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Lettres aux jeunes

LETTRE APOSTOLIQUE DU PAPE JEAN-PAUL II À TOUS LES JEUNES DU MONDE À L'OCCASION DE L'ANNÉE INTERNATIONALE DE LA JEUNESSE Chers amis, Voeux pour l'Année de la Jeunesse 1. «Toujours prêts à justifier l'espérance qui est en vous devant ceux qui vous en demandent raison». Tel est le voeu que je vous adresse, à vous les jeunes, depuis le début de cette année. L'an 1985 a été proclamé par l'Organisation des Nations Unies Année internationale de la Jeunesse, et ce fait a une grande portée à plusieurs titres: pour vous-mêmes d'abord, également pour les autres générations, pour chaque personne, pour les communautés et pour toute la société. Cela prend aussi un sens tout particulier pour l'Eglise, elle qui a la garde des vérités et des valeurs fondamentales, et qui sert la destinée éternelle que l'homme et toute la grande famille humaine ont en Dieu même. Si l'homme est la route fondamentale et la route quotidienne de l'Eglise, on comprend bien pourquoi l'Eglise accorde une importance particulière à la période de la jeunesse: elle est une étape clé dans la vie de tout homme. Vous, les jeunes, vous incarnez précisément cette jeunesse: vous êtes la jeunesse des nations et des sociétés, la jeunesse de toute famille et celle de l'humanité entière; vous êtes aussi la jeunesse de l'Eglise. Tous, nous portons notre regard sur vous, car tous, grâce à vous, nous redevenons sans cesse, pour ainsi dire, jeunes avec vous. C'est pourquoi votre jeunesse n'est pas seulement votre propriété, propriété personnelle ou celle d'une génération: elle fait partie de l'ensemble de cette durée que tout homme parcourt au long de son itinéraire pendant sa vie, et, en même temps, elle est un bien propre à tous. Elle est le bien de l'humanité elle-même. L'espérance est en vous, parce que vous appartenez à l'avenir, comme l'avenir vous appartient. L'espérance, en effet, est toujours liée à l'avenir, elle est l'attente des «biens à venir». En tant que vertu chrétienne, elle ne fait qu'un avec l'attente des biens éternels que Dieu a promis à l'homme en Jésus Christ. Et simultanément l'espérance, comme vertu à la fois chrétienne et humaine, est l'attente des biens que l'homme réalisera, en utilisant les talents que la Providence lui a donnés. C'est en ce sens que l'avenir vous appartient, à vous les jeunes, comme il a appartenu avant vous à la génération des adultes et est devenu l'actualité avec eux. De cette actualité, avec ses formes multiples et sa physionomie, ce sont les adultes qui sont les premiers responsables. A vous, revient la responsabilité de ce qui deviendra actuel avec vous un jour, et qui est encore à venir pour le moment. Quand nous disons que l'avenir vous appartient, nous pensons dans les termes des catégories transitoires propres à l'homme qui vit toujours un passage à l'avenir. Quand nous disons que l'avenir dépend de vous, nous pensons en termes de catégories éthiques, selon les exigences de la responsabilité morale qui nous impose d'attribuer à l'homme comme personne – et aux communautés ou sociétés qui sont composées de personnes – la valeur fondamentale des actes, des projets, des initiatives et des intentions humaines. Cette dimension est aussi la dimension caractéristique de l'espérance chrétienne et humaine. Et c'est selon cette dimension que l'Eglise vous adresse par ma bouche, à vous les jeunes, le premier voeu, le voeu le plus important en cette année consacrée à la jeunesse: soyez «toujours prêts à justifier l'espérance qui est en vous devant ceux qui vous en demandent raison». Le Christ parle avec les jeunes 2. Ces paroles, écrites un jour par l'Apôtre Pierre à la première génération des jeunes chrétiens, sont en rapport avec tout l'Evangile de Jésus Christ. Nous nous rendrons peut-être compte de manière plus nette de ce rapport quand nous aurons médité le dialogue du Christ avec un jeune homme, que nous ont transmis les évangélistes. Parmi de nombreux textes bibliques, c'est celui-ci qui mérite d'être rappelé ici en premier lieu. A la question: «Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle?» Jésus répond d'abord par la question: «Pourquoi m'appelles-tu bon? Nul n'est bon que Dieu seul». Puis il continue en disant: «Tu connais les commandements: ne tue pas, ne commets pas d'adultère, ne vole pas, ne porte pas de faux témoignage, ne fais pas de tort, honore ton père et ta mère». Par ces mots, Jésus rappelle à son interlocuteur certains commandements du Décalogue. Mais la conversation ne s'arrête pas là. Le jeune homme affirme en effet: «Maître, tout cela, je l'ai observé dès ma jeunesse». Alors – comme l'écrit l'évangéliste – «Jésus fixa sur lui son regard et l'aima. Et il lui dit: «Une seule chose te manque: va, ce que tu as, vends-le et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel; puis, viens, suis-moi"». A ce point, le climat de la rencontre change. L'évangéliste écrit que le jeune homme «à ces mots, s'assombrit et il s'en alla contristé, car il avait de grands biens». Il y a encore d'autres passages de l'Evangile où Jésus rencontre les jeunes – deux résurrections sont particulièrement suggestives: celle de la fille de Jaïre et celle du fils de la veuve de Naïm – ; cependant nous pouvons admettre que le dialogue que nous venons de rappeler est la rencontre la plus complète et la plus riche de contenu. On peut aussi dire qu'elle a un caractère plus universel, au-delà du temps, et donc qu'elle garde, d'une certaine façon, toute sa valeur permanente et durable à travers les siècles et les générations. C'est ainsi que parle le Christ avec un jeune, avec un garçon ou une fille: il entre en dialogue dans les endroits du monde les plus divers, dans les différentes nations, les différentes races et cultures. Dans ce dialogue, chacun de vous est un de ses interlocuteurs potentiels. En même temps, tous les éléments de la description et toutes les paroles prononcées dans cette conversation de part et d'autre ont un sens tout à fait important, possèdent un poids particulier. On peut dire que ces paroles expriment une vérité spécialement profonde sur l'homme en général et, par-dessus tout, la vérité sur la jeunesse humaine. Elles sont vraiment capitales pour les jeunes. Permettez-moi, par conséquent, dans la présente lettre, d'ordonner ma réflexion, pour l'essentiel, autour de cette rencontre et de ce texte évangélique. Peut-être vous sera-t-il plus facile ainsi de développer votre propre dialogue avec le Christ – dialogue qui a une importance fondamentale et première pour un jeune. La jeunesse est une richesse unique 3. Nous commencerons par ce qui se trouve à la fin du texte évangélique. Le jeune homme s'en va contristé «car il avait de grands biens». Assurément, cette phrase se réfère aux biens matériels dont le jeune homme était le propriétaire ou l'héritier. Peut-être est-ce là une situation propre à quelques-uns seulement, et elle n'est pas typique. C'est pourquoi les mots de l'évangéliste suggèrent une autre manière d'aborder le problème: il s'agit du fait que la jeunesse en elle-même (indépendamment de tout bien matériel) est une richesse unique de l'homme, d'un garçon ou d'une fille, et la plupart du temps elle est vécue par les jeunes comme une richesse spécifique. La plupart du temps, mais pas toujours et pas constamment, parce que le monde ne manque pas d'hommes qui pour diverses raisons ne font pas l'expérience de la jeunesse comme d'une richesse. Il faudra en reparler plus loin. Il y a toutefois des raisons – et même de nature objective – pour considérer la jeunesse comme une richesse unique dont l'homme fait l'expérience justement dans cette période de sa vie. Celle-ci se distingue évidemment de la période de l'enfance (elle est précisément la sortie des années de l'enfance), comme elle se distingue aussi de la période de la pleine maturité. La période de la jeunesse, en effet, est le moment d'une découverte particulièrement intense du «moi» humain, des qualités et des capacités dont il est doué. En voyant se développer en son intériorité la personnalité d'un jeune homme ou d'une jeune fille, on découvre graduellement et par étapes successives les possibilités spécifiques et, en un sens, absolument uniques d'une humanité concrète dans laquelle s'inscrit pour ainsi dire tout le projet de la vie à venir. La vie se dessine comme la réalisation de ce projet: comme une «autoréalisation». Cela mériterait naturellement une explication selon divers points de vue; toutefois, pour l'exprimer brièvement, ce qui apparaît, c'est en vérité le profil et la forme de cette richesse qu'est la jeunesse. Et cette richesse consiste à découvrir et en même temps à planifier, à choisir, à prévoir et à assumer les premières décisions personnelles, qui auront de l'importance pour l'avenir dans la dimension strictement personnelle de l'existence humaine. En même temps, ces décisions ont une grande importance sociale. Le jeune homme de l'Evangile se trouvait précisément dans cette phase de l'existence, comme nous pouvons le déduire des questions mêmes qu'il pose dans le dialogue avec Jésus. C'est pourquoi ces paroles de la conclusion sur ses «grands biens», c'est-à-dire sur sa richesse, peuvent être entendues à juste titre dans ce sens-là: elles désignent la richesse qu'est la jeunesse elle-même. Il faut cependant nous demander si cette richesse qu'est la jeunesse doit éloigner l'homme du Christ. Assurément, l'évangéliste ne dit pas cela; l'examen du texte permet plutôt de conclure autrement. En définitive, seules les richesses extérieures ont pesé sur sa décision de s'éloigner du Christ, c'est-à-dire «les biens», ce que le jeune homme possédait. Non pas ce qu'il était! Ce qu'il était, précisément en tant que jeune homme – c'est-à-dire la richesse intérieure qui se cache dans la jeunesse humaine – , cela l'avait conduit à Jésus. Et cela l'avait amené aussi à poser cette question où il s'agit, de la manière la plus évidente, du projet de toute la vie. Que dois-je faire? «Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle?». Que dois-je faire afin que ma vie ait toute sa valeur et tout son sens? La jeunesse de chacun de vous, chers amis, est une richesse qui se manifeste précisément par ces questions. Elles demeurent tout au long de la vie d'un homme; cependant, dans sa jeunesse, elles s'imposent d'une façon particulièrement intense, même insistante. Et il est bon qu'il en soit ainsi. Ces interrogations manifestent justement le dynamisme du développement de la personnalité humaine, qui est caractéristique de votre âge. Ces questions, vous vous les posez parfois avec impatience, mais vous comprenez aussi de vous-mêmes que la réponse à leur donner ne peut être ni hâtive ni superficielle. Elle doit avoir le poids qui convient et être déterminante. Il s'agit d'une réponse qui concerne toute la vie, qui rassemble en elle-même toute l'existence humaine. C'est d'une manière toute particulière que ces questions essentielles se posent à ceux de vos camarades dont la vie est marquée par la souffrance dès leur jeunesse: par certaines insuffisances physiques, certaines déficiences, certaines limites ou certains handicaps, par une situation familiale ou sociale difficile. Si avec tout cela leur conscience se développe normalement, l'interrogation sur le sens et la valeur de la vie devient pour eux d'autant plus essentielle et en même temps particulièrement dramatique, car dès le début elle porte la marque de la douleur dans l'existence. Et combien n'y en a-t-il pas de ces jeunes au milieu de la grande multitude des jeunes du monde entier, dans les diverses nations et toute la société, dans les familles! Combien n'y en a-t-il pas qui, dès leur jeunesse, sont contraints à vivre dans une institution spécialisée ou un hôpital, condamnés à une certaine passivité qui peut faire naître en eux le sentiment d'être inutiles pour l'humanité! Peut-on dire alors que pour eux aussi la jeunesse est une richesse intérieure? A qui devons-nous le demander? A qui doivent-ils eux-mêmes poser cette question essentielle? Le Christ apparaît ici comme l'unique interlocuteur qui convient, celui que personne ne peut complètement remplacer. Dieu est amour 4. Le Christ répond à son jeune interlocuteur dans l'Evangile. Il lui dit: «Nul n'est bon que Dieu seul». Nous avons déjà entendu ce que l'autre lui avait demandé: «Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle?». Comment agir pour que ma vie ait un sens, tout son sens et toute sa valeur? Nous pourrions traduire sa question dans le langage de notre époque. Dans ce contexte, la réponse du Christ veut dire: seul Dieu est le fondement ultime de toutes les valeurs; Lui seul donne son sens décisif à notre existence humaine. Dieu seul est bon, ce qui signifie qu'en lui, et en lui seul, toutes les valeurs ont leur source première et leur accomplissement dernier: il est «l'Alpha et l'Oméga, le Principe et la Fin». En lui seul les valeurs trouvent leur authenticité et leur confirmation décisive. Sans lui – sans la référence à Dieu – , tout le monde des valeurs créées reste comme en suspens dans un vide absolu. Il perd aussi sa transparence, il n'exprime plus rien. Le mal se présente comme bien et le bien est disqualifié. Cela ne nous est-il pas montré par l'expérience de notre époque, là où Dieu a été écarté de l'horizon lorsqu'on évalue, lorsqu'on apprécie, lorsqu'on agit? Pourquoi Dieu seul est-il bon? Parce qu'il est amour. Le Christ donne cette réponse par les paroles de l'Evangile et, par-dessus tout, par le témoignage de sa vie et de sa mort: «Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique», Dieu est bon précisément parce qu'il «est amour». L'interrogation sur la valeur, l'interrogation sur le sens de la vie – nous l'avons dit – fait partie de la richesse particulière de la jeunesse. Elle découle du coeur même des richesses et des inquiétudes liées à ce projet de vie qu'il faut assumer et accomplir. Plus encore quand la jeunesse connaît l'épreuve de la souffrance personnelle ou prend une profonde conscience de la souffrance des autres; quand elle fait l'expérience d'un ébranlement profond face au mal multiforme qui est dans le monde; enfin quand elle se trouve face à face avec le mystère du péché, de l'iniquité humaine (mysterium iniquitatis). La réponse du Christ se fait entendre ainsi: «Nul n'est bon que Dieu seul»; seul Dieu est amour. Cette réponse peut paraître difficile, mais en même temps elle est ferme et vraie: elle porte en elle-même la solution définitive. Comme je prie, amis jeunes, afin que vous entendiez cette réponse du Christ d'une manière vraiment personnelle, afin que vous trouviez la voie intérieure pour la comprendre, pour l'accepter et pour entreprendre sa réalisation! Ainsi se présente le Christ dans la conversation avec le jeune homme. Ainsi se présente-t-il dans le dialogue avec chacun et chacune de vous. Quand vous lui dites: «Bon Maître ...», il demande: «Pourquoi m'appelles-tu bon? Nul n'est bon que Dieu seul». Par conséquent, le fait que je sois bon rend témoignage à Dieu. «Qui me voit, voit le Père». Ainsi parle le Christ, maître et ami, le Christ crucifié et ressuscité: le même toujours, hier, aujourd'hui et pour les siècles. Tel est le coeur, le point essentiel de la réponse à ces questions que vous, les jeunes, vous lui posez en fonction de la richesse qui est en vous, qui s'enracine dans votre jeunesse. Elle ouvre devant vous diverses perspectives, elle vous propose comme tâche le projet de toute votre vie. De là, l'interrogation sur les valeurs; de là, la question sur le sens, sur la vérité, sur le bien et sur le mal. Quand le Christ, en vous répondant, vous demande de rapporter tout cela à Dieu, en même temps il vous montre où se trouve en vous-mêmes la source et le fondement: chacun de vous, en effet, est image et ressemblance de Dieu par le fait même de la création. C'est justement cette image et cette ressemblance qui vous font poser ces questions que vous devez vous poser. Elles montrent à quel point l'homme sans Dieu ne peut se comprendre lui-même, et qu'il ne peut pas non plus s'accomplir sans Dieu. Jésus Christ est venu dans le monde avant tout pour rendre chacun de nous conscient de cela. Sans lui, cette dimension fondamentale de la vérité sur l'homme s'enfoncerait aisément dans l'obscurité. Cependant, «la lumière est venue dans le monde», «et les ténèbres ne l'ont pas saisie». La question sur la vie eternelle 5. Que dois-je faire pour que ma vie ait une valeur, pour qu'elle ait un sens? Cette question passionnante s'exprime ainsi dans la bouche du jeune homme de l'Evangile: «Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle?». Un homme qui pose la question sous cette forme parle-t-il un langage encore compréhensible aux hommes d'aujourd'hui? Ne sommes-nous pas la génération pour laquelle le monde et le progrès temporel occupent totalement l'horizon de l'existence? Nous pensons avant tout suivant les catégories terrestres. Si nous sortons des limites de notre planète, nous le faisons pour entreprendre des vols interplanétaires, pour émettre des signaux destinés aux autres planètes et envoyer dans leur direction des sondes cosmiques. Tout ceci est devenu le contenu de notre civilisation moderne. La science alliée à la technique a découvert de manière incomparable les possibilités de l'homme face à la matière, et, d'autre part, elle a réussi à dominer le monde intérieur de sa pensée, de ses capacités, de ses tendances, de ses passions. Mais en même temps, il est clair que lorsque nous nous plaçons devant le Christ, quand il devient le confident des interrogations de notre jeunesse, nous ne pouvons pas poser la question autrement que le jeune homme de l'Evangile: «Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle?». Toute autre question sur le sens et sur la valeur de notre vie serait, face au Christ, insuffisante et secondaire. Le Christ, en effet, n'est pas seulement le «bon maître», qui indique la voie de la vie sur la terre. Il est le témoin de ce destin ultime que l'homme a en Dieu même. Il est le témoin de l'immortalité de l'homme. L'Evangile, qu'il annonçait par sa voix, est scellé définitivement par la Croix et par la Résurrection dans le mystère pascal. «Le Christ une fois ressuscité des morts ne meurt plus, la mort n'exerce plus de pouvoir sur lui». Par sa résurrection, le Christ est aussi devenu le «signe de contradiction» permanent, face à tous les projets incapables de conduire l'homme au-delà de la frontière de la mort. Bien plus, ces projets arrêtent à cette limite toute interrogation de l'homme sur la valeur et le sens de la vie. Face à tous ces projets, aux conceptions du monde et aux idéologies, le Christ répète constamment: «Je suis la résurrection et la vie». Donc si tu veux, cher frère et chère soeur, parler avec le Christ en accueillant toute la vérité de son témoignage, tu dois d'un côté «aimer le monde» – «Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique» – et en même temps tu dois parvenir au détachement intérieur à l'égard de toute cette réalité riche et passionnante qu'est «le monde». Il faut te décider à poser la question de la vie éternelle. En effet, «elle passe, la figure de ce monde», et chacun de nous connaîtra son passage. L'homme naît avec la perspective du jour de sa mort, dans la dimension du monde visible; en même temps, l'homme, dont la raison d'être intime est de se vaincre lui-même, porte en lui aussi tout ce par quoi il est le vainqueur du monde. Tout ce par quoi l'homme est en soi-même vainqueur du monde – bien qu'enraciné en lui – s'explique par l'image et la ressemblance de Dieu, inscrite dans l'être humain dès le commencement. Et tout ce par quoi l'homme est vainqueur du monde non seulement justifie l'interrogation sur la vie éternelle, mais la rend véritablement indispensable. Telle est la question que se posent les hommes depuis longtemps, non seulement dans les milieux chrétiens mais aussi à l'extérieur. Il vous faut aussi trouver le courage de la poser comme le jeune homme de l'Evangile. Le christianisme nous apprend à comprendre le temps dans la perspective du Règne de Dieu, dans la perspective de la vie éternelle. Sans elle, la temporalité, même la plus riche, même la plus élaborée sous tous ses aspects, n'apporte finalement rien d'autre à l'homme que l'inéluctable nécessité de la mort. Or il y a une antinomie entre la jeunesse et la mort. La mort semble éloignée de la jeunesse. C'est vrai. Cependant parce que la jeunesse signifie le projet de toute la vie, projet bâti suivant les critères du sens et de la valeur, la question sur la fin est inévitable même au temps de la jeunesse. Laissée à elle-même, l'expérience humaine dit la même chose que la Sainte Ecriture: «Les hommes ne meurent qu'une fois». L'auteur inspiré ajoute: «Après quoi il y a un jugement». Et le Christ dit: «Je suis la résurrection et la vie. Qui croit en moi, même s'il meurt, vivra; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais». Demandez donc au Christ, comme le jeune homme de l'Evangile: «Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle?». Morale et conscience 6. A cette question, Jésus répond: «Tu connais les commandements», et aussitôt il énonce ces commandements, qui font partie du Décalogue. Un jour Moïse les reçut sur le mont Sinaï, au moment de l'Alliance de Dieu avec Israël. Ils furent inscrits sur des tables de pierre et ils constituaient pour tout israélite un guide sur sa route chaque jour. Le jeune homme qui parle avec le Christ connaît naturellement par coeur les commandements du Décalogue; il peut donc affirmer avec joie: «Tout cela, je l'ai observé dès ma jeunesse». Nous pouvons le supposer, dans le dialogue que le Christ mène avec chacun de vous, les jeunes, la même question est répétée: «Connais-tu les commandements»? Et elle sera répétée immanquablement, car les commandements font partie de l'Alliance entre Dieu et l'humanité. Les commandements définissent les fondements essentiels du comportement, ils déterminent la valeur morale des actes humains, ils restent en rapport organique avec la vocation de l'homme à la vie éternelle, avec l'instauration du Règne de Dieu dans les hommes et entre eux. Dans la parole de la Révélation divine, le code de la moralité est inscrit clairement, les tables du Décalogue du mont Sinaï en demeurent le point de référence et son sommet se trouve dans l'Evangile: le Discours sur la montagne et le commandement de l'amour. Ce code de la moralité revêt en même temps une autre forme. Il est inscrit dans la conscience morale de l'humanité, au point que ceux qui ne connaissent pas les commandements, c'est-à-dire la loi révélée par Dieu, «se tiennent à eux-mêmes lieu de loi». Ainsi s'exprime saint Paul dans la Lettre aux Romains, et il ajoute aussitôt: «Ils montrent la réalité de cette loi inscrite en leur coeur, à preuve le témoignage de leur conscience». Nous touchons là à des problèmes d'une importance capitale pour votre jeunesse et pour le projet de vie qui y apparaît. Ce projet s'insère dans la perspective de la vie éternelle avant tout grâce à la vérité des actes sur lesquels il sera bâti. La vérité des actes se fonde sur ce double lieu de la loi morale; ce qui est écrit sur les tables du Décalogue de Moïse et dans l'Evangile, et ce qui se trouve gravé dans la conscience morale de l'homme. Et la conscience «se présente comme témoin» de cette loi, comme l'écrit saint Paul. Cette conscience, suivant les termes de la Lettre aux Romains, ce sont «les jugements intérieurs de blâme ou d'éloge qu'ils portent les uns sur les autres». Chacun sait bien que ces paroles correspondent profondément à notre réalité intérieure: chacun de nous, dès sa jeunesse, a l'expérience de cette voix de la conscience. Donc, lorsque Jésus, dans le dialogue avec le jeune homme, énonce les commandements: «Ne tue pas, ne commets pas d'adultère, ne vole pas, ne porte pas de faux témoignage, ne fais pas de tort, honore ton père et ta mère», la conscience droite répond en réagissant intérieurement aux différents actes de l'homme: elle accuse ou défend. Mais il faut que la conscience ne soit pas déviée; il faut que la formulation fondamentale des principes moraux ne cède pas à la déformation qu'entraîne tout relativisme ou tout utilitarisme. Chers amis jeunes! La réponse que Jésus donne à son interlocuteur de l'Evangile s'adresse à chacun et à chacune de vous. Le Christ demande à quel point vous en êtes de votre discernement moral, et il demande en même temps à quel point vous en êtes dans votre conscience. C'est là une question clé pour l'homme: c'est l'interrogation fondamentale de votre jeunesse, qui compte pour tout le projet de votre vie, lequel précisément doit prendre forme au cours de la jeunesse. Sa valeur est étroitement liée à la position que chacun de vous prend face au bien et au mal moral. La valeur de ce projet dépend essentiellement de l'authenticité et de la rectitude de votre conscience, et aussi de sa sensibilité. Ainsi nous parvenons à un point crucial, où, à chaque pas, le temps et l'éternité se rencontrent à un niveau qui est propre à l'homme. C'est le niveau de la conscience, le niveau des valeurs morales, et c'est là la dimension la plus importante du temps et de l'histoire. L'histoire, en effet, ce ne sont pas seulement les événements qui l'écrivent, en quelque sorte «de l'extérieur», mais elle est écrite avant tout «de l'intérieur»: elle est l'histoire des consciences humaines, des victoires ou des défaites morales. C'est là aussi que la grandeur essentielle de l'homme trouve son fondement: sa dignité authentiquement humaine. C'est là le trésor intérieur, grâce auquel l'homme ne cesse de se vaincre lui-même et s'oriente vers l'éternité. S'il est vrai que «les hommes ne meurent qu'une fois», il est vrai aussi que le trésor de la conscience, le dépôt du bien et du mal, l'homme l'emporte au-delà de la frontière de la mort, afin que, face à face avec Celui qui est la sainteté même, il découvre la vérité ultime et définitive sur toute sa vie: «Après quoi il y a un jugement». C'est justement cela qui advient dans la conscience: dans la vérité intérieure de nos actes, en un sens, la dimension de la vie éternelle est constamment présente. Et simultanément la même conscience, par les valeurs morales, marque de son sceau le plus significatif la vie des générations, l'histoire et la culture des milieux humains, des sociétés des nations et de toute l'humanité. Et dans ce domaine, ce qui dépend de chacun et de chacune de vous est immense! «Jésus fixa sur lui son regard et l'aima» 7. En poursuivant l'examen du dialogue du Christ avec le jeune homme, nous entrons à présent dans une autre phase. Elle est nouvelle et décisive. Le jeune homme a reçu la réponse essentielle et fondamentale à la question: «Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle?», et cette réponse s'accorde avec toute la route de sa vie, telle qu'il l'a déjà parcourue: «Tout cela, je l'ai observé dès ma jeunesse». Avec quelle ardeur je souhaite à chacun de vous que la route de votre vie, déjà parcourue, s'harmonise de même avec la réponse du Christ! Je souhaite également que la jeunesse vous apporte une base solide de principes sains, que votre conscience parvienne, dès ces années de la jeunesse, à cette transparence et cette maturité qui dans la vie permettront à chacun de vous de rester toujours «une personne de conscience», «une personne fidèle aux principes», «une personne qui inspire confiance», c'est-à-dire qui est crédible. La personnalité morale ainsi formée constitue également la contribution la plus importante que vous puissiez donner à la vie communautaire, à la famille, à la société, à l'activité professionnelle et aussi à l'activité culturelle ou politique, et, enfin, à la communauté de l'Eglise elle-même à laquelle vous êtes ou vous serez un jour attachés. Il s'agit ici à la fois d'une authenticité intégrale et profonde de toute l'humanité et de cette même authenticité dans le développement de la personnalité humaine, féminine ou masculine, avec toutes les caractéristiques qui tracent les traits uniques de cette personnalité, et en même temps provoquent de multiples résonnances dans la vie de la communauté et du milieu, en commençant par la famille. Chacun de vous doit de quelque manière contribuer à la richesse de cette communauté, avant tout par ce qu'il est. N'est-ce pas dans cette direction que s'ouvre cette jeunesse qui est la richesse «personnelle» de chacun de vous? L'homme se déchiffre lui-même, il déchiffre sa propre humanité, y voyant à la fois son monde intérieur et le terrain propre de l'être «avec les autres», «pour les autres». C'est là précisément que les commandements du Décalogue et de l'Evangile prennent un sens décisif, spécialement le commandement de l'amour qui ouvre l'homme à Dieu et à son prochain. La charité, en effet, est «le lien de la perfection». C'est par elle que mûrissent en plénitude l'homme et la fraternité entre les hommes. C'est pourquoi l'amour est le plus grand, il est le premier de tous les commandements, comme l'enseigne le Christ; en lui aussi tous les autres sont contenus et unifiés. Je souhaite donc à chacun de vous que la route de votre jeunesse rencontre celle du Christ, afin que vous puissiez confirmer devant lui, avec le témoignage de votre conscience, ce code évangélique de la morale dont tant d'hommes de grande qualité spirituelle ont approché les valeurs d'une certaine manière au cours des générations. Ce n'est pas ici le lieu de citer les témoignages qui confirment cela tout au long de l'histoire de l'humanité. Il est certain que dès les époques les plus anciennes, la voix de la conscience tourne tout sujet humain vers une norme morale objective qui s'exprime concrètement par le respect de la personne de l'autre et par le principe de ne pas lui faire ce que nous ne voulons pas que l'on nous fasse. Nous voyons déjà là s'exprimer clairement cette morale objective dont saint Paul affirme qu'elle est «inscrite dans les coeurs» et qu'elle est confirmée par «le témoignage de la conscience». Le chrétien y distingue aisément le rayonnement du Verbe créateur qui éclaire tout homme, et précisément parce qu'il est le disciple de ce Verbe fait chair, il s'élève jusqu'à la loi supérieure de l'Evangile qui positivement lui ordonne – par le commandement de l'amour – de faire à son prochain tout le bien qu'il veut qu'on lui fasse. Il confirme ainsi ce que lui suggère la voix intime de sa conscience en donnant une adhésion absolue au Christ et à sa parole. Une fois discernés les problèmes essentiels et importants pour votre jeunesse et pour le projet de toute la vie qui se trouve devant vous, je vous souhaite de connaître l'expérience de ce que dit l'Evangile: «Jésus fixa sur lui son regard et l'aima». Je vous souhaite de connaître un tel regard! Je vous souhaite de faire l'expérience qu'en vérité, lui, le Christ, vous regarde avec amour! Il regarde tout homme avec amour. L'Evangile le confirme sans cesse. On peut dire aussi que ce «regard aimant» du Christ résume et synthétise en quelque sorte toute la Bonne Nouvelle. Si nous cherchons l'origine de ce regard, il faut que nous revenions en arrière, au Livre de la Genèse, à cet instant où, après la création de l'homme, créé «homme et femme», Dieu vit que «cela était très bon». Ce tout premier regard du Créateur se reflète dans le regard du Christ qui accompagne le dialogue avec le jeune homme de l'Evangile. Nous savons que le Christ confirmera et scellera ce regard par le sacrifice rédempteur de la Croix, car c'est justement par ce sacrifice que ce «regard» a atteint une particulière profondeur dans l'amour. Il contient une affirmation de l'homme et de l'humanité dont lui seul est capable, lui, le Christ, Rédempteur et Epoux. Lui seul «connaît ce qu'il y a dans l'homme» il connaît sa faiblesse, mais il connaît aussi et par-dessus tout sa dignité. Je souhaite à chacun et à chacune de vous de découvrir ce regard du Christ, et d'en faire l'expérience jusqu'au bout. Je ne sais à quel moment de votre vie. Je pense que cela se produira au moment le plus nécessaire: peut-être au temps de la souffrance, peut-être à l'occasion du témoignage d'une conscience pure, comme dans le cas de ce jeune homme de l'Evangile, ou peut-être justement dans une situation opposée, quand s'impose le sens de la faute, le remords de la conscience: le Christ regarda Pierre à l'heure de sa chûte, après qu'il eût renié son Maître par trois fois. II est nécessaire à l'homme, ce regard aimant: il lui est nécessaire de se savoir aimé, aimé éternellement et choisi de toute éternité. En même temps, cet amour éternel manifesté par l'élection divine accompagne l'homme au long de sa vie comme le regard d'amour du Christ. Et peut-être surtout au temps de l'épreuve, de l'humiliation, de la persécution, de l'échec, alors que notre humanité est comme abolie aux yeux des hommes, outragée et opprimée: savoir alors que le Père nous a toujours aimés en son Fils, que le Christ aime chacun en tout temps, cela devient un solide point d'appui pour toute notre existence humaine. Quand tout nous conduit à douter de nous-mêmes et du sens de notre vie, ce regard du Christ, c'est-à-dire la prise de conscience de l'amour qui est en lui et qui s'est montré plus puissant que tout mal et que toute destruction, cette prise de conscience nous permet de survivre. Je vous souhaite donc de faire la même expérience que le jeune homme de l'Evangile: «Jésus fixa sur lui son regard et l'aima». «Suis-moi» 8. De l'examen du texte évangélique il ressort que ce regard fut, pour ainsi dire, la réponse du Christ au témoignage que le jeune homme avait donné de sa vie jusqu'à ce moment, c'est-à-dire de sa fidélité aux commandements de Dieu: «Tout cela, je l'ai observé dès ma jeunesse». En même temps, ce «regard d'amour» fut une introduction à la dernière phase de la conversation. Selon le texte de Matthieu, ce fut le jeune homme lui-même qui ouvrit cette phase, car non seulement il affirma que la fidélité à observer les commandements du Décalogue avait caractérisé toute sa conduite antérieure, mais il pose également une nouvelle question. Il demanda en effet: «Que me manque-t-il encore?». Cette question est très importante. Elle montre que dans la conscience morale de l'homme, et en particulier de l'homme jeune qui forme le projet de toute sa vie, il y a une aspiration à «quelque chose de plus». Cette aspiration se manifeste de diverses manières, et nous pouvons la reconnaître aussi chez les hommes qui semblent éloignés de notre religion. Parmi les disciples des religions non chrétiennes, surtout du Bouddhisme, de l'Hindouisme et de l'Islam, nous rencontrons, depuis des millénaires déjà, des foules de «spirituals» qui souvent quittent tout dès leur jeunesse pour adopter un état de pauvreté et de pureté à la recherche de l'Absolu qui se trouve au-delà de l'apparence des choses sensibles: ils s'efforcent d'entrer dans un état de liberté parfaite, ils se réfugient en Dieu avec amour et confiance, ils cherchent à se soumettre de toute leur âme à ses décrets cachés. Ils sont comme poussés par une voix intérieure mystérieuse qui retentit en leur esprit, faisant écho en quelque sorte à la parole de saint Paul: «Elle passe, la figure de ce monde», une voix qui les conduit à la recherche de choses plus grandes et plus durables: «Recherchez les choses d'en haut». Ils tendent au but de toutes leurs forces; par un sérieux apprentissage, ils s'efforcent de purifier leur esprit, parvenant parfois à faire de leur vie un don d'amour à la divinité. Ce faisant, ils se dressent comme un exemple vivant pour leurs contemporains, devant qui ils illustrent par leur conduite même le primat des valeurs éternelles sur les valeurs fugitives et parfois ambiguës qu'offre la société où ils vivent. Mais c'est l'Evangile qui représente un point d'appui tout à fait clair pour l'aspiration à la perfection, à «quelque chose de plus». Dans le Discours sur la montagne, le Christ confirme toute la loi morale, au centre de laquelle se trouvent les tables mosaïques des dix commandements; en même temps, cependant, il confère à ces commandements un sens nouveau, évangélique. Et tout est ordonné – comme on l'a déjà dit – autour de l'amour, non seulement en tant que commandement, mais aussi comme don: «L'amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous fut donné». C'est dans ce contexte nouveau que l'on peut aussi comprendre le programme des huit Béatitudes, qui ouvre le Discours sur la montagne dans l'Evangile selon Matthieu. Dans ce contexte, l'ensemble des commandements qui constituent le code fondamental de la morale chrétienne se trouve complété par l'ensemble des conseils évangéliques, qui exprime et concrétise d'une manière particulière l'appel du Christ à la perfection, qui est un appel à la sainteté. Quand le jeune homme demande quelque chose «de plus»: «Que me manque-t-il encore?», Jésus le regarde avec amour, et cet amour prend ici un sens nouveau. L'homme est entraîné intérieurement, par l'Esprit Saint, d'une vie selon les commandements à une vie consciente du don, et le regard plein d'amour du Christ exprime ce «passage» intérieur. Et Jésus dit: «Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux; puis viens, suis-moi». Oui, chers jeunes, mes amis! L'homme, le chrétien, est capable de vivre la dimension du don. Et même cette dimension est non seulement «supérieure» à la dimension des seules obligations morales exprimées par les commandements, mais elle est aussi «plus profonde» qu'elles et plus fondamentale. Elle manifeste une expression plus riche du projet de vie que nous construisons dès la jeunesse. La dimension du don crée aussi la stature adulte de toute vocation humaine et chrétienne, comme il sera dit par la suite. Pour le moment, je voudrais toutefois vous parler du sens particulier des paroles que le Christ a dites au jeune homme. Et je le fais avec la conviction que le Christ les adresse par l'Eglise à quelques-uns de ses jeunes interlocuteurs de toutes les générations. De la nôtre aussi. Ces paroles-là indiquent alors une vocation particulière dans la communauté du Peuple de Dieu. L'Eglise retrouve le «suis-moi» du Christ à l'origine de tout appel au service du sacerdoce ministériel, lié simultanément dans l'Eglise catholique de rite latin au choix conscient et libre du célibat. L'Eglise retrouve le même «suis-moi» du Christ à l'origine de la vocation religieuse, où, par la profession des conseils évangéliques (chasteté, pauvreté et obéissance), un homme ou une femme adopte le programme de vie que le Christ lui-même a réalisé sur la terre, pour le Règne de Dieu. En prononçant les voeux religieux, ces personnes s'engagent à donner un témoignage particulier de l'amour de Dieu, supérieur à tout, et également de l'appel à l'union avec Dieu dans l'éternité qui s'adresse à tous. Il faut cependant que quelques-uns en donnent, devant les autres, un témoignage exceptionnel. Je m'en tiens à évoquer seulement ces sujets dans la présente lettre, car ils ont été déjà exposés amplement ailleurs et à plusieurs reprises. Je les rappelle parce que dans le contexte du dialogue du Christ avec le jeune homme ils reçoivent un éclairage particulier, spécialement le thème de la pauvreté évangélique. Je les évoque aussi parce que l'appel du Christ, «suis-moi», précisément dans ce sens exceptionnel et charismatique, se fait entendre le plus souvent dès la jeunesse; et parfois cela se produit même dès l'enfance. C'est pourquoi je voudrais vous dire, à vous tous les jeunes, en ce moment important du développement de votre personnalité masculine ou féminine: si un tel appel surgit dans ton coeur, ne le fais pas faire! Laisse-le se développer jusqu'à la maturité d'une vocation! Prends ta part dans son développement, par la prière et la fidélité aux commandements! «La moisson est abondante». Il est vraiment nécessaire que l'appel du Christ parvienne à beaucoup: «Suis-moi». Il y a un énorme besoin de prêtres selon le coeur de Dieu – et l'Eglise et le monde d'aujourd'hui ont un énorme besoin du témoignage de vies données sans réserve à Dieu: du témoignage de cet amour du Christ lui-même, l'Epoux, qui rende présent d'une manière particulière parmi les hommes le Règne de Dieu et le rapproche du monde. Permettez-moi, par conséquent, de compléter encore les paroles du Christ Seigneur sur la moisson qui est abondante. Oui, elle est abondante, cette moisson de l'Evangile, cette moisson du salut!... «Mais les ouvriers sont peu nombreux!». Peut-être cela est-il ressenti plus aujourd'hui que par le passé, spécialement dans certains pays, et aussi dans certains Instituts de vie consacrée et autres Sociétés de ce genre. «Priez donc le Maître de la moisson d'envoyer des ouvriers à sa moisson», poursuit le Christ. Et ces paroles, spécialement à notre époque, deviennent un thème de prière et d'action en faveur des vocations sacerdotales et religieuses. Dans cette intention, l'Eglise se tourne vers vous, vers les jeunes. Vous aussi: demandez! Et si le fruit de cette prière de l'Eglise germe au plus profond de votre coeur, écoutez le Maître vous dire: «Suis-moi». Le projet de vie et la vocation chrétienne 9. Ces paroles de l'Evangile concernent assurément la vocation sacerdotale ou religieuse; en même temps, cependant, elles nous permettent de comprendre plus profondément le problème de la vocation en un sens encore plus large et plus fondamental. On pourrait parler ici de la vocation «pour la vie», qui d'une certaine manière s'identifie avec le projet de vie que chacun de vous conçoit au temps de sa jeunesse. Toutefois, la «vocation» dit encore quelque chose de plus que le «projet». Dans le second cas, je suis moi-même le sujet qui conçoit ce projet, et ceci correspond mieux à la réalité de la personne qu'est chacune de vous et chacun de vous. Ce «projet» devient la «vocation» lorsque se font entendre les divers facteurs qui appellent. Ces facteurs constituent d'habitude un certain ordre de valeurs (qu'on appelle aussi «hiérarchie des valeurs»), dont résulte un idéal à réaliser qui attire le coeur d'un jeune. Dans ce processus, la «vocation» devient «projet», et le projet commence aussi à être une vocation. Cependant, du moment que nous nous trouvons face au Christ et que nous prenons pour base de notre réflexion sur la jeunesse son dialogue avec le jeune homme, il convient de préciser mieux encore ce rapport du «projet de vie» à la «vocation pour la vie». L'homme est une créature et il est également un fils adoptif de Dieu dans le Christ: il est fils de Dieu. La question: «Que dois-je faire?», l'homme la pose alors pendant sa jeunesse non seulement à lui-même et aux autres hommes dont il peut attendre une réponse, particulièrement ses parents et ses éducateurs, mais il la pose aussi à Dieu, car il est son créateur et son père. Il la pose dans cet espace intérieur particulier où il a appris à être en relation intime avec Dieu, avant tout dans la prière. Il demande donc à Dieu: «Que dois-je faire?», quel est ton plan sur ma vie, ton plan de créateur et de père? Quelle est ta volonté? Je désire l'accomplir. Dans un tel contexte le «projet» prend le sens d'une «vocation pour la vie», comme quelque chose qui est confié par Dieu à l'homme comme une tâche. Une personne jeune, rentrant en soi et aussi menant un dialogue avec le Christ dans la prière, désire pour ainsi dire lire la pensée éternelle qui est celle de Dieu, Créateur et Père, à son égard. Elle se convainc alors que la tâche qui lui est assignée par Dieu est laissée entièrement à sa liberté, et qu'elle est déterminée en même temps par diverses circonstances de nature intérieure et extérieure. En y réfléchissant, la personne jeune, garçon ou fille, construit son projet de vie et en même temps, reconnaît ce projet comme la vocation à laquelle Dieu l'appelle. Je voudrais donc vous confier, à vous tous les jeunes qui êtes les destinataires de la présente lettre, cette tâche merveilleuse qui consiste à découvrir, devant Dieu, la vocation pour la vie de chacun de vous. Et c'est un travail passionnant. C'est une tâche personnelle fascinante. En accomplissant cette tâche, vous développez et vous faites croître votre humanité, tandis que votre jeune personnalité acquiert peu à peu sa maturité. Vous vous enracinez en ce qu'est chacun et chacune de vous, pour devenir ce qu'il doit devenir: pour soi, pour les hommes, pour Dieu. Et parallèlement au processus de découverte de sa propre «vocation pour la vie», on devrait développer la prise de conscience de la façon dont cette vocation pour la vie est. en même temps, une «vocation chrétienne». Il faut remarquer ici que, dans la période antérieure au Concile Vatican II, le concept de «vocation» était appliqué avant tout au sacerdoce et à la vie religieuse, comme si le Christ n'avait prononcé son «suis-moi» à l'intention des jeunes que dans ces cas. Le Concile a élargi cette perspective. La vocation sacerdotale et religieuse a gardé son caractère particulier et son importance pour la vie sacramentelle et les charismes dans la vie du Peuple de Dieu. En même temps, cependant, la conscience, renouvelée par Vatican II, de la participation universelle de tous les baptisés à la triple mission du Christ (tria munera), prophétique, sacerdotale et royale, comme aussi la conscience de la vocation universelle à la sainteté, ont pour conséquence que toute vocation pour la vie de l'homme en tant que vocation chrétienne correspond à l'appel évangélique. Le «suis-moi» du Christ se fait entendre sur diverses routes, au long desquelles cheminent les disciples et ceux qui confessent le divin Rédempteur. C'est de diverses manières que l'on peut devenir imitateur du Christ, c'est-à-dire non seulement en donnant un témoignage du Règne eschatologique de vérité et d'amour, mais aussi en s'employant à réaliser la transformation de toute la réalité temporelle selon l'esprit de l'Evangile. Et c'est là que l'apostolat des laïcs trouve aussi son point de départ, lui qui est inséparable de l'essence même de la vocation chrétienne. Ce sont là des prémisses extrêmement importantes pour le projet de vie qui correspond au dynamisme essentiel de votre jeunesse. Il faut que vous examiniez ce projet – indépendamment du contenu concret «pour la vie» qu'il aura – à la lumière des paroles adressées par le Christ au jeune homme de l'Evangile. Il faut aussi que vous repensiez, en l'approfondissant réellement, le sens du baptême et de la confirmation. Il y a dans ces deux sacrements, en effet, le fondement de la vie et de la vocation chrétiennes. C'est à partir d'eux qu'on est amené à l'Eucharistie, elle qui contient la surabondance des dons sacramentels accordés au chrétien: toute la richesse de l'Eglise se concentre dans ce sacrement de l'amour. Il faut aussi – toujours en rapport avec l'Eucharistie – réfléchir à la question du sacrement de pénitence, lequel présente une importance irremplaçable pour la formation de la personnalité chrétienne, c'est-à-dire qu'il est, surtout si on y joint la direction spirituelle, une école méthodique de vie intérieure. Sur tout cela, je m'exprime brièvement, même si chacun des sacrements de l'Eglise présente une relation précise et spécifique avec la jeunesse et avec les jeunes. Je suis certain que ce thème est traité de manière circonstanciée par d'autres, en particulier par les agents pastoraux expressément chargés de collaborer avec la jeunesse. L'Eglise elle-même – comme l'enseigne le Concile Vatican II – est «en quelque sorte le sacrement, c'est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain». Toute vocation pour la vie, comme vocation «chrétienne», s'enracine dans la sacramentalité de l'Eglise: elle prend donc forme grâce aux sacrements de notre foi. Ce sont eux qui nous permettent, dès notre jeunesse, d'ouvrir notre «moi» humain à l'action salvifique de Dieu, c'est-à-dire à l'action de la très sainte Trinité. Ils nous permettent de participer à la vie de Dieu, en vivant avec un maximum d'intensité une vie humaine authentique. De cette façon, cette vie humaine acquiert une dimension nouvelle et également son originalité chrétienne: la prise de conscience des exigences proposées à l'homme par l'Evangile est complétée par celle du don qui surpasse toute chose. «Si tu savais le don de Dieu», dit le Christ en parlant avec la Samaritaine. «Le grand sacrement nuptial» 10. En partant de cet important arrière-plan qui enrichit le projet de vie de votre jeunesse en la liant au thème de la vocation chrétienne, je voudrais attirer l'attention avec vous, les jeunes, destinataires de la présente lettre, sur le problème qui, en un sens, se trouve au centre de la jeunesse de vous tous. C'est là un des problèmes qui sont au centre de la vie humaine et également un des thèmes essentiels de réflexion, de créativité et de culture. C'est aussi un des principaux thèmes bibliques, et personnellement j'y ai consacré beaucoup de réflexions et d'analyses. Dieu a créé l'être humain, homme et femme, introduisant ainsi dans l'histoire du genre humain la «dualité» avec une entière parité, si l'on pense à la dignité humaine, et avec une merveilleuse complémentarité, si l'on pense au partage des attributions, des qualités et des tâches, liées à la masculinité ou à la féminité de l'être humain. Par conséquent, c'est là un thème qui de soi s'inscrit dans le «moi» personnel de chacun et de chacune de vous. La jeunesse est la période où ce grand thème affecte dans l'expérience et dans la créativité l'âme et le corps de chaque fille et de chaque garçon, et il se manifeste dans la conscience des jeunes en même temps que la découverte fondamentale du «moi» dans toute la diversité de ses potentialités. Alors, à l'horizon qui s'ouvre pour un coeur de jeune, s'ébauche une expérience nouvelle: l'expérience de l'amour qui dès son origine doit être inscrite dans le projet de vie que la jeunesse crée et conçoit spontanément. Et tout cela, en chaque cas, a les qualités d'une expression subjective irremplaçable, d'une riche affectivité, d'une beauté proprement métaphysique. En même temps, il y a en tout cela un appel puissant à ne pas fausser cette expression, à ne pas détruire cette richesse et à ne pas dégrader cette beauté. Soyez convaincus que cet appel vient de Dieu lui-même, lui qui a créé l'homme «à son image et à sa ressemblance» et justement l'a créé «homme et femme». Cet appel découle de l'Evangile et se fait entendre par la voix de la conscience des jeunes, pourvu qu'ils aient gardé leur simplicité et leur limpidité: «Heureux les coeurs purs, car ils verront Dieu». Oui, à travers l'amour qui naît en vous – et doit s'inscrire dans le projet de toute la vie – vous devez voir Dieu qui est amour. C'est pourquoi je vous demande de ne pas rompre le dialogue avec le Christ dans cette phase extrêmement importante de votre jeunesse; je vous demande même de vous y engager encore davantage. Quand le Christ dit «suis-moi», son appel peut signifier: «Je t'appelle à un autre amour encore»; cependant très souvent il signifie: «Suis-moi», suis-moi, moi l'Epoux de l'Eglise – de mon épouse...; viens, deviens toi aussi l'époux de ton épouse..., deviens toi aussi l'épouse de ton époux. Tous deux, participez à ce mystère, à ce sacrement, dont la Lettre aux Ephésiens disait qu'il est grand: grand parce «qu'il s'applique au Christ et à l'Eglise». Que vous suiviez également le Christ sur cette voie, a beaucoup de conséquences; ne vous écartez pas de lui au moment où vous vivez cette réalité que vous considérez à juste titre comme le grand événement de votre coeur, une réalité qui n'existe qu'en vous et entre vous. Je voudrais que vous croyiez et que vous vous convainquiez que cette grande réalité ne prend sa dimension définitive qu'en Dieu, qui est amour – en Dieu, qui dans l'unité absolue de sa divinité est également communion

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