Jean Paul II entre dans la Vie

L'avenir de l'Église selon Le Monde


Jean-Paul II à peine disparu, le chroniqueur religieux du Monde (édition du 3-4 avril), Henri Tincq indique (on n'ose écrire « dicte ») au futur pape les cinq grands chantiers qu'il devra affronter.

Il pourrait ne s'agir que d'une pirouette journalistique pour évoquer le futur de l'Église alors même que beaucoup de données - à commencer par celle, primordiale, du nom du nouveau pape - restent inconnues. Mais les « cinq défis » retenus par Henri Tincq sont moins innocents qu'il ne voudrait nous le faire croire. Ils répondent à la dialectique progressiste bien connue consistant à émettre comme une évidence indiscutable ses propres obsessions idéologiques. Selon Henri Tincq, le prochain pape devra « décentraliser le pouvoir romain » ; « combler le divorce avec la société moderne » ; « déverrouiller l'accès aux ministères ordonnés » ; « Relancer le dialogue avec les Églises séparés » ; « approfondir la rencontre avec le judaïsme et l'islam ».

Derrière cette série de revendications, transparaît la véritable critique, non clairement formulée car le moment est mal choisi : Jean-Paul II n'est pas allé assez loin. Son successeur devra donc avoir le courage d'aller de l'avant, toujours plus loin.

Décentraliser le pouvoir romain. La presse mondaine n'a toujours pas compris le rôle et la permanence de la fonction papale. Des vieux journalistes comme Henri Tincq, très au fait de la réalité ecclésiale, savent eux ce qu'ils font en opposant le pouvoir pontifical et celui des évêques. Comment amplifier la dialectique entre les deux ? Par une relecture du Concile Vatican II. Selon cette lecture qui date quand même des années soixante-dix, Vatican II a donné davantage de pouvoirs aux évêques des Églises locales et a institué de ce fait des « contre-pouvoirs ». Faut-il préciser que les termes mêmes de « contre-pouvoirs » n'appartiennent pas au texte du Concile, ni au langage ecclésiastique. Ce vocabulaire mondain et politique ne reflète qu'une ecclésiologie de bas étage datant de l'après-Concile, au moment où l'on confondait justement« Concile » et « esprit du concile », interprétant le premier à l'aune du second. Le moins que l'on puisse, c'est que le « progrès » retarde décidément.

Combler le divorce avec la société moderne. Henri Tincq pose la question en termes clairs : « L'Église pourra-t-elle tenir demain un langage différent, changer sa position, par exemple, sur quelques principes fondamentaux de sa morale familiale et sexuelle ? Peut-elle répondre à la demande de sens et de valeurs, si aiguë dans les jeunes générations, autrement que par la répétition d'interdits et la production de normes ? » Non seulement, Henri Tincq indique une partie de la réponse souhaitable à ses yeux dans la question elle-même - « autrement que par la répétition d'interdits et la production de normes » -, mais surtout il pose la question au terme d'une démonstration consistant à prouver que la défense de la doctrine traditionnelle de l'Église en matière morale par le pape Jean-Paul II a accru le divorce avec le monde contemporain. La réponse de Jean-Paul II et de l'Église à cette situation s'appelait (s'appelle) : la Nouvelle évangélisation. La réponse de Tincq s'appelle la prise en compte de l'opinion publique : « les enquêtes montrent que des dogmes comme la Résurrection ou la définition de Jésus-Christ comme "Fils de Dieu" ne vont plus de soi, même chez les fidèles ». L'opinion publique au moment de la Passion n'était pas non plus favorable au Christ. Son enseignement n'allait pas non plus de soi, même pour ses plus proches fidèles qui étaient ses collaborateurs. L'opinion publique romaine au temps des persécutions n'était pas favorable aux dogmes chrétiens comme elle y fut opposée en France pendant la Révolution, en Union soviétique ou sous le régime nazi. Les enquêtes d'opinion, critère de vérité ? Les modernistes déjà débusqués par saint Pie X confondent décidément vérité et publicité pour marque de lessive. Soyons sérieux : annonçons la bonne nouvelle du Christ.

Déverrouiller l'accès aux ministères ordonnés. C'est la tarte à la crème de ceux qui après avoir vidé le christianisme de son contenu ne cessent de revendiquer l'accession des hommes mariés, voire des femmes, à la prêtrise. Henri Tincq l'énonce comme évidence : « La solution qui saute aux yeux est d'ordonner prêtres ou diacres des laïcs d'expérience, hommes ou femmes, célibataires ou mariés, appelés par l'évêque ou choisis par la communauté ». Notons au passage que le candidat au sacerdoce est appelé par l'Église, par la voix de l'évêque. Il n'est jamais choisi ou élu par la communauté. Henri Tincq oublie aussi que l'Église s'est prononcée sur cette question de manière définitive. Une opinion de Jean-Paul II ? Justement, non ! La tradition de l'Église, son enseignement et sa pratique constante, affirme de manière claire que le ministère ordonné est réservé aux hommes. De plus, en passer par la solution évoquée par Henri Tincq, c'est, ni plus ni moins, gérer la crise, non pas la régler. Il y a nécessité d'un effort d'évangélisation, qui exige d'annoncer clairement et distinctement l'Évangile du Seigneur, de renforcer la formation dans les séminaires, d'offrir de vrais catéchismes, de prêcher à temps et à contre-temps, de se sacrifier pour l'éclosion d'une nouvelle moisson de prêtres. L'Église n'a pas à se séculariser en vue de sa mission. Au contraire, elle doit apporter au monde la seule réponse à la sécularisation.

Relancer le dialogue avec les frères séparés. Si Henri Tincq salue l'ardeur oecuménique de Jean-Paul II, il trouve qu'il n'est pas allé assez loin. La solution ? La remise en cause de la primauté pontificale puisque c'est sur elle qu'achoppent les orthodoxes, et la prise en compte « d'attitudes plus proches du protestantisme : autorité des Églises locales, gouvernement plus collégial, accueil des requêtes d'autonomie ». En gros, le catholicisme doit se diluer et perdre son identité propre, oublier que l'Église catholique est l'Église du Christ.

Approfondir la rencontre avec le judaïsme et l'islam. Là encore Henri Tincq reprend à son compte, le plus souvent en posant des questions - une manière adroite de faire passer le message sans donner l'impression de l'endosser - les théologies les plus avancées en matière de rapport du christianisme avec les autres religions. Encore une fois, Henri Tincq note qu'en matière de dialogue avec le judaïsme, Jean-Paul II « a franchi des étapes irréversibles ». Mais il faut aller plus loin, toujours plus loin. « La marge de progrès reste considérable » estime le chroniqueur religieux du Monde. Sur quels points par exemple ? Le rôle de Pie XII pendant la Seconde Guerre mondiale. Tous les documents montrent pourtant - je renvoie au numéro 1339 de l'Homme Nouveau qui a publié un rapport inédit américain sur le sujet - l'aide apportée par le pape Pie XII. Mais ce n'est pas tout ! Le petit monde progressiste demande encore que l'Église revoie sa copie en ce qui concerne sa théologie d'Israël. L'Église se présente toujours comme le « Nouvel Israël ». Scandale ! Scandale encore la position catholique sur le messianisme ou la Terre promise. Quant à l'islam, il sera, en effet, l'un des enjeux du prochain pontificat, tout simplement parce que dans le monde, et jusqu'en Occident, la religion de Mahomet a pris une importance socio-culturelle inconnue en 1978 au moment de l'élection de Jean-Paul II. Henri Tincq parle de dialogue avec l'islam. Pourquoi pas ? Mais le vrai défi, la réelle priorité, n'est-elle pas en la réponse missionnaire de l'Église face à l'islam ? L'avenir de l'Église passe par sa fidélité à la demande du Christ : « Soyez dans le monde mais non du monde » et « Évangélisez toute les nations ».

Philippe Maxence, Rédacteur en chef de l'Homme Nouveau

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