Benoît XVI de A à Z

Jean Paul II

- Homélie de la Messe du 3 avril 2006, premier anniversaire de la mort de Jean Paul II

Chers frères et soeurs!

En ces jours est particulièrement vivante dans l'Eglise et dans le monde la mémoire du Serviteur de Dieu Jean-Paul II, à l'occasion du premier anniversaire de sa mort. Avec la veillée mariale d'hier, nous avons revécu le moment précis où, il y a un an, eut lieu sa pieuse disparition, tandis que nous nous retrouvons aujourd'hui sur cette même Place Saint-Pierre pour offrir le Sacrifice eucharistique en mémoire de son âme élue. Je salue avec affection, avec les Cardinaux, les Evêques, les prêtres et les religieux, les nombreux pèlerins venus de tant d'endroits, en particulier de Pologne, pour lui témoigner leur estime, leur affection et leur profonde reconnaissance. Nous voulons prier pour ce bien-aimé Pontife, en nous laissant éclairer par la Parole de Dieu que nous venons d'entendre.

Dans la première lecture, tirée du Livre de la Sagesse, il nous a été rappelé quel est le destin final des justes: un destin de bonheur surabondant, qui récompense sans limite pour les souffrances et les épreuves affrontées au cours de la vie. "Dieu les a mis à l'épreuve - affirme l'auteur sacré - et il les a trouvés dignes de lui; comme l'or au creuset, il les a éprouvés, comme un parfait holocauste, il les a agréés" (3, 5-6). Le terme d'"holocauste" fait référence au sacrifice au cours duquel la victime était entièrement brûlée, consumée par le feu; il s'agissait donc d'un signe de don total à Dieu. Cette expression biblique nous fait penser à la mission de Jean-Paul II, qui a fait don à Dieu et à l'Eglise de son existence et a vécu la dimension sacrificielle de son sacerdoce en particulier dans la célébration de l'Eucharistie. Parmi les invocations qui lui étaient chères, en figure une, tirée des "Litanies de Jésus Christ Prêtre et Victime", qu'il voulut placer à la fin de l'ouvrage Don et Mystère, publié à l'occasion du 50 anniversaire de son sacerdoce (cf. pp. 113-116): "Iesu, Pontifex qui tradidisti temetipsum Deo oblationem et hostiam - Jésus, Pontife qui t'offris toi-même à Dieu comme don et victime, prends pitié de nous". Combien de fois il répéta cette invocation! Celle-ci exprime bien le caractère profondément sacerdotal de toute sa vie. Il n'a jamais caché son désir de devenir toujours plus un avec le Christ Prêtre, à travers le Sacrifice eucharistique, source d'inlassable dévouement apostolique.

A la base de ce don total de soi figurait naturellement la foi. Dans la seconde Lecture, que nous venons d'entendre, saint Pierre utilise lui aussi l'image de l'or éprouvé par le feu et l'applique à la foi (1 P 1, 7). En, effet, dans les difficultés de la vie, c'est surtout la qualité de la foi de chacun qui est éprouvée et vérifiée: sa solidité, sa pureté, sa cohérence avec la vie. Et bien, le regretté Pontife, que Dieu avait doté de multiples dons humains et spirituels, en passant à travers le creuset des difficultés apostoliques et de la maladie, est apparu toujours plus comme un "roc" de la foi. Ceux qui ont eu l'occasion de le fréquenter de près ont presque pu toucher du doigt sa foi honnête et solide qui, si elle a impressionné le cercle de ses collaborateurs, n'a pas manqué de diffuser, au cours de son long Pontificat, son influence bénéfique sur toute l'Eglise, dans un crescendo qui a atteint son point culminant au cours des derniers mois et jours de sa vie. Une foi convaincue, forte et authentique, libre des peurs et des compromis, qui a gagné le coeur de tant de personnes, grâce également aux nombreux pèlerinages apostoliques dans tant de parties du monde, et en particulier grâce à ce dernier "voyage" qu'a été son agonie et sa mort.

La page de l'Evangile qui a été proclamée nous aide à comprendre un autre aspect de sa personnalité humaine et religieuse. Nous pourrions dire que, en tant que Successeur de Pierre, il a imité de façon particulière, parmi les Apôtres, Jean, le "disciple bien-aimé" qui demeura sous la Croix auprès de Marie, à l'heure de l'abandon et de la mort du Rédempteur. Les voyant près de la Croix - raconte l'évangéliste - Jésus les confia l'un à l'autre: "Femme, voici ton Fils!... Voici ta mère" (Jn 19, 26-27). Ces paroles du Seigneur mourant étaient particulièrement chères à Jean-Paul II. Comme l'Apôtre évangéliste, lui aussi a voulu prendre Marie dans sa maison: "et ex illa hora accepit eam discipulus in sua" (Jn 19, 27). L'expression "accepit eam in sua" est particulièrement riche de sens: elle indique la décision de Jean de faire participer Marie à sa propre vie afin de faire l'expérience que celui qui ouvre son coeur à Marie, est en réalité accueilli par Elle et lui appartient. La devise inscrite sur le blason pontifical du Pape Jean-Paul II, Totus tuus, résume bien cette expérience spirituelle et mystique, dans une vie totalement orientée vers le Christ au moyen de Marie: "ad Iesum per Mariam".

Chers frères et soeurs, ce soir, notre pensée revient avec émotion au moment de la mort du bien-aimé Pontife, mais dans le même temps, notre coeur est comme poussé à regarder vers l'avenir. Nous sentons résonner dans notre âme ses invitations répétées à avancer sans peur sur le chemin de la fidélité à l'Evangile pour être les messagers et les témoins du Christ dans le troisième millénaire. Ses exhortations incessantes à coopérer généreusement à la réalisation d'une humanité plus juste et plus solidaire, à être des artisans de paix et des bâtisseurs d'espérance nous reviennent à l'esprit. Notre regard reste toujours fixé sur le Christ qui est "le même hier, aujourd'hui et à jamais" (He 13, 8), qui guide solidement son Eglise. Nous avons cru à son amour et c'est la rencontre avec Lui "qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive" (Deus caritas est, n. 1). Que la force de l'Esprit de Jésus soit pour tous, chers frères et soeurs, comme elle le fut pour le Pape Jean-Paul II, une source de paix et de joie. Et que la Vierge Marie, Mère de l'Eglise, nous aide à être en toute circonstance, comme lui, des apôtres inlassables de son divin Fils et des prophètes de son amour miséricordieux. Amen!


- Homélie de la Messe du 2 avril 2007, deuxième anniversaire de la mort de Jean Paul II

Vénérés frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce,
chers frères et sœurs!

Il y a deux ans, un plus plus tard qu'à cette heure-ci, le bien-aimé Pape Jean-Paul II quittait ce monde pour aller vers la maison du Père. A travers cette célébration, nous voulons avant tout renouveler à Dieu notre action de grâce pour nous l'avoir donné pendant près de 27 ans, en tant que père et guide sûr dans la foi, pasteur zélé et prophète courageux d'espérance, témoin inlassable et serviteur passionné de l'amour de Dieu. Dans le même temps, nous offrons le Sacrifice eucharistique en mémoire de son âme élue, dans le souvenir indélébile de la grande dévotion avec laquelle il célébrait les saints Mystères et adorait le Sacrement de l'autel, centre de sa vie et de son inlassable mission apostolique.

Je désire exprimer ma reconnaissance à vous tous, qui avez voulu prendre part à cette Messe. J'adresse un salut particulier au Cardinal Stanislaw Dziwisz, Archevêque de Cracovie, en imaginant les sentiments qui emplissent son âme en cet instant. Je salue les autres Cardinaux, les Evêques, les prêtres, les religieux et les religieuses présents; les pèlerins venus exprès de Pologne; les nombreux jeunes que le Pape Jean-Paul II aimait avec une passion particulière, et les nombreux fidèles qui se sont donné rendez-vous aujourd'hui, ici, Place Saint-Pierre, de toutes les parties d'Italie et du monde.

Le deuxième anniversaire de la pieuse disparition de ce bien-aimé Pontife a lieu dans un contexte extrêmement propice au recueillement et à la prière: en effet, hier, avec le Dimanche des Rameaux, nous sommes entrés dans la Semaine Sainte, et la Liturgie nous fait revivre les dernières journées de la vie terrestre du Seigneur Jésus. Aujourd'hui, il nous conduit à Béthanie, où, précisément "six jours avant la Pâque" - comme le notait l'évangéliste Jean - Lazare, Marthe et Marie offrirent un repas au Maître. Le récit évangélique confère un intense climat pascal à notre méditation: le repas de Béthanie est un prélude à la mort de Jésus, sous le signe de l'onction que Marie accomplit en hommage au Maître et qu'Il accepta en prévision de sa sépulture (cf. Jn 12, 7). Mais c'est également l'annonce de la résurrection, à travers la présence même de Lazare ressuscité, témoignage éloquent du pouvoir du Christ sur la mort. Outre l'importance de la signification pascale, le récit du repas de Béthanie porte en lui un écho déchirant, empli d'affection et de dévotion; un mélange de joie et de douleur: une joie festive pour la visite de Jésus et de ses disciples, pour la résurrection de Lazare, pour la Pâque désormais proche; une profonde amertume car cette Pâque pouvait être la dernière, comme le laissaient craindre les intrigues des Juifs qui voulaient la mort de Jésus et les menaces contre Lazare lui-même dont on projetait l'élimination.

Dans cet épisode évangélique, un geste attire notre attention, qui, aujourd'hui encore, parle de façon particulière à nos cœurs: à un certain moment, Marie de Béthanie, "prenant une livre de parfum de nard pur, de grand prix, oignit les pieds de Jésus et les essuya avec ses cheveux" (Jn 12, 3). C'est l'un des détails de la vie de Jésus que saint Jean a recueillis dans la mémoire de son cœur et qui contiennent une profondeur expressive inépuisable. Il parle de l'amour pour le Christ, un amour surabondant, prodigue, comme l'onguent "de grand prix" versé sur ses pieds. Un fait qui scandalisa de façon caractéristique Judas l'Iscariote: la logique de l'amour s'oppose à celle du profit.

Pour nous, réunis en prière dans le souvenir de mon vénéré prédécesseur, le geste de l'onction de Marie de Béthanie est riche d'échos et de suggestions spirituelles. Il évoque le témoignage lumineux que Jean-Paul II a offert d'un amour pour le Christ sans réserve et sans s'épargner. Le "parfum" de son amour "a empli la maison" (Jn 12, 3), c'est-à-dire toute l'Eglise. Certes, nous en avons profité, nous qui avons été proches de lui et nous en rendons grâces à Dieu, mais tous ceux qui l'ont connu de loin ont également pu en profiter, parce que l'amour du Pape Wojtyla pour le Christ s'est déversé, pourrait-on dire, dans toutes les régions du monde, tant il était fort et intense. L'estime, le respect et l'affection que les croyants lui ont exprimé à sa mort n'en sont-ils pas le témoignage éloquent? Saint Augustin écrit, en commentant ce passage de l'Evangile de Jean: "La maison s'emplit de ce parfum; c'est-à-dire que le monde s'est empli de la bonne nouvelle. Le bon parfum est la bonne nouvelle... Par le mérite des bons chrétiens, le nom du Seigneur est loué" (In Io. evang. tr. 50, 7). C'est bien vrai: l'intense et fructueux ministère pastoral, et plus encore le calvaire de l'agonie et la mort sereine de notre bien-aimé Pape, ont fait connaître aux hommes de notre temps que Jésus Christ était véritablement son "tout".

La fécondité de ce témoignage, nous le savons, dépend de la Croix. Dans la vie de Karol Wojtyla la parole "croix" n'a pas été qu'un mot. Dès son enfance et sa jeunesse, il connut la douleur et la mort. En tant que prêtre et en tant qu'Evêque, et surtout Souverain Pontife, il prit très au sérieux ce dernier appel du Christ ressuscité à Simon Pierre, sur la rive du lac de Galilée: "Suis-moi... Mais toi, suis-moi" (Jn 21, 19.22). En particulier avec la progression lente, mais implacable, de la maladie, qui l'a peu à peu dépouillé de tout, son existence est entièrement devenue une offrande au Christ, annonce vivante de sa passion, dans l'espérance remplie de foi de la résurrection.

Son pontificat s'est déroulé sous le signe de la "prodigalité", du don généreux sans réserve. Qu'est-ce qui le soutenait, si ce n'est l'amour mystique pour le Christ, pour Celui qui, le 16 octobre 1978, l'avait fait appeler, selon les paroles du cérémonial: "Magister adest et vocat te - Le Maître est ici et il t'appelle"? Le 2 avril 2005, le Maître revint l'appeler, cette fois sans intermédiaire, pour le conduire à la maison, à la maison du Père. Et Lui, encore une fois, répondit promptement avec un cœur courageux, et murmura: "Laissez-moi aller au Seigneur" (cf. S. Dziwisz, Une vie avec Karol, p. 223).

Il se préparait depuis longtemps à cette dernière rencontre avec Jésus, comme le documentent les diverses rédactions de son Testament. Au cours des longues stations dans sa Chapelle privée il parlait avec Lui, s'abandonnant totalement à sa volonté, et il se confiait à Marie, en répétant Totus tuus. Comme son divin Maître, il a vécu son agonie en prière. Au cours du dernier jour de sa vie, veille du Dimanche de la Divine Miséricorde, il demanda qu'on lui lise précisément l'Evangile de Jean. Avec l'aide des personnes qui l'assistaient, il voulut prendre part à toutes les prières quotidiennes et à la Liturgie des Heures, suivre l'adoration et la méditation. Il est mort en priant. Il s'est véritablement endormi dans le Seigneur.

"... La maison fut remplie par l'odeur du parfum" (Jn 12, 3). Revenons à cette annotation, si suggestive, de l'évangéliste Jean. Le parfum de la foi, de l'espérance et de la charité du Pape remplit sa maison, remplit la Place Saint-Pierre, remplit l'Eglise et se répandit dans le monde entier. Ce qui est arrivé après sa mort a été, pour ceux qui croient, l'effet de ce "parfum" qui est parvenu à chacun, qu'il soit près ou loin, et qui l'a attiré vers un homme que Dieu avait progressivement configuré à son Christ. C'est pourquoi nous pouvons lui appliquer les paroles du premier Poème du Serviteur du Seigneur, que nous avons écouté dans la première Lecture: "Voici mon serviteur que je soutiens, / mon élu en qui mon âme se complaît. J'ai mis sur lui mon esprit, / il présentera aux nations le droit..." (Is 42, 1). "Serviteur de Dieu": voilà ce qu'il fut et, à présent, nous l'appelons ainsi dans l'Eglise, alors qu'avance rapidement son procès en béatification, dont ce matin l'enquête sur la vie, les vertus et la réputation de sainteté a précisément été close. "Serviteur de Dieu": un titre particulièrement approprié pour lui. Le Seigneur l'a appelé à son service sur la route du sacerdoce et il lui a ouvert peu à peu des horizons toujours plus vastes: de son diocèse jusqu'à l'Eglise universelle. Cette dimension d'universalité a atteint son sommet au moment de sa mort, un événement que le monde entier a vécu avec une participation jamais vue dans l'histoire.

Chers frères et sœurs, le Psaume responsorial a placé sur nos lèvres des paroles pleines de confiance. Dans la communion des saints, il nous semble les écouter de la voix même du bien-aimé Jean-Paul II, qui de la maison du Père - nous en sommes certains - ne cesse d'accompagner le chemin de l'Eglise: "Espère le Seigneur, sois fort et prends courage; espère le Seigneur" (Ps 26, 13-14). Oui, que notre cœur prenne courage, chers frères et sœurs, et qu'il brûle d'espérance! Avec cette invitation dans le cœur nous poursuivons la Célébration eucharistique, en regardant déjà la lumière de la résurrection du Christ, qui brillera lors de la veillée pascale après l'obscurité dramatique du Vendredi Saint. Que le Totus tuus du bien-aimé Pontife nous incite à le suivre sur la route du don de nous-mêmes au Christ par l'intercession de Marie, et que ce soit précisément Elle, la Sainte Vierge, qui nous l'obtienne, alors que nous confions à ses mains maternelles notre père, frère et ami afin qu'il repose en Dieu et qu'il se réjouisse dans la paix. Amen.

 

- Homélie de la Messe pour le Pape Jean Paul II, le 2 avril 2008
Chers frères et sœurs!

La date du 2 avril est restée gravée dans la mémoire de l'Eglise comme le jour du départ de ce monde du serviteur de Dieu le Pape Jean-Paul II. Nous revivons avec émotion les heures de ce samedi soir, lorsque la nouvelle de sa mort fut accueillie par une grande foule en prière qui remplissait la Place Saint-Pierre. Pendant plusieurs jours la Basilique vaticane et cette Place ont véritablement été le cœur du monde. Un fleuve ininterrompu de pèlerins rendit hommage à la dépouille mortelle du vénérable Pape et ses funérailles marquèrent un témoignage supplémentaire de l'estime et de l'affection qu'il avait conquises dans l'âme de très nombreux croyants et de personnes de tous les lieux de la terre. Comme il y a trois ans, aujourd'hui aussi peu de temps s'est écoulé depuis Pâques. Le cœur de l'Eglise est encore profondément plongé dans le mystère de la Résurrection du Seigneur. En vérité, nous pouvons lire toute la vie de mon bien-aimé Prédécesseur, en particulier son ministère pétrinien, dans le signe du Christ Ressuscité. Il nourrissait une foi extraordinaire en Lui, et il entretenait avec Lui une conversation profonde, singulière et ininterrompue. Parmi ses nombreuses qualités humaines et surnaturelles, il possédait en effet celle d'une exceptionnelle sensibilité spirituelle et mystique. Il suffisait de l'observer lorsqu'il priait: il se plongeait littéralement en Dieu et il semblait que tout le reste lui était étranger en ces moments. Les célébrations liturgiques le voyaient attentif au mystère-en-acte, avec une profonde capacité de saisir l'éloquence de la Parole de Dieu dans le devenir de l'histoire, au niveau profond du dessein de Dieu. La Messe, comme il l'a souvent répété, était pour lui le centre de chaque journée et de l'existence tout entière. La réalité "vivante et sainte" de l'Eucharistie lui donnait l'énergie spirituelle pour guider le Peuple de Dieu sur le chemin de l'histoire.

Jean-Paul II s'est éteint à la veille du deuxième Dimanche de Pâques; au terme du "jour que le Seigneur a fait". Son agonie s'est déroulée pendant tout ce "jour", dans cet espace-temps nouveau qui est le "huitième jour", voulu par la Très Sainte Trinité à travers l'œuvre du Verbe incarné, mort et ressuscité. Le Pape Jean-Paul II a donné plusieurs fois la preuve, au cours de sa vie, de se trouver déjà plongé d'une certaine manière dans cette dimension spirituelle, en particulier dans l'accomplissement de sa mission de Souverain Pontife. Son pontificat, dans son ensemble et dans de nombreux moments spécifiques, nous apparaît en effet comme un signe et un témoignage de la Résurrection du Christ. Le dynamisme pascal, qui a fait de l'existence de Jean-Paul II une réponse totale à l'appel du Seigneur, ne pouvait pas s'exprimer sans une participation aux souffrances et à la mort du divin Maître et Rédempteur. "Voici une parole sûre - affirme l'apôtre Paul -: Si nous sommes morts avec lui, avec lui nous vivrons. Si nous supportons l'épreuve, avec lui nous régnerons" (2 Tm 2, 11-12). Dès son enfance Karol Wojtyla avait fait l'expérience de la vérité de ces mots, en rencontrant la croix sur son chemin, dans sa famille et au sein de son peuple. Il décida très vite de la porter avec Jésus, en suivant ses traces. Il voulut être son fidèle serviteur jusqu'à accueillir l'appel au sacerdoce comme le don et l'engagement de toute sa vie. Il vécut avec Lui et il voulut également mourir avec Lui. Et tout cela à travers la singulière médiation de la Très Sainte Vierge Marie, Mère de l'Eglise, Mère du Rédempteur intimement et effectivement associée à son mystère salvifique de mort et de résurrection.

Les lectures bibliques évocatrices qui viennent d'être proclamées nous guident dans cette réflexion: "Soyez sans crainte!" (Mt 28, 5). Les paroles de l'ange de la résurrection, adressées aux femmes près du tombeau vide, que nous venons d'entendre, sont devenues une sorte de devise sur les lèvres du Pape Jean-Paul II, dès le début solennel de son ministère pétrinien. Il les a répétées plusieurs fois à l'Eglise et à l'humanité en marche vers l'an 2000, et ensuite à travers ce seuil historique et encore au-delà, à l'aube du troisième millénaire. Il les a toujours prononcées avec une inflexible fermeté, tout d'abord en brandissant le bâton pastoral qui se terminait par la Croix et ensuite, lorsque ses forces physiques commencèrent à diminuer, en s'accrochant presque à celui-ci, jusqu'au dernier Vendredi Saint, au cours duquel il participa à la Via Crucis dans sa Chapelle privée en serrant la Croix entre ses bras. Nous ne pouvons pas oublier ce dernier témoignage silencieux d'amour pour Jésus. Cette scène éloquente de souffrance humaine et de foi, en ce dernier Vendredi Saint, indiquait aussi aux croyants et au monde le secret de toute la vie chrétienne. Son "Soyez sans crainte" n'était pas fondé sur les forces humaines, ni sur les succès obtenus, mais uniquement sur la Parole de Dieu, sur la Croix et sur la Résurrection du Christ. A mesure qu'il était dépouillé de tout, et même à la fin de la parole, cet acte de confiance au Christ est apparu avec une évidence croissante. Comme ce fut le cas pour Jésus, pour Jean-Paul II aussi les paroles ont laissé place à la fin au sacrifice extrême, au don de soi. Et la mort a été le sceau d'une existence entièrement donnée au Christ, se conformant à Lui également physiquement sous les traits de la souffrance et de l'abandon confiant entre les bras du Père céleste. "Laissez-moi aller au Père" furent ses dernières paroles - dont témoignèrent ceux qui furent proches de lui -, au terme d'une vie entièrement consacrée à connaître et à contempler le visage du Seigneur.

Vénérés et chers frères, je vous remercie tous de vous être unis à moi au cours de cette Messe d'intention pour le bien-aimé Jean-Paul II. J'adresse une pensée cordiale aux participants au premier Congrès mondial sur la divine Miséricorde qui commence précisément aujourd'hui, et qui entend approfondir le riche magistère sur ce thème. La miséricorde de Dieu - il le dit lui-même - est une clef de lecture privilégiée de son pontificat. Il voulait que le message de l'amour miséricordieux de Dieu atteigne tous les hommes et il exhortait les fidèles à en être les témoins (cf. Homélie à Cracovie-Lagiewniki, 18 août 2002). C'est pourquoi il voulut élever aux honneurs des autels sœur Faustine Kowalska, humble sœur devenue par un mystérieux dessein divin la messagère prophétique de la divine Miséricorde. Le serviteur de Dieu Jean-Paul II avait connu et vécu personnellement les terribles tragédies du XX siècle, et il se demanda pendant longtemps ce qui pouvait freiner la montée du mal. La réponse ne pouvait se trouver que dans l'amour de Dieu. Seule la divine Miséricorde est en effet en mesure d'imposer une limite au mal; seul l'amour tout-puissant de Dieu peut vaincre la violence des méchants et le pouvoir destructeur de l'égoïsme et de la haine. C'est pourquoi, au cours de sa dernière visite en Pologne, revenant dans sa terre natale, il dit: "Il n'y a pas d'autre source d'espérance pour l'homme que la miséricorde de Dieu" (ibid.).

Nous rendons grâce au Seigneur d'avoir donné à l'Eglise ce fidèle et courageux serviteur. Nous louons et nous bénissons la Bienheureuse Vierge Marie pour avoir veillé sans cesse sur sa personne et sur son ministère, au bénéfice du Peuple chrétien et de l'humanité tout entière. Et alors que nous offrons pour son âme élue le Sacrifice rédempteur, nous le prions de continuer à intercéder du Ciel pour chacun de nous, et de manière particulière pour moi que la Providence a appelé à recueillir son inestimable héritage spirituel. Puisse l'Eglise, en suivant ses enseignements et ses exemples, poursuivre fidèlement et sans compromis sa mission évangélisatrice, en diffusant sans se lasser l'amour miséricordieux du Christ, source de paix véritable pour le monde entier. Amen.


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A l'issue de la Messe d'intention

Je vous salue chaleureusement, vous les pèlerins francophones, venus participer à la Messe à l'occasion du troisième anniversaire de la mort de Jean-Paul II. Mes salutations vont tout particulièrement à ceux qui sont aussi rassemblés pour le Congrès de la Miséricorde. Puissiez-vous tous, à la suite du serviteur de Dieu Jean-Paul II, vous attacher à aimer intimement le Christ, pour le suivre et devenir d'authentiques témoins de la Bonne Nouvelle et de la tendresse de Dieu.

J'invoque sur toutes les personnes présentes et sur celles qui sont en liaison satellite à travers la radio et la télévision, la protection céleste de la Très Sainte Vierge Marie, Mère de l'Eglise.

 

- Homélie de la Messe pour Jean Paul II, le 2 avril 2009

 

Chers frères et sœurs!

Il y a quatre ans, précisément aujourd'hui, mon bien-aimé prédécesseur le serviteur de Dieu Jean-Paul II, concluait son pèlerinage terrestre, après une longue période de grande souffrance. Nous célébrons l'Eucharistie en mémoire de son âme, tandis que nous rendons grâce au Seigneur pour l'avoir donné à l'Eglise, pendant tant d'années, comme Pasteur zélé et généreux. Nous sommes réunis ce soir par son souvenir, qui continue à être vivant dans le cœur des personnes, comme le démontre également le pèlerinage ininterrompu de fidèles sur sa tombe, dans les Grottes Vaticanes. C'est donc avec émotion et joie que je préside cette Messe, tandis que je vous salue et je vous remercie pour votre présence, vénérés frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce, ainsi que vous, chers fidèles venus de diverses parties du monde, notamment de la Pologne, pour cet anniversaire significatif.

Je voudrais saluer les Polonais et, de façon particulière, la jeunesse polonaise. A l'occasion du quatrième anniversaire de la mort de Jean-Paul II, accueillez son appel: "N'ayez pas peur de vous en remettre [au Christ]. Il vous guidera, il vous donnera la force de le suivre chaque jour et en toute situation" (Tor Vergata, veillée de prière, 19 août 2000). Je souhaite que cette pensée du serviteur de Dieu vous guide sur les chemins de votre vie, et vous conduise au bonheur du matin de la Résurrection.

Je salue le cardinal-vicaire, le cardinal archevêque de Cracovie, le cher cardinal Stanislaw, ainsi que les autres cardinaux et prélats; je salue les prêtres, les religieux et les religieuses. Je vous salue de façon spéciale, bien-aimés jeunes de Rome, qui à travers cette célébration, vous préparez à la Journée mondiale de la jeunesse, que nous vivrons ensemble dimanche prochain, Dimanche des Rameaux. Votre présence me rappelle à l'esprit l'enthousiasme que Jean-Paul II savait transmettre aux nouvelles générations. Sa mémoire est un encouragement pour nous tous, rassemblés dans cette Basilique où, en de nombreuses occasions, il a célébré l'Eucharistie, à nous laisser illuminer et interpeller par la Parole de Dieu qui vient d'être proclamée.

L'Evangile de ce jeudi de la cinquième semaine de Carême propose à notre méditation la dernière partie du chapitre VIII de l'Evangile de Jean, qui contient, comme nous venons de l'entendre, un long débat sur l'identité de Jésus. Peu de temps auparavant, Il s'est présenté comme "la lumière du monde" (v. 12), en utilisant par trois fois (vv. 24.28.58) l'expression "Je suis" qui, dans un sens fort, rappelle le nom de Dieu révélé à Moïse (cf. Es 3, 14). Et il ajoute: "Si quelqu'un garde ma parole, il ne verra jamais la mort" (v. 51), en déclarant ainsi avoir été envoyé par Dieu, qui est son Père, pour apporter aux hommes la liberté radicale à l'égard du péché et de la mort, indispensable pour entrer dans la vie éternelle. Toutefois, ses paroles blessent l'orgueil de ses interlocuteurs, et la référence au grand patriarche Abraham devient également un motif de conflit. "En vérité, en vérité je vous le dis - affirme le Seigneur -, avant qu'Abraham existât, Je Suis" (8, 58). Sans demi-mesure, il déclare sa préexistence, et donc, sa supériorité par rapport à Abraham, suscitant - de façon compréhensible - la réaction scandalisée des juifs. Mais Jésus ne peut taire son identité; il sait que, à la fin, le Père lui-même lui donnera raison, le glorifiant par la mort et la résurrection, car précisément lorsqu'il sera élevé sur la croix, il se révélera le Fils unique de Dieu (cf. Jn 8, 28; Mc 15, 39).

Chers amis, en méditant sur cette page de l'Evangile de Jean, il est naturel de considérer combien il est difficile en vérité de témoigner du Christ. Et notre pensée va vers le bien-aimé serviteur de Dieu Karol Wojtyla Jean-Paul II, qui dès sa jeunesse, démontra être un courageux et ardent défenseur du Christ; il n'hésita pas à lui consacrer toutes ses énergies à en diffuser partout la lumière; il n'accepta aucun compromis lorsqu'il s'agissait de proclamer et de défendre sa Vérité; il ne se lassa jamais de diffuser son amour. Du début de son pontificat jusqu'au 2 avril 2005, il n'eut pas peur de proclamer, à tous et toujours que seul Jésus est le Sauveur et le véritable Libérateur de l'homme et de tout l'homme.

Au cours de la première lecture, nous avons entendu les paroles à Abraham: "Je te rendrai extrêmement fécond" (Gn 17, 6). Si témoigner de son adhésion à l'Evangile n'est jamais simple, nous sommes certainement réconfortés par la certitude que Dieu rend fécond notre engagement, lorsqu'il est sincère et généreux. De ce point de vue également, l'expérience spirituelle du serviteur de Dieu Jean-Paul II nous apparaît significative. En contemplant son existence, nous y voyons comme réalisée la promesse de fécondité faite par Dieu à Abraham et à laquelle fait écho la première lecture tirée du livre de la Genèse. On pourrait dire qu'en particulier au cours des années de son pontificat, il a conduit à la foi de nombreux fils et filles. Vous en êtes le signe visible, chers jeunes présents ce soir: vous, jeunes de Rome et vous, jeunes venus de Sydney et de Madrid, pour représenter de façon idéale les foules de jeunes filles et garçons qui ont participé aux 23 Journées mondiales de la jeunesse, de diverses parties du monde. Combien de vocations au sacerdoce et à la vie consacrée, combien de jeunes familles décidées à vivre l'idéal évangélique et à tendre vers la sainteté sont liées au témoignage et à la prédication de mon vénéré prédécesseur! Combien de jeunes filles et garçons se sont convertis ou ont persévéré sur leur chemin chrétien grâce à sa prière, son encouragement, à son soutien et à son exemple!

C'est vrai! Jean-Paul II réussissait à transmettre une forte charge d'espérance, fondée sur la foi en Jésus Christ, qui est "le même hier et aujourd'hui, il le sera à jamais" (He 13, 8), comme le dit la devise du grand Jubilé de l'An 2000. En tant que père affectueux et éducateur attentif, il indiquait des points de référence sûrs et solides, indispensables pour tous, en particulier pour la jeunesse. Et à l'heure de l'agonie et de la mort, cette nouvelle génération voulut lui montrer qu'elle avait compris ses enseignements, en se recueillant silencieusement en prière place Saint-Pierre et dans tant d'autres lieux du monde. Les jeunes ressentaient que sa disparition constituait une perte: "leur" Pape, qu'ils considéraient comme "leur père" dans la foi, était en train de mourir. Ils ressentaient dans le même temps qu'il leur laissait en héritage son courage et la cohérence de son témoignage. N'avait-il pas souligné à plusieurs reprises le besoin d'une adhésion radicale à l'Evangile, en exhortant les adultes et les jeunes à prendre au sérieux cette responsabilité éducative commune? Moi aussi, comme vous le savez, j'ai voulu reprendre cette préoccupation, en m'arrêtant à diverses occasions pour parler de l'urgence éducative qui concerne aujourd'hui toutes les familles, l'Eglise, la société, et en particulier les nouvelles générations. En grandissant, les jeunes ont besoin d'adultes capables de leur proposer des principes et des valeurs; ils ressentent le besoin de personnes qui sachent enseigner à travers leur vie, avant même que par leurs paroles, à se consacrer à des idéaux élevés.

Mais où puiser la lumière et la sagesse pour accomplir cette mission, qui nous concerne tous dans l'Eglise et dans la société? Il ne suffit pas, bien sûr, de faire appel aux ressources humaines; il faut aussi se fier en premier lieu à l'aide divine. "Le Seigneur est fidèle pour toujours": c'est ainsi que nous venons tout juste de prier dans le Psaume responsorial, assurés que Dieu n'abandonne jamais ceux qui lui sont fidèles. C'est ce que rappelle le thème de la 24 Journée mondiale de la jeunesse, qui sera célébrée dans les diocèses dimanche prochain. Celui-ci est tiré de la première Lettre à Timothée de saint Paul: "Nous avons mis notre espérance dans le Dieu vivant" (4, 10). L'apôtre parle au nom de la communauté chrétienne, au nom de ceux qui ont cru dans le Christ et qui sont différents de ceux "qui n'ont pas d'espérance" (1 Ts 4, 13), précisément parce qu'au contraire, ils espèrent, c'est-à-dire qu'ils ont confiance en l'avenir, une confiance non pas fondée sur des idées ou des prévisions humaines, mais bien sur Dieu, le "Dieu vivant".

Chers jeunes, on ne peut pas vivre sans espérer. L'expérience montre que chaque chose, et notre vie elle-même, sont menacées, peuvent s'écrouler pour un motif qui nous est propre ou étranger, à tout moment. C'est normal: tout ce qui est humain, et donc même l'espérance, n'a aucun fondement en soi, mais a besoin d'un "roc" auquel s'accrocher. Voilà pourquoi Paul écrit que les chrétiens sont appelés à fonder l'espérance humaine sur le "Dieu vivant". Ce n'est qu'en Lui qu'elle devient sûre et fiable. Plus encore, Dieu seul qui en Jésus Christ, nous a révélé la plénitude de son amour, peut être notre espérance solide. En effet, En Lui, notre espérance, nous avons été sauvés (cf. Rm 8, 24).

Toutefois, faites attention: dans des moments comme celui-ci, étant donné le contexte culturel et social dans lequel nous vivons, le risque de réduire l'espérance chrétienne à une idéologie, à un slogan de groupe, à un habillage extérieur, pourrait être plus fort. Rien de plus contraire au message de Jésus! Il ne veut pas que ses disciples "récitent" un rôle, pas même celui de l'espérance. Il veut qu'ils "soient" l'espérance, et ils ne peuvent l'être que si ils restent unis à Lui! Il veut que chacun de vous, chers jeunes amis, soit une petite source d'espérance pour son prochain, et que vous deveniez tous ensemble une oasis d'espérance pour la société au sein de laquelle vous êtes insérés. Or, cela n'est possible qu'à une condition: que vous viviez de Lui et en Lui, à travers la prière et les sacrements, comme je vous l'ai écrit dans le Message de cette année. Si les paroles du Christ demeurent en nous, nous pouvons diffuser la flamme de l'amour qu'Il a allumée sur terre; nous pouvons porter haut la flamme de la foi et de l'espérance, avec laquelle nous avançons vers Lui, tandis que nous attendons son retour glorieux à la fin des temps. C'est la flamme que le Pape Jean-Paul II nous a laissée en héritage. Il me l'a remise, en tant que son successeur; et ce soir, je la remets idéalement, une fois de plus, de façon spéciale à vous, jeunes de Rome, afin que vous continuiez à être des sentinelles du matin, veilleurs vigilants et joyeux en cette aube du troisième millénaire. Répondez généreusement à l'appel du Christ! En particulier, au cours de l'année sacerdotale qui commencera le 19 juin prochain, soyez disponibles, si Jésus vous appelle, à le suivre sur la voie du sacerdoce et de la vie consacrée.

"Voici venu le moment favorable; voici venu le jour du salut!". Au chant de l'Evangile, la liturgie nous a exhortés à renouveler à présent, - et chaque instant est un "moment favorable" - notre volonté ferme de suivre le Christ, assurés qu'Il est notre salut. Tel est, au fond, le message que nous répète ce soir le bien-aimé Jean-Paul II. Tandis que nous confions son âme élue à l'intercession maternelle de la Vierge Marie qu'il a toujours aimée tendrement, nous espérons vivement que, du ciel, il ne cesse de nous accompagner et d'intercéder pour nous. Qu'il aide chacun de nous à vivre, comme il l'a fait, en répétant jour après jour à Dieu, à travers Marie et avec une pleine confiance: Totus tuus. Amen!

 

- Homélie de la Messe pour Jean Paul II, le 29 mars 2010

Vénérés frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce,
chers frères et sœurs!
Nous sommes réunis autour de l'autel, auprès du tombeau de l'apôtre Pierre, pour offrir le sacrifice eucharistique en mémoire de l'âme élue du Vénérable Jean-Paul II, à l'occasion du Ve anniversaire de sa mort. Nous le faisons avec quelques jours d'avance, car le 2 avril sera cette année le Vendredi Saint. Nous sommes, quoi qu'il en soit, dans le cadre de la Semaine Sainte, cadre plus que jamais propice au recueillement et à la prière, dans lequel la Liturgie nous fait revivre plus intensément les dernières journées de la vie terrestre de Jésus. Je désire exprimer ma reconnaissance à vous tous qui participez à cette Messe. Je salue cordialement les cardinaux – de façon particulière Mgr Stanislas Dziwisz – les évêques, les prêtres, les religieux et les religieuses; ainsi que les pèlerins venus expressément de Pologne, les innombrables jeunes et les nombreux fidèles qui ont voulu être présents à cette célébration.

Dans la première lecture biblique qui a été proclamée, le prophète Isaïe présente la figure d'un « Serviteur de Dieu », qui est dans le même temps son élu, dans lequel il se complaît. Le Serviteur agira avec une fermeté inébranlable, avec une énergie qui ne faillira pas tant qu'il n'aura pas réalisé le devoir qui lui a été confié. Et pourtant, il n'aura pas à sa disposition les instruments humains qui semblent indispensables à la réalisation d'un dessein si grandiose. Il se présentera avec la force de la conviction, et ce sera l'Esprit que Dieu a placé en lui qui lui donnera la capacité d'agir avec douceur et avec force, lui assurant le succès final. Ce que le prophète inspiré dit du Serviteur, nous pouvons l'appliquer au bien-aimé Jean-Paul II: le Seigneur l'a appelé à son service et, en lui confiant des devoirs d'une responsabilité toujours plus grande, il l'a également accompagné par sa grâce et par son assistance constante. Au cours de son long Pontificat, il s'est prodigué pour proclamer le droit avec fermeté, sans faiblesse ni hésitation, surtout lorsqu'il devait affronter les résistances, les hostilités et les refus. Il savait qu'il avait été pris par la main par le Seigneur, et cela lui a permis d'exercer un ministère très fécond, pour lequel, une fois de plus, nous rendons grâce à Dieu avec ferveur.

L'Evangile qui vient d'être proclamé nous conduit à Béthanie, où, comme le souligne l'Evangéliste, Lazare, Marthe et Marie offrent un dîner au Maître (Jn 12, 1). Ce banquet dans la maison des trois amis de Jésus est caractérisé par les pressentiments de la mort imminente: les six jours avant Pâques, la suggestion du traître Judas, la réponse de Jésus qui rappelle l'un des actes de compassion de la sépulture anticipée par Marie, l'allusion au fait qu'ils ne l'auraient pas toujours eu avec eux, l'intention d'éliminer Lazare, dans lequel se reflète la volonté de tuer Jésus. Dans ce récit évangélique, il y a un geste sur lequel je voudrais attirer l'attention: Marie de Béthanie « prenant une livre d'un parfum de nard pur, de grand prix, oignit les pieds de Jésus et les essuya avec ses cheveux » (12, 3). Le geste de Marie est l'expression de la foi et de l'amour immenses pour le Seigneur: pour elle, il n'est pas suffisant de laver les pieds du Maître avec de l'eau, mais elle les oint d'une grande quantité de parfum précieux, que – comme le reprochera Judas – l'on aurait pu vendre trois cents deniers; de plus, elle ne oint pas la tête, comme c'était l'usage, mais les pieds: Marie offre à Jésus ce qu'elle a de plus précieux et avec un geste de dévotion profonde. L'amour ne calcule pas, ne mesure pas, ne regarde pas la dépense, n'élève pas de barrière, mais sait donner avec joie, et recherche simplement le bien de l'autre, vainc la mesquinerie, l'avarice, les ressentiments, la fermeture que l'homme porte parfois dans son cœur.

Marie se place aux pieds de Jésus dans une humble attitude de service, comme le fera le Maître lui-même au cours de la dernière Cène, lorsque – nous dit l'Evangile – « il se lève de table, dépose ses vêtements, et prenant un linge, il s'en ceignit. Puis il met de l'eau dans un bassin et il commença à laver les pieds des disciples » (Jn 13, 4-5), pour que – dit-il – « vous fassiez, vous aussi, comme moi j'ai fait pour vous » (v. 15): la règle de la communauté de Jésus est celle de l'amour qui sait servir jusqu'au don de la vie. Et le parfum se répand: « la maison s'emplit de la senteur du parfum » (Jn 12, 3). La signification du geste de Marie, qui est la réponse à l'Amour infini de Dieu, se diffuse parmi tous les convives; chaque geste de charité et de dévotion authentique au Christ ne demeure pas un fait personnel, ne concerne pas seulement le rapport entre la personne et le Seigneur, mais concerne tout le corps de l'Eglise, est contagieux: il diffuse amour, joie, lumière.

« Il est venu chez les siens, et les siens ne l'ont pas reçu » (Jn 1, 11): à l'acte de Marie s'opposent l'attitude et les paroles de Judas qui, sous le prétexte de l'aide à apporter aux pauvres, cache l'égoïsme et la fausseté de l'homme refermé sur lui-même, esclave de l'avidité de la possession, qui ne se laisse pas envelopper par le bon parfum de l'amour divin. Judas calcule là où on ne peut pas calculer, il entre avec une âme mesquine là où l'espace est celui de l'amour, du don, du dévouement total. Et Jésus, qui jusqu'à ce moment était resté en silence, intervient en faveur du geste de Marie: « Laisse-la! Il fallait qu'elle garde ce parfum pour le jour de mon ensevelissement » (Jn 12, 7). Jésus comprend que Marie a eu l'intuition de l'amour de Dieu et il annonce que désormais son « heure » approche, l'« heure » où l'Amour trouvera son expression suprême sur le bois de la Croix: le Fils de Dieu se donne lui-même pour que l'homme ait la vie, il descend dans l'abîme de la mort pour élever l'homme à la hauteur de Dieu, il n'a pas peur de s'humilier « en devenant obéissant jusqu'à mourir, et à mourir sur une croix » (Ph 2, 8). Saint Augustin, dans le Sermon dans lequel il commente ce passage évangélique, adresse à chacun de nous, avec des paroles pressantes, l'invitation à entrer dans ce circuit d'amour, en imitant le geste de Marie et en se plaçant concrètement à la suite de Jésus. Augustin écrit: « Que chaque âme qui veut être fidèle, s'unisse à Marie pour oindre avec un parfum précieux les pieds du Seigneur... Oins les pieds de Jésus: suis les traces du Seigneur en conduisant une vie digne. Essuie-lui les pieds avec tes cheveux: si tu as du superflu, donne-le aux pauvres, et tu auras essuyé les pieds du Seigneur » (In Ioh. evang., 50, 6).

Chers frères et sœurs! Toute la vie du Vénérable Jean-Paul II s'est déroulée sous le signe de cette charité, de la capacité de se donner de manière généreuse, sans réserves, sans mesure, sans calcul. Ce qui l'animait était l'amour envers le Christ, auquel il avait consacré sa vie, un amour surabondant et inconditionné. Et précisément parce qu'il s'est approché toujours plus de Dieu dans l'amour, il a pu devenir le compagnon de voyage de l'homme d'aujourd'hui, en répandant dans le monde le parfum de l'Amour de Dieu. Celui qui a eu la joie de le connaître et de le fréquenter, a pu constater concrètement combien était vivante en lui la certitude « de voir les bontés du Seigneur sur la terre des vivants », comme nous l'avons entendu dans le psaume responsorial (cf. 26/27, 13); une certitude qui l'a accompagné au cours de son existence et qui, de manière particulière, s'est manifestée au cours de la dernière période de son pèlerinage sur cette terre: en effet, la faiblesse physique progressive n'a jamais entamé sa foi solide comme un roc, son espérance lumineuse, sa charité fervente. Il s'est laissé consumer pour le Christ, pour l'Eglise, pour le monde entier: sa souffrance a été vécue jusqu'au bout par amour et avec amour.

Dans l'homélie pour le XXVe anniversaire de son pontificat, il confia qu'il avait ressenti avec force dans son cœur, au moment de son élection, la question de Jésus à Pierre: « M'aimes-tu, m'aimes-tu plus que ceux-ci...? » (Jn 21, 15-16); et il ajouta: « Chaque jour a lieu dans mon cœur le même dialogue entre Jésus et Pierre. Dans l'esprit, je fixe le regard bienveillant du Christ ressuscité. Bien que conscient de ma fragilité humaine, il m'encourage à répondre avec confiance comme Pierre: "Seigneur, tu sais tout, tu sais bien que je t'aime" (Jn 21, 17). Puis il m'invite à assumer les responsabilités que Lui-même m'a confiées » (16 octobre 2003; cf. ORLF n. 42 du 21 octobre 2003). Ce sont des paroles pleines de foi et d'amour, l'amour de Dieu, qui vainc tout!

Je désire enfin saluer les Polonais ici présents. Vous êtes rassemblés nombreux autour de la tombe du vénérable serviteur de Dieu avec un sentiment particulier, en tant que fils et filles de la même terre, qui ont grandi dans la même culture et tradition spirituelle. La vie et l'œuvre de Jean-Paul II, grand Polonais, peut constituer pour vous un motif d'orgueil. Il faut cependant que vous vous rappeliez que celle-ci est également un puissant appel à être de fidèles témoins de la foi, de l'espérance et de l'amour, qu'il nous a sans cesse enseignés. Par l'intercession de Jean-Paul II, que vous soutienne toujours la bénédiction du Seigneur.

Alors que nous poursuivons la célébration eucharistique, en nous apprêtant à vivre les jours glorieux de la Passion, de la Mort et de la Résurrection du Seigneur, remettons-nous avec confiance – selon l'exemple du vénérable Jean-Paul II – à l'intercession de la Bienheureuse Vierge Marie, Mère de l'Eglise, afin qu'elle nous soutienne dans l'engagement à être, en toutes circonstances, des apôtres inlassables de son Fils divin et de son Amour miséricordieux. Amen!

 

 

 

publié le : 01 janvier 2005

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