Lettres, encycliques, messages,...

Exhortation apostolique post-synodale ecclesia in europa

EXHORTATION APOSTOLIQUE POST-SYNODALE ECCLESIA IN EUROPA DE SA SAINTETÉ LE PAPE JEAN-PAUL II, AUX ÉVÊQUES, AUX PRÊTRES ET AUX DIACRES, AUX PERSONNES CONSACRÉES, ET À TOUS LES FIDÈLES LAÏCS SUR JÉSUS CHRIST, VIVANT DANS L'ÉGLISE, SOURCE D'ESPÉRANCE POUR L'EUROPE INTRODUCTION Annonce joyeuse pour l'Europe 1. L'Église en Europe a accompagné en esprit de participation ses évêques réunis en Synode pour la deuxième fois, tandis qu'ils se livraient à une méditation sur Jésus Christ, vivant dans l'Église, source d'espérance pour l'Europe. C'est un thème que je veux moi aussi, reprenant avec mes frères évêques les paroles de la Première Lettre de saint Pierre, proclamer à tous les chrétiens d'Europe au début du troisième millénaire. « N'ayez aucune crainte [...], ne vous laissez pas troubler. C'est le Seigneur, le Christ, que vous devez reconnaître dans vos cœurs comme le seul Saint. Vous devez toujours être prêts à vous expliquer devant tous ceux qui vous demandent de rendre compte de l'espérance qui est en vous » (3, 14-15). Cette annonce a retenti continuellement tout au long du grand Jubilé de l'An 2000, auquel le Synode, qui s'est tenu juste avant, a été étroitement lié, étant en quelque sorte une porte qui s'ouvrait sur lui.2 Le Jubilé a été « un chant unique, ininterrompu, de louange à la Trinité », un vrai « chemin de réconciliation » et un « signe d'espérance authentique pour ceux qui regardent le Christ et son Église ».3 Nous laissant en héritage la joie de la rencontre vivifiante avec le Christ, qui est « le même, hier, aujourd'hui et pour l'éternité » (He 13, 8), il nous a proposé de nouveau le Seigneur Jésus comme fondement unique et indéfectible de la véritable espérance. Un deuxième Synode pour l'Europe 2. L'approfondissement du thème de l'espérance constituait dès le début le but principal de la Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe du Synode des Évêques. Dernier des séries de Synodes de caractère continental tenus en préparation du grand Jubilé de l'An 2000,4 il avait pour buts d'analyser la situation de l'Église en Europe et de donner des orientations pour promouvoir une nouvelle annonce de l'Évangile, comme je l'ai souligné dans la convocation que j'ai rendue publique le 23 juin 1996, au terme de l'Eucharistie célébrée au stade olympique de Berlin.5 L'Assemblée synodale ne pouvait omettre de reprendre, de vérifier et de développer ce qui était ressorti lors du précédent Synode consacré à l'Europe, qui s'était réuni en 1991, au lendemain de la chute des murs, sur le thème « Pour que nous soyons témoins du Christ qui nous a libérés ». Dans cette première Assemblée spéciale étaient apparues l'urgence et la nécessité de la « nouvelle évangélisation », dans la certitude que « l'Europe ne doit pas purement et simplement en appeler aujourd'hui à son héritage chrétien antérieur: il lui faut trouver la capacité de décider à nouveau de son avenir dans la rencontre avec la personne et le message de Jésus Christ ».6 Neuf ans après, la conviction que « l'Église a le devoir pressant d'apporter à nouveau aux Européens l'annonce libératrice de l'Évangile » 7 s'est présentée encore une fois avec sa force stimulante. Le thème choisi pour la nouvelle Assemblée synodale proposait encore, sous l'angle de l'espérance, le même défi. Il s'agissait donc de proclamer cette annonce d'espérance à une Europe qui semblait l'avoir perdue.8 L'expérience du Synode 3. L'Assemblée synodale, qui a eu lieu du 1er au 23 octobre 1999, s'est avérée une précieuse occasion de rencontre, d'écoute et de confrontation: on y a approfondi la connaissance réciproque entre évêques des diverses parties de l'Europe et avec le Successeur de Pierre, et tous ensemble nous avons pu nous édifier mutuellement, grâce surtout au témoignage de ceux qui, sous les anciens régimes totalitaires, ont supporté pour la foi de dures et longues persécutions.9 Une fois encore, nous avons vécu des moments de communion dans la foi et dans la charité, animés par le désir de réaliser un fraternel « échange de dons », enrichis réciproquement par la diversité des expériences de chacun.10 Il en est ressorti la volonté d'accueillir l'appel que l'Esprit adresse aux Églises en Europe pour les mobiliser face aux nouveaux défis.11 Le regard rempli d'amour, les participants de la rencontre synodale n'ont pas craint d'observer la réalité actuelle du continent, notant ses lumières et ses ombres. Il en ressort une claire conscience que la situation est marquée par de graves incertitudes dans les domaines culturel, anthropologique, éthique et spirituel. Une volonté croissante s'est affirmée tout aussi clairement, celle de pénétrer dans cette situation et de l'interpréter pour voir les tâches qui attendent l'Église; il en est résulté « des orientations utiles afin de rendre toujours plus visible le visage du Christ par une annonce plus incisive, corroborée par un témoignage cohérent ».12 4. Le fait de vivre l'expérience synodale avec un discernement évangélique a fait mûrir progressivement la conscience de l'unité qui, sans nier les différences provenant des vicissitudes historiques, lie les diverses parties de l'Europe. C'est une unité qui, s'enracinant dans une commune inspiration chrétienne, sait harmoniser les traditions culturelles et qui requiert, sur le plan social comme sur le plan ecclésial, une progression constante dans la connaissance réciproque ouverte à un plus grand partage des valeurs de chacun. Peu à peu, au cours du Synode, est devenue évidente une forte propension à l'espérance. Tout en faisant leurs les analyses de la complexité caractéristique du continent, les Pères synodaux ont compris que la plus grande urgence peut-être qui l'envahit, à l'Est comme à l'Ouest, est un besoin accru d'espérance, capable de donner un sens à la vie et à l'histoire, et d'aider à marcher ensemble. Toutes les réflexions du Synode ont cherché à répondre à ce besoin à partir du mystère du Christ et du mystère trinitaire. Le Synode a voulu proposer à nouveau la figure de Jésus vivant dans son Église, révélateur du Dieu Amour qui est communion des trois Personnes divines. L'icône de l'Apocalypse 5. Par la présente Exhortation post-synodale, je suis heureux de pouvoir partager avec l'Église qui est en Europe les fruits de cette Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe du Synode des Évêques. Je désire ainsi répondre au souhait exprimé au terme des assises synodales, quand les Pasteurs m'ont transmis les textes de leurs réflexions, et m'ont prié de donner à l'Église en marche en Europe un document sur le thème même du Synode.13 « Celui qui a des oreilles, qu'il entende ce que l'Esprit dit aux Églises! » (Ap 2, 7). En annonçant à l'Europe l'Évangile de l'espérance, je prendrai pour guide le Livre de l'Apocalypse, « révélation prophétique » qui révèle à la communauté des croyants le sens caché et profond de ce qui arrivera (cf. Ap 1, 1). L'Apocalypse nous place devant une parole adressée aux communautés chrétiennes, afin qu'elles sachent interpréter et vivre leur insertion dans l'histoire, avec ses interrogations et ses tribulations, à la lumière de la victoire définitive de l'Agneau immolé et ressuscité. En même temps, nous nous trouvons face à une parole qui engage à vivre en abandonnant la tentation permanente de bâtir la cité des hommes sans tenir compte de Dieu ou même contre lui. En effet, si cela se vérifiait, ce serait la convivialité humaine elle-même qui essuierait, à plus ou moins brève échéance, une défaite irrémédiable. L'Apocalypse contient un encouragement adressé aux croyants: au-delà de toute apparence, et même si l'on n'en voit pas encore les effets, la victoire du Christ est déjà advenue et elle est définitive. Il s'ensuit une tendance à se placer face aux vicissitudes humaines dans une attitude de confiance fondamentale, qui découle de la foi dans le Ressuscité, présent et agissant dans l'histoire. CHAPITRE I JÉSUS CHRIST EST NOTRE ESPÉRANCE « Sois sans crainte. Je suis le Premier et le Dernier, je suis le Vivant » (Ap 1, 17-18) Le Ressuscité est toujours avec nous 6. En un temps de persécutions, de tribulations et d'égarement pour l'Église à l'époque de l'auteur de l'Apocalypse (cf. Ap 1, 9), la parole qui retentit dans la vision est une parole d'espérance : « Sois sans crainte. Je suis le Premier et le Dernier, je suis le Vivant: j'étais mort, mais me voici vivant pour les siècles des siècles, et je détiens les clés de la mort et du séjour des morts » (Ap 1, 17- 18). Nous sommes ainsi placés face à l'Évangile, à la « bonne nouvelle », qui est Jésus Christ lui- même. Il est le Premier et le Dernier: en Lui, toute l'histoire trouve son commencement, sa signification, sa direction, son accomplissement; en Lui et avec Lui, dans sa mort et sa résurrection, tout a déjà été dit. Il est le Vivant: il était mort, mais maintenant il vit pour toujours. Il est l'Agneau qui se tient debout face au trône de Dieu (cf. Ap 5, 6): il est immolé, car il a versé son sang pour nous sur le bois de la Croix; il est debout, car il est revenu à la vie pour toujours et il nous a montré la toute-puissance infinie de l'amour du Père. Il tient fermement dans ses mains les sept étoiles (cf. Ap 1, 16), c'est-à-dire l'Église de Dieu persécutée, en lutte contre le mal et contre le péché, mais qui a également le droit d'être joyeuse et victorieuse parce qu'elle est entre les mains de Celui qui a déjà vaincu le mal. Il marche au milieu des sept chandeliers d'or (cf. Ap 2, 1): il est présent et agissant dans son Église en prière. Il est aussi « celui qui vient » (Ap 1, 4) à travers la mission et l'action de l'Église tout au long de l'histoire humaine; il vient comme le moissonneur eschatologique, à la fin des temps, pour porter toute chose à son accomplissement (cf. Ap 14, 15-16; 22, 20). I. Défis et signes d'espérance pour l'Église en Europe L'obscurcissement de l'espérance 7. Cette parole est aussi adressée aujourd'hui aux Églises en Europe, souvent tentées par l'obscurcissement de l'espérance. En effet, le temps que nous vivons, avec les défis qui lui sont propres, apparaît comme une époque d'égarement. Beaucoup d'hommes et de femmes semblent désorientés, incertains, sans espérance, et de nombreux chrétiens partagent ces états d'âme. Nombreux sont les signes préoccupants qui, au début du troisième millénaire, troublent l'horizon du continent européen, lequel, « tout en étant riche d'immenses signes de foi et de témoignage, et dans le cadre d'une vie commune certainement plus libre et plus unie, ressent toute l'usure que l'histoire ancienne et récente a provoquée dans les fibres les plus profondes de ses populations, entraînant souvent la déception ».14 Parmi les nombreux aspects, amplement rappelés aussi à l'occasion du Synode,15 je voudrais mentionner la perte de la mémoire et de l'héritage chrétiens, accompagnée d'une sorte d'agnosticisme pratique et d'indifférentisme religieux, qui fait que beaucoup d'Européens donnent l'impression de vivre sans terreau spirituel et comme des héritiers qui ont dilapidé le patrimoine qui leur a été légué par l'histoire. On n'est donc plus tellement étonné par les tentatives de donner à l'Europe un visage qui exclut son héritage religieux, en particulier son âme profondément chrétienne, fondant les droits des peuples qui la composent sans les greffer sur le tronc irrigué par la sève vitale du christianisme. Certes, les prestigieux symboles de la présence chrétienne ne manquent pas dans le continent européen, mais avec l'expansion lente et progressive de la sécularisation, ils risquent de devenir un pur vestige du passé. Beaucoup n'arrivent plus à intégrer le message évangélique dans l'expérience quotidienne; il est de plus en plus difficile de vivre la foi en Jésus dans un contexte social et culturel où le projet chrétien de vie est continuellement mis au défi et menacé; dans de nombreux milieux de vie, il est plus facile de se dire athée que croyant; on a l'impression que la non-croyance va de soi tandis que la croyance a besoin d'une légitimation sociale qui n'est ni évidente ni escomptée. 8. Cette perte de la mémoire chrétienne s'accompagne d'une sorte de peur d'affronter l'avenir. L'image du lendemain qui est cultivée s'avère souvent pâle et incertaine. Face à l'avenir, on ressent plus de peur que de désir. On en trouve des signes préoccupants, entre autres, dans le vide intérieur qui tenaille de nombreuses personnes et dans la perte du sens de la vie. Parmi les expressions et les conséquences de cette angoisse existentielle, il faut compter en particulier la dramatique diminution de la natalité, la baisse des vocations au sacerdoce et à la vie consacrée, la difficulté, sinon le refus, de faire des choix définitifs de vie, même dans le mariage. On assiste à une fragmentation diffuse de l'existence; ce qui prévaut, c'est une sensation de solitude; les divisions et les oppositions se multiplient. Parmi les autres symptômes de cet état de fait, la situation actuelle de l'Europe connaît le grave phénomène des crises de la famille et de la disparition du concept même de famille, la persistance ou la réactivation de conflits ethniques, la résurgence de certaines attitudes racistes, les tensions interreligieuses elles-mêmes, l'attitude égocentrique qui enferme les personnes et les groupes sur eux-mêmes, la croissance d'une indifférence éthique générale et de la crispation excessive sur ses propres intérêts et privilèges. Pour beaucoup de personnes, au lieu d'orienter vers une plus grande unité du genre humain, la mondialisation en cours risque de suivre une logique qui marginalise les plus faibles et qui accroît le nombre des pauvres sur la terre. Parallèlement à l'expansion de l'individualisme, on note un affaiblissement croissant de la solidarité entre les personnes: alors que les institutions d'assistance accomplissent un travail louable, on observe une disparition du sens de la solidarité, de sorte que, même si elles ne manquent pas du nécessaire matériel, beaucoup de personnes se sentent plus seules, livrées à elles-mêmes, sans réseau de soutien affectif. 9. À la racine de la perte de l'espérance se trouve la tentative de faire prévaloir une anthropologie sans Dieu et sans le Christ. Cette manière de penser a conduit à considérer l'homme comme « le centre absolu de la réalité, lui faisant occuper faussement la place de Dieu. On oublie alors que ce n'est pas l'homme qui fait Dieu, mais Dieu qui fait l'homme. L'oubli de Dieu a conduit à l'abandon de l'homme », et c'est pourquoi, « dans ce contexte, il n'est pas surprenant que se soient largement développés le nihilisme en philosophie, le relativisme en gnoséologie et en morale, et le pragmatisme, voire un hédonisme cynique, dans la manière d'aborder la vie quotidienne ».16 La culture européenne donne l'impression d'une « apostasie silencieuse » de la part de l'homme comblé qui vit comme si Dieu n'existait pas. Dans une telle perspective prennent corps les tentatives, renouvelées tout récemment encore, de présenter la culture européenne en faisant abstraction de l'apport du christianisme qui a marqué son développement historique et sa diffusion universelle. Nous sommes là devant l'apparition d'une nouvelle culture, pour une large part influencée par les médias, dont les caractéristiques et le contenu sont souvent contraires à l'Évangile et à la dignité de la personne humaine. De cette culture fait partie aussi un agnosticisme religieux toujours plus répandu, lié à un relativisme moral et juridique plus profond, qui prend racine dans la perte de la vérité de l'homme comme fondement des droits inaliénables de chacun. Les signes de la disparition de l'espérance se manifestent parfois à travers des formes préoccupantes de ce que l'on peut appeler une « culture de mort ».17 L'inéluctable nostalgie de l'espérance 10. Mais, comme l'ont souligné les Pères synodaux, « l'homme ne peut pas vivre sans espérance: sa vie serait vouée à l'insignifiance et deviendrait insupportable ».18 Bien souvent, celui qui a besoin d'espérance croit pouvoir trouver un apaisement dans des réalités éphémères et fragiles. Et ainsi, l'espérance, emprisonnée dans un milieu purement humain fermé à la transcendance, est identifiée, par exemple, au paradis promis par la science et par la technique, ou à des formes diverses de messianisme, au bonheur de nature hédoniste procuré par le consumérisme ou au bonheur imaginaire et artificiel produit par des stupéfiants, à certaines formes de millénarisme, à l'attrait des philosophies orientales, à la recherche de formes de spiritualité ésotériques, aux divers courants du New Age.19 Mais tout cela se révèle profondément illusoire et incapable de satisfaire la soif de bonheur que le cœur de l'homme continue à ressentir en lui-même. Ainsi subsistent et s'intensifient les signes préoccupants de la disparition de l'espérance, qui parfois se manifestent même à travers des formes d'agressivité et de violence.20 Signes d'espérance 11. Aucun être humain ne peut vivre sans perspectives d'avenir, et moins encore l'Église, qui vit dans l'attente du Royaume qui vient et qui est déjà présent dans ce monde. Il serait injuste de ne pas voir les signes de l'influence de l'Évangile du Christ dans la vie des sociétés. Les Pères synodaux les ont recherchés et soulignés. Il faut inscrire parmi ces signes la retour à la liberté pour l'Église dans l'Est européen, avec les nouvelles possibilités ainsi ouvertes pour l'action pastorale; le fait pour l'Église de se concentrer sur sa mission spirituelle et sur son engagement à vivre le primat de l'évangélisation, même dans ses rapports avec la réalité sociale et politique; la prise de conscience accrue de la mission propre de tous les baptisés, dans la diversité et la complémentarité des dons et des tâches; la présence plus marquée de la femme dans les structures et dans les milieux de la communauté chrétienne. Une communauté de peuples 12. En considérant l'Europe en tant que communauté de citoyens, on ne manque pas de signes qui ouvrent à l'espérance; malgré les contradictions de l'histoire, nous pouvons, avec un regard de foi, voir en eux la présence de l'Esprit de Dieu qui renouvelle la face de la terre. Les Pères synodaux les ont décrits ainsi à la fin de leurs travaux: « Nous constatons avec joie l'ouverture croissante des peuples les uns aux autres, la réconciliation entre nations longtemps hostiles et ennemies, l'élargissement progressif du processus d'unification aux pays de l'Est européen. Reconnaissances, collaborations et échanges de tous ordres sont en développement, de sorte que se crée peu à peu une culture européenne, on peut même dire une conscience européenne, dont nous espérons qu'elle pourra faire croître, spécialement auprès des jeunes, le sentiment de la fraternité et la volonté du partage. Nous enregistrons comme positif le fait que tout ce processus se développe selon des méthodes démocratiques, sur un mode pacifique et dans un esprit de liberté qui respecte et valorise les légitimes diversités, suscitant et soutenant le processus d'unification de l'Europe. Nous saluons avec satisfaction ce qui a été fait pour préciser les conditions et les modalités du respect des droits humains. Dans le contexte, enfin, de la légitime et nécessaire unité économique et politique en Europe, tandis que nous enregistrons les signes de l'espérance qu'offre la considération accordée au droit et à la qualité de la vie, nous souhaitons vivement que, dans une fidélité créatrice à la tradition humaniste et chrétienne de notre continent, soit garanti le primat des valeurs éthiques et spirituelles ».21 Les martyrs et les témoins de la foi 13. Mais je voudrais attirer l'attention en particulier sur certains signes qui se sont manifestés dans la vie proprement ecclésiale. Tout d'abord, avec les Pères synodaux, je veux proposer de nouveau à tous, afin qu'il ne soit jamais oublié, le grand signe d'espérance constitué par les nombreux témoins de la foi chrétienne qui ont vécu au siècle dernier, à l'Est comme à l'Ouest. Ils ont su faire leur l'Évangile dans des situations d'hostilité et de persécution, souvent jusqu'à l'épreuve finale de l'effusion du sang. Ces témoins, en particulier ceux qui ont affronté l'épreuve du martyre, sont un signe éloquent et grandiose, qu'il nous est demandé de contempler et d'imiter. Ils attestent à nos yeux la vitalité de l'Église; ils nous apparaissent comme une lumière pour l'Église et pour l'humanité, car ils ont fait resplendir dans les ténèbres la lumière du Christ; appartenant à diverses confessions chrétiennes, ils resplendissent de ce fait comme un signe d'espérance pour le cheminement œcuménique, dans la certitude que leur sang « est aussi une sève d'unité pour l'Église ».22 Plus radicalement encore, ils nous disent que le martyre est l'incarnation suprême de l'Évangile de l'espérance: « En effet, les martyrs annoncent cet Évangile et en témoignent par leur vie jusqu'à l'effusion du sang, car ils sont certains de ne pas pouvoir vivre sans le Christ et ils sont prêts à mourir pour lui, dans la conviction que Jésus est le Seigneur et le Sauveur des hommes et qu'en lui seulement l'homme peut donc trouver la véritable plénitude de la vie. De cette façon, selon l'avertissement de l'Apôtre Pierre, ils se montrent prêts à rendre compte de l'espérance qui est en eux (cf. 1 P 3, 15). En outre, les martyrs célèbrent l' “Évangile de l'espérance”, car l'offrande de leur vie est la manifestation la plus grande et la plus radicale de ce sacrifice vivant, saint et accepté par Dieu, qui constitue le véritable culte spirituel (cf. Rm 12, 1), origine, âme et sommet de toute célébration chrétienne. Enfin, ils servent l' “Évangile de l'espérance” parce que, par leur martyre, ils expriment au plus haut degré l'amour et le service de l'homme, en ce qu'ils démontrent que l'obéissance à la loi évangélique engendre une vie morale et une convivialité qui honorent et promeuvent la dignité et la liberté de chaque personne ».23 La sainteté de beaucoup 14. La conversion opérée par l'Évangile a donné comme fruit la sainteté de beaucoup d'hommes et de femmes de notre temps. Non seulement de ceux qui ont été proclamés officiellement comme tels par l'Église, mais aussi de ceux qui, avec simplicité et dans la vie quotidienne, ont donné le témoignage de leur fidélité au Christ. Comment ne pas penser aux innombrables fils et filles de l'Église qui, tout au long de l'histoire du continent européen, ont vécu une généreuse et authentique sainteté dans le secret de la vie familiale, professionnelle et sociale? « Tous ensemble, tels des “pierres vivantes” adhérant au Christ, la “pierre angulaire”, ils ont construit l'Europe comme édifice spirituel et moral, en laissant à la postérité l'héritage le plus précieux. Le Seigneur Jésus l'avait promis: “Celui qui croit en moi accomplira les mêmes œuvres que moi. Il en accomplira même de plus grandes, puisque je pars vers le Père” (Jn 14, 12). Les saints sont la preuve vivante de l'accomplissement de cette promesse et ils encouragent à croire que cela est possible, même dans les heures les plus difficiles de l'histoire ».24 La paroisse et les mouvements ecclésiaux 15. L'Évangile continue à porter ses fruits dans les communautés paroissiales, parmi les personnes consacrées, dans les associations de laïcs, dans les groupes de prière et d'apostolat, dans diverses communautés de jeunes, comme aussi à travers la présence et la diffusion de réalités et de mouvements ecclésiaux nouveaux. En chacun d'eux, en effet, le même Esprit sait susciter un don de soi renouvelé à l'Évangile, une généreuse disponibilité pour le service, une vie chrétienne marquée par la radicalité évangélique et par l'élan missionnaire. Aujourd'hui encore en Europe, dans les pays anciennement communistes comme en Occident, la paroisse, tout en ayant besoin d'un renouvellement constant,25 garde encore et continue d'exercer une mission indispensable et de grande actualité dans le domaine pastoral et ecclésial. Elle reste en mesure d'offrir aux fidèles le milieu adapté pour un exercice réel de la vie chrétienne et d'être le lieu d'une authentique humanisation et socialisation, que ce soit dans un contexte de dispersion et d'anonymat propre aux grandes villes modernes, ou dans les zones rurales peu peuplées.26 16. En même temps, tandis que j'exprime ma grande estime pour la présence et l'action des diverses associations et organisations d'apostolat, en particulier de l'Action catholique, avec les Pères synodaux je voudrais souligner la contribution propre que peuvent offrir, en communion avec les autres réalités ecclésiales et jamais de manière isolée, les nouveaux mouvements ecclésiaux et les nouvelles communautés ecclésiales. En effet, « ils aident les chrétiens à vivre plus radicalement selon l'Évangile; ils sont le berceau de diverses vocations et ils engendrent de nouvelles formes de consécration; ils promeuvent surtout la vocation des laïcs et l'amènent à s'exprimer dans les divers milieux de vie; ils favorisent la sainteté du peuple; ils peuvent être une annonce et une exhortation pour ceux qui n'ont pas d'autre occasion de rencontrer l'Église; bien souvent, ils soutiennent le cheminement œcuménique et ouvrent les voies au dialogue interreligieux; ils sont un antidote contre la diffusion des sectes; ils apportent une aide importante à la diffusion de la vivacité et de la joie dans l'Église ».27 Le cheminement œcuménique 17. Nous remercions le Seigneur pour le grand et stimulant signe d'espérance constitué par les progrès qu'a su réaliser le cheminement œcuménique à l'enseigne de la vérité, de la charité et de la réconciliation. Il s'agit là de l'un des grands dons de l'Esprit Saint pour un continent comme l'Europe, qui a donné naissance aux graves divisions entre les chrétiens du deuxième millénaire et qui souffre encore beaucoup de leurs conséquences. Je me souviens avec émotion de certains moments de grande intensité vécus durant les travaux synodaux et de la conviction unanime, exprimée également par les Délégués fraternels, que ce cheminement – malgré les problèmes qui subsistent encore et ceux, nouveaux, qui naissent peu à peu – ne peut être interrompu, mais qu'il doit se poursuivre avec une ardeur renouvelée, avec une détermination plus profonde et avec l'humble disposition de tous au pardon réciproque. Je fais volontiers miennes certaines expressions des Pères synodaux, car « le progrès dans le dialogue œcuménique, qui a son fondement le plus profond dans le Verbe même de Dieu, représente un signe de grande espérance pour l'Église d'aujourd'hui: la croissance de l'unité entre les chrétiens est en effet un enrichissement mutuel pour tous ».28 Il faut « considérer avec joie les progrès obtenus jusqu'à maintenant dans le dialogue, tant avec les frères des Églises orthodoxes qu'avec ceux des Communautés ecclésiales provenant de la Réforme, reconnaissant en eux un signe de l'action de l'Esprit, pour laquelle nous devons louer et remercier le Seigneur ».29 II. Revenir au Christ, source de toute espéranceConfesser notre foi 18. De l'Assemblée synodale a jailli, lumineuse et puissante, la certitude que l'Église doit offrir à l'Europe le bien le plus précieux, que personne d'autre ne peut lui donner: la foi en Jésus Christ, source de l'espérance qui ne déçoit pas.30 Ce don est à l'origine de l'unité spirituelle et culturelle des peuples européens et, aujourd'hui encore comme à l'avenir, il peut constituer une contribution essentielle à leur développement et à leur intégration. Oui, en ce début du troisième millénaire, après vingt siècles, l'Église se présente toujours avec la même annonce, qui constitue son unique trésor: Jésus Christ est le Seigneur; en Lui et en nul autre est le salut (cf. Ac 4, 12). La source de l'espérance, pour l'Europe et pour le monde entier, c'est le Christ, et l'Église est « le chemin par lequel passe et se répand la vague de grâce surgie du Cœur transpercé du Rédempteur ».31 À partir de cette confession de foi jaillit de nos cœurs et de nos lèvres « une joyeuse [...] confession d'espérance: Toi, Seigneur ressuscité et vivant, [...] tu es l'unique et vraie espérance de l'homme et de l'histoire; tu es “parmi nous l'espérance de la gloire” (Col 1, 27), déjà en cette vie et aussi par-delà la mort. En toi et avec toi, nous pouvons accéder à la vérité, notre existence a un sens, la communion est possible, la diversité peut devenir richesse, la puissance du Règne est à l'œuvre dans l'histoire et aide à l'édification de la cité des hommes, la charité donne une valeur durable aux efforts de l'humanité, la souffrance peut devenir salvifique, la vie vaincra la mort, la création participera à la gloire des fils de Dieu ».32 Jésus Christ, notre espérance 19. Jésus Christ est notre espérance parce que Lui, le Verbe éternel qui est éternellement dans le sein du Père (cf. Jn 1, 18), nous a aimés au point d'assumer notre nature humaine, excepté le péché, partageant notre vie pour nous sauver. La confession de cette vérité est au cœur même de notre foi. La perte de la vérité sur Jésus Christ ou son incompréhension empêchent de pénétrer dans le mystère même de l'amour de Dieu et de la communion trinitaire.33 Jésus Christ est notre espérance parce qu'Il révèle le mystère de la Trinité. Tel est le centre de la foi chrétienne qui peut encore offrir, comme elle l'a fait jusqu'à présent, une importante contribution à la mise en place de structures qui, en s'inspirant des grandes valeurs évangéliques ou en se mesurant à leur aune, promeuvent la vie, l'histoire et la culture des différents peuples du continent. Nombreuses sont les racines qui, par leur sève, ont conduit à reconnaître la valeur de la personne et de sa dignité inaliénable, le caractère sacré de la vie humaine et le rôle central de la famille, l'importance de l'enseignement et de la liberté de pensée, d'expression et de religion, tout comme elles ont conduit à la protection juridique des individus et des groupes, à la promotion de la solidarité et du bien commun, à la reconnaissance de la dignité du travail. Ces racines ont favorisé la sujétion du pouvoir politique à la loi et au respect du droit des personnes et des peuples. Il convient de rappeler ici l'esprit de la Grèce antique et de Rome, l'apport des peuples celtes, germaniques, slaves, finno-ougriens, ainsi que de la culture juive et du monde de l'islam. Mais il faut reconnaître que, historiquement parlant, ces inspirations ont trouvé dans la tradition judéo-chrétienne une force capable de les harmoniser, de les consolider et de les promouvoir. C'est un fait que l'on ne peut ignorer; au contraire, dans le processus de construction de la « maison commune européenne », il faut reconnaître que cet édifice doit s'appuyer aussi sur les valeurs qui ont trouvé dans la tradition chrétienne leur pleine manifestation. En prendre acte tourne à l'avantage de tous. L'Église « n'a pas qualité pour exprimer une préférence en faveur de l'une ou l'autre solution institutionnelle ou constitutionnelle » de l'Europe, et elle veut donc respecter de manière cohérente la légitime autonomie de l'ordre civil.34 Mais elle a le devoir de raviver dans le cœur des chrétiens d'Europe la foi en la Trinité, en sachant bien qu'une telle foi est un signe avant-coureur d'une authentique espérance pour le continent. Bien des grands paradigmes de référence mentionnés ci-dessus, qui sont à la base de la civilisation européenne, ont leurs racines les plus profondes dans la foi trinitaire. Cette dernière porte en elle une extraordinaire puissance spirituelle, culturelle et éthique, capable, entre autres, d'éclairer aussi certaines grandes questions qui se posent aujourd'hui en Europe, telles que la désagrégation sociale et la perte d'une référence qui donne un sens à la vie et à l'histoire. Il apparaît donc nécessaire de renouveler la réflexion théologique, spirituelle et pastorale du mystère trinitaire.35 20. Les Églises particulières en Europe ne sont pas de simples entités ou organisations privées. En réalité, elles déploient leur action dans une dimension institutionnelle spécifique qui mérite d'être mise en valeur sur le plan juridique, dans le plein respect du bon ordonnancement civil. Réfléchissant sur elles-mêmes, les communautés chrétiennes doivent se découvrir à nouveau comme un don par lequel Dieu enrichit les peuples qui vivent sur le continent. Telle est l'annonce joyeuse qu'elles sont appelées à transmettre à toute personne. En approfondissant la dimension missionnaire qui leur est propre, elles doivent attester constamment que Jésus Christ « est l'unique médiateur, porteur de salut pour l'humanité tout entière: en lui seulement l'humanité, l'histoire et le cosmos trouvent leur signification définitivement positive et se réalisent en totalité; il recèle en lui-même, dans son événement et dans sa personne, les raisons ultimes du salut; il n'est pas seulement un médiateur de salut, il est aussi la source même de ce salut ».36 Dans le contexte actuel du pluralisme éthique et religieux qui caractérise de plus en plus l'Europe, il est donc nécessaire de confesser et de proposer à nouveau la vérité sur le Christ, unique Médiateur entre Dieu et les hommes, et unique Rédempteur du monde. C'est pourquoi – comme je l'ai fait à la fin de l'Assemblée synodale – avec toute l'Église j'invite mes frères et sœurs dans la foi à savoir constamment s'ouvrir en toute confiance au Christ et à se laisser renouveler par lui, annonçant à toute personne de bonne volonté, avec la force de la paix et de l'amour, que celui qui rencontre le Seigneur connaît la Vérité, découvre la Vie, trouve la Voie qui y conduit (cf. Jn 14, 6; Ps 16 [15], 11). Par le style de vie des chrétiens et par leur témoignage en parole, les habitants de l'Europe pourront découvrir que le Christ est l'avenir de l'homme. Dans la foi de l'Église, « il n'y a pas sous le ciel d'autre nom donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés » (Ac 4, 12).37 21. Pour les croyants, Jésus Christ est l'espérance de toute personne parce qu'il donne la vie éternelle. Il est « le Verbe de vie » (1 Jn 1, 1), venu dans le monde pour que les hommes « aient la vie et l'aient en surabondance » (Jn 10, 10). Il nous montre ainsi que le sens véritable de l'existence de l'homme ne reste pas enfermé sur l'horizon humain, mais qu'il s'ouvre sur l'éternité. Chaque Église particulière en Europe a la mission de prendre en compte la soif de vérité de toute personne et le besoin de valeurs authentiques susceptibles d'animer les peuples du continent. Avec une énergie renouvelée, il lui revient de présenter la nouveauté qui la fait vivre. Il s'agit de mettre en œuvre une action culturelle et missionnaire organique qui, par des activités et des argumentations convaincantes, montre que la nouvelle Europe a besoin de retrouver ses racines profondes. Dans ce contexte, ceux qui s'inspirent des valeurs évangéliques ont une fonction essentielle à exercer, qui fait partie du fondement solide sur lequel doit être édifiée une convivialité plus humaine et plus pacifique, parce qu'elle respecte tous et chacun. Il est nécessaire que les Églises particulières en Europe sachent redonner à l'espérance sa dimension eschatologique originale.38 La véritable espérance chrétienne est en effet théologale et eschatologique, fondée sur le Ressuscité qui viendra de nouveau comme Rédempteur et Juge, et qui nous appelle à la résurrection et au bonheur éternel. Jésus Christ vivant dans l'Église 22. En retournant au Christ, les peuples européens pourront retrouver l'espérance qui seule offre une plénitude de sens à la vie. Aujourd'hui encore, ils peuvent le rencontrer car Jésus est présent, il vit et il agit au cœur de son Église: il est dans l'Église et l'Église est en lui (cf. Jn 15, 1ss; Ga 3, 28; Ep 4, 15-16; Ac 9, 5). En elle, par le don de l'Esprit Saint, il poursuit constamment son œuvre de salut.39 Avec les yeux de la foi, nous devenons capables de voir la présence mystérieuse de Jésus dans les divers signes qu'il nous a laissés. Avant tout, il est présent dans la sainte Écriture, qui, en toutes ses parties, parle de Lui (cf. Lc 24, 27. 44- 47). Cependant, de manière vraiment unique, il est présent sous les espèces eucharistiques. Cette « présence, on la nomme “réelle”, non à titre exclusif, comme si les autres présences n'étaient pas “réelles”, mais par excellence parce qu'elle est substantielle et que par elle le Christ, Homme-Dieu, se rend présent tout entier ».40 En effet, dans l'Eucharistie « sont contenus vraiment, réellement et substantiellement, le Corps et le Sang conjointement avec l'âme et la divinité de notre Seigneur Jésus Christ, et, par conséquent, le Christ tout entier ».41 « L'Eucharistie est vraiment “mysterium fidei”, mystère qui dépasse notre intelligence et qui ne peut être accueilli que dans la foi ».42 Réelle aussi est la présence de Jésus dans les autres actions liturgiques que l'Église célèbre en son nom. Au nombre de celles-ci, il faut compter les sacrements, actions du Christ qu'il accomplit par l'intermédiaire des hommes.43 Jésus est aussi présent dans le monde par d'autres modes tout à fait réels, et spécialement dans ses disciples qui, fidèles au double commandement de la charité, adorent Dieu en esprit et en vérité (cf. Jn 4, 24) et témoignent par leur vie de l'amour fraternel qui les fait reconnaître comme disciples du Seigneur (cf. Mt 25, 31-46; Jn 13, 35; 15, 1-17).44 CHAPITRE II L'ÉVANGILE DE L'ESPÉRANCE CONFIÉ À L'ÉGLISE DU NOUVEAU MILLÉNAIRE « Réveille-toi, ranime ce qui te reste de vie défaillante! » (Ap 3, 2) I. Le Seigneur appelle à la conversion Jésus s'adresse aujourd'hui à nos Églises 23. « Ainsi parle celui qui tient les sept étoiles en sa droite et qui marche au milieu des sept candélabres d'or [...], le Premier et le Dernier, celui qui fut mort et qui a repris vie [...], le Fils de Dieu » (Ap 2, 1. 8. 18). C'est Jésus lui-même qui parle à son Église. Son message s'adresse à toutes les Églises particulières et concerne leur vie interne, parfois marquée par la présence de conceptions et de mentalités incompatibles avec la tradition évangélique, souvent en butte à diverses formes de persécutions et, de façon plus périlleuse encore, menacée par des symptômes préoccupants de sécularisation, de perte de la foi des origines, de compromis avec la logique du monde. Il est fréquent que les communautés aient perdu l'amour d'antan (cf. Ap 2, 4). On constate que nos communautés ecclésiales sont affrontées à des faiblesses, à des lassitudes et à des contradictions. Elles ont besoin, elles aussi, d'écouter à nouveau la voix de l'Époux qui les invite à la conversion, qui les pousse à se lancer avec audace sur des chemins nouveaux et qui les appelle à s'engager dans la grande œuvre de la « nouvelle évangélisation ». L'Église doit constamment se soumettre au jugement de la parole du Christ et vivre son existence humaine dans un état de purification pour être toujours plus et toujours mieux l'Épouse sans tache ni ride, revêtue de lin d'une blancheur éclatante (cf. Ep 5, 27; Ap 19, 7-8). C'est ainsi que Jésus Christ appelle nos Églises en Europe à la conversion et elles deviennent alors, avec leur Seigneur et par la force de sa présence, porteuses d'espérance pour l'humanité. L'action de l'Évangile tout au long de l'histoire 24. L'Europe a été largement et profondément pénétrée par le christianisme. « Il n'y a pas de doute que, dans l'histoire complexe de l'Europe, le christianisme représente un élément central et caractéristique, renforcé par le solide fondement de l'héritage classique et des contributions multiples apportées par divers mouvements ethniques et culturels qui se sont succédé au cours des siècles. La foi chrétienne a façonné la culture du continent et a été mêlée de façon inextricable à son histoire, au point que celle-ci serait incompréhensible sans référence aux événements qui ont caractérisé d'abord la grande période de l'évangélisation, puis les longs siècles au cours desquels le christianisme, malgré la douloureuse division entre l'Orient et l'Occident, s'est affirmé comme la religion des Européens eux-mêmes. Dans la période moderne et contemporaine aussi, lorsque l'unité religieuse s'est progressivement fractionnée tant à cause de nouvelles divisions intervenues entre les chrétiens qu'en raison des processus qui ont amené la culture à se détacher des perspectives de la foi, le rôle de cette dernière a gardé un relief non négligeable ».45 25. L'intérêt que l'Église porte à l'Europe provient de sa nature même et de sa mission. Tout au long des siècles en effet, l'Église a eu des liens très étroits avec notre continent, si bien que le visage spirituel de l'Europe s'est trouvé modelé par les efforts de grands missionnaires, par le témoignage de saints et de martyrs, et par l'action assidue de moines, de religieux et de pasteurs. À partir de la conception biblique de l'homme, l'Europe a forgé sa culture humaniste dans ce qu'elle a de meilleur; elle y a puisé son inspiration pour ses créations intellectuelles et artistiques; elle a élaboré des normes de droit et, par-dessus tout, elle a promu la dignité de la personne, source de droits inaliénables.46 Ainsi l'Église, dépositaire de l'Évangile, a contribué à répandre et à affermir les valeurs qui ont donné un caractère universel à la culture européenne. Se souvenant de tout cela, l'Église d'aujourd'hui se rend compte, avec une responsabilité renouvelée, qu'il est urgent de ne pas perdre ce précieux patrimoine et d'aider l'Europe à se construire elle-même en redonnant vie aux racines chrétiennes de ses origines.47 Pour façonner un véritable visage d'Église 26. Que l'ensemble de l'Église en Europe entende comme lui étant adressés le commandement et l'invitation du Seigneur: reviens à moi, convertis-toi, « Réveille-toi, ranime ce qui te reste de vie défaillante! » (Ap 3, 2). C'est une exigence qui se fait jour aussi lorsqu'on observe notre temps: « La grave situation d'indifférence religieuse de tant d'Européens, le grand nombre de ceux qui, sur notre continent aussi, ne connaissent pas encore Jésus Christ et son Église, et qui ne sont pas encore baptisés, le sécularisme qui gagne une large frange de chrétiens qui pensent, décident et vivent de manière habituelle comme si “le Christ n'existait pas”, tout cela, loin d'éteindre notre espérance, la rend plus humble et plus capable de se fier à Dieu seul. De sa miséricorde, nous recevons la grâce et l'engagement de la conversion ».48 27. Même si parfois, comme dans l'épisode évangélique de la tempête apaisée (cf. Mc 4, 35-41; Lc 8, 22-25), on a l'impression que le Christ dort et abandonne sa barque à la fureur des vagues, il est demandé à l'Église en Europe de cultiver la certitude que le Seigneur, par le don de son Esprit, est toujours présent et agit toujours en elle et dans l'histoire de l'humanité. Il prolonge sa mission dans le temps, faisant de l'Église un fleuve de vie nouvelle qui se répand dans la vie de l'humanité comme un signe d'espérance pour tous. Dans un contexte où l'on est facilement tenté par l'activisme, même sur le plan pastoral, il est demandé aux chrétiens en Europe de continuer à être un vrai reflet du Ressuscité, en vivant dans une communion intime avec lui. On a besoin de communautés qui, contemplant et imitant la Vierge Marie, figure et modèle de l'Église par sa foi et sa sainteté,49 gardent le sens de la vie liturgique et de la vie intérieure. Avant tout et surtout, elles devront louer le Seigneur, le prier, l'adorer et écouter sa Parole. Ce n'est qu'ainsi qu'elles pourront assimiler son mystère, vivant totalement pour Lui, comme membres de son Épouse fidèle. 28. Face aux influences permanentes qui poussent à la division et à l'opposition, les diverses Églises particulières en Europe, fortes de leur lien avec le Successeur de Pierre, doivent s'engager à être véritablement lieu et instrument de communion pour tout le peuple de Dieu, dans la foi et dans l'amour.50 C'est pourquoi elles cultiveront un climat de charité fraternelle, vécue avec une radicalité évangélique, au nom de Jésus et de son amour; elles développeront une ambiance de rapports amicaux, de communication, de corresponsabilité, de participation, de conscience missionnaire, d'attention et de service; elles seront animées par des attitudes d'estime, d'accueil et de correction mutuelle (cf. Rm 12, 10; 15, 7-14), ainsi que de service et de soutien réciproque (cf. Ga 5, 13; 6, 2), de pardon mutuel (cf. Col 3, 13) et d'édification les uns des autres (1 Th 5, 11); elles s'emploieront à poursuivre une pastorale qui, mettant en valeur toutes les légitimes diversités, favorise en même temps une collaboration cordiale entre tous les fidèles et leurs différentes associations; elles relanceront pour cela les organismes de participation, qui sont de précieux instruments de communion en vue d'une action missionnaire concertée, suscitant la présence d'agents pastoraux préparés de manière appropriée et dûment qualifiés. Ainsi, ces Églises, animées par la communion qui est manifestation de l'amour de Dieu, fondement et raison de l'espérance qui ne déçoit pas (cf. Rm 5, 5), seront à la fois un reflet plus resplendissant de la Trinité et un signe qui interpelle et invite à croire (cf. Jn 17, 21). 29. Pour que la communion dans l'Église puisse être vécue plus pleinement, il convient de mettre en valeur la variété des charismes et des vocations, qui convergent toujours plus vers l'unité et qui peuvent l'enrichir (cf. 1 Co 12). Dans cette perspective, il est également nécessaire, d'une part, que les nouveaux mouvements et les nouvelles communautés d'Église, « renonçant à toute tentation de revendiquer des droits d'aînesse et à toute incompréhension des uns à l'égard des autres », progressent sur le chemin d'une plus authentique communion entre eux et avec toutes les autres réalités ecclésiales, et qu'ils « vivent avec amour dans la pleine obéissance aux Évêques »; d'autre part, il est nécessaire aussi que les Évêques, « en leur manifestant l'amour paternel qui est le propre des pasteurs »,51 sachent reconnaître, mettre en valeur et coordonner leurs charismes et leur présence, pour l'édification de l'unique Église. En effet, par une collaboration croissante entre les différentes réalités ecclésiales sous la conduite aimante des pasteurs, l'Église entière pourra présenter à tous un visage plus beau et plus crédible, reflet plus limpide de celui du Seigneur, et elle pourra ainsi contribuer à redonner espérance et consolation à ceux qui la cherchent comme à ceux qui, bien qu'ils ne la cherchent pas, en ont besoin. Afin de pouvoir répondre à l'appel de l'Évangile à la conversion, « il nous faut faire tous ensemble un humble et courageux examen de conscience pour reconnaître nos peurs et nos erreurs, pour confesser avec sincérité nos lenteurs, nos omissions, nos infidélités et nos fautes ».52 Loin de favoriser des attitudes défaitistes de découragement, la reconnaissance évangélique de ses propres fautes ne pourra que susciter dans la communauté l'expérience que vit le baptisé: la joie d'une profonde libération et la grâce d'un nouveau départ, ce qui permet de poursuivre avec une vigueur renouvelée le chemin de l'évangélisation. Pour progresser vers l'unité des chrétiens 30. Enfin, c'est aussi dans le domaine œcuménique que l'Évangile de l'espérance est une force et un appel à la conversion. Dans la certitude que l'unité des chrétiens répond à la volonté du Seigneur « pour qu'ils soient un » (cf. Jn 17, 11) et qu'elle se présente aujourd'hui comme une nécessité pour une plus grande crédibilité de l'évangélisation et comme une contribution à l'unité de l'Europe, il faut que toutes les Églises et Communautés ecclésiales « soient aidées et encouragées à interpréter le cheminement œcuménique comme un mouvement où l'on “va ensemble” vers le Christ » 53 et vers l'unité visible voulue par lui, de telle sorte que l'unité dans la diversité resplendisse dans l'Église comme don de l'Esprit Saint, artisan de communion. Pour que cela se réalise, il convient que tous fournissent un effort patient et constant, animé d'une authentique espérance et en même temps d'un sobre réalisme, et visant à « la mise en valeur de ce qui déjà nous unit, à l'estime sincère et réciproque, à l'élimination des préjugés, à la connaissance et à l'amour mutuels ».54 Dans ce sens, le fait de s'engager pour l'unité, si l'on veut que cet engagement repose sur des bases solides, ne peut pas ne pas comporter la recherche passionnée de la vérité, par un dialogue et une confrontation qui, tout en reconnaissant les résultats déjà obtenus, sachent les utiliser comme une incitation à aller de l'avant pour surmonter les divergences qui divisent encore les chrétiens. 31. Il est indispensable de poursuivre le dialogue avec détermination, sans capituler devant les difficultés et les épreuves. Ce dialogue doit être mené « sous divers aspects (doctrinal, spirituel et pratique), en suivant la logique de l'échange des dons, que l'Esprit suscite dans chaque Église, et en éduquant les communautés et les fidèles, surtout les jeunes, à vivre des moments de rencontres et à faire de l'œcuménisme bien compris une dimension ordinaire de la vie et de l'action ecclésiales ».55 Ce dialogue est une des préoccupations majeures de l'Église, surtout en Europe, elle qui, au cours du précédent millénaire, a vu naître trop de divisions entre les chrétiens et qui progresse aujourd'hui vers une plus grande unité. Nous ne pouvons pas nous arrêter en chemin ni retourner en arrière! Nous devons poursuivre notre marche et vivre dans la confiance, car, avec la grâce de Dieu, l'estime réciproque, la recherche de la vérité, la collaboration dans la charité et surtout l'œcuménisme de la sainteté ne pourront pas ne pas porter leurs fruits. 32. Malgré les inévitables difficultés, j'invite tout le monde à reconnaître et à apprécier, avec amour et dans un esprit fraternel, la contribution que les Églises catholiques orientales, par leur présence même, par la richesse de leur tradition, par le témoignage de leur « unité dans la diversité », par l'inculturation qu'elles ont réalisée dans l'annonce de l'Évangile et par la diversité de leurs rites, peuvent apporter à une édification plus réelle de l'unité.56 En même temps, je veux une fois encore assurer les pasteurs, ainsi que nos frères et sœurs des Églises orthodoxes, que la nouvelle évangélisation ne peut en aucune manière être confondue avec le prosélytisme, restant sauf le devoir de respecter la vérité, la liberté et la dignité de toute personne. II. L'Église entière envoyée en mission 33. Servir l'Évangile de l'espérance par une charité qui évangélise est un devoir et une responsabilité pour tous. Quel que soit en effet le charisme ou le ministère de chacun, la charité est la voie royale indiquée à tous et que tous peuvent parcourir: c'est la voie que la communauté ecclésiale tout entière est appelée à suivre sur les pas de son Maître. L'engagement des ministres ordonnés 34. Les prêtres, en vertu de leur ministère, sont appelés de manière spéciale à célébrer, à enseigner et à servir l'Évangile de l'espérance. En raison du sacrement de l'Ordre qui les configure au Christ, Chef et Pasteur, les évêques et les prêtres doivent conformer toute leur vie et toute leur action à Jésus; par la prédication de la Parole, par la célébration des sacrements et en guidant la marche de la communauté chrétienne, ils rendent présent le mystère du Christ et, à travers l'exercice même de leur ministère, ils « sont appelés à prolonger la présence du Christ, unique et souverain Pasteur, en retrouvant son style de vie et en se rendant en quelque sorte transparents à lui au milieu du troupeau qui leur est confié ».57 Insérés dans le monde sans être du monde (cf. Jn 17, 15-16), ils sont appelés, dans la situa- tion culturelle et spirituelle présente du continent européen, à être signes de contradiction et d'espérance pour une société qui est malade de vivre à un niveau horizontal et qui a besoin de s'ouvrir au Transcendant. 35. De ce point de vue, le célibat sacerdotal prend un relief particulier comme signe d'une espérance fondée totalement sur le Seigneur. Le célibat n'est pas une simple discipline ecclésiastique imposée par l'autorité; au contraire, il est avant tout une grâce, un don inestimable de Dieu pour l'Église, valeur prophétique pour le monde actuel, don de soi dans le

Sommaire documents

t>