tout simplement le silence, ici en ta présence. Je veux te donner cette gloire et cette joie que Jésus te donnerait si c’était encore lui qui priait ici-bas ».

L’Esprit Saint anime tout particulièrement la prière d’adoration qui est le cœur de toute prière liturgique. Sa particularité vient du fait que c’est le sentiment que nous pouvons nourrir exclusivement envers les personnes divines. C’est ce qui fait la différence entre le culte de latrie, celui de dulie réservé aux saints et d’hyperdulie réservé à la sainte Vierge. Nous vénérons la Vierge, nous ne l’adorons pas, contrairement à ce que pensent certains des catholiques.

L’adoration chrétienne, elle aussi, est trinitaire. Elle l’est dans son développement, parce qu’il est question d’adoration rendue «  au Père, par l’intermédiaire du Fils, dans l’Esprit Saint », et elle l’est dans son terme, car c’est une adoration rendue à la fois «  au Père et au Fils et au Saint Esprit ».

Dans la spiritualité occidentale, le cardinal Pierre de Bérulle (1575-1629) est celui qui a réfléchi plus à fond sur le thème de l’adoration. Pour lui, le Christ est le parfait adorateur du Père, auquel il faut s’unir pour adorer Dieu d’une adoration infinie[10]. Il écrit:

« De toute éternité, il y avait bien un Dieu infiniment adorable, mais il n’y avait pas encore un adorateur infini; […] Vous êtes maintenant, ô Jésus, cet adorateur, cet homme, ce serviteur infini en puissance, en qualité, en dignité, pour satisfaire et pour rendre ce divin hommage »[11].

S’il y a une lacune dans cette vision qui a pourtant donné à l’Eglise de fruits splendides et a façonné la spiritualité française pendant plusieurs siècles, celle-ci est la même que celle relevée dans la constitution de Vatican II: l’insuffisante attention accordée au rôle de l’Esprit Saint. Du Verbe incarné, le discours de Bérulle passe à la «  cour royale » des adorateurs qui le suit et l’accompagne: la Sainte Vierge, Jean Baptiste, les apôtres, les saints; il manque la reconnaissance du rôle essentiel de l’Esprit Saint.

Dans chaque mouvement de retour à Dieu, nous a rappelé Basile, tout part de l’Esprit, passe par le Fils et aboutit au Père. Donc ne rappeler que de temps en temps qu’il y a aussi le Saint Esprit ne suffit pas; il faut lui reconnaître son rôle de maillon essentiel, dans le chemin que doivent parcourir les créatures de Dieu, à l’allée comme au retour. L’Esprit Saint comble le fossé qui nous sépare du Jésus de l’Histoire. Sans lui, tout dans la liturgie n’est que mémoire; avec lui, tout devient aussi « présence ».

Dans le livre de l’Exode, il est écrit que Dieu, au Sinaï, indiqua à Moïse le creux d’un rocher où, caché, il aurait pu contempler sa gloire sans mourir (cf. Es 33,21). Basile a commenté ce passage:

« Quel est aujourd’hui, pour nous chrétiens, ce creux, ce lieu, dans lequel nous pouvons nous réfugier pour contempler et adorer Dieu? C’est l’Esprit Saint! De qui le tenons-nous? Du Seigneur en personne, lui qui a dit : «  les vrais adorateurs adoreront le Père en Esprit et vérité! »[12].

Quelles perspectives, quelle beauté, quelle puissance, quel attrait, tout cela confère à l’idéal de l’adoration chrétienne! Qui, dans le tourbillon de la vie, ne ressent pas le besoin parfois de se cacher dans cette cavité spirituelle pour contempler Dieu et l’adorer comme Moïse?

  1. Prière d’intercession

A côté de l’adoration, l’intercession est une partie essentielle de la prière liturgique. Dans toute sa prière, l’Eglise ne fait qu’intercéder: pour elle-même et pour le monde, pour les justes et pour les pécheurs, pour les vivants et pour les morts. Cette prière aussi, l’Esprit Saint veut l’animer et la renforcer. Saint Paul écrit :

« L’Esprit Saint vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas prier comme il faut. L’Esprit lui-même intercède pour nous par des gémissements inexprimables. Et Dieu, qui scrute les cœurs, connaît les intentions de l’Esprit puisque c’est selon Dieu que l’Esprit intercède pour les fidèles.” (Rom 8, 26-27).

L’Esprit Saint intercède pour nous et nous apprend à intercéder, à notre tour, pour les autres. La prière d’intercession c’est s’unir, par la foi, au Christ ressuscité qui vit dans un état permanent d’intercession pour le monde (cf. Rm 8, 34; Hé 7, 25; 1 Jn 2, 1). Dans sa grande prière, à la fin de sa vie sur terre, Jésus nous offre le plus sublime des exemples d’intercession.

«  Moi je prie pour eux, pour ceux que tu m’as donnés. […] Garde-les unis dans ton nom. Je ne prie pas pour que tu les retires du monde, mais pour que tu les gardes du Mauvais. Sanctifie-les dans la vérité. […] Je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là, mais encore pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi… » (cf. Jn 17, 9 ss).

Dans le livre d’Isaïe, il est dit du Serviteur souffrant que Dieu lui donne les multitudes en récompense « car il portait le péché des multitudes et qu’il intercédait pour les pécheurs » (Is 53,12): cette prophétie a trouvé sa parfaite réalisation en Jésus qui, sur la Croix, intercède pour ses bourreaux (cf. Lc 23, 34).

L’efficacité d’une prière d’intercession ne dépend pas du « nombre de mots rabâchés » (cf. Mt 6, 7), mais du degré d’union que l’on a avec les dispositions filiales du Christ. Plus que les paroles d’intercession il convient plutôt de multiplier les intercesseurs, c’est-à-dire invoquer l’aide de Marie et celle des saints. A la Toussaint, l’Eglise demande à Dieu d’être exaucée «à cause de la multitude des intercesseurs » (« multiplicatis intercessoribus »).

On multiplie les intercesseurs également quand on prie les uns pour les autres. Saint Ambroise dit:

« Si tu pries pour toi, tu seras seul à prier pour toi. Et si chacun prie seulement pour soi, la grâce obtenue par celui qui prier est moindre que pour celui qui intercède pour les autres. Mais si chacun prie pour tous, tous alors prient pour chacun. En conclusion, si tu demandes pour toi seulement, tu seras seul. Mais si tu demandes pour tous, tous demanderont pour toi, puisque tu est compris parmi ces tous. »[13].

La prière d’intercession est agréable à Dieu parce qu’elle est la plus libre de tout égoïsme, reflète au plus près la gratuité divine et répond à la volonté de Dieu qui «  veut que tous les hommes soient sauvés » (cf. 1 Tm 2, 4). Dieu est comme un père compatissant qui a le devoir de punir, mais qui cherche toutes les circonstances atténuantes possibles pour ne pas avoir à le faire, et il est heureux, dans son coeur, quand les frères du coupable l’empêchent de le faire.

S’il ne voit pas de bras fraternels s’élevés vers lui, il s’en plaint dans les Ecritures: « Il a vu qu’il n’y avait personne, il s’est désolé que personne n’intervienne. » (Is 59, 16). Ezéchiel nous transmet cette plainte de Dieu : « J’ai cherché parmi eux quelqu’un qui relève le mur et se tienne devant moi, debout sur la brèche, pour défendre le pays et m’empêcher de le détruire, et je n’ai trouvé personne. » (Ez 22, 30).

La parole de Dieu met en relief l’extraordinaire pouvoir que la prière de ceux qu’il a mis à la tête de son peuple a auprès de Lui. Un psaume raconte que Dieu avait décidé d’exterminer son peuple à cause d’un veau d’or, mais que « Moïse avait surgi sur la brèche, devant lui, pour empêcher que sa fureur les extermine » (cf. Ps 106, 23).

Aux pasteurs et aux guides spirituels j’ose dire: quand, dans la prière, vous sentez que Dieu est en colère avec le peuple qu’il vous a confié, ne prenez pas tout de suite parti pour lui, soyez du côté du peuple! Comme a fait Moïse, jusqu’à protester et vouloir être rayé lui aussi, comme eux, du livre de la vie (cf. Ex 32, 32). La Bible fait comprendre que c’est précisément ce que Dieu souhaitait, parce qu’il « renonça au mal qu’il avait voulu faire à son peuple ». Face au peuple, nous devons donner raison à Dieu de toutes nos forces. C’est juste après, quand Moïse se trouva face au peuple, qu’Il s’enflamma de colère : il brisa le veau d’or, le réduisit en poussière, il répandit la poussière sur la surface de l’eau, et il fit boire cette eau aux gens (cf. Ex 32, 19 ss). Seul celui qui a défendu le peuple devant Dieu et a porté le poids de son péché, a le droit – et aura le courage –, après, de crier contre lui pour la défense de Dieu, comme fit Moïse.

Terminons en proclamant ensemble le texte qui reflète le mieux la place de l’Esprit Saint et l’orientation trinitaire de la liturgie, c’est-à-dire la doxologie finale du canon romain: « Par lui [le Christ], avec lui, en lui, à toi Dieu le Père tout puissant, dans l’unité du Saint Esprit, tout honneur et toute gloire dans tous les siècles des siècles, Amen ».

© Traduction de l’italien de Zenit

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[1] Cf. I. Ker, Newman, the Councils, and Vatican II, in “Communio”. International Catholic Review, 2001, pp. 708-728.

[2] Jean Paul II, Lettre apostolique A Concilio Constantinopolitano I, 25 mars 1981, in AAS 73 (1981) 515-527.

[3] R.Guardini, Vom Geist der Liturgie, 23 ed., Grünewald 2013; J. Ratzinger, Der Geist der Liturgie, Herder, Freiburg, i.b., 2000.

[4] Storia del Concilio Vaticano II, édité par G. Alberigo, Bologne 1999, III, p 245 s.

[5] SC, 7.

[6] S. Basile de Césarée, De Spiritu Sancto XVIII, 47 (PG 32 , 153).

[7] B. Isaac de l’Étoile, De anima (PL 194, 1888).

[8] NMI, 32.

[9] St. Augustin, Enarrationes in Psalmos 85, 1: CCL 39, p. 1176.

[10] M. Dupuy, Bérulle, une spiritualité de l’adoration, Paris 1964. .

[11] P. de Bérulle, Discours de l’Etat et des grandeurs de Jésus (1623), ed. Paris 1986, Discours II, 12.

[12] S. Basile, De Spiritu Sancto, XXVI,62 (PG 32, 181 s.).

[13] St. Ambroise, De Caïn et Abel, I, 39 (CSEL 32, p. 372).

 

publié le : 19 février 2016

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