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Evangéliser la Vie

Humanae Vitae dans l'enseignement de Saint Jean Paul II

Publiée le 20-06-2017

   Saint Jean Paul II, Pape de la vie, de l'amour. Pape de la famille. A de très nombreuses reprises, cet infatiguable apôtre serviteur de la vie et de l'amour humain a encouragé les hommes et les femmes de notre temps à avoir le courage d'aimer en respectant, enrichissant, témoignant ce que Dieu avait donné et demandé à l'homme, la femme, au Matin du monde. L'invitant à en être le gardien, le veilleur...responsable.

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1979

5 octobre 1979 - Aux Evêques aux USA
    Avec la franchise de l’Évangile, la compassion pastorale et la charité du Christ vous avez affronté le problème de l’indissolubilité du mariage en disant très justement : « L’alliance entre un homme et une femme unis dans le mariage chrétien est aussi indissoluble et irrévocable que l’amour de Dieu pour son peuple et que l’amour du Christ pour son Église. »
     En exaltant la beauté du mariage, vous êtes allés justement à l’encontre aussi bien de la théorie de la contraception que de ses applications pratiques, comme l’avait fait l’encyclique Humanae vitae. Et moi aujourd’hui, avec la même conviction que Paul VI, je fais mien l’enseignement de cette encyclique qui avait été donné par mon prédécesseur, « en vertu du mandat qui nous a été confié par le Christ » (AAS 60, 1968, p. 485).
     En considérant l’union sexuelle entre le mari et la femme comme une expression particulière de leur pacte d’amour, vous avez eu raison de dire : « Les rapports sexuels ne sont un bien sur le plan moral et humain que dans le mariage ; en dehors du mariage, c’est immoral. »
     Vous avez encore rendu témoignage à la vérité, et donc servi toute l’humanité, lorsque faisant écho à l’enseignement du Concile — « La vie doit être sauvegardée avec un soin extrême dès la conception. » (Gaudium et spes, 51) — vous avez réaffirmé le droit à la vie et l’inviolabilité de toute vie humaine, y compris la vie des enfants à naître. Vous avez dit clairement que « détruire ces vies innocentes d’enfants à naître est un crime abominable… Leur droit à la vie doit être reconnu et dûment protégé par la loi ».
     Comme vous avez pris la défense de la vie dès le sein maternel à cause de la vérité de son être, vous avez aussi pris la défense des personnes âgées, en déclarant nettement : « L’euthanasie ou le meurtre par pitié… est un mal moral très grave… Un tel meurtre est incompatible avec le respect pour la dignité humaine et le respect de la vie. »

 

 

 

 

 

 


1984

 

1er mars 1984 – aux prêtres participants au séminaire sur le sujet de la procréation responsable

     Très chers prêtres,

1. Je suis heureux de vous accueillir pour cette audience spéciale qui me permet de vous exprimer la profonde affection que j’éprouve envers vous, qui participez comme moi à l’unique sacerdoce du Christ, et de vous manifester en même temps la grande considération dans laquelle je tiens le travail pastoral auquel vous consacrez le meilleur de vos forces.

Vous accomplissez votre apostolat de façon particulière au service de la famille, justement convaincus que toute aide offerte à cette cellule fondamentale de la société humaine trouve son efficacité, multipliée, en se répercutant sur les diverses composantes du noyau familial et en se perpétuant dans le temps, grâce à l’action éducatrice qui, à travers les parents, atteint les enfants et, à travers ceux-ci, les enfants des enfants. Je veux vous confirmer dans cette conviction et vous encourager à poursuivre l’œuvre entreprise, dans laquelle ne peut vous manquer la bénédiction de Dieu, premier projecteur de la communauté familiale et « quand vint la plénitude des temps », son rédempteur providentiel.

2. Cette rencontre se produit à l’occasion de votre participation au Congrès que le « Centre d’études et de recherches sur la régulation naturelle de la fertilité » de l’Université catholique du Sacré-Cœur et l’ « Institut d’études sur le mariage et la famille » de l’Université pontificale du Latran ont opportunément organise sur l’important sujet de la procréation responsable. Je voudrais, en cette circonstance, dire quelque chose sur ce sujet d’un point de vue surtout pastoral.

Lors de la récente célébration du jubilé des prêtres, j’avertissais : « Ouvrons toujours plus grand les yeux — le regard de l’âme — pour mieux comprendre ce que signifie remettre les péchés et réconcilier les consciences humaines avec Dieu, infiniment saint, Dieu de la vérité et de l’amour : c’est cela votre ministère, toujours, mais plus spécialement lorsque vous mettez votre sacerdoce au service des époux.

Vous avez voulu, ces jours-ci, découvrir et approfondir les fondements scientifiques, philosophiques et théologiques de la procréation responsable ; de l’enseignement, plus précisément, de l’encyclique Humanae vitae et de l’exhortation apostolique Familiaris consortio, dans le but de réconcilier la conscience humaine des époux avec le Dieu de la vérité et de l’amour. Quand, en effet, la conscience humaine est-elle « réconciliée », quand est-elle dans une paix profonde ? Lorsqu’elle est dans la vérité. Et les deux documents cités, dans la fidélité à la tradition de l’Église, ont enseigne la vérité de l’amour conjugal, en tant qu’il est communion de personnes.

Que signifie « réconcilier la conscience des époux avec la vérité de leur amour conjugal » ? Lorsque ses contemporains demandèrent à Jésus s’ii était permis au mari de répudier sa femme, il répondit en se référant « au commencement », c’est-à-dire au projet originaire du Créateur sur le mariage. Vous aussi, qui comme prêtres, opérez au nom du Christ, vous devez montrer aux époux que ce qui est enseigné par l’Église sur la procréation responsable n’est pas autre chose que ce projet originaire que le Créateur a imprimé dans l’humanité de l’homme et de la femme qui s’épousent, et que le Rédempteur est venu rétablir. La règle morale enseignée par Humanae vitae et par Familiaris consortio est la défense de la vérité entière de l’amour conjugal, parce qu’elle exprime les exigences imprescriptibles de cet amour.

Soyez-en certains, lorsque votre enseignement est fidèle au magistère de l’Église, vous n’enseignez pas quelque chose que l’homme et la femme ne peuvent pas comprendre. Même l’homme et la femme d’aujourd’hui. En réalité, cet enseignement que vous faites résonner à leurs oreilles est déjà inscrit dans leur cœur. L’homme et la femme doivent être aidés à lire en profondeur cette « écriture dans le cœur ». Et le fait qu’au cours de ces trois jours d’études vous ayez voulu découvrir les raisons du magistère de l’Église ne signifie-t-il pas que vous voulez distinguer toujours plus clairement les voies par lesquelles vous voulez conduire les époux à la vérité profonde sur eux-mêmes et sur leur amour conjugal ?

3. Réconcilier la conscience humaine des époux avec le Dieu de la vérité et de l’amour : la conscience humaine des époux est vraiment réconciliée lorsqu’ils ont découvert et accueilli la vérité sur leur amour conjugal. En fait, comme l’écrit saint Augustin, « la vie heureuse est joie de la vérité ; c’est-à-dire la joie de toi qui es la vérité ». (Confessions, 10, 23, 33).

Vous savez bien que souvent la fidélité de la part de prêtres — disons même de l’Église — à cette vérité et aux règles morales qui en découlent, celle, veux-je dire, qu’enseignent Humanae vitae et Familiaris consortio, doit être souvent chèrement payée. On est souvent tourné en ridicule, accusé d’incompréhension et de dureté, et d’autres choses encore. C'est le sort de tout témoin de la vérité, comme nous le savons bien. Écoutons encore une page de saint Augustin : « Mais pourquoi la vérité engendre-t-elle la haine », se demande le saint docteur ? « En réalité, répond-il, l’amour de la vérité est tel que ceux qui aiment un objet différent prétendent que l’objet de leur amour est la vérité ; et parce qu’ils détestent être trompés, ils détestent qu’on les convainque qu’ils se trompent. C’est pourquoi ils haïssent la vérité, par amour de ce qu’ils croient être la vérité. Ils l’aiment quand elle resplendit, ils la haïssent quand elle contredit. » (Confessions 10, 23, 34.)

Avec une humble et simple fermeté, soyez fidèles au magistère de l’Église sur un point d’une importance aussi décisive pour les destinées de l’homme.

4. Il existe une vraie difficulté à la réconciliation de la conscience humaine des époux avec le Dieu de la vérité et de l’amour ; elle est d’un tout autre genre que celle que nous venons d’indiquer.

La réconciliation ne se produit pas si les époux savent seulement percevoir la vérité de leur amour conjugal : il est nécessaire que leur volonté réalise, fasse la vérité. La difficulté vraie est que le cœur de l’homme et de la femme est habité par la concupiscence : et la concupiscence pousse la liberté à ne pas consentir aux exigences authentiques de l’amour conjugal. Ce serait une erreur très grave que d’en conclure que la règle enseignée par l’Église est en elle-même seulement un « idéal » qui doit ensuite être adapté, proportionné, gradué, selon, dit-on, les possibilités concrètes de l’homme : selon un « équilibrage des divers biens en question ». Mais quelles sont les « possibilités concrètes de l’homme » ? Et de quel homme parle-t-on ? De l’homme dominé par la concupiscence ou bien de l’homme racheté par le Christ ? Car c’est de cela qu’il s’agit : de la réalité de la rédemption par le Christ.

Le Christ nous a rachetés ! Cela signifie : il nous a donné la possibilité de réaliser l’entière vérité de notre être ; il a libéré notre liberté de la domination de la concupiscence. Et si l’homme racheté pèche encore, cela est dû non pas à l’imperfection de l’acte rédempteur du Christ, mais à la volonté de l’homme de se soustraire à la grâce qui coule de cet acte. Le commandement de Dieu est certainement proportionné aux capacités de l’homme : mais aux capacités de l’homme auquel est donné l’Esprit-Saint ; de l’homme qui, s’il est tombe dans le péché, peut toujours obtenir le pardon et jouir de la présence de l’Esprit.

La réconciliation de la conscience humaine des époux avec le Dieu de la vérité et de l’amour passe à travers la rémission des péchés : à travers l’humble reconnaissance de ce que, pour ainsi dire, nous ne nous sommes pas conformes et mesurés à la vérité et à ses exigences, et non pas à travers l’orgueilleuse réduction de la vérité et de ses exigences à ce que nous avons décidé être vrai et bon. Notre liberté consiste à être serviteurs de la vérité. Comme nous l’avons lu hier dans la liturgie des Heures : « Celui qui se montre ton meilleur serviteur n’est pas celui qui prétend entendre de toi ce qu’il veut, mais plutôt celui qui veut ce qu’il a entendu de toi. » (Saint Augustin, Confessions, 10, 26, 37.)

Notre charité pastorale envers les époux consiste à être toujours disponible pour leur offrir le pardon de leurs péchés, à travers le sacrement de pénitence et non à diminuer à leurs yeux la grandeur et la dignité de leur amour conjugal.

5. « Ouvrons toujours plus grands les yeux — le regard de l’âme — pour mieux comprendre ce que signifie remettre les péchés et réconcilier les consciences humaines avec Dieu infiniment saint, avec le Dieu de la vérité et de l’amour. »

Les époux ont besoin de ce regard plus profond de notre âme sacerdotale, toute l’Église en a besoin. Pour que les époux, pour que l’Église tout entière louent le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ et ne soient jamais rassasiés de la contemplation de cet amour et de cette vérité par lesquels vous réconciliez la conscience humaine des époux.

En invoquant sur votre ministère l’effusion réconfortante de dons abondants de sagesse et de charité, je vous donne de tout cœur ma Bénédiction apostolique.

 

 

 

 

 

 

 


11 juillet 1984 - Audience Générale
   1. Les réflexions que nous avons faites jusqu'à présent sur l'amour humain dans le plan divin demeureraient en quelque sorte incomplètes si nous ne cherchions pas à en voir l'application concrète dans le cadre de la morale conjugale et familiale. Nous allons faire ce dernier pas qui nous mènera à la conclusion de notre désormais long chemin, dans le sillage d'une importante déclaration du récent Magistère : l'Encyclique Humanae vitae que le Pape Paul VI a publiée en juillet 1968. Nous relirons cet important document à la lumière des résultats que nous avons obtenus en examinant le dessein divin initial et les paroles du Christ qui y renvoient
       2. « L'Église enseigne que tout acte matrimonial doit rester ouvert à la transmission de la vie... » (HV n. 11.) « Cette doctrine, plusieurs fois exposée par le Magistère, est fondée sur le lien indissoluble que Dieu a voulu et que l'homme ne peut rompre de son initiative entre les deux significations de l'acte conjugal : union et procréation. » (Humanae vitae, n. 12.)
       3. Les considérations que je m'apprête à faire regardent particulièrement le passage de l'encyclique Humanae vitae qui traite des « deux significations de l'acte conjugal » et de leur « lien indissoluble ». Je n'entends pas présenter un commentaire au sujet de toute l'encyclique, mais plutôt en expliquer et approfondir un passage. Au point de vue de la morale chrétienne contenue dans cette encyclique, cet extrait a une signification centrale. Il constitue en même temps un élément qui est en rapport très étroit avec nos réflexions précédentes sur le mariage dans la dimension du signe (sacramentel). Et comme - ainsi que je l'ai dit - c'est un passage central de l'encyclique, il est évident qu'il se trouve profondément inséré dans toute sa structure : son analyse doit donc porter sur les différents éléments composant cette structure, même si l'on n'a pas l'intention de commenter le texte tout entier.
       4. Dans mes réflexions sur le signe sacramentel, j'ai dit à plusieurs reprises que celui-ci est basé sur « le langage du corps », relu dans la vérité. Il s'agit d'une vérité affirmée une première fois au début du mariage quand les nouveaux époux, se promettant l'un à l'autre « d'être toujours fidèles, de s'aimer et de s'honorer tous les jours de leur vie », deviennent ministres du mariage comme sacrement de l'Église. Puis, il s'agit d'une vérité qui, peut-on dire, est sans cesse affirmée à nouveau. En effet, vivant dans le mariage « jusqu'à la mort », l'homme et la femme reproposent continuellement, en un certain sens, ce signe que le jour de leurs noces ils se sont donné eux-mêmes grâce à la liturgie du sacrement. Les paroles de l'encyclique de Paul VI que nous avons citées concernent ce moment de la vie des époux où tous deux, en s'unissant dans l'acte conjugal, deviennent, selon l'expression biblique « une seule chair » (Gn 2, 24). Précisément dans ce moment si riche de signification, il est particulièrement important de réexaminer « le langage du corps » dans la vérité. Cette lecture est une condition indispensable pour agir dans la vérité, c'est-à-dire pour se comporter conformément à la valeur et à la norme morale.
       5. Non seulement l'encyclique nous rappelle cette norme, mais elle cherche aussi à en donner le fondement adéquat. Pour mieux éclairer ce « lien indissoluble » que Dieu a voulu entre les deux significations de l'acte conjugal », Paul VI écrit dans la phrase suivante : « ... par sa structure intime, l'acte conjugal, en même temps qu'il unit profondément les époux, les rend aptes à la génération de nouvelles vies, selon les lois inscrites dans l'être même de l'homme et de la femme ». (Humanae vitae, n. 12.). Observons que, dans la phrase précédente, le texte qui vient d'être cité traite surtout de la « signification » et, dans la phrase suivante, de la « structure intime » (c'est-à-dire de la nature) du rapport conjugal. Définissant cette « structure intime », le texte se réfère « aux lois inscrites dans l'être même de l'homme et de la femme ». Le passage de la phrase qui exprime la norme morale à la phrase qui l'explique et la motive est particulièrement significatif. L'encyclique induit à chercher le fondement de la norme qui détermine la moralité des actions de l'homme et de la femme dans l'acte conjugal, dans la nature de cet acte même et encore plus profondément dans la nature des sujets mêmes qui agissent.
    6. De cette manière, la « structure intime » (c'est-à-dire la nature) de l'acte conjugal constitue la base nécessaire pour une lecture et une découverte adéquates des significations qui doivent se transférer dans la conscience et dans les décisions des personnes qui agissent; elle constitue également la base nécessaire pour établir le rapport adéquat de ses significations, c'est-à-dire leur indissolubilité. Parce que en même temps « l'acte conjugal unit profondément les époux » - pour un temps - et, en même temps, « les rend aptes à la génération de nouvelles vies », et que l'un et l'autre adviennent « en raison de sa structure intime », il en résulte que la personne humaine « doit » (par besoin propre de la raison, la nécessité logique) considérer en même temps les « deux significations de l'acte conjugal ». Ici, il ne s'agit de rien d'autre que de lire dans la vérité le « langage du corps », comme je l'ai dit plusieurs fois au cours des précédentes lectures bibliques. La norme morale que l'Église ne cesse d'enseigner en cette matière et que Paul VI rappelle et reconfirme dans son encyclique découle de la lecture du « langage du corps » dans la vérité. Il s'agit ici de la vérité, d'abord dans sa dimension ontologique (« structure intime »); ensuite et par conséquent, de sa dimension subjective et psychologique (« signification »). Le texte de l'encyclique souligne que, dans le cas en question, il s'agit d'une norme de la loi naturelle.

 

 

 

 

 


18 juillet 1984 - Audience Générale
     1. On lit dans l'Encyclique Humanæ Vitæ : « Quand elle rappelle les hommes à l'observance des normes de la loi naturelle interprétée par sa doctrine constante, l'Église enseigne que n'importe quel acte conjugal doit rester de lui-même ouvert à la transmission de la vie. » (Humanæ Vitæ, 11.). Ce texte considère en même temps et met même en relief la dimension subjective et psychologique quand il fait état de « la signification » ou, plus exactement, des « deux significations de l'acte conjugal ». La « signification » naît dans la conscience avec la relecture de la vérité (ontologique) de l'objet. Par cette relecture, la vérité (ontologique) entre pour ainsi dire dans la dimension cognitive : subjective et psychologique. L'encyclique Humanæ Vitæ semble attirer particulièrement l'attention sur cette dernière dimension. Ceci est également confirmé indirectement, entre autres, par la phrase suivante : « Nous pensons que les hommes de notre époque sont particulièrement en mesure de saisir le caractère profondément raisonnable et humain de ce principe fondamental. » (12.)
     2. Ce « caractère raisonnable » ne regarde pas seulement la vérité dans sa dimension ontologique ou ce qui correspond à la structure réelle de l'acte conjugal. Il regarde également cette même vérité dans sa dimension subjective et psychologique, c'est-à-dire la correcte compréhension de la structure intime de l'acte conjugal, c'est-à-dire la relecture adéquate des significations qui correspondent à cette structure et de leur connexion inséparable en vue d'une conduite moralement droite. C'est précisément en ceci que consistent la norme morale et, par conséquent, la régularité des actes humains dans le domaine de la sexualité. Nous pouvons dire, en ce sens, que la norme s'identifie avec la relecture dans la vérité du « langage du corps ».
     3. L'Encyclique Humanæ Vitæ contient la norme morale et sa motivation ou, tout au moins, un approfondissement de ce qui constitue la motivation de la norme. Du reste, comme la norme qui exprime la valeur morale a un caractère d'obligation, il en résulte que les actes conformes à la norme sont moralement droits, les actes contraires sont, à l'inverse, intrinsèquement illicites. L'auteur de l'encyclique souligne qu'une telle norme appartient à la « loi naturelle », c'est-à-dire qu'elle est conforme à la raison comme telle. L'Église enseigne cette norme bien qu'elle ne soit pas exprimée formellement (c'est-à-dire littéralement) dans les Saintes Écritures ; elle le fait dans la conviction que l'interprétation de la loi naturelle est de la compétence du magistère. Nous pouvons toutefois en dire plus. Même si la norme morale, telle qu'elle est formulée dans l'encyclique Humanæ Vitæ, ne se trouve pas littéralement dans la Sainte Écriture, néanmoins, du fait qu'elle est contenue dans la Tradition et - comme l'a écrit le Pape Paul VI - qu'elle a été « maintes fois exposée aux fidèles par le magistère » (Humanæ Vitæ, 12), il résulte que cette norme correspond à l'ensemble de la doctrine révélée contenue dans les sources bibliques (cf. ibid, n. 4).
     4. Ici, il s'agit non seulement de l'ensemble de la doctrine morale contenue dans la Sainte Écriture, de ses prémisses essentielles et du caractère général de son contenu, mais également de ce complexe plus vaste auquel nous avons déjà consacré de nombreuses analyses en traitant de la « théologie du corps ». C'est précisément avec un si vaste complexe comme toile de fond qu'il devient évident que la norme morale précitée appartient non seulement à la loi morale naturelle, mais aussi à l'ordre moral que Dieu a révélé : de ce point de vue également, elle ne pourrait être différente mais seulement et uniquement telle que la transmettent la tradition et le magistère et, de nos jours, l'encyclique Humanæ Vitæ, comme document contemporain du magistère. Paul VI écrit : « Nous pensons que les hommes de notre temps sont particulièrement en mesure de saisir le caractère profondément raisonnable et humain de ce principe fondamental » (ibid., 12). On peut ajouter : ils sont également en mesure de saisir son caractère profondément conforme à tout ce qui est transmis par la tradition jaillie des sources bibliques. Les bases de cette conformité sont à rechercher particulièrement dans l'anthropologie biblique. D'autre part, on connaît la signification de l'anthropologie pour l'éthique, c'est-à-dire pour la doctrine morale. Il semble parfaitement raisonnable de chercher précisément dans la « théologie du corps » le fondement de la vérité de la norme qui concerne des problèmes d'importance si fondamentale ayant trait à l'homme en tant que corps : « Les deux ne seront qu'une seule chair. » (Gn 2, 24.)
     5. La norme de l'Encyclique Humanæ Vitæ regarde tous les hommes du fait qu'elle est une norme de la loi naturelle et qu'elle se base sur la conformité avec la raison humaine (lorsque, bien entendu, celle-ci cherche la Vérité). A plus forte raison concerne-t-elle tous les fidèles, membres de l'Église, étant donné que le caractère raisonnable de cette norme trouve indirectement une confirmation et un solide soutien dans l'ensemble de la « théologie du corps ». C'est en nous plaçant à ce point de vue que, dans nos précédentes analyses, nous avons parlé de l' « éthos » de la rédemption du corps. La norme de la loi naturelle, basée sur cet « éthos », trouve non seulement une nouvelle expression mais aussi un plein fondement anthropologique et éthique, soit dans les paroles de l'Évangile, soit dans l'action purificatrice et corroborante de l'Esprit. Toutes les raisons existent pour que chaque chrétien et en particulier chaque théologien relise et comprenne toujours plus profondément dans ce contexte intégral la doctrine morale de l'encyclique. Les réflexions que nous présentons ici depuis longtemps constituent précisément une tentative d'une telle relecture.

 

 

 

 

 

 

 


25 juillet 1984 - Audience Générale
     1. Nous reprenons les réflexions qui visent à rattacher l'encyclique Humanæ vitæ à la théologie du corps dans son ensemble. L'auteur de l'encyclique ne se limite pas à rappeler la norme morale qui concerne la convivance conjugale et à la reconfirmer face aux nouvelles circonstances. Quand, dans l'exercice de son magistère authentique, Paul VI s'est prononcé dans son encyclique (1968), il avait sous les yeux l'énoncé autorisé du Concile Vatican II contenu dans la Constitution Gaudium et Spes (1965). Non seulement l'encyclique suit la ligne de l'enseignement conciliaire, mais elle constitue également le développement et l'achèvement des problèmes qu'il contient, particulièrement en ce qui concerne le problème de « l'accord de l'amour humain avec le respect de la vie ». A ce sujet, nous lisons dans Gaudium et Spes : « L'Église rappelle qu'il ne peut y avoir de véritable contradiction entre les lois divines qui régissent la transmission de la vie et celles qui favorisent l'authentique amour conjugal. » (n. 51.)
      2. La Constitution pastorale de Vatican II exclut n'importe quelle « véritable contradiction » dans l'ordre normatif ; ce que Paul VI confirme de son côté en cherchant en même temps à éclairer cette « non-contradiction » et, de cette manière, à motiver sa propre norme morale, en démontrant sa conformité avec la raison. Toutefois, Humanæ vitæ parle moins de la « non-contradiction » dans l'ordre normatif que de la « connexion inséparable » entre la transmission de la vie et l'authentique amour conjugal, du point de vue des « deux significations de l'acte conjugal : la signification unitive et la signification procréatrice » (Humanæ vitæ, n. 12) que nous avons déjà traitées.
     3. On pourrait s'arrêter longuement sur l'analyse de la norme elle-même; mais le caractère de chacun des deux documents nous entraîne plutôt, au moins indirectement, à des réflexions pastorales. En effet, Gaudium et Spes est une Constitution pastorale et l'encyclique de Paul VI tend, avec sa valeur doctrinale, à avoir la même orientation. Elle veut, en effet, répondre aux interrogations de l'homme contemporain. Ces interrogations sont de caractère démographique et, par conséquent, de caractère social, économique et politique, en relation avec la croissance de la population sur le globe terrestre. Ce sont des interrogations qui partent du domaine des sciences particulières et avec elles vont de pair les interrogations des moralistes contemporains (théologiens-moralistes). Ce sont avant tout les interrogations des époux, qui se trouvent déjà au centre de l'attention de la Constitution conciliaire et que l'encyclique reprend avec toute la précision désirable. Nous y lisons, en effet : « Étant donné les conditions de la vie actuelle et considérant la signification que les relations conjugales ont pour l'harmonie entre les époux et pour leur mutuelle fidélité, une révision des normes éthiques jusqu'à présent en vigueur ne serait-elle pas indiquée, surtout si l'on considère qu’elles ne peuvent être observées sans sacrifices, parfois héroïques ? » (Humanæ vitæ, 3.)
     4. Cette formulation montre à l'évidence avec quelle sollicitude l'auteur de l'encyclique cherche à affronter dans toute leur portée les interrogations de l'homme contemporain. L'importance de ces interrogations suppose une réponse proportionnellement pondérée et profonde. Si donc, d'une part, il est juste de s'attendre à ce que la norme soit traitée de manière incisive, il est également juste de s'attendre à ce qu'un non moindre poids soit donné aux arguments pastoraux concernant plus directement la vie des hommes concrets, de ceux précisément qui posent les questions que nous avons mentionnées au début. Ces hommes, Paul VI les a toujours eus sous les yeux. C'est ce qu'exprime, entre autres, le passage suivant d'Humanæ vitæ : « La doctrine de l'Église sur la régulation des naissances, qui proclame la loi divine, pourra sembler à certains difficile ou même impossible à observer. Et certes, comme toutes les grandes et bénéfiques réalités, elle requiert un sérieux engagement et de nombreux efforts, individuels, familiaux et sociaux. Et même elle serait irréalisable sans l'aide de Dieu qui soutient et corrobore la bonne volonté des hommes. Mais à qui réfléchit bien, ces efforts ne manqueront pas de se révéler ennoblissants pour l'homme et bénéfiques pour la société humaine. » (Humanæ vitæ, n. 20.)
     5. A ce point-là, on ne parle plus de la « non-contradiction normative », mais de la « possibilité de l'observance de la loi divine », c'est-à-dire d'un sujet, au moins indirectement, pastoral. Le fait que la loi doit être d'une « possible » réalisation appartient à la nature même de la loi et se trouve donc contenu dans le cadre de la « non-contradiction normative ». Toutefois, la « possibilité » de la norme - comprise comme réalisable - appartient également au domaine pratique et pastoral. C'est précisément à ce point de vue que se place Paul VI dans le texte précité.
     6. On peut ici ajouter une considération : le fait que tout l'arrière-plan biblique, dénommé « théologie du corps » nous offre - même indirectement - la confirmation de la vérité de la norme morale contenue dans Humanae Vitae, nous prépare à considérer plus à fond les aspects pratiques et pastoraux du problème dans son ensemble. Les prémisses et principes généraux de la « théologie du corps » n'étaient-ils pas toutes et tous puisés dans les réponses que le Christ a données aux questions de ses interlocuteurs concrets ? Et les textes de Paul - comme par exemple ceux de l'Épître aux Corinthiens - ne forment-ils pas un petit manuel concernant les problèmes de la vie morale des premiers disciples du Christ ? Dans ces textes nous trouvons à coup sûr cette « règle de compréhension » qui semble tellement indispensable pour faire face aux problèmes dont traite Humanæ vitæ, règle qui est présente dans cette encyclique. Ceux qui estiment que le Concile Vatican II et l'encyclique de Paul VI ne tiennent pas suffisamment compte des difficultés présentes dans la vie concrète ne comprennent pas les préoccupations pastorales qui furent à l'origine de ces documents. « Préoccupation pastorale » signifie recherche du vrai bien de l'homme, promotion des valeurs que Dieu a imprimées dans sa personne ; elle signifie donc réalisation de cette « règle de compréhension » qui vise à découvrir toujours plus clairement le dessein de Dieu au sujet de l'amour humain, dans la certitude que l'unique et vrai bien de la personne humaine consiste dans la réalisation de ce dessein divin. On peut dire que c'est précisément au nom de la « règle de compréhension » précitée que le Concile a posé la question de l' « accord de l'amour conjugal avec le respect de la vie » (Gaudium et spes, n. 51); et, par la suite, l'encyclique Humanæ vitæ a non seulement rappelé les normes morales d'application obligatoires dans ce domaine, mais, en outre, elle s'occupe largement du problème de « la possibilité de l'observance de la loi divine ». Les présentes réflexions sur le caractère du document Humanæ vitæ nous préparent à considérer par la suite le problème de la « paternité responsable ».

 

 

 

 

 

 

 


1er août 1984 - Audience Générale
     1. Pour aujourd'hui nous avons choisi le thème de la "paternité et maternité responsables", à la lumière de la constitution Gaudium et Spes et de l'encyclique Humanae Vitae.
Dans l'examen du sujet, la constitution conciliaire se contente de rappeler les principes fondamentaux; par contre, le document pontifical va au-delà, leur donnant un contenu plus concret.
Voici ce que dit le texte conciliaire: " (...) Lorsqu’il s’agit de mettre en accord l’amour conjugal avec la transmission responsable de la vie, la moralité du comportement ne dépend donc pas de la seule sincérité de l’intention et de la seule appréciation des motifs ; mais elle doit être déterminée selon des critères objectifs, tirés de la nature même de la personne et de ses actes, critères qui respectent, dans un contexte d’amour véritable, la signification totale d’une donation réciproque et d’une procréation à la mesure de l’homme ; chose impossible si la vertu de chasteté conjugale n’est pas pratiquée d’un cœur loyal" GS 51 (par. 3)
Et le Concile ajoute: "En ce qui concerne la régulation des naissances, il n'est pas permis aux enfants de l'Eglise, fidèles à ses principes, d'emprunter des voies que le Magistère désapprouve" GS 51 (par. 3)
     2. Avant le passage cité, GS 50, le Concile enseigne que les époux doivent "s'acquitter de leur charge en toute responsabilité humaine et chrétienne et dans un respect plein de docilité à l'égard de Dieu" GS 50 (par. 2) Ce qui veut dire que "d'un commun accord et d'un commun effort, ils se formeront un jugement droit: ils prendront en considération à la fois et leur bien et celui des enfants nés ou à naître; ils discerneront les conditions aussi bien matérielles que spirituelles de leur époque et de leur situation; ils tiendront compte enfin du bien de la communauté familiale, des besoins de la société temporelle et de l'église elle- même" GS 50 (par. 2)
Suivent les paroles particulièrement importantes pour déterminer avec une plus grande précision le caractère moral de la "paternité et maternité responsables". Nous lisons en effet: "Ce jugement, ce sont en dernier ressort les époux eux-mêmes qui doivent l'arrêter devant Dieu" GS 50 (par. 2). Et poursuivant: "Dans leur manière d'agir, que les époux chrétiens sachent bien qu'ils ont l'obligation de toujours suivre leur conscience, une conscience qui doit se conformer à la loi divine; et qu'ils demeurent dociles au magistère de l'Eglise, interprète autorisé de cette loi à la lumière de l'Evangile. Cette loi divine manifeste la pleine signification de l'amour conjugal, elle le protège et le conduit à son achèvement vraiment humain" GS 50 (par. 2)
     3. En se contentant de rappeler les conditions nécessaires de la "paternité et maternité responsables", la constitution conciliaire les a relevées de manière claire et nette, précisant les éléments qui constituent cette paternité et maternité, c'est-à-dire le jugement mûr de la conscience personnelle conforme à la loi divine, authentiquement interprétée par la magistère de l'Eglise.
     4. L'encyclique Humanae Vitae, se basant sur les mêmes principes et conditions, et allant plus loin, présente les indications concrètes. On s'en rend immédiatement compte devant la manière de définir la "paternité responsable" HV,10.  Paul VI s'efforce de préciser ce concept en recourant à ses différents aspects et en éliminant d'avance sa réduction à un des aspects "partiels" comme le font ceux qui parlent uniquement de contrôle des naissances. En effet, dès le début, c'est une conception intégrale de l'homme HV7 et de l'amour conjugal HV8-9 qui guide Paul VI dans son argumentation.
     5. On peut, pour parler de responsabilité dans l'exercice de la fonction paternelle et maternelle, la considérer sous divers aspects. C'est ainsi que Paul VI écrit: "Par rapport aux processus biologiques, paternité responsable signifie connaissance et respect de leurs fonctions: l'intelligence découvre dans le pouvoir de donner la vie les lois biologiques qui font partie de la personne humaine" HV10. Puis, quand il s'agit de la dimension psychologique des "tendances de l'instinct et des passions, la paternité responsable signifie la nécessaire maîtrise que la raison et la volonté doivent exercer sur elles" HV10.
Considérant les aspects interpersonnels susdits et y joignant "les conditions économiques et sociales" il faut reconnaître que "la paternité responsable s'exerce en vertu soit d'une délibération pondérée et généreuse de faire croître une famille nombreuse, soit d'une décision - prise pour de graves motifs et respectueuse de la loi morale - d'éviter temporairement et également pour un temps indéterminé une nouvelle naissance" HV10.
Il en résulte que, dans le concept de "paternité responsable" est contenue la décision non seulement d'éviter "une nouvelle naissance" mais aussi de faire croître la famille selon les critères de prudence. Sous cette lumière, dans laquelle il faut examiner et résoudre la question de la "paternité responsable", reste toujours fondamental "l'ordre moral objectif que Dieu a établi et dont la conscience droite est toujours la fidèle interprète"HV10
     6. C'est dans ce cadre que les époux doivent accomplir "leurs propres devoirs envers Dieu, envers eux-mêmes, envers la famille et envers la société, selon une juste hiérarchie des valeurs" HV10. Il ne saurait donc être question ici "d'agir selon son propre arbitre". Au contraire, les époux doivent "conformer leur conduite aux intentions créatrices de Dieu" HV10.
Partant de ce principe, l'encyclique base son argumentation sur la "structure intime de l'acte conjugal" et sur la "connexion inséparable des deux significations de l'acte conjugal" HV12; nous en avons déjà fait état précédemment. Le principe relatif à la morale conjugale est donc la fidélité au plan divin manifesté dans "l'intime structure de l'acte conjugal" et dans "la connexion inséparable des deux significations de l'acte conjugal".

 

 

 

 

 

 

 


8 août 1984 - Audience Générale
     1. Nous avons dit précédemment que le principe de la morale enseignée par l'Eglise (Concile Vatican II, Paul VI) est le critère de la fidélité sur le plan divin.
     Conformément à ce principe, l'encyclique Humane Vitae établit une rigoureuse distinction entre ce qui constitue la méthode moralement illicite de régulation des naissances ou, avec plus de précisions, de la régulation de la fertilité et de la méthode droite.
En premier lieu sont moralement illicites "l'interruption directe du processus de génération déjà engagé" (avortement) HV14, la stérilisation directe et "toute action qui, soit en prévision de l'acte conjugal, soit dans un déroulement, soit dans le développement de ses conséquences naturelles, se proposerait comme but ou comme moyen de rendre impossible la procréation" HV14; donc, tous les moyens contraceptifs. Par contre est moralement licite "le recours aux périodes infécondes" HV16 : "Si donc il existe, pour espacer les naissances, de sérieux motifs dus soit aux conditions physiques ou psychologiques des conjoints soit à des circonstances extérieures, l'Eglise enseigne qu'il est alors permis de tenir compte des rythmes naturels inhérents aux fonctions de la génération pour user du mariage dans les seules périodes infécondes et régler ainsi la natalité sans porter atteinte aux principes moraux (...)" HV16
     2. L'encyclique souligne tout particulièrement qu' "il existe une différence essentielle entre les deux cas" HV 16, une différence de nature éthique: "Dans le premier cas, les conjoints usent légitimement d'une disposition naturelle; dans l'autre cas, ils empêchent le déroulement des processus naturels" HV16.
     n découlent deux actions ayant une qualification éthique différente, ou même indirectement opposée: la régulation naturelle de la fertilité est moralement droite, la contraception n'est pas moralement droite. Cette différence essentielle entre les deux actions (manières d'agir) concerne leur qualification éthique intrinsèque, bien que, comme l'affirme mon prédécesseur Paul VI, "dans l'un et l'autre cas les conjoints s'accordent dans la volonté positive d'éviter l'enfant pour des raisons plausibles" et - va-t-il même jusqu'à écrire - "en cherchant à avoir l'assurance qu'il ne viendra pas" HV16. Par ces paroles, le document admet que, même si ceux qui ont recours à des pratiques anticonceptionnelles peuvent être inspirés par des "raisons plausibles" cela ne change cependant pas la qualification morale qui se fonde sur la structure de l'acte conjugal en tant que tel.
     3. A ce point, on pourrait observer que les conjoints qui recourent à la régulation naturelle de la fertilité pourraient être privés des raisons valides dont il a été question précédemment; mais cela constitue un problème éthique à part, quand il s'agit du sens moral de la "paternité et maternité responsables".
     Supposant que les raisons pour décider de ne pas procréer soient moralement droites, il reste le problème moral de la manière d'agir dans un tel cas, et cela s'exprime dans un acte qui - selon la doctrine de l'Eglise transmise par l'encyclique - possède une qualification morale intrinsèque positive ou négative. La première, positive, correspond à la régulation "naturelle" de la fertilité; la seconde, négative, correspond à la "contraception artificielle".
     4. Toute l'argumentation précédente se trouve résumée dans l'exposé de la doctrine contenue dans Humanae Vitae, qui en souligne le caractère à la fois normatif et pastoral. Quant à la dimension normative, il s'agit de préciser et d'éclairer les principes moraux de l'agir; pour la dimension pastorale, il s'agit surtout de définir la possibilité d'agir selon ces principes ("possibilité de l'observance de la loi divine" HV20
     Nous devons insister sur l'interprétation du contenu de l'encyclique. Dans ce but, il importe de considérer ce contenu, cet ensemble normatif et pastoral, à la lumière de la théologie du corps telle qu'elle ressort de l'analyse des textes bibliques.
     5. La théologie du corps n'est pas tellement une théorie, mais plutôt une pédagogie du corps, spécifique, évangélique et chrétienne. Cela découle du caractère de la Bible et surtout de l'Evangile qui, en tant que message salvifique, révèle ce qui est le vrai bien de l'homme, afin de modeler - en vue de ce bien - la vie sur la terre dans la perspective de l'espérance du monde futur.
     L'encyclique Humanae Vitae, suivant cette ligne, répond aux exigences du vrai bien de l'homme en tant que personne, comme être masculin et féminin; elle répond aussi à ce qui correspond à la dignité de l'homme et de la femme, quand il s'agit de l'important problème de la transmission de la vie dans la coexistence conjugale.
     A ce problème nous consacrerons prochainement de nouvelles réflexions.

 

 

 

 

 

 

 


22 août 1984 - Audience Générale
     1. Quelle est l'essence de la doctrine de l'Eglise sur la transmission de la vie dans la communauté conjugale, l'essence de la doctrine rappelée par la Constitution pastorale du Concile Gaudium et Spes et par l'encyclique Humanae Vitae du pape Paul VI
Tout le problème est de garder un juste rapport entre ce qui est défini comme "la maîtrise (...) sur les forces de la nature" HV2 et la "parfaite possession de soi-même" HV21 indispensable à la personne humaine. L'homme contemporain manifeste une tendance à transposer les méthodes propres au premier domaine dans le second. "L'homme a accompli d'étonnants progrès dans la maîtrise et l'organisation rationnelle des forces de la nature - lisons-nous dans cette encyclique - au point qu'il tend à étendre cette maîtrise à son être lui-même pris dans son ensemble: au corps, à la vie psychique, à la vie sociale et jusqu'aux lois qui règlent la transmission de la vie" HV2.
Une telle extension des moyens "de maîtrise... des forces de la nature" est une menace pour la personne humaine pour laquelle la méthode de la "possession de soi-même" est et demeure spécifique. Cette possession de soi-même, en effet, correspond à la constitution fondamentale de la personne: c'est précisément une méthode "naturelle". Au contraire, la transposition des "moyens artificiels" viole la dimension constitutive de la personne, elle prive l'homme de la subjectivité qui lui est propre et fait de lui un objet à manipuler.
     2. Le corps humain n'est pas seulement le champ de réaction de caractère sexuel, mais il est en même temps le moyen pour l'homme de s'exprimer totalement, d'exprimer sa personne à travers le langage du corps. Ce langage a une importante signification interpersonnelle, surtout lorsqu'il s'agit des rapports entre l'homme et la femme. De plus, nos analyses précédentes montrent qu'en ce cas le langage du corps doit exprimer, à un niveau donné, la vérité du sacrement. Car lorsqu'il participe au plan d'amour éternel ("Sacramentum absconditum in Deo"), ce langage du corps devient pour ainsi dire un "prophétisme du corps".
     On peut dire que l'encyclique Humanae Vitae va jusqu'aux conséquences les plus extrêmes, non seulement logiques et morales mais aussi pratiques et pastorales, de cette vérité sur le corps humain dans sa masculinité et sa féminité.
     3. L'unité entre ces deux aspects du problème - la dimension sacramentelle (ou théologique) et la dimension personnaliste - correspond à la "révélation du corps" dans son ensemble. De là dérive également le lien entre une vision strictement théologique et une vision éthique se référant à la "loi naturelle".
     Car le sujet de la loi naturelle est l'homme, non seulement sous l'aspect "naturel" de son existence , mais aussi dans la vérité intégrale de sa subjectivité personnelle. Dans la Révélation, il s'y manifeste, comme homme et femme, dans sa pleine vocation temporelle et eschatologique. Il est appelé par Dieu à être le témoin et l'interprète de l'éternel dessein de l'amour en devenant le ministre du sacrement qui "dès le commencement" est réalisé par le signe de "l'union de la chair".
     4. En tant que ministres d'un sacrement qui se réalise à travers le consentement mutuel et se perfectionne dans l'union conjugale, l'homme et la femme sont appelés à exprimer ce mystérieux langage de leur corps dans toute la vérité qui lui est propre. C'est à travers les gestes et les réactions, à travers tout le dynamisme de la tension et de la jouissance qui se conditionnent réciproquement - et dont l'origine directe est le corps dans sa masculinité et dans sa féminité, le corps dans son action et dans son interaction -, c'est à travers tout cela que l'homme ,la personne, s'exprime.
     L'homme et la femme se livrent, à travers ce langage du corps, au dialogue qui selon Gn 2,24-25 - commença au jour de la création. Et c'est justement au niveau de ce langage du corps - qui est quelque chose de plus que la seule réaction sexuelle et qui, en tant que langage authentique de la personne, est soumis aux exigences de la vérité, c'est-à-dire aux normes morales objectives - que l'homme et la femme s'expriment mutuellement eux-mêmes de la façon la plus totale et la plus profonde, dans la mesure où cette dimension somatique elle-même de la masculinité et de la féminité le leur permet. L'homme et la femme s'expriment eux-mêmes à la mesure de la vérité de leur personne.
     5. L'homme est justement une personne parce qu'il est maître de lui-même et parce qu'il se domine lui-même. Car c'est dans la mesure où il est maître de lui-même qu'il peut "se donner" à l'autre. Et c'est cette dimension - la dimension de la liberté du don - qui est essentielle et décisive dans ce langage du corps à travers lequel l'homme et la femme s'expriment mutuellement dans l'union conjugale. Etant donné qu'il s'agit là d'une communion entre des personnes, ce langage du corps doit être jugé d'après le critère de la vérité. C'est justement ce critère que rappelle l'encyclique Humanae Vitae, comme le confirment les passages cités plus haut.
     6. D’après le critère de cette vérité qui doit s’exprimer dans ce langage du corps, l’acte conjugal signifie non seulement l’amour mais sa fécondité potentielle ; il ne peut donc pas être privé de son sens plénier et juste par des interventions artificielles. Dans l'acte conjugal, il n'est pas licite de séparer artificiellement les deux significations, l'union et la procréation, car l'une et l'autre relèvent de la vérité intime de l'acte conjugal. Elles se réalisent ensemble et, d'une certaine façon, l'une par l'autre. C'est ce qu'enseigne l'encyclique HV12. Par conséquent, dans ces conditions, l'acte conjugal qui serait privé de sa vérité intérieure parce que privé artificiellement de sa capacité de procréation cesserait aussi d'être un acte d'amour.
     7. On peut dire que, dans le cas d'une séparation artificielle de ces deux significations, il s'accomplit dans l'ace conjugal une véritable union corporelle, mais celle-ci ne correspond pas à la vérité intérieure et à la dignité de la communion personnelle: communio personarum. Une telle communion exige en effet que le langage du corps soit exprimé dans la réciprocité, dans toute la vérité de ce qu'il signifie. Si cette vérité vient à manquer, on ne saurait parler ni de la vérité dans la maîtrise de soi, ni de vérité dans le don réciproque et dans l'accueil réciproque de soi de la part de la personne. Une telle violation dans l'ordre intérieur de la communion conjugale, dont les racines plongent dans l'ordre de la personne elle-même, constitue le mal essentiel de l'acte contraceptif.
     8. Cette interprétation de la doctrine morale qui est exposée dans l'encyclique Humanae Vitae se situe sur le fond plus vaste de réflexions concernant la théologie du corps. Les réflexions sur le "signe" en relation avec le mariage vu comme sacrement, sont spécialement importantes pour cette interprétation. Et l'essence de la violation qui trouble l'ordre intérieur de l'acte conjugal ne peut être entendue convenablement au niveau théologique, si l'on ne réfléchit pas aussi sur le thème de la "concupiscence de la chair".

 

 

 

 

 

 

 


29 août 1984 - Audience Générale
     1. L'encyclique Humanae Vitae, au moment même où elle démontre que la contraception est un mal moral, approuve pleinement la régulation des naissances et, en ce sens, approuve la paternité et la maternité responsables. Il faut exclure ici que l'on puisse qualifier de "responsable" du point de vue éthique la procréation dans laquelle on recourt à la contraception pour procéder à la régulation des naissances. Le vrai concept de "paternité et maternité responsables" est au contraire intimement lié à une régulation des naissances qui soit honnête sur le plan de l'éthique.
     2. A ce propos, nous lisons dans l'encyclique: "Une pratique honnête de régulation de la natalité exige avant tout des époux qu'ils acquièrent et possèdent de solides convictions sur les vraies valeurs de la vie et de la famille et qu'ils tendent à acquérir une parfaite possession d'eux-mêmes. La maîtrise de l'instinct par la raison et la libre volonté impose sans nul doute une ascèse, pour que les manifestations affectives de la vie conjugale soient dûment réglées, en particulier pour l'observance de la continence périodique. Mais cette discipline, propre à la pureté des époux, bien loin de nuire à l'amour conjugal, lui confère au contraire une plus haute valeur humaine. Elle exige un effort continuel; mais grâce à son influence bienfaisante, les conjoints développent intégralement leur personnalité, en s'enrichissant de valeurs spirituelles (...)" HV21
      3.L'encyclique détaille ensuite les conséquences de ce comportement, non seulement pour les époux eux-mêmes, mais aussi pour toute la famille, entendue comme une communauté. Ce sujet devra être repris par la suite. L'encyclique souligne qu'une régulation des naissances, honnête éthiquement parlant, exige avant tout des époux un comportement familial et procréatif bien précis: elle exige qu'ils "acquièrent et possèdent de solides convictions sur les vraies valeurs de la vie et de la famille" HV21. A partir de ces prémisses, il a fallu faire une réflexion globale sur la question, comme l'a fait le Synode des Evêques de 1980 (De muneribus familiae christianae). Ensuite, la doctrine relative à ce problème particulier de la morale conjugale et familiale, dont traite l'encyclique Humanae Vitae a trouvé place dans l'optique juste qui convenait, dans le contexte global de l'exhortation apostolique Familiaris consortio. La théologie du corps, vue en particulier comme pédagogie du corps, plonge ses racines, en un certain sens, dans la théologie de la famille et, en même temps, elle y conduit. Cette pédagogie du corps,, dont la clé se trouve aujourd'hui dans l'encyclique Humanae Vitae, ne s'explique que dans le contexte complet d'une vision correcte des valeurs de la vie et de la famille.
     4. Dans le contexte dont on vient de parler, le pape Paul VI parle de la chasteté conjugale et écrit que le fait d'observer la continence périodique est une forme de maîtrise de soi dans laquelle se manifeste "la pureté des époux" HV21
Pour entreprendre maintenant une analyse plus approfondie de ce problème, et pour comprendre de que dit l'encyclique au sujet de la "continence périodique", il faut tenir compte de toute la doctrine, que nous avons étudiée, sur la pureté entendue comme vie selon l'Esprit Ga 5,25. C'est cette doctrine qui demeure en fait la vraie raison à partir de laquelle l'enseignement de Paul VI établit l'honnêteté sur le plan éthique de la régulation des naissances et de la paternité et de la maternité responsables.
     Même si la "périodicité" de la continence se fait, en ce cas, selon ce qu'on appelle les "rythmes naturels" HV16, il reste que la continence est en elle-même une attitude morale précise et permanente, c'est une vertu,, et par conséquent toute la façon d'être guidé par elle acquiert un caractère vertueux. L'encyclique souligne assez clairement qu'il ne s'agit pas ici d'une "technique" donnée mais de l'éthique, au sens propre du terme, qui signifie la moralité d'un comportement.
     L'encyclique met donc à juste titre en relief, d'une part, la nécessité de respecter dans ce comportement l'ordre établi par le Créateur et d'autre part, la nécessité d'une motivation immédiate de caractère éthique.
     5. Par rapport au premier aspect, voici ce que nous y lisons "User du don de l'amour conjugal en respectant les lois du processus de la génération, c'est reconnaître que nous ne sommes pas les maîtres des sources de la vie humaine, mais plutôt les ministres du dessein établi par le Créateur" HV 13 "La vie humaine est sacrée - comme l'a rappelé notre prédécesseur de sainte mémoire Jean XXIII dans l'encyclique Mater et Magistra - dès son origine, elle engage directement l'action créatrice de Dieu MM 196-197 HV 13. Quant à la motivation immédiate, l'encyclique demande qu'il y ait "pour espacer les naissances de sérieux motifs dus soit aux conditions physiques ou psychologiques des conjoints, soit à des circonstances extérieures (...) ... HV16.
     6. Dans le cas d'une régulation moralement droite des naissances, réalisée par la continence périodique, il s'agit évidemment de pratiquer la chasteté conjugale, c'est-à-dire d'adopter un comportement éthique précis. En langage biblique, cela veut dire vivre selon l'Esprit Ga 5,25.
     La régulation moralement droite est aussi appelée "régulation naturelle des naissances", car elle se fait en conformité avec la "loi naturelle". Par "loi naturelle" nous entendons ici l'"ordre de la nature" dans le domaine de la procréation, dans la mesure où celle-ci entre dans le cadre de la raison droite: cet ordre est l'expression du plan du Créateur sur l'homme. Et c'est justement ce que l'encyclique, et avec elle toute la tradition de la doctrine et de la pratique chrétienne, souligne d'une façon particulière: le caractère vertueux du comportement qui s'exprime dans la régulation "naturelle" des naissances est fonction non pas tant de la fidélité à une "loi naturelle" impersonnelle que plutôt à la personne du Créateur, origine et Seigneur de l'ordre qui se manifeste dans cette loi.
De ce point de vue, la réduction à la seule régularité biologique, détachée de l'"ordre de la nature" c'est-à-dire du "plan du Créateur" est une déformation de la pensée authentique de l'encyclique HV14.
     Ce document suppose certainement cette régularité biologique, elle exhorte même les personnes compétentes à l'étudier et à l'appliquer de façon encore plus approfondie, mais l'encyclique entend toujours cette régularité comme l'expression de l'"ordre de la nature", c'est-à-dire du plan providentiel du Créateur, de l'exécution fidèle duquel dépend le vrai bien de la personne humaine.

 

 

 

 

 

 


5 septembre 1984 - Audience Générale
      1. Nous avons parlé précédemment de la régulation correcte de la fertilité conformément à la doctrine contenue dans HV19 et dans l'exhortation Familiaris consortio. La qualification de "naturelle" que l'on attribue à la régulation moralement correcte de la fertilité (suivant le rythme naturel HV16 ), s'explique du fait que s'y conformer correspond à la vérité de la personne et donc à sa dignité: une dignité qui revient "naturellement" à l'homme en tant qu'être raisonnable et libre. Etre raisonnable et libre, l'homme peut et doit examiner avec perspicacité ce rythme biologique qui appartient à l'ordre naturel. Il peut et doit s'y conformer afin d'exercer cette paternité-maternité responsable qui, selon le dessein du Créateur, s'est inscrite dans l'ordre naturel de la fécondité humaine. Le concept de régulation moralement correcte de la fertilité n'est pas autre chose que la considération du langage du corps dans la vérité. Les rythmes naturels mêmes, inhérents aux fonctions de la génération, appartiennent à la vérité objective de ce langage que les personnes intéressées devraient comprendre dans son contenu pleinement objectif. Il faut tenir compte du fait que le corps parle non seulement par toute l'expression externe de la masculinité et de la féminité, mais aussi par les structures internes de l'organisme, de la réactivité somatique et psychosomatique. Tout cela doit trouver la place qui lui revient dans ce langage par lequel les conjoints dialoguent comme personnes appelées à la communion dans l'union du corps.
     2. Tous les efforts tendant à connaître de manière toujours plus précise ces rythmes naturels qui se manifestent par rapport à la procréation humaine, tous les efforts des conseillers familiaux et enfin ceux des époux intéressés eux- mêmes, ne visent pas à "biologiser" le langage du corps (à "biologiser" l'éthique comme certains l'estiment): leur but exclusif est d'assurer la vérité intégrale de ce langage du corps par lequel les époux doivent s'exprimer avec maturité face aux exigences de la paternité et de la maternité responsables.
L'encyclique Humanae Vitae souligne à plusieurs reprises que la paternité responsable est liée à un effort, à un engagement continus et qu'elle se réalise au prix d'une ascèse précise HV 21. Toutes ces expressions et d'autres semblables indiquent que dans le cas de la paternité responsable, c'est-à-dire de la régulation moralement correcte de la fertilité, il s'agit de ce qui est le véritable bien de la personne humaine et de ce qui correspond à la vraie dignité de la personne.
     3. Le recours aux périodes infécondes dans la coexistence conjugale peut devenir une source d'abus quand les époux cherchent de cette manière à éluder sans raison valable la procréation, l'abaissant au-dessous du niveau moralement juste des naissances dans leur famille. Ce juste niveau, il faut l'établir en tenant compte non seulement du bien de sa propre famille, de même que de l'état de santé et des possibilités des époux eux-mêmes, mais aussi du bien de la société, à laquelle ils appartiennent, de l'Eglise et même de l'humanité tout entière.
     L'encyclique Humanae Vitae présente la paternité responsable comme expression d'une haute valeur éthique. Elle n'est d'aucune manière orientée unilatéralement vers la limitation et, moins encore, vers l'exclusion de la progéniture; elle signifie aussi la disponibilité à accueillir une progéniture plus nombreuse. Surtout comme le dit l'encyclique Humanae Vitae, la paternité responsable réalise "un rapport plus profond avec l'ordre moral appelé objectif que Dieu a établi et dont la conscience droite est fidèle interprète" HV10.
     4. La vérité de la paternité-maternité responsable et sa mise en oeuvre sont unies à la maturité morale de la personne, et c'est ici que se manifeste bien souvent la divergence entre les éléments auxquels l'encyclique attribue explicitement la primauté et ceux auxquels l'attribue la mentalité commune.
     L'encyclique met au premier plan la dimension éthique du problème, soulignant le rôle de la vertu de tempérance correctement comprise. Dans les limites de cette dimension, il y a aussi une méthode adéquate selon laquelle agir. Suivant la manière commune de penser, il arrive souvent que la méthode, détachée de la dimension éthique qui lui est propre, soit mise en oeuvre de manière purement fonctionnelle, et même utilitaire. Si l'on sépare la méthode naturelle de sa dimension éthique, on cesse de percevoir la différence qui existe entre elle et les autres méthodes (moyens artificiels) et on arrive à en parler comme s'il s'agissait simplement d'une autre forme de contraception.
     5. Du point de vue de la doctrine authentique qu'exprime l'encyclique Humanae Vitae se révèle donc de grande importance la présentation correcte de la méthode elle-même à laquelle fait allusion ce document HV16; est surtout très important l'examen approfondi de la dimension éthique, car c'est dans ce cadre que la méthode acquiert, en tant que "naturelle", la signification de méthode droite "moralement correcte". C'est pourquoi, dans le cadre de la présente analyse, il convient de fixer l'attention principalement sur les affirmations de l'encyclique concernant le thème de la maîtrise de soi et de la continence. Sans une interprétation pénétrante de ce thème nous n'atteindrons jamais ni le noyau de la vérité morale ni le noyau de la vérité anthropologique du problème. Nous avons déjà relevé précédemment que ce problème enfonce ses racines dans la théologie du corps: c'est celle-ci (quand elle devient, comme il se doit, pédagogie du corps) qui constitue en réalité la méthode moralement droite de la régulation des naissances, entendue dans sa signification la plus profonde et la plus pleine.
     6. Caractérisant ensuite les valeurs spécifiquement morales de la régulation naturelle des naissances (c'est-à-dire droite, ou moralement correcte) l'auteur d'Humanae Vitae s'exprime en ces termes: "Cette discipline (...) apporte à la vie familiale des fruits de sérénité et de paix et facilite la solution d'autres problèmes; elle favorise l'attention envers l'autre conjoint, aide les époux à bannir l'égoïsme, ennemi du véritable amour, et elle approfondit leur sens de la responsabilité. Grâce à elle, les parents acquièrent la capacité d'une influence plus profonde et plus efficace pour l'éducation des enfants; l'enfance et la jeunesse grandissent dans la juste estime des valeurs humaines et dans le développement harmonieux de leurs facultés spirituelles et sensibles" HV21.
     7. Les phrases que nous avons citées complètent le cadre de ce que l'encyclique Humanae Vitae entend par "pratique droite de la régulation des que l'encyclique Humanae Vitae entend par "pratique droite de la régulation des naissances" HV21 Comme on le voit, celle-ci est non seulement une façon de se comporter dans un domaine déterminé, mais aussi une attitude qui se fonde sur l'intégrale maturité morale de la personne, et, en même temps, la complète.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

3 octobre 1984 - Audience Générale

1. Nous référant à la doctrine contenue dans l'encyclique Humanae Vitae, nous allons essayer de circonscrire de manière encore plus précise la vie spirituelle des époux.
Voici ces grandes paroles: "Tout en enseignant les exigences inviolables de la Loi divine, l'Eglise annonce le salut et ouvre avec les sacrements les voies de la grâce qui fait de l'homme une créature nouvelle, capable de répondre dans l'amour et dans la vraie liberté au suprême dessein de son Créateur et Sauveur et de trouver que le joug du Christ est doux.
     "Les époux chrétiens, donc, dociles à sa voix, doivent se rappeler que leur vocation chrétienne, commencée avec le baptême, s'est par la suite spécifiée et renforcée par le sacrement de mariage. Du fait de celui-ci, les époux chrétiens sont rendus plus forts et pour ainsi dire consacrés pour le fidèle accomplissement de leurs propres devoirs, pour la réalisation de leur propre vocation jusqu'à la perfection et pour leur propre témoignage chrétien face au monde. Le Seigneur leur confie la tâche de rendre visibles pour les hommes la sainteté et la douceur de la loi qui unit l'amour réciproque des époux à leur coopération à l'amour de Dieu, auteur de la vie humaine" HV25

2. En nous montrant le mal moral des manœuvres contraceptives et en délimitant en même temps un cadre aussi intéressant que possible de la pratique droite de la régulation de la fertilité, ou de la paternité et maternité responsables l'encyclique Humanae Vitae crée les conditions qui permettent de tracer les grandes lignes de la spiritualité chrétienne de la vocation et de la vie conjugales et, également, de celle des parents et de la famille.
     On peut même dire que l'encyclique présuppose l'entière tradition de cette spiritualité qui a ses racines dans les sources bibliques que nous avons déjà analysées, offrant de nouveau l'occasion de réfléchir à leur sujet et de construire une adéquate synthèse.
     Ici il convient de rappeler ce qui a été dit sur le rapport organique entre la théologie du corps et la pédagogie du corps. Cette "théologie-pédagogie", en effet, constitue déjà d'elle-même le noyau essentiel de la spiritualité conjugale. Et ceci l'indiquent également les phrases que nous venons de puiser dans l'encyclique.

3. Certes, on lirait et interpréterait faussement l'encyclique Humanae Vitae si l'on y voyait uniquement la réduction de la paternité et maternité responsables aux seuls rythmes biologiques de fécondité. L'auteur de l'encyclique désapprouve et rejette énergiquement toute forme d'interprétation réductrice (et, en ce sens, partielle) et en propose avec insistance l'intelligence intégrale. La paternité-maternité responsable, entendue intégralement, n'est autre qu'un important élément de toute la spiritualité conjugale et familiale, c'est-à-dire de cette vocation dont parle le passage précité d'Humanae Vitae quand il affirme que les époux doivent réaliser "leur propre vocation jusqu'à la perfection"HV25. C'est le sacrement du mariage qui les corrobore et pour ainsi dire les consacre pour y parvenir HV25

     A la lumière de la doctrine qu'exprime l'encyclique, il importe qu'on se rende mieux compte de cette force corroborante qui est unie à la considération sui generis du sacrement du mariage.
     Comme l'analyse des problèmes éthiques du document de Paul VI était centrée avant tout sur la justesse de la norme correspondante, l'esquisse de la spiritualité conjugale qu'on y trouve a pour but de mettre précisément en relief ces forces qui rendent possible l'authentique témoignage chrétien de la vie conjugale.

4. "Nous n'entendons nullement cacher les difficultés, parfois graves, inhérentes à la vie des époux chrétiens: pour eux, comme pour chacun, étroite est la porte et resserré le chemin qui mène à la Vie Mt 7,14. Mais l'espérance de cette vie doit éclairer leur chemin quand ils s'efforcent courageusement de vivre avec sagesse, justice et piété le temps présent, sachant que la figure de ce monde passe" HV25

     Dans l'encyclique, la vision de la vie conjugale est, à chaque pas, marquée de réalisme chrétien, et c'est précisément cela qui aide le plus à trouver ces forces qui permettent de former la spiritualité des époux et des parents dans l'esprit d'une authentique pédagogie du cœur et du corps.
La conscience même de la vie future ouvre pour ainsi dire largement l'horizon de ces forces qui doivent les guider le long du chemin resserré (HV25) et les conduire par la porte étroite de la vocation évangélique.
     L'encyclique dit: "Que les époux affrontent donc les efforts nécessaires soutenus par la foi et par l'espérance qui ne déçoit pas, car l'amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs avec le Saint Esprit qui nous a été donné" HV 25.

5. Voilà la force essentielle et fondamentale: l'amour greffé dans le coeur ("répandu dans les cœurs") par l'Esprit Saint.
    Plus loin, l'encyclique affirme que les époux doivent implorer par la prière cette force essentielle et toute autre aide divine; qu'ils doivent puiser la grâce et l'amour à la source toujours vive de l'Eucharistie; qu'ils doivent, avec humble persévérance, surmonter leurs propres manquements et leurs propres péchés, en ayant recours au sacrement de pénitence.
     Voilà les moyens - infaillibles et indispensables - nécessaires pour former la spiritualité chrétienne de la vie conjugale et familiale. Grâce à eux, cette force d'amour essentielle et spirituellement créatrice gagne les cœurs humains et, également les corps humains dans leur masculinité et féminité subjectives. Cet amour permet en effet d'édifier toute la coexistence des époux selon cette vérité du signe grâce à quoi le mariage se construit dans sa dignité sacramentelle, comme le révèle le point central de l'encyclique HV 12

 

 

 

 

 

 

 

 

 

10 octobre 1984 - Audience Générale

     1. Nous continuons à définir les traits de spiritualité conjugale à la lumière de l'encyclique Humanae Vitae.
     Suivant la doctrine qu'elle contient, conformément aux sources bibliques et à toute la tradition, l'amour est - au point de vue subjectif - une "force", c'est-à-dire une faculté de l'esprit humain, de caractère théologique (ou plutôt "théologal"). C'est donc la force donnée à l'homme pour participer à cet amour par lequel Dieu lui-même aime dans le mystère de la Création et de la Rédemption. C'est cet amour qui "se complaît dans la vérité" 1 Co 13,6), c'est-à- dire l'amour dans lequel s'exprime la joie spirituelle (le "fruit" augustinien) de toute valeur authentique: ouissance semblable à celle du Créateur lui-même lorsqu'il "il vit tout ce qu'il avait fait" et trouva que "c'était très bien" Gn 1,31

      Si les forces de la concupiscence tentent de séparer de la vérité le langage du corps, si elles tentent de le falsifier, la force de l'amour, au contraire, le corrobore toujours de nouveau dans cette vérité afin que le mystère de la Rédemption puisse fructifier en elle

     2. Ce même amour qui rend possible le langage conjugal et fait qu'il se réalise suivant la pleine vérité de la vie des époux est en même temps une force, c'est-à-dire une faculté de caractère moral, orientée activement vers la plénitude du bien et, pour cela même, orientée vers tout véritable bien. C'est pourquoi sa tâche consiste à sauvegarder l'unité inséparable des deux significations de l'acte conjugal dont il est question dans HV 12, c'est-à-dire à protéger aussi bien la valeur de la véritable union des conjoints (donc de la communion personnelle) que celle de la paternité et maternité responsables (dans leur forme mûrie et digne de l'homme).

     3. Suivant le langage traditionnel, l'amour, cette force supérieure, coordonne les actions de la personne, du mari et de la femme, dans le cadre des fins du mariage. Bien que ni la constitution conciliaire ni l'encyclique n'utilisent - quand elles affrontent le sujet - les expressions jadis habituelles, elles n'en traitent pas moins de ce à quoi se réfèrent les expressions traditionnelles.
     Comme force supérieure que l'homme et la femme reçoivent de Dieu en même temps que la particulière "consécration" du sacrement de mariage, l'amour comporte une coordination droite des fins selon lesquelles - dans l'enseignement traditionnel de l'Eglise - se constitue l'ordre moral (ou plutôt théologal et moral) de la vie des époux.
La doctrine de la constitution Gaudium et Spes et de même celle de l'encyclique Huamane Vitae, projettent une lumière sur le même ordre moral dans leur référence à l'amour, entendu comme force supérieure qui confère contenu et valeur adéquats aux actes conjugaux, selon la vérité des deux significations, l'unitive et la procréatrice, en plein respect de leur caractère inséparable.
Dans cette présentation rénovée, l'enseignement traditionnel sur les fins du mariage (et leur hiérarchie) se trouve confirmé et en même temps approfondi du point de vue de la vie intérieure des conjoints, c'est-à-dire de la spiritualité conjugale et familiale.

     4. La tâche de l'amour, qui est "effusion des coeurs" Rm 5,5 des époux comme force spirituelle fondamentale de leur pacte conjugal consiste, comme il a été dit, à protéger tant la valeur de la véritable communion des époux, que celle de la paternité-maternité vraiment responsable. La force de l'amour - authentique au sens théologique et éthique - s'exprime dans le fait que l'amour unit correctement les deux significations de l'acte conjugal, excluant non seulement en théorie, mais aussi en pratique la contradiction qui pourrait se révéler en ce domaine. Cette contradiction constitue le plus fréquent motif d'objection contre l'encyclique Humanae Vitae et contre l'enseignement de l'Eglise. Il suffit d'une analyse approfondie, non seulement théologique mais aussi anthropologique (nous avons cherché à le faire dans toute la présente réflexion), pour démontrer qu'il ne faut pas parler ici de contradiction mais seulement de difficulté. Or l'encyclique elle-même souligne dans divers passages une telle difficulté.
     Celle-ci découle du fait que la force de l'amour est greffée dans l'homme en proie aux embûches de la concupiscence. Dans les sujets humains, l'amour se heurte à la triple concupiscence 1Jn 2,16, particulièrement à la convoitise de la chair qui déforme la vérité du langage du corps. C'est pourquoi, l'amour lui-même n'est pas en mesure de se réaliser dans la vérité du langage du corps sinon moyennant la domination sur la concupiscence.

     5. Si l'élément clé de la spiritualité des époux et des parents - cette force essentielle que les époux doivent continuellement tirer de la consécration sacramentelle, - est l'amour, cet amour est par nature, comme il résulte du texte de HV 20 lié à la chasteté qui se manifeste comme maîtrise de soi, c'est-à-dire comme continence: en particulier, comme continence périodique. Dans le langage biblique, l'auteur de l'épître aux Ephésiens semble faire allusion à cela, quand, dans son texte classique, il exhorte les époux à être soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ. Ep 5,21
On peut dire que l'encyclique Humanae Vitae constitue précisément le développement de cette vérité biblique concernant la spiritualité chrétienne conjugale et familiale.   Toutefois, pour le rendre encore plus manifeste se révèle nécessaire une analyse plus profonde de la vertu de continence et de sa signification particulière pour la vérité du mutuel langage du corps dans la coexistence conjugal et (indirectement) dans le vaste domaine des rapports réciproques de l'homme et de la femme.
     Nous entreprendrons cette analyse au cours des prochaines réflexions du mercredi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

24 octobre 1984 - Audience Générale

1. Conformément à ce que j'ai annoncé, nous allons entreprendre aujourd'hui l'analyse de la vertu de continence.
     La continence, qui fait partie de la vertu plus générale de tempérance, consiste en la capacité de dominer, de contrôler et d'orienter les impulsions à caractère sexuel (convoitise de la chair)) et leurs conséquences dans la subjectivité psychosomatique de l'homme. En tant que disposition constante de la volonté, cette capacité mérite d'être considérée comme vertu.
Les précédentes analyses nous ont appris que la convoitise de la chair et le désir sexuel qu'elle suscite s'expriment par une pulsion spécifique dans la sphère de la réactivité somatique et, en outre, par une excitation psycho-émotive de l'impulsion sensuelle.
     Pour parvenir à maîtriser cette pulsion, cette excitation, le sujet personnel doit s'engager, dans une progressive éducation, au contrôle personnel de la volonté, des sentiments, des émotions qui doit se développer à partir des gestes les plus simples à travers lesquels il est facile de traduire en acte la décision intérieure. Cela suppose évidemment la claire perception des valeurs exprimées dans la norme et, en conséquence, la maturation de solides convictions qui, si la disposition de la volonté les accompagne, donnent naissance à la vertu qui y correspond. Voilà ce qu'est précisément la vertu de continence (ou maîtrise de soi) qui se révèle comme condition fondamentale, soit pour maintenir dans la vérité le langage réciproque du corps, soit pour que les époux se trouvent "soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ" selon les paroles bibliques Ep 5,21. Cette soumission réciproque signifie la sollicitude commune pour la vérité du langage du corps; par contre, la soumission "dans la crainte du Christ" indique le don de la crainte de Dieu (don de l'esprit Saint) qui accompagne la vertu de continence.

     2. Cela est très important pour une compréhension adéquate de la vertu de continence et, en particulier, de la continence périodique dont il est question dans l'encyclique Humanae Vitae. La conviction que la vertu de continence s'oppose à la convoitise de la chair est juste, mais pas absolument complète. Elle n'est pas complète, spécialement quand on tient compte du fait que cette vertu n'apparaît pas et n'agit pas de manière abstraite et donc isolément, mais toujours en liaison avec les autres (nexus virtutum) donc en liaison avec la prudence, la justice, la force et surtout avec la charité.
     Il est facile de comprendre, à la lumière de ces considérations que la continence ne se contente pas d'opposer une résistance à la convoitise de la chair; grâce à cette résistance, elle s'ouvre également aux valeurs plus profondes et plus mûres inhérentes à la signification nuptiale du corps dans sa féminité et masculinité, comme également l'authentique liberté du don dans les relations réciproques des personnes. Dans la mesure où elle recherche d'abord le plaisir charnel et sensuel, la convoitise même de la chair rend, en un certain sens, l'homme aveugle et insensible aux valeurs plus profondes qui jaillissent de l'amour et qui, en même temps constituent l'amour dans la vérité intérieure qui lui est propre.

     3.De cette manière se manifeste également le caractère essentiel de la chasteté conjugale dans son lien organique avec la force de l'amour qui est répandue dans le coeur des époux en même temps que la consécration du sacrement de mariage. Il est en outre évident que l'invitation directe adressée aux époux d'être "soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ" Ep 5,21 valeurs les plus profondes et les plus mûres qui vont de pair avec la signification nuptiale du corps et la véritable liberté du don.
      Si la chasteté conjugale (et la chasteté en général) se manifeste d'abord comme capacité de résister à la convoitise de la chair, par la suite elle se révèle graduellement comme capacité particulière de percevoir, d'aimer et de réaliser les significations du langage du corps qui demeurent absolument inconnues à la concupiscence elle-même et qui enrichissent progressivement le dialogue des époux en le purifiant et en le simplifiant en même temps.
C'est pourquoi l'ascèse de la continence dont parle HV 21 loin d'entraîner l'appauvrissement des manifestations affectives, les rend au contraire spirituellement plus intenses et par conséquent les enrichit.

     4. En analysant de cette manière la continence dans la dynamique propre à cette vertu (anthropologique, éthique et théologique), nous nous apercevons que disparaît cette apparente contradiction que l'on reproche souvent à l'encyclique Humanae Vitae et à la doctrine de l'Eglise au sujet de la morale conjugale. Selon ceux qui soulèvent cette objection, il existerait donc une contradiction entre les deux significations de l'acte conjugal, la signification unitive et la signification procréative HV 12, de sorte que, s'il n'est pas permis de les séparer, les époux se trouveraient privés du droit à l'union conjugale quand ils ne peuvent, en toute responsabilité se permettre de procréer.
     Si l'on étudie à fond l'encyclique Humanae Vitae on se rend compte qu'elle donne la réponse à cette apparente contradiction. Le pape Paul VI confirme en effet que cette contradiction n'existe pas; il existe seulement parfois une difficulté provenant de la situation intérieure de l'"homme de la concupiscence". Par contre, précisément en raison de cette difficulté, c'est à l'enseignement intérieur ascétique des conjoints qu'est confié l'ordre véritable de la coexistence conjugale en vue duquel ils sont "corroborés et quasi consacrés" HV 25 par le sacrement du mariage.

     5. Cet ordre de la coexistence conjugale signifie en outre l'harmonie subjective entre la paternité (responsable) et la communion personnelle, harmonie créée par la chasteté conjugale. Dans celle-ci mûrissent, en effet, les fruits intérieurs de la continence. Grâce à cette maturation intérieure, l'acte conjugal lui-même assure l'importance et la dignité qui lui sont propres dans sa signification potentiellement procréative; en même temps prennent une adéquate signification toutes les "manifestations affectives" HV 21 qui servent à exprimer la communion personnelle des époux, proportionnellement à la richesse subjective de la féminité et masculinité.

    6. Conformément à l'expérience et à la tradition, l'encyclique relève que l'acte conjugal est également une manifestation d'affection HV 16; c'est une manifestation d'affection particulière parce qu'en même temps elle a une signification potentiellement procréative. Par conséquent, elle est destinée à exprimer l'union personnelle, mais pas seulement celle-ci. En même temps, en effet l'encyclique note l'existence - même si c'est de manière indirecte - de multiples manifestations d'affection, efficaces exclusivement pour exprimer l'union personnelle des conjoints.
     La tâche de la chasteté conjugale et encore plus précisément celle de la continence ne consistent pas seulement à protéger l'importance et la dignité de l'acte conjugal par rapport à sa signification potentiellement procréative; elle consiste également à protéger l'importance et la dignité propres de l'acte conjugal lui-même en tant qu'exprimant l'union entre les personnes et dévoilant à la conscience et à l'expérience des époux toutes les autres manifestations d'affection possibles pour exprimer ainsi leur profonde communion.
     Il s'agit en effet de ne pas porter préjudice à la communion des époux dans le cas où, pour de justes raisons, ils doivent s'abstenir de l'acte conjugal. Et il importe aussi et encore plus que cette communion construite continuellement, jour après jour, grâce à des manifestations affectives conformes, constitue pour ainsi dire un vaste terrain sur lequel, dans les conditions opportunes, mûrit la décision d'un acte conjugal moralement droit.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

31 octobre 1984 - Audience Générale

     1. Nous allons poursuivre l'analyse de la continence à la lumière de l'enseignement contenu dans l'encyclique Humanae Vitae.
On pense souvent que la continence provoque des tensions intérieures dont l'homme doit se libérer. A la lumière des analyses ci-dessus, la continence, intégralement comprise, se révèle plutôt l'unique moyen pour libérer l'homme de ces tensions. Elle ne signifie rien d'autre que l'effort spirituel qui vise à exprimer le langage du corps, non seulement dans la vérité mais aussi dans l'authentique richesse des manifestations d'affection.

     2. Cet effort, est-il possible? En d'autres termes (et sous un autre aspect) se présente ici l'interrogation au sujet de la possibilité de réaliser la norme morale que rappelle et confirme Humanae Vitae. Cette interrogation est l'une des plus essentielles (et aussi, actuellement, une des plus urgentes) dans le domaine de la spiritualité conjugale
     L'Eglise est absolument convaincue de la justesse du principe qui affirme la paternité et la maternité responsables - au sens expliqué par les précédentes catéchèses - et cela non seulement pour des motifs "démographiques", mais aussi pour des raisons plus essentielles. On qualifie de responsables la paternité et la maternité qui correspondent à la dignité personnelle des conjoints, comme parents, à la vérité de leur personne et de l'acte conjugal, d'où découle l'étroite et stricte relation qui rattache cette dimension à toute la spiritualité conjugale.
Dans Humanae Vitae, le pape Paul VI a exprimé ce qu'avaient déjà, par ailleurs, exprimé de nombreux moralistes et savants, même non catholiques (Cf. les déclarations de "Bund für evangelische-Katolisch Wierdervereinigung" (O.R. 19.9.68, p.3) du Dr F. King, anglican (O.R. 5.10.68 , p.3) et également du musulman Mohammed Chérif ZEGHOUDU (même numéro). Est particulièrement significative la lettre que K. BARTH a adressée le 28 novembre 1968 au cardinal CICOGNANI, lettre où il fait l'éloge du grand courage de Paul VI.), c'est-à-dire que précisément dans ce domaine, si profondément et essentiellement humain et personnel, il faut avant tout se référer à l'homme comme personne, au sujet qui décide de lui- même et non aux moyens qui en font un objet (de manipulation) et le dépersonnalisent. Il s'agit donc ici d'une authentique signification "humaniste" du développement et du progrès de la civilisation humaine.

    3. Cet effort est-il possible? l'ensemble des problèmes considérés par l'encyclique Humanae Vitae ne se réduit pas simplement à la dimension biologique de la fertilité humaine (à la question des rythmes naturels de fertilité) mais remonte à la subjectivité même de l'être humain , à cet "ego" personnel qui fait qu'il est homme ou qu'il est femme.
     Déjà durant la discussion du Concile Vatican II au sujet du chapitre de Gaudium et Spes concernant la "Dignité du sacrement et de la famille et sa mise en valeur", on parlait de la nécessité d'une valeur approfondie des réactions (et aussi des émotions) en relation avec l'influence de la masculinité et de la féminité sur le sujet humain (Cf. Interventions du cardinal Léon SUENENS à la Congrégation générale 138 du 29.9.1965: Acta Synodalia S. Concilii Oecumenici Vaticani II, vol. 4, pars. 3, p.30) Ce problème n'appartient pas tant à la biologie qu'à la psychologie. De la biologie et de la psychologie il passe ensuite au cadre de la spiritualité conjugale et familiale. Ici, en effet, ce problème est en rapport étroit avec la manière d'entendre la vertu de continence, c'est-à-dire la maîtrise de soi et en particulier la continence périodique.

     4. Une analyse attentive de la psychologie humaine (qui est en même temps une auto-analyse subjective et devient par la suite analyse d'un "objet" accessible à la science humaine) permet d'aboutir à quelques affirmations essentielles. En effet, dans les relations entre personnes où s'exprime l'influence réciproque de la masculinité et féminité se libère dans le sujet psycho-émotif humain, dans l'"ego" humain, à côté d'une réaction que l'on peut qualifier d'"excitation", une autre réaction que l'on peut appeler "émotion". Bien que ces deux réactions se révèlent en même temps, il est possible de les distinguer par expérience et de les "différencier" quant à leur contenu ou leur objet (A cet égard, on pourrait rappeler ce qu'a dit saint Thomas dans une fine analyse de l'amour humain en relation avec le "concupiscibile" et avec la volonté I-II 26.2.
     La différence objective entre l'un et l'autre genre de réactions positives consiste dans le fait que l'excitation est avant tout "corporelle" et, en ce sens, "sexuelle"; l'émotion, en revanche - bien que suscitée par la réaction réciproque de la masculinité et de la féminité - se réfère surtout à l'autre personne comprise dans son "intégralité". On peut dire qu'il s'agit d'une émotion causée par la personne, en relation avec sa masculinité ou féminité.

     5. Ce que nous affirmons ici relativement à la psychologie des réactions réciproques de la masculinité et féminité aide à comprendre la fonction de la vertu de continence dont nous avons parlé précédemment. Celle-ci n'est pas seulement - ni même principalement - la capacité de s'abstenir - c'est-à- dire la maîtrise des multiples réactions qui s'entrelacent dans l'influence réciproque de la masculinité et féminité; une telle fonction pourrait se définir comme "négative". Il existe aussi une autre fonction (que nous pouvons appeler "positive") de la maîtrise de soi: c'est la capacité de guider les réactions respectives tant en ce qui concerne leur contenu qu'en ce qui concerne leur caractère.
     Il a été dit que, dans le domaine des réactions réciproques de la masculinité et de la féminité, l'excitation et l'émotion n'apparaissent pas seulement comme expériences distinctes et différentes de l'"ego" humain; très souvent, elles apparaissent aussi conjointement dans le cadre de l'expérience même en tant que deux éléments différents de celle-ci. C'est de diverses circonstances, de nature intérieure et extérieure, que dépend la proportion réciproque selon laquelle ces deux éléments se révèlent dans une expérience déterminée. Parfois, c'est l'un des éléments qui prévaut nettement; d'autres fois, il y a plutôt un équilibre entre eux.

     6. La continence comme capacité de diriger l'excitation et l'émotion dans la sphère de l'influence réciproque de la masculinité et de la féminité a pour tâche essentielle de maintenir l'équilibre entre la communion où les époux ne désirent exprimer réciproquement que leur union intime, d'une part, et celle où (au moins implicitement) ils accueillent la paternité responsable, d'autre part. De fait, l'excitation et l'émotion peuvent porter préjudice par le sujet, à l'orientation et au caractère du réciproque langage du corps.
L'excitation cherche avant tout à s'exprimer sous forme de plaisir sensuel et corporel, c'est-à-dire qu'elle tend à l'acte conjugal qui (dépendant des rythmes naturels de fécondité) comporte la possibilité de création. Par contre, l'émotion provoquée par un autre être humain comme personne, même si son contenu émotif est influencé par la féminité ou masculinité de l'"autre", ne tend pas d'elle-même à l'acte conjugal, mais se limite à d'autres manifestations d'affection dans lesquelles s'affirme la signification nuptiale du corps et qui, toutefois, ne comprennent pas sa signification (potentiellement ) procréatrice.
     Il est facile de comprendre quelles conséquences découlent de cela, relativement au problème de la paternité et maternité responsables. Ces conséquences sont de nature morale. L'excitation cherche surtout à s'exprimer sur la plan physique et elle comporte évidemment une possibilité de procréation. Par contre, l'émotion peut se manifester sans aboutir à l'acte conjugal et ses conséquences possibles. Cette distinction permet vraiment de mieux comprendre que le problème de la paternité-maternité responsable est d'ordre moral. Je supplie Dieu de faire accéder les chrétiens et tous les gens de bonne volonté à ce niveau de vérité libératrice et humanisante

 

 

 

 

 

 

 

 

 

7 novembre 1984 - Audience Générale

     1. Nous allons poursuivre l'analyse de la continence à la lumière de la doctrine exprimée par l'encyclique Humanae Vitae.
     Il convient de rappeler que les grands classiques de la pensée éthique (et anthropologique) tant pré-chrétienne que chrétienne (Saint Thomas d'Aquin) considèrent la vertu de continence non seulement comme capacité de contenir les réactions corporelles et sensuelles, mais aussi et plus encore comme capacité de contrôler et de guider toute la sphère sensuelle et émotive de l'homme. Dans le cas qui nous occupe, il s'agit de la capacité d'orienter soit l'excitation vers son développement correct, soit l'émotion elle-même, les dirigeant vers l'approfondissement et l'intensification de leur caractère pur et, en un certain sens, désintéressé.

     2. Cette différenciation entre la perspective de l'excitation et celle de l'émotion n'est pas une contradiction. Elle ne signifie pas que l'acte conjugal, comme effet de l'excitation, ne comporte pas en même temps l'émotion de l'autre personne. Il en est certainement ainsi dans l'épître aux Ephésiens, sous forme d'exhortation aux époux: "Soyez soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ" Ep 5,21

     La distinction entre excitation et émotion relevée dans cette analyse ne prouve rien d'autre que la richesse subjective, réactive et émotive, de l'"ego" humain; cette richesse exclut n'importe qu'elle réduction et fait que la vertu de continence peut être réalisée comme capacité de diriger la manifestation, tant de l'excitation que de l'émotion, suscité par la réactivité de la masculinité et de la féminité.

     3. La vertu de continence comprise de cette manière a un rôle essentiel dans le maintien de l'équilibre intérieur entre les deux significations, unitive et procréative, de l'acte conjugal HV 12 en vue d'une paternité et d'une maternité vraiment responsables.
     L'encyclique Humanae Vitae accorde l'attention requise à l'aspect biologique du problème, c'est-à-dire au caractère rythmique de la fécondité humaine. Même si cette périodicité peut, à la lumière de l'encyclique, être appelée indice providentiel pour une paternité et une maternité responsables, ce n'est pas toutefois à ce niveau que trouve sa solution un problème comme celui-là, un problème qui a une signification si profondément personnelle et sacramentelle (théologique).
     Selon l'encyclique, la paternité et la maternité responsables constituent "la vérification d'un amour conjugal en pleine maturité" et, pour cette raison, on y trouve non seulement la réponse à l'interrogation concrète que l'on se pose dans le cadre de l'éthique de la vie conjugale, mais aussi, comme je l'ai déjà dit, l'indication d'un trait de spiritualité conjugal que nous désirons au moins esquisser.

     4. La manière correcte d'entendre et de pratiquer la continence périodique en tant que vertu (ou, selon HV,21 la "maîtrise de soi") décide essentiellement du caractère naturel de la méthode appelée, elle aussi, "méthode naturelle": celle-ci est naturelle au niveau de la personne. On ne saurait donc penser à une application mécanique des lois biologiques. La connaissance des rythmes de fécondité - même si elle est indispensable - ne crée pas encore cette liberté intérieure du don, qui est de nature explicitement spirituelle, et dépend du degré de maturité intérieure de l'homme. Cette liberté suppose la faculté de diriger les réactions sensuelles et émotives de l'homme de telle manière qu'elle rend possible la donation de soi à l'autre "ego" sur la base de la mûre possession de son propre "ego" dans sa subjectivité corporelle et émotive.

     5. Comme nous l'avons relevé dans les analyses bibliques et théologiques faites précédemment, le corps humain est, dans sa masculinité et féminité, ordonné intérieurement en vue de la communion des personnes (communio personarum). C'est en cela que consiste sa signification nuptiale.
     C'est précisément cette signification nuptiale du corps qui a été déformée, pour ainsi dire à la base même, par la concupiscence (en particulier par la convoitise de la chair dans le cadre de la triple concupiscence). Dans sa forme venue à maturité, la vertu de continence dévoile graduellement l'aspect "pureté" de la signification nuptiale du corps. De cette manière, la conscience développe la communion personnelle de l'homme et de la femme, une communion qui n'est pas en mesure de se former et de se développer, dans la pleine vérité de sescommunion des personnes (communio personarum). C'est en cela que consiste sa signification nuptiale.
      C'est précisément cette signification nuptiale du corps qui a été déformée, pour ainsi dire à la base même, par la concupiscence (en particulier par la convoitise de la chair dans le cadre de la triple concupiscence). Dans sa forme venue à maturité, la vertu de continence dévoile graduellement l'aspect "pureté" de la signification nuptiale du corps. De cette manière, la conscience développe la communion personnelle de l'homme et de la femme, une communion qui n'est pas en mesure de se former et de se développer, dans la pleine vérité de ses possibilités, uniquement sur le terrain de la concupiscence. C'est précisément cela qu'affirme l'encyclique Humanae Vitae. Cette vérité a deux aspects: un aspect personnel et un aspect théologique

 

 

 

 

 

 

 

 

 

14 novembre 1984 - Audience générale

1. À la lumière de l’encyclique Humanae vitae, l’élément fondamental de la spiritualité conjugale est l’amour répandu dans le cœur des époux comme don de l’Esprit-Saint (cf. Rm 5, 5). Les époux reçoivent ce don dans le sacrement en même temps qu’une particulière « consécration » . L’amour est uni à la chasteté conjugale qui, se manifestant comme continence, réalise l’ordre intérieur de la convivialité conjugale.

      La chasteté, c’est vivre dans l’ordre du cœur. Cet ordre permet le développement des « manifestations d’affection » dans la proportion et au sens qui leur sont propres. De cette manière se trouve également confirmée la chasteté en tant que « vie de l’Esprit» (cf. Ga 5, 25), selon l’expression de saint Paul. L’Apôtre pensait non seulement aux énergies immanentes de l’esprit humain mais surtout à l’influence sanctifiante de l’Esprit-Saint et à ses dons particuliers.

     2. Au centre de la spiritualité conjugale, il y a donc la chasteté, non seulement comme vertu morale (formée par l’amour) mais aussi vertu liée aux dons de l’Esprit-Saint — avant tout au don du respect de ce qui vient de Dieu (donum pietatis). C’est à ce don que pense l’auteur de l’Épître aux Éphésiens quand il exhorte les époux à être « soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ » (Ep 5, 21). Ainsi donc, l’ordre intérieur de la convivialité conjugale qui permet que les « manifestations d’affection » se développent selon leur juste proportion exacte et leur signification, est le fruit non seulement de la vertu à laquelle les époux s’exercent, mais aussi des dons de l’Esprit-Saint avec lequel ils collaborent.

     Dans quelques passages (particulièrement en 21 et 26), traitant de l’ascèse conjugale spécifique, c’est-à-dire des efforts pour acquérir les vertus d’amour, de chasteté et de continence, l’encyclique Humanae vitaeparle indirectement des dons de l’Esprit-Saint auxquels les époux deviennent sensibles dans la mesure où ils ont acquis la maturité dans la vertu.

     3. Ceci correspond à la vocation de l’homme au mariage. Ces « deux » êtres qui — selon l’expression la plus ancienne de la Bible — « seront une seule chair » (Gn 2, 24) ne peuvent réaliser une telle union au niveau des personnes (communio personarum) si ce n’est moyennant les forces provenant de l’esprit, et précisément de l’Esprit-Saintqui purifie, vivifie fortifie et perfectionne les forces de l’esprit humain « C’est l’esprit qui donne la vie, la chair ne sert de rien. » (Jn 6, 63.)

     Il en résulte que les lignes essentielles de la spiritualité conjugale sont inscrites « dès l’origine » dans la vérité biblique sur le mariage. Cette spiritualité est aussi, « depuis l’origine », ouverte aux dons de l’Esprit-Saint. Si l’encyclique Humanae vitaeexhorte les époux à une « prière persévérante » et à la vie sacramentelle (en disant « qu’ils cherchent surtout dans l’Eucharistie la source de la grâce et de la charité » ; qu’ « ils recourent avec humble persévérance à la miséricorde de Dieu qui est accordée dans le sacrement de la pénitence », (Humanae vitae, 25), elle le fait en se rappelant que c’est l’Esprit-Saint qui « donne la vie » (2 Co 3, 6).

     4. Les dons de l’Esprit-Saint, et en particulier le don du respect de ce qui est sacré, semblent avoir ici une importance fondamentale. En effet, ce don soutient et développe chez les conjoints une sensibilité particulière à l’égard de tout ce quidans leur vocation et leur convivialité, porte le signe du mystère de la création et de la rédemption: à l’égard de tout ce qui est un reflet créé par la sagesse et l’amour de Dieu. C’est pourquoi ce don semble initier l’homme et la femme de manière particulièrement profonde au respect des deux significations inséparables de l’acte conjugal dont parle l’encyclique (n. 12), par rapport au sacrement de mariage. Le respect des deux significations de l’acte conjugal ne peut se développer pleinement que sur la base d’une référence profonde à la dignité personnellede ce qui, dans la personne humaine, appartient de manière intrinsèque à la masculinité et à la féminité et, inséparablement, en référence aussi à la dignité personnelle de la nouvelle viequi peut naître de l’unionconjugale de l’homme et de la femme. Le don du respect de ce que Dieu a créé s’exprime précisément dans cette référence.

     5. Le respect de la double signification de l’acte conjugal dans le mariage, qui naît du don de respect pour la création de Dieu, se manifeste également comme crainte salvifique : crainte de détruire ou de dégrader ce qui porte en soi le signe du mystère divin de la création et de la rédemption. C’est précisément de cette crainte que saint Paul parle aux Éphésiens : « Soyez soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ. » (Ep 5, 21.)

     Si cette crainte salvifiques’associe immédiatement à la fonction « négative » de la continence (ou à la résistance opposée à la convoitise de la chair), elle se manifeste également — et de manière croissante au fur et à mesure que cette vertu mûrit — comme une sensibilité pleine de vénération pour les valeurs essentielles de l’union conjugale: pour « les deux significations de l’acte conjugal » (ou, pour parler le langage des précédentes analyses : pour la vérité intérieure du réciproque « langage du corps »).

    Sur la base d’une profonde référence à ces deux valeurs essentielles, ce que signifie l’uniondes époux s’harmonise dans le sujet avec ce que signifie paternité et maternitéresponsables. Le don du respect pour tout ce que Dieu crée fait graduellement disparaître l’apparente « contradiction » et réduit graduellement la difficulté découlant de la concupiscence, grâce à la maturité de la vertu et à la force du don de l’Esprit-Saint.

     6. S’il s’agit de la problématique de la continence périodique (du recours aux « méthodes naturelles »), le don du respect pour l’œuvre de Dieu aide, en principe, à concilier la dignité humaine avec les « rythmes naturels de fécondité », c’est-à-dire avec la dimension biologique de la féminité et de la masculinité des conjoints, dimension qui a également une signification propre pour la vérité du « langage mutuel du corps » dans la coexistence conjugale.

     De cette manière également, ce qui se réfère à « l’union conjugale dans le corps » — moins au sens biblique qu’au sens « biologique » — trouve sa forme humainement mûre grâce à la vie « selon l’Esprit ».

     Toute la pratique de la régulation honnête de la fertilité, si étroitement liée à la paternité et à la maternité responsables, fait partie de la spiritualité conjugale et familialechrétienne ; et ce n’est qu’en vivant « selon l’Esprit » qu’elle devient intérieurement vraie et authentique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

21 novembre 1984 - Audience Générale

 1. Nous basant sur la doctrine contenue dans l’encyclique Humanae vitae nous entendons tracer une esquisse de la spiritualité conjugale. Dans la vie spirituelle des époux, les dons de l’Esprit-Saint sont aussi à l’œuvre et, en particulier, le « donum pietatis », c’est-à-dire le don du respect pour ce qui est œuvre de Dieu.

 

      2. Ce don, uni à l’amour et à la chasteté, aide à identifier, dans l’ensemble de la convivialité conjugale, cet acte, dans lequel, au moins potentiellement, la signification nuptiale du corps est liée à sa signification procréatrice. Cela aide à comprendre, parmi les possibles « manifestations d’affection », la signification particulière et même exceptionnelle de cet acte : sa dignité et donc la grave responsabilité qui y est attachée. De ce fait, l’antithèse de la spiritualité conjugale est constituée, en un certain sens, par le manque subjectif de cette compréhension, liée à la pratique et à la mentalité anticonceptionnelles. Plus que tout, ceci constitue un énorme dommage au point de vue de la culture intérieure de l’homme. La vertu de chasteté conjugale et, plus encore, le don de respect pour ce qui vient de Dieu, modèlent la spiritualité des époux afin de protéger la dignité particulière de cet acte, de cette « manifestation d’affection » dans laquelle la vérité du « langage du corps » ne peut être exprimée qu’en sauvegardant la potentialité procréatrice.

     La paternité et la maternité responsables signifient l’évaluation spirituelle — conforme à la vérité — de l’acte conjugal dans la conscience et dans la volonté de chacun des deux époux qui, dans cette « manifestation d’affection », après avoir considéré les circonstances internes et externes et en particulier les circonstances biologiques, expriment leur mûre disponibilité à la paternité et à la maternité.

    

     3. Le respect pour l’œuvre de Dieu contribue à faire en sorte que l’acte conjugal ne soit pas dévalué et privé d’intériorité dans l’ensemble de la convivialité conjugale — qu’il ne devienne pas « habitude » — et qu’en lui s’exprime une adéquate plénitude de contenus personnels et éthiques, et aussi de contenus religieux c’est-à-dire la vénération pour la majesté du Créateur, unique et ultime dépositaire de la source de la vie, et pour l’amour nuptial du Rédempteur. Tout ceci crée et élargit, pour ainsi dire, l’espace intérieur de la mutuelle liberté du don dans lequel se manifeste pleinement la signification nuptiale de la masculinité et de la féminité.

     L’obstacle à cette liberté est constitué par la contrainte intérieure de la concupiscence, orientée vers l’autre « ego » comme objet de jouissance. Le respect de ce que Dieu a créé libère de cette contrainte, libère de tout ce qui réduit l’autre « ego » à un simple objet : il fortifie la liberté intérieure du don.

 

     4. Ceci ne peut se réaliser que par une profonde compréhension de la dignité personnelle, tant de l’« ego » féminin que de l’« ego » masculin, dans la convivialité réciproque. Cette compréhension spirituelle est le fruit fondamental du don de l’Esprit qui pousse la personne à respecter l’œuvre de Dieu. C’est de cette compréhension, et donc indirectement de ce don, que prennent leur vraie signification nuptiale toutes les « manifestations d’affection » qui constituent la trame de la persistance de l’union conjugale. Cette union s’exprime par l’acte conjugal, seulement dans des circonstances déterminées, mais elle peut et elle doit se manifester continuellement, chaque jour grâce à différentes « manifestations d’affection » qui sont déterminées par la capacité de l’« ego » d’éprouver une émotion « désintéressée » par rapport à la féminité et — réciproquement — par rapport à la masculinité.

     L’attitude de respect pour l’œuvre de Dieu que l’Esprit suscite chez les époux a une énorme signification pour ces « manifestations d’affection », car va de pair avec cela la capacité de la profonde satisfaction, de l’admiration, de l’attention désintéressée à l’égard de la beauté « visible » et en même temps « invisible » de la féminité et de la masculinité, et enfin l’appréciation profonde du don désintéressé de l’autre.

 

     5. Tout ceci décide de l’identification spirituelle de ce qui est masculin ou féminin, de ce qui est « corporel » et en même temps personnel. De cette identification spirituelle émerge la conscience de l’union « à travers le corps » en sauvegardant la liberté intérieure du don.

     Au moyen des « manifestations d’affection » les époux s’aident l’un l’autre à persister dans l’union et, en même temps, ces manifestations protègent en chacun d’eux « cette paix intérieure » qui est, en un certain sens, la résonance intérieure de la chasteté guidée par le don du respect pour ce qui est créé par Dieu.

      Ce don comporte une profonde et universelle attention à la personne dans sa masculinité et sa féminité, créant ainsi le climat intérieur favorisant la communion personnelle. Ce n’est que dans un tel climat de communion personnelle des époux que mûrit correctement cette procréation que nous qualifions de « responsable ».

   

      6. L’encyclique Humanae vitae nous permet de tracer une esquisse de la spiritualité conjugale. Voilà le climat humain et surnaturel dans lequel — tenant compte de l’ordre biologique et, en même temps, se basant sur la chasteté soutenue par le donum pietatis se forme l’harmonie intérieure du mariage dans le respect de ce que l’encyclique appelle « double signification de l’acte conjugal » (Humanae vitae, n. 12). Cette harmonie signifie que les époux vivent ensemble dans la vérité intérieure du « langage du corps ». L’encyclique Humanae vitae proclame que le lien entre cette « vérité » et l’amour est indissoluble.

 

 

 

 

 

 

 

 

 


28 novembre 1984 - Audience Générale
     1. L’ensemble des catéchèses que j’ai entrepris il y a plus de quatre ans et que je conclus aujourd’hui peut être groupé tout entier sous le titre : « L’amour humain dans le plan divin » ou, pour être plus précis : « La rédemption du corps et le caractère sacramentel du mariage ». Cette catéchèse se divise en deux parties.
     La première partie est consacrée à l’analyse des paroles du Christqui s’avèrent aptes à ouvrir le thème présent. Ces paroles ont été analysées longuement dans l’ensemble du texte biblique ; et à la suite de cette réflexion de plusieurs années, il a semblé indiqué de mettre en relief les trois textes qui ont été soumis à l’analyse précisément dans la première partie de la catéchèse.
Il y a d’abord le texte où le Christ se réfère « à l’origine » dans son entretien avec les pharisiens sur l’unité et l’indissolubilité du mariage (cf. Mt 19, 8 ; Mc10, 6-9). Puis il y a les paroles du Christ dans le Sermon sur la montagne sur « la concupiscence » comme « adultère commis dans le cœur » (cf. Mt 5, 28). Enfin, il y a les paroles transmises par tous les synoptiques, où Jésus se rapporte à la résurrection des corps dans « l’autre monde » (cf. Mt 22, 30 ; Mc12, 25 ; Lc 20, 35).
     La seconde partie de la catéchèse a été consacrée à l’analyse du sacrement sur la base de l’Épître aux Éphésiens (Ep 5, 22-23), qui remonte à « l’origine » biblique du mariage exprimée dans les paroles du Livre de la Genèse : « … l’homme laissera son père et sa mère, s’attachera à sa femme et les deux deviendront une seule chair » (Gn 2, 24).
     La catéchèse de la première partie et de la seconde utilise de manière répétée le terme « théologie du corps ». Celui-ci est, en un certain sens, un terme « de travail ». L’introduction du terme et du concept de « théologie du corps » était nécessaire pour fonder le thème : « La rédemption du corps et la sacramentalité du mariage » sur une base plus large. Il convient en effet d’observer tout de suite que le terme « théologie du corps » embrasse bien plus que le contenu des réflexions que j’ai faites. Ces réflexions n’envisagent pas un bon nombre de problèmes qui, en raison de leur objet, appartiennent à la théologie du corps (comme, par exemple, le problème de la souffrance et de la mort, si important dans le message biblique. Il faut le dire clairement. Il faut néanmoins reconnaître de manière explicite que les réflexions au sujet du thème : « La rédemption du corps et le caractère sacramentel du mariage », peuvent se dérouler correctement en partant du moment où la lumière de la Révélation touche la réalité du corps humain (c’est-à-dire sur la base de la « théologie du corps »). Ceci est confirmé notamment par les paroles du Livre de la Genèse : « les deux deviendront une seule chair », paroles qui originairement et thématiquement, sont à la base de notre sujet.
     . Les réflexions sur le sacrement de mariage ont été menées en considérant les deux dimensionsessentielles à ce sacrement(comme à tout autre sacrement), c’est-à-dire la dimension de l’Alliance et de la grâce et la dimension du signe.
     À travers ces deux dimensions nous sommes revenus continuellement aux réflexions sur la théologie du corps, unies aux paroles clés du Christ. Nous sommes revenus à ces réflexions également, en entreprenant au terme de ce cycle de catéchèse, l’analyse de l’encyclique Humanae vitae.
     La doctrine contenue dans ce document de l’enseignement contemporain de l’Église demeure en rapport organique soit avec le caractère sacramentel du mariage soit avec toute la problématique biblique de la théologie du corps, centrée sur les paroles clés du Christ. En un certain sens, on peut même dire que toutes les réflexions qui traitent de « la rédemption du corps et du caractère sacramentel du mariage » semblent constituer un ample commentaire de la doctrine contenue précisément dans l’encyclique Humanae vitae.
Ce commentaire semble tout à fait nécessaire. L’encyclique, en effet, en donnant une réponse à quelques interrogations que l’on se pose aujourd’hui dans le cadre de la morale conjugale et familiale, a suscité en même temps, comme on le sait, d’autres questions, de nature bio-médicale. Mais ces questions sont aussi (et surtout) de nature théologique; elles appartiennent à ce domaine de l’anthropologie et de la théologie que nous avons appelé « théologie du corps ».
     Les réflexions faites consistent à affronter les interrogations qui ont surgi en relation avec l’encyclique Humanae vitae. La réaction qu’a suscitée l’encyclique confirme l’importance et la difficulté de ces interrogations. Elles sont réaffirmées également par les textes postérieurs de Paul VI, où il soulignait la possibilité d’approfondir l’exposé de la vérité chrétienne dans ce secteur.
     L’exhortation Familiaris consortio, fruit du Synode des évêques de 1980 : « De muneribus familiae christianae», l’a réaffirmé. Ce document comprend un appel, adressé particulièrement aux théologiens, pour qu’ils élaborent de manière plus complète les aspects bibliques et personnels de la doctrine contenue dans « Humanae vitae ».
     Recueillir les interrogations suscitées par l’encyclique veut dire les formuler et en même temps en chercher la réponse. La doctrine contenue dans Familiaris consortiodemande que, soit la formulation des interrogations, soit la recherche d’une réponse adéquate se concentre sur les aspects bibliques et personnels. Cette doctrine indique également la voie à suivre pour le développement de la théologie du corps, la direction du développement et donc aussi la direction de son perfectionnement et de son approfondissement progressifs.
     3. L’analyse des aspects bibliquesparle de la manière d’enraciner la doctrine proclamée par l’Église contemporaine dans la Révélation. Ceci est important pour le développement de la théologie. Le développement, c’est-à-dire le progrès en théologie, se réalise, en effet, en reprenant constamment l’étude du dépôt révélé.
     L’enracinement de la doctrine, proclamée par l’Église dans toute la Tradition et dans la Révélation divine elle-même, est toujours ouvert aux interrogations de l’homme et utilise également les instruments les plus conformes à la science moderne et à la culture d’aujourd’hui. Il semble que dans ce secteur l’intense développement de l’anthropologie philosophique (en particulier de l’anthropologie qui se trouve à la base de l’éthique) rencontre de très près les interrogations suscitées par l’encyclique Humanae vitaeà l’égard de la théologie et spécialement de l’éthique théologique.
     L’analyse des aspects personnelsde la doctrine contenue dans ce document a une signification existentielle pour établir en quoi consiste le vrai progrèsc’est-à-dire le développement de l’homme. En fait, dans toute la civilisation contemporaine — et particulièrement dans la civilisation occidentale — il existe une tendance cachée et en même temps suffisamment explicite à mesurer ce progrès selon la mesure des « choses », c’est-à-dire des biens matériels.
     L’analyse des aspects personnels de la doctrine de l’Église contenue dans l’encyclique de Paul VI, met en évidence un appel résolu à mesurer le progrès de l’homme selon la mesure de « la personne », c’est-à-dire de ce qui est un bien de l’homme comme homme — qui correspond à sa dignité essentielle.
     L’analyse des aspects personnels entraîne la conviction que l’encyclique présente comme problème fondamentalle point de vue de l’authentique développement de l’homme; ce développement se détermine, en effet, en principe, à la mesure de l’éthique et non seulement à celle de la « technique ».
    4. Les catéchèses consacrées à l’encyclique Humanae vitae constituent seulement une partie, la partie finale, de celles qui ont traité de la rédemption du corps et du caractère sacramentel du mariage.
     Si j’attire particulièrement l’attention précisément sur ces dernières catéchèses, je le fais non seulement parce que le thème dont elles traitent est plus étroitement lié à notre époque, mais avant tout parce que c’est d’elles que proviennent les interrogations qui imprègnent, en un certain sens, l’ensemble de nos réflexions. Il en résulte que cette partie finale n’est pas artificiellement ajoutée à l’ensemble mais qu’elle lui est unie de manière organique et homogène. En un certain sens, cette partie qui, dans la disposition d’ensemble est placée à la fin, se trouve en même temps au début de cet ensemble. Ceci est important du point de vue de la structure et de la méthode.
     Le moment historique semble avoir lui aussi sa signification : en effet, les présentes catéchèses ont commencé durant la période de préparation au Synode des évêques de 1980 sur le thème du mariage et de la famille (« De muneribus familiae christianae») et prennent fin après la publication de l’exhortation Familiaris consortioqui est le fruit des travaux de ce Synode. Et il est bien connu que le Synode de 1980 s’est référé également à l’encyclique Humanae vitaeet a reconfirmé pleinement sa doctrine.
     Toutefois le moment le plus important semble celui, essentiel, que, dans l’ensemble des réflexions accomplies, on peut préciser de la manière suivante : pour affronter les interrogations que suscite l’encyclique Humanae vitae, surtout en théologie, pour formuler ces interrogations et chercher la réponse, il importe de trouver ce cadre biblico-théologique auquel on fait allusion quand on parle de « rédemption du corps et caractère sacramentel du mariage ». Dans ce cadre se trouvent les réponses aux interrogations éternelles de la conscience des hommes et des femmes, et également à celles, difficiles, de notre monde contemporain en ce qui concerne le mariage et la procréation.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1985

 

13 décembre 1985- Au Conseil Pontifical pour la Famille

     Nous avons, depuis un mois, commémoré plusieurs documents conciliaires, approuvés et publiés il y a juste vingt ans. L’un des documents principaux était la constitution pastorale “Gaudium et Spes”, adoptée le 7 décembre 1965. Elle présente une vision chrétienne de l’homme et de la société, et l’interaction de l’Eglise, comme peuple de Dieu, et des communautés humaines. Elle traite de nombre de problèmes qui sont d’une importance cruciale pour le monde d’aujourd’hui et au premier rang desquels il faut mentionner la doctrine sur le mariage et la famille.

    Ces deux thèmes ont été depuis lors l’objet d’une attention spéciale de la part du Magistère de l’Eglise. L’encyclique “Humanae Vitae” de mon prédécesseur Paul VI, le Synode sur la mission de la famille et l’exhortation apostolique “Familiaris Consortio”, tout comme les catéchèses que j’ai consacrées aux aspects concrets de la doctrine chrétienne sur le mariage, sans compter beaucoup de documents pastoraux de mes Frères dans l’épiscopat, ont indiqué aux fidèles le juste ordre humain et chrétien de l’union qui leur fait partager le mystère sacramentel du mariage.

     Le Comité de la Famille - devenu le Conseil pontifical pour la Famille - a été institué pour mieux contribuer à exposer et à divulguer la doctrine sur le mariage et la famille, et aussi pour apporter une aide directe et adéquate à la pastorale spécifique des diverses situations qui affectent la vie familiale. Vous êtes donc, vous tous qui appartenez de plein droit à ce Dicastère de l’Eglise, coopérateurs du Pape dans sa sollicitude pour toutes les Eglises. Je vous remercie vivement de votre collaboration. Votre mission se réfère à la fois à la doctrine et à la pastorale des foyers.

     2. Il vous faut donc d’abord vous référer à la vérité que l’Eglise expose et transmet sur le mariage. Le Magistère de l’Eglise ne crée pas la doctrine, il enseigne les exigences de l’ordre moral afin qu’à sa lumière le jugement de la conscience puisse être vrai. Le fidèle a le droit de recevoir du Magistère l’enseignement sur la vérité morale. Et l’on ne peut pas dire que le Magistère de l’Eglise s’oppose aux “droits de la conscience”. Si la raison humaine et le Magistère fondé sur la Révélation ont accès, bien que de manière différente, à la vérité qui est fondée en Dieu, la conscience éclairée par la raison ne verra pas dans cette autre lumière qui lui vient à travers le Magistère une simple conception parmi d’autres, mais le soutien apporté par la Providence divine à notre nature humaine, dans sa condition faible et limitée.

     Le Magistère de l’Eglise ne remplace donc pas la conscience morale des personnes; il l’aide à se former, à découvrir la vérité des choses, le mystère et la vocation de la personne humaine, le sens profond de ses actes et de ses relations. Car la conscience ne peut jamais se livrer à l’arbitraire; elle peut se tromper en s’orientant vers ce qui lui paraît raisonnablement un bien; mais son devoir est de s’orienter vers le bien selon la vérité.

     Il n’est pas étonnant que le mariage et les relations conjugales soient l’un des domaines où le désordre intérieur, conséquence du péché originel et des péchés personnels de Chacun, a largement répandu les brouillards de la désorientation et du doute. C’est précisément un point où le Magistère de l’Eglise doit exposer la vérité en étant particulièrement attentif à promouvoir le bien des personnes et de la société humaine, si étroitement dépendant de cette cellule de base qu’est la famille.

     En exposant les lois morales qui entourent la vérité du don des conjoints, l’Eglise ne promeut pas seulement la rectitude morale de chacun des conjoints, mais elle défend la vérité du mariage lui-même, origine et garantie de la famille. C’est pourquoi la constitution pastorale “Gaudium et Spes”, en exposant les critères objectifs - “tirés de la nature même de la personne et de ses actes” - qui déterminent la moralité de la vie intime des conjoints, les appellent “critères qui respectent, dans un contexte d’amour véritable, la signification totale d’une donation réciproque et d’une procréation à la mesure de l’homme”. Mais, en même temps, cette donation mutuelle totale et la procréation humaine ne sont pas autres choses, dans la vie conjugale, que le fidèle reflet de la nature du mariage. Logiquement, les liens essentiels entre la nature du mariage lui-même, le don de soi mutuel et l’ouverture à la vie, déterminent la vérité des actes spécifiques du mariage, conditionnant en même temps le fait qu’ils soient bons ou non.

     En ce sens, on peut dire que le rappel de la doctrine de l’Eglise est une façon profonde d’exercer la charité: un amour qui ne se limite pas à promouvoir des “solutions”, peut-être faciles et d’un effet immédiat, mais qui, comme le bon médecin, cherche à soigner les causes du désordre, même lorsque, parfois, on ne voit pas tout de suite les résultats. Or, là où abonde le désordre de la vie conjugale, les fondements de l’institution du mariage et de la stabilité de la famille sont mines, et il faut préparer des remèdes profonds, à la mesure du mal.

     Mais il importe de bien exposer la doctrine, avec des arguments et des exemples qui soient de nature à mieux toucher et convaincre nos contemporains.

      Par ailleurs, les problèmes de la famille sont loin de se limiter à ceux que je viens d’évoquer touchant l’union des époux. Ils sont multiples. Ils ne concernent pas seulement la procréation, mais l’éducation, et toute l’ambiance de vie des familles.

      Enfin les progrès scientifiques, notamment ceux qui concernent l’embryon, sont en train de poser beaucoup de questions nouvelles et graves. Il faut que l’Eglise les regarde en face. Votre Conseil y a sa part, et doit y demeurer attentif, tout en admettant que Ses réponses complexes du Magistère seront le fruit de la collaboration de plusieurs Dicastères, utiliseront la réflexion d’experts très qualifiés, ainsi que le jugement théologique et moral des divers théologiens et de leurs Pasteurs. C’est là encore un service que l’Eglise doit apporter aux consciences et à la société.

     3. L’activité apostolique de votre Conseil, s’appuyant sur la doctrine, doit viser une meilleure pastorale familiale, permettant aux fidèles de mieux accueillir cette vérité et de la faire entrer dans leur propre vie, comme dans les moeurs de la société. C’est le deuxième aspect de votre mission, inséparable du premier. Vous avez d’ailleurs réfléchi durant votre Assemblée sur la façon de préparer les agents de la pastorale familiale.

     Votre contribution demeure très précieuse et particulière. Car vous êtes au sein de la Curie, en relation directe avec le Pape; l’horizon de votre sollicitude est l’Eglise universelle; et la composition même du Conseil, avec des couples chrétiens de différents pays qui ont assimilé la doctrine familiale de l’Eglise et cherchent à en vivre, prédispose à cet apostolat.

     Mais vous êtes conscients de l’immensité de l’œuvre. C’est l’ensemble des laïcs vivant la vocation du mariage qui sont appelés à cet apostolat, aidés de leurs prêtres. Il faut souhaiter que de multiples initiatives soient prises en ce sens dans les Eglises locales, et que les associations familiales, les mouvements, les centres spécialisés apportent une collaboration qualifiée et généreuse, inspirée de l’esprit chrétien, en fidélité à la doctrine de l’Eglise. Sur place, les évêques sont directement responsables de l’authenticité chrétienne et de l’opportunité de cette action. Ils comptent sur votre compréhension et votre encouragement.

      Un tel apostolat prendra en considération la formation et les conditions particulières des personnes pour les amener à mieux comprendre les exigences du mariage chrétien et à progresser dans l’amour conjugal et parental tel que le veut le Seigneur. S’il n’est pas permis de parler de “gradualité de la loi”, comme si la loi était plus ou moins exigeante suivant les situations concrètes, il n’est pas moins nécessaire de tenir compte de la “loi de gradualité”, car tout bon pédagogue, sans infirmer les principes, est attentif à la situation personnelle de ses interlocuteurs pour leur permettre un meilleur accueil de la vérité. Ceux qui conforment leur vie à ces exigences, ou qui au moins s’efforcent de les vivre de manière cohérente, sont mieux à même d’en communiquer les valeurs.

Outre cette cohérence chrétienne avec la vérité, toutes les sciences en relation avec la pédagogie, celles qui aident à mieux connaître la personne et qui favorisent la communication, seront certainement d’une grande utilité.

     Mais si nécessaire que soit ce travail de formation doctrinale, le témoignage de vie des époux chrétiens est d’une valeur tout à fait unique. Le Magistère de l’Eglise ne présente pas des vérités impossibles à vivre. Certes, les exigences de la vie chrétienne dépassent les possibilités de l’homme s’il n’est pas aidé par la grâce. Mais ceux qui se laissent vivifier par l’Esprit de Dieu font l’expérience que l’accomplissement de la loi du Christ est possible, qu’il s’agit même d’un “joug qui est doux” et que cette fidélité procure de grands bienfaits. Le témoignage de cette expérience constitue alors pour les autres couples de bonne volonté, souvent désorientés et insatisfaits, un puissant motif de crédibilité et d’entraînement; comme le sel dont parle l’Evangile, elle leur donne le goût de vivre ainsi. Le sacrement de mariage rend les époux chrétiens capables de ce charisme. Ils manifestent alors que les valeurs chrétiennes couronnent et fortifient les valeurs humaines. La vérité plénière du Christ, loin d’amoindrir le véritable amour, le garantit et le protège; elle est à la source du bien propre des époux; elle suscite pour la société des foyers qui seront les ferments d’une humanité meilleure.

     Beaucoup de responsables de la société civile, prenant conscience des mutations profondes et de la crise qui affectent si largement la vie familiale, la stabilité des foyers, l’épanouissement des époux et des enfants, sont sans doute prêts à prendre en considération l’importance de cette contribution spécifique, inspirée des principes moraux naturels et chrétiens, offerte loyalement et humblement.

Voilà, en tout cas, ce qu’il nous faut promouvoir dans l’Eglise avec lucidité et courage, en liaison avec les forces vives qui travaillent déjà pour la pastorale familiale.

     Le prochain Synode sur la mission des laïcs fortifiera sans nul doute cette prise de conscience et cet appel, déjà avivés par le précédent Synode ordinaire, car la famille est l’un des domaines spécifiques où il revient aux laïcs d’imprégner la société humaine de l’Esprit du Christ.

 

 

 

 

1987

 

 

5 juin 1987 -Aux participants d ‘un congrès sur la procréation responsable. ’Université du Sacré-Cœur  de Rome

     Je vous salue chaleureusement et vous remercie de votre présence, et je suis heureux que le Centre d’études et de recherches sur la régulation naturelle de la fertilité de la faculté de médecine de l’université catholique du Sacré-Cœur ait organisé cette année une étude sur les questions relatives à la procréation responsable.

     Votre engagement s’inscrit dans la mission de l’Eglise et y participe, en raison d’un souci pastoral qui est des plus urgent et important. Il s’agit de faire en sorte que les époux vivent saintement leur mariage. Vous proposez de les aider dans chemin vers la sainteté, en vue de la pleine réalisation de leur vocation conjugale.

     Il est bien connu que souvent — ainsi que l’a également relevé le concile Vatican II (cf. Gaudium et spes, 51,1) — l’une des principales inquiétudes auxquelles sont exposés les époux est constituée par la difficulté à réaliser dans leur vie conjugale la valeur éthique de la procréation responsable. Ce même Concile pose à la base une juste solution à ce problème sur cette vérité : il ne peut y avoir de contradiction entre la loi divine concernant la transmission de la vie humaine et l’authentique amour conjugal (cf. Gaudium et spes, 2). Parler d’un « conflit de valeurs ou de biens » et de la nécessité qui en découlerait de les « équilibrer », en choisissant l’un et en rejetant l’autre, n’est pas moralement correct et ne fait qu’engendrer la confusion dans la conscience des époux. La grâce du Christ donne aux époux la vraie capacité à accomplir la «l’entière  vérité » de leur amour conjugal. Vous voulez témoigner concrètement de cette possibilité et ce faisant donner aux couples mariés une aide précieuse : celle de vivre dans la plénitude de leur communion conjugale. Nonobstant les difficultés que vous pouvez rencontrer, il est nécessaire de continuer avec un dévouement généreux.

     Les difficultés que vous rencontrez sont de diverses natures. La première, et en un certain sens, la plus grave, est que même dans la communauté chrétienne, on a entendu des voix — et on continue de les entendre — qui remettent en question la vérité même de l’enseignement de l’Eglise. Cet enseignement a été vigoureusement affirmé par Vatican II, par l’encyclique Humanae Vitae, par l’exhortation apostolique Familiaris consortio, et par la récente instruction Donum Vitæ. À cet égard, une grave responsabilité se fait jour : ceux qui se placent en contradiction ouverte par rapport à la loi de Dieu, authentiquement enseignée par l’Eglise, entraînent les époux sur un mauvais chemin. Rien de ce qu’enseigne l’Eglise sur la contraception n’appartient à une matière susceptible de libre discussion de la part des théologiens. Enseigner le contraire revient à induire en erreur la conscience morale des époux.

     La deuxième difficulté est constituée par le fait que de nombreuses personnes pensent que l’enseignement chrétien, quoique vrai, serait cependant impossible à mettre en œuvre, au moins dans certaines circonstances. Comme la tradition de l’Eglise l’a constamment enseigné, Dieu ne commande pas l’impossible, mais tout commandement comporte aussi un don de grâce qui aide la liberté humaine à l’accomplir. Mais sont cependant nécessaires la prière constante, le recours fréquent aux sacrements et l’exercice de la chasteté conjugale. Vos efforts ne doivent donc pas se limiter au seul enseignement d’une méthode pour le contrôle de la fertilité humaine. Cette information devra s’insérer dans le contexte d’une proposition éducative complète, qui s’adresse aux personnes des époux, prises dans leur intégrité. Sans ce contexte anthropologique, votre proposition risquerait d’être mal comprise. De cela, vous êtes bien convaincus, puisque vous avez toujours placé à la base de vos formations une réflexion anthropologique et éthique correcte.

      Aujourd’hui plus qu’hier, l’homme recommence à ressentir le besoin de vérité et de raison droite dans son expérience quotidienne. Soyez toujours prêts à dire, sans ambiguïté, la vérité sur le bien et le mal concernant l’homme et la famille.

     C’est avec ces sentiments que je souhaite encourager le service d’apostolat unique que vous cherchez à mettre en œuvre dans les diocèses et dans les centres de formation familiale. En éduquant à la procréation responsable, sachez encourager les époux à suivre les principes moraux inhérents à la loi naturelle et à une saine conscience chrétienne. Apprenez-leur à rechercher et à aimer la volonté de Dieu. Encouragez-les à respecter et à remplir la sublime vocation à l’amour sponsal et au don de la vie.

     Je vous bénis tous volontiers, ainsi que ceux qui vous sont chers, et les initiatives de votre apostolat.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


1988

 

 


14 mars 1988 - Congrès international sur la famille d'Afrique et d'Europe, tenu à Rome, à l'occasion des 20 ans d'Humanae Vitae
     C'est avec une grande joie que je vous accueille pour cette audience spéciale que j'ai volontiers réservée à votre représentation qualifiée, à l'occasion du Congrès international convoqué pour rappeler le 20e anniversaire de l'Encyclique Humanae vitae. En vous adressant mon cordial salut, avec une pensée particulière pour le professeur Bausola que je remercie de son allocution, je désire exprimer ma vive satisfaction aux responsables du « Centre d'études et de recherches sur la régulation naturelle de la fertilité » de l'Université catholique du Sacré-Cœur qui ont pris cette initiative, qui se renouvellera dans quelques jours à Bologne.
     La continuité sans interruption avec laquelle l'Église l'a proposé naît de sa responsabilité envers le vrai bien de la personne humaine. De la personne humaine des conjoints, en tout premier lieu. En effet, l'amour conjugal est leur bien le plus précieux. La communion interpersonnelle qui s'établit entre deux baptisés en vertu de cet amour est le symbole réel de l'amour du Christ pour son Église. La doctrine exposée dans l'Encyclique Humanae vitae constitue donc la nécessaire défense de la dignité et de la vérité de l'amour conjugal.
Comme envers toute valeur éthique, l'homme a une grave responsabilité à l'égard de l'amour conjugal. Les conjoints sont les premiers responsables de leur amour conjugal, en ce sens qu'ils sont appelés à le vivre dans sa vérité entière.
     L'Église les aide dans cette tâche en éclairant leur conscience et en leur assurant, par les sacrements, la force qui est nécessaire à la volonté pour qu'elle choisisse le bien et évite le mal.
      Je ne peux cependant passer sous silence le fait que beaucoup aujourd'hui n'aident pas les conjoints en cette grave responsabilité qui est la leur, mais au contraire leur créent des obstacles notables.
     A cet égard, tout homme qui a perçu la beauté et la dignité de l'amour conjugal ne peut demeurer indifférent devant des  tentatives qui se font jour pour assimiler, à tous les effets, le lien conjugal et la simple cohabitation de fait. C'est là une égalisation injuste, destructrice d'une des valeurs fondamen¬tales de toute convivialité civile - l'estime du mariage - et peu éducative pour les jeunes générations, tentées ainsi d'avoir une conception et de faire une expérience de liberté qui se révèlent déformées à leur racine même.
     De plus, les conjoints peuvent rencontrer de sérieux obsta¬cles dans leurs efforts pour vivre correctement l'amour conjugal à cause d'une certaine mentalité hédoniste cou¬rante, des moyens de communication sociale, des idéologies et des pratiques contraires à l'Évangile. Mais cela peut aussi arriver, et avec des conséquences réellement graves et désagrégatrices, quand la doctrine enseignée par l'Encycli¬que est mise en discussion, comme cela est arrivé, même de la part de certains théologiens et pasteurs d'âmes. Cette attitude, en fait, peut insinuer le doute sur un enseignement qui, pour l'Église, est certain, obscurcissant ainsi la percep¬tion d'une vérité qui ne peut être discutée. Ce n'est pas là un signe de « compréhension pastorale » mais d'incompréhension du vrai bien des personnes. La vérité ne peut être mesurée d'après l'opinion de la majorité.
     La préoccupation, que vous avez eue dans votre Congrès, d'insérer la réflexion de caractère plus spécifiquement tech¬nique et scientifique sur le contrôle naturel de la fertilité dans le contexte de larges réflexions théologiques, philoso¬phiques et éthiques, doit être soulignée et louée. Une autre manière d'affaiblir chez les conjoints leur sentiment qu'ils sont responsables de leur amour conjugal est, en effet, de diffuser l'information sur les méthodes naturelles sans qu'elle s'accompagne de la nécessaire formation des conscien¬ces. La technique ne résout pas les problèmes éthiques, tout simplement parce qu'elle n'est pas en mesure de rendre meilleure la personne. L'éducation à la chasteté est un moment que rien ne peut remplacer. S'aimer comme des conjoints, cela n'est possible qu'à l'homme et à la femme qui sont arrivés à une véritable harmonie au plus profond de leur personnalité.

      Vingt ans après la publication de l'Encyclique, on peut voir clairement que la norme morale qu'elle enseigne n'est pas seulement une défense de la bonté et de la dignité de l'amour conjugal, et donc du bien de la personne des conjoints. Elle a une portée éthique encore plus vaste. En effet, la logique profonde de l'acte contraceptif, sa racine ultime, que Paul VI avait déjà identifiées de manière prophétique, sont maintenant manifestes. Quelle logique ? Quelle racine ?
     La logique anti-vie : au cours des ces vingt dernières années, dé nombreux États ont renoncé à leur dignité d'être les défenseurs de la vie humaine innocente, par des législations favorables à l'avortement. Un véritable massacre d'inno¬cents s'accomplit chaque jour dans le monde.
     Quelle racine ? C'est la rébellion contre Dieu créateur, unique Seigneur de la vie et de la mort des personnes humaines ; c'est la non-reconnaissance de Dieu comme Dieu ; c'est la tentative, intrinsèquement absurde, de cons¬truire un monde où Dieu soit totalement étranger.
     Dans l'Encyclique Humanae vitae, Paul VI exprimait sa certitude de contribuer, en défendant la morale conjugale, à l'instauration d'une civilisation véritablement humaine (cf. n. 18). Vingt ans après la publication de ce document, les confirmations du bien-fondé de cette conviction  font vraiment pas défaut. Et ce sont des confirmations que peuvent vérifier non seulement les croyants mais aussi tout homme soucieux du destin de l'humanité : chacun peut voir à quelles conséquences on en est arrivé en n'obéissant pas à la sainte loi de Dieu. Votre engagement - comme celui de tant d'autres person¬nes de bonne volonté - est un signe d'espérance non seulement pour l'Église mais pour toute l'humanité. En invitant cordialement chacun d'entre vous à persévérer avec générosité sur la route commencée, je vous accorde à tous ma bénédiction, en gage de l'aide céleste.

 

 

 

 

 

 

 

8 octobre 1988 - Au Conseil de l'Europe (extrait)

     La famille est sans doute la réalité où l’interaction de la responsabilité personnelle avec les conditions sociales apparaît le plus. L’évolution récente de la société européenne a rendu plus difficile l’équilibre et la stabilité des familles. En ce sens jouent des facteurs d’ordre économique en rapport avec le travail – notamment celui de la femme –, le logement, les déplacements des personnes, les migrations volontaires et les exils forcés. D’autre part, on voit se répandre des conceptions qui dévalorisent l’amour, isolent la sexualité de la communion de vie qu’elle exprime, affaiblissent les liens stables auxquels un amour vraiment humain engage. Il y a là un réel danger, car la famille se déstabilise et se désagrège. Les courbes démographiques descendantes sont un signe d’une crise de la famille qui suscite l’inquiétude.

     Dans cette situation, il faut que les Européens se ressaisissent et redonnent à la famille sa valeur d’élément premier dans la vie sociale. Qu’ils sachent créer les conditions qui favorisent sa stabilité, qui permettent d’y accueillir et d’y donner la vie généreusement! Que l’on reprenne conscience de la dignité des responsabilités exercées par chaque être humain dans son foyer pour le soutien et le bonheur d’autrui! La famille comme telle est un sujet de droits, cela doit être admis plus nettement.

     Je ne puis ici qu’évoquer brièvement ces préoccupations. Vous savez combien l’Eglise catholique y attache d’importance, au point d’avoir proposé une «Charte des Droits de La Famille». Tout ce qui concerne la famille est un souci que les communautés chrétiennes approfondissent à la lumière de leur foi, mais qu’elles partagent avec toute personne qui a le souci de la dignité humaine.

     7. L’un des aspects les plus impressionnants du développement scientifique concerne les disciplines biologiques et médicales. Souvent, dans vos instances, vous avez à connaître des interrogations que suscitent les possibilités nouvelles d’intervenir aux divers stades de la vie, en dépassant les limites des thérapeutiques habituellement pratiquées. Les processus génétiquespeuvent être favorisés, mais aussi altérés. Des processus biogénétiques en viennent à briser la filiation naturelle. Le diagnostic d’une pathologie prénatale conduit trop facilement à l’avortement, alors que son but légitime est d’ordre thérapeutique.

     L’expérimentation pratiquée sur des embryons humains ouvre la voie à des manipulations abusives. Il arrive aussi que de graves interventions soient acceptées du seul fait que les progrès scientifiques les rendent réalisables.

     Votre Assemblée est fréquemment amenée à réfléchir à ces questions qui sont de nature fondamentalement éthique. Il est nécessaire que le respect de la dignité humaine ne soit jamais perdu de vue, depuis le moment même de la conception, jusqu’aux stades ultimes de la maladie ou aux états les plus graves d’obscurcissement des facultés mentales. Vous comprendrez que je redise ici la conviction de l’Eglise: l’être humain garde à jamais sa valeur comme personne, car la vie est un don de Dieu. Les plus faibles ont le droit à la protection, aux soins, à l’affection, de la part de leurs proches et de la part de la société solidaire. L’insistance de l’Eglise pour sauvegarder toute vie dès la conception ne s’inspire de rien d’autre que d’une exigence éthique qui résulte de ce qu’est l’homme même et qui ne saurait être étrangère à aucune conscience libre et éclairée. L’Eglise connaît la gravité des dilemmes qui se présentent à de nombreux couples ainsi qu’aux médecins ou aux divers conseillers de santé; elle n’ignore pas leur souffrance et leurs doutes; elle voudrait demander cependant que l’on n’en vienne pas à déformer les consciences et que la fraternité authentiquement humaine ne fasse jamais défaut. Elle accueille favorablement les progrès accomplis pour protéger la vie de l’enfant à naître, pour préserver l’intégrité de son patrimoine génétique naturel, pour développer des thérapies efficaces.

     En plaçant des bornes d’ordre éthique à l’action de l’homme sur l’homme, votre Institution accomplira son rôle de conscience critique au service de la communauté.

 

 

 

 

 

 

 

7 novembre 1988 - A l'Initiative du Conseil pontifical pour la famille, un colloque a réuni à Rome, les 7 et 8 novembre 1988, une soixantaine d'évêques présidents des Commissions épiscopales pour la famille.

     1. Avec une très grande joie, je vous adresse mon salut affectueux, à vous tous, frères dans l'épiscopat, ainsi qu'aux si nombreux frères que vous représentez.

     J'ajoute à ce salut ma reconnaissance pour votre disponibi­lité à consacrer une partie de votre temps et toute votre charité pastorale à réfléchir sur un sujet d'une importance toute particulière pour la vie et la mission de l'Église. Je dois en outre adresser un merci spécial au Conseil pontifical pour la famille, qui a organisé cette rencontre et y participe.

 

L'Église, signe de contradiction

    2.  Le motif de cette rencontre est le vingtième anniversaire de l'encyclique Humanae vitae que Paul VI publia, le 25 juillet 1968, sur le grave problème de la juste régulation des naissances. Dans l'allocution du mercredi qui suivit la publication de l'encyclique, le même Paul VI confia aux fidèles les sentiments qui l'avaient guidé dans l'accomplissement de son mandat apostolique. Il disait : « Ce fut d'abord la conscience de notre très grave responsabilité. Elle nous a fait entrer et demeurer au cœur de la question durant les quatre années consacrées à l'étude et à l'élaboration de cette encyclique. Nous vous confierons que ce sentiment nous a fait beaucoup souffrir spirituellement. Jamais nous n'avons senti comme en cette circonstance le poids de notre charge. Nous avons étudié, lu, discuté autant que nous avons pu, et nous avons aussi beaucoup prié... Invoquant les lumières de l'Esprit-Saint, nous avons mis notre conscience dans la pleine et libre disposition à la voix de la vérité, cherchant à interpréter la règle divine que nous voyons surgir de l'exigence intrinsèque de l'amour humain authentique, des structures essentielles de l'institution du mariage, de la dignité personnelle des époux, de leur mission au service de la vie, comme aussi de la sainteté du mariage chrétien. Nous avons réfléchi sur les éléments stables de la doctrine traditionnelle de l'Église, spécialement sur les enseignements du récent Concile. Nous avons pesé les conséquences de l'une et de l'autre décision, et nous n'avons plus eu de doute sur notre devoir de Nous prononcer dans les termesexpriméspar la présente encyclique. » (Cf. Insegnamenti di Raolo VI, vol. VI, 1968, p. 870-871.) (1)

     Tout le monde connaît les réactions, parfois âpres et même méprisantes, qui, jusque dans certains milieux de la commu­nauté ecclésiale elle-même, ont accueilli la publication de l'encyclique Humanae vitae. Mon vénéré prédécesseur les avait clairement prévues. Il écrivait en effet dans l'encycli­que : « On peut prévoir que cet enseignement ne sera peut-être pas facilement accueilli par tout le monde : trop de voix - amplifiées par les moyens modernes de propagande - s'opposent à la voix de l'Eglise. Celle-ci, à vrai dire, ne s'étonne pas d'être, à la ressemblance de son divin Fonda­teur, un « signe de contradiction », mais elle ne cesse pas pour autant de proclamer, avec une humble fermeté, toute la loi morale, tant naturelle qu'évangélique. » (N. 18.)

     Par ailleurs, Paul VI a toujours eu une profonde confiance dans la capacité des hommes d'aujourd'hui à accueillir et à comprendre la doctrine de l'Église quant au principe du « lien indissoluble que Dieu a voulu, et que l'homme ne peut rompre de son initiative, entre les deux significations de l'acte conjugal : union et procréation » (n. 12). « Nous pensons, écrivait-il, que les hommes de notre temps sont particulièrement en mesure de comprendre le caractère profondément raisonnable et humain de ce principe fonda­mental. » (N. 12.)

 

La signification prophétique de l'encyclique

    3. En réalité, les années qui ont suivi l'encyclique, malgré la persistance de critiques injustifiées et de silences inaccepta­bles, ont montré, avec une clarté toujours plus grande, combien le document de Paul VI était, non seulement toujours d'une brûlante actualité, mais aussi porteur d'une riche signification prophétique. Les évêques du Synode de 1980 en ont donné un témoignage particulièrement éloquent en écrivant dans leur 22e proposi­tion : « Ce saint Synode, réuni dans l'unité de la foi avec le successeur de Pierre, tient fermement ce qui a été enseigné par le Concile Vatican II (cf. Gaudium et spes, 50) et ensuite par l'encyclique Humanae vitae, et en particulier le fait que l'amour conjugal doit être pleinement humain, exclusif et ouvert à une nouvelle vie. » (Humanae vitae, 11 ; cf. 9 et 12.) (2)

     Par la suite, dans le contexte plus vaste de la vocation et de la mission de la famille, j'ai moi-même proposé une nouvelle fois, dans mon exhortation postsynodale Familiaris consortio (3), la perspective anthropologique et morale d'Humanae vitae sur la transmission de la vie humaine (n. 28-35). De même, au cours des audiences du mercredi, j'ai consacré mes dernières catéchèses « sur l'amour humain dans le plan de Dieu » à confirmer et éclairer le principe éthique fondamen­tal de l'encyclique de Paul VI, à savoir le lien indissoluble entre union et procréation dans l'acte conjugal, interprété à la lumière de la signification sponsale du corps humain (4).

     Parmi les fruits du Synode des évêques consacré à la mission de la famille dans le monde d'aujourd'hui, il faut rappeler la création de deux organismes ecclésiaux importants, destinés, ! l'un à stimuler l'activité pastorale concernant le mariage et I la famille, et l'autre à promouvoir la réflexion scientifique.

    Le premier de ces organismes est le Conseil pontifical pour la famille (5), qui a renouvelé profondément l'ancien Comité pontifical pour la famille voulu par Paul VI. Dans mon -« exhortation Familiaris consortio, j'ai indiqué le sens et la finalité de ce nouvel organisme : il devait être « un signe de i l'importance que j'attribue à la pastorale de la famille dans le monde et, en même temps, un instrument efficace pour aider à sa promotion à tous les niveaux » (n. 73).

    Le second organisme est L'Institut Jean-Paul II pour les études sur le mariage et la famille (6). Il a été fondé « pour que l'on mette davantage en lumière, selon une méthode scientifique, la vérité du mariage et de la famille, et afin que les laïcs, les religieux et les prêtres puissent acquérir en ce domaine une formation scientifique, aussi bien philosophique et théologique que dans les sciences humaines, de sorte que leur ministère pastoral et ecclésial s'exerce de la manière la plus adéquate et la plus efficace, pour le bien du Peuple de Dieu » (Const. ap. Magnum matrimonii, 7 octobre 1982, n. 3). Cet organisme, créé et actif depuis déjà quelques années près l'Université pontificale du Latran, a obtenu la reconnais­sance juridique en 1982 et a continué ses louables efforts, élargissant son activité à d'autres pays. Ces jours-ci, cet Institut a programmé son second Congrès international de théologie morale sur le thème : « Humanae vitae : vingt ans plus tard », avec des réflexions et des analyses qui vont dans la ligne des préoccupations pastorales qui sont aussi celles de votre rencontre. La gravité des problèmes soulevés aujour­d'hui dans le domaine du mariage et de la famille rend toujours plus nécessaire qu'à l'intérieur des Conférences epis­copales nationales ou régionales, et parfois aussi en chaque diocèse, soient créés et se mettent à l'œuvre des organismes similaires à ceux que je viens de mentionner : c'est seulement de cette manière que les problèmes peuvent trouver, avec l'approfondissement doctrinal nécessaire, des réponses pas­torales valables, qui soient coordonnées de manière oppor­tune avec les initiatives d'autres organismes ecclésiaux.

 

La « crise » de la morale conjugale

     4. Cette rencontre revêt une importance particulière déjà par le fait qu'elle se déroule entre évêques, venus ici en tant que représentants des Conférences episcopales de leurs pays respectifs qui leur ont confié une mission spécifique dans ce secteur de la pastorale. La problématique théologique et pastorale suscitée par l'encyclique Humanae vitae et par l'exhortation Familiaris consortio, vénérés frères, représente sans aucun doute un chapitre fondamental de votre sollici­tude de maîtres et de pasteurs de la vérité évangélique et humaine sur le mariage et la famille.

     Cette rencontre peut être pour vous une occasion précieuse pour que, par l'échange d'expériences, on puisse mieux décrire et analyser la situation actuelle de l'Église, en faisant connaître les développements liés à la thématique d'Huma­nae vitae, comme aussi en fournissant des informations sur la réponse qui a été donnée à cet égard dans les diverses situations sociales et culturelles.

     La méthode de vos travaux et les résultats qui les couronne­ront pourront peut-être suggérer aussi qu'il serait opportun de renouveler à l'avenir des rencontres semblables. Elles se situent en effet dans le contexte d'une collaboration déjà en acte entre le Conseil pontifical pour la famille et les épiscopats des divers pays, surtout à l'occasion de la visite ad limina. Les multiples difficultés auxquelles la famille doit faire face dans le monde contemporain, conduisent à souhaiter le renforcement ultérieur de cette collaboration afin d'offrir aux époux toute l'aide possible pour mieux correspondre à la vocation qui est la leur.

     5. Par de nombreux aspects, la référence à l'encyclique Humanae vitae est liée, presque automatiquement, à l'idée de la « crise » qui a affecté et continue d'affecter la morale conjugale. Sans doute, on doit reconnaître les difficultés multiples et parfois graves que les prêtres et les couples rencontrent en ce domaine, les uns dans l'annonce de la vérité intégrale sur l'amour conjugal et les autres quand il s'agit de la vivre. D'autre part, les difficultés au niveau moral sont le fruit et le signe d'autres difficultés plus graves, qui touchent aux valeurs essentielles du mariage en tant que « communauté intime de vie et d'amour conjugal » (Gaudium et spes, 48).

     La diminution de l'estime portée à l'enfant en tant que « don très précieux du mariage » [ibid., 50), le refus catégorique de transmettre la vie, parfois à cause d'une conception erronée de la procréation responsable, de même qu'une interprétation tout à fait subjective et relativiste de l'amour conjugal, souvent très répandue dans notre société et notre culture, sont le signe évident de la crise actuelle du mariage et de la famille.

     Aux racines de la « crise », l'exhortation Familiaris consortio a identifié une corruption du concept et de l'expérience de la liberté, « celle-ci étant comprise non pas comme la capacité de réaliser la vérité du projet de Dieu sur le mariage et la famille, mais comme une force autonome d'affirmation de soi, assez souvent contre les autres, pour son bien-être égoïste » (n. 6).

     Plus radicalement encore, il faut noter une vision immanentiste et sécularisante du mariage, de ses valeurs et de ses exigences : le refus de reconnaître la source divine d'où découlent l'amour et la fécondité des époux expose le mariage et la famille à se dissoudre aussi comme expérience humaine.

 

Aspects positifs de la situation actuelle

     Dans le même temps, la situation actuelle présente aussi des aspects positifs, parmi lesquels il faut noter surtout la redécouverte des « ressources » dont disposent l'homme et la femme pour vivre l'amour conjugal dans sa vérité intégrale.

    La ressource première et fondamentale est le sacrement de mariage, Jésus-Christ lui-même qui se rend présent et agissant par l'intermédiaire de son Esprit, qui rend les époux chrétiens participants à son amour pour l'humanité rachetée. Ce « sacrement » manifeste pleinement et porte à son suprême achèvement le « sacrement primordial de la création » pour lequel, dès le commencement, l'homme et la femme ont été créés par Dieu à son image et à sa ressemblance, appelés à l'amour et à la communion. Ainsi l'homme et la femme, lorsqu'ils réalisent leur « humanité » selon la vocation au mariage, sont mis au service non seulement de leurs enfants mais aussi de l'Église et de la société.

     La période qui a suivi le Concile a marqué un progrès dans la prise de conscience de la signification ecclésiale et sociale du mariage et de la famille : c'est là le lieu le plus habituel et, en même temps, fondamental, où s'exprime la mission des laïcs dans l'Église. La « Charte des droits de la famille » (7), publiée par le Saint-Siège en 1983 à la demande du Synode des évêques, constitue un moment d'une particulière impor­tance pour la prise de conscience de la signification sociale et politique de la vie de couple et de famille. Le couple et la famille ne sont pas seulement les destinataires mais vrai­ment les « protagonistes » d'une « politique » au service du bien commun de la famille.

     6. Devant les difficultés et les ressources de la famille d'aujourd'hui, l'Église se sent appelée à renouveler sa prise de conscience de la mission qu'elle a reçue du Christ à l'égard de ce bien précieux : le mariage et la famille ; elle a reçu la mission de l'annoncer dans sa vérité, de le célébrer dans son mystère et de le faire vivre dans l'existence quotidienne par « ceux que Dieu appelle à le servir dans le mariage » (Humanae vitae, 25).

     Mais comment accomplir cette mission dans les conditions actuelles de l'Église et de la société?

     L'échange d'idées et d'expériences au cours de votre rencon­tre permettra certainement de trouver quelques réponses importantes.

     Il peut être de toute façon opportun, au début de vos travaux, de vous offrir quelques suggestions et de formuler quelques propositions.

 

L'amour conjugal, don de l'Esprit-Saint

     Plus que jamais, il est urgent de raviver la prise de conscience de l'amour conjugal comme don : c'est le don que, par le sacrement de mariage, l'Esprit-Saint qui, dans l'ineffable mystère de la Trinité, est la Personne-don (cf. Dominum et vivificantem, 10), répand dans le cœur des époux chrétiens. Ce don est la « loi nouvelle » de leur existence, la racine et la force de la vie morale du couple et de la famille. Et, en réalité, leur ethos consiste à vivre toutes les dimensions du don :

- La dimension conjugale, qui demande aux époux de devenir toujours davantage un seul cœur et une seule âme, révélant ainsi dans l'histoire le mystère de la communion qui existe en Dieu, un et trine ;

  • La dimension familiale, qui demande aux époux d'être disposés « à coopérer avec l'amour du Créateur et du Sauveur qui, par leur intermédiaire, sans cessé élargit et enrichit sa famille » (Gaudium et spes, 50), en accueillant de la main du Seigneur ce don qu'est l'enfant (cf. Gn 4, 1) ;
  • La dimension ecclésiale et sociale, par laquelle les époux et les parents chrétiens, en vertu du sacrement, « ont, dans leur état de vie et leur fonction, leurs dons propres au milieu du Peuple de Dieu » (Lumen gentium, 11) et, en même temps, assument et exercent - en tant que « première cellule vitale de la société » (Apostolkam actuositatem, 11) -leur responsabilité dans le domaine social et politique ;

-  La dimension religieuse, par laquelle le couple et la famille répondent au don de Dieu et, dans la foi, l'espérance et la charité, font de toute leur vie un « sacrifice spirituel agréable à Dieu par Jésus-Christ » (cf. 1 P 2, 5). Sans négliger des enseignements qui ont eux aussi leur importance, comme ceux qui concernent les aspects anthro­pologiques et psychologiques de la sexualité et du mariage, l'effort pastoral de l'Église doit mettre résolument au premier plan la diffusion et l'approfondissement de la conscience que l'amour conjugal est un don de Dieu confié à la responsabilité de l'homme et de la femme : c'est dans cette ligne que doivent aller la catéchèse, la réflexion théologique, l'éducation morale et spirituelle.

     De plus, il est plus que jamais urgent que se renouvelle chez tous, prêtres, religieux et laïcs, la conscience de l'absolue nécessité de la pastorale familiale comme partie intégrante de la pastorale de l'Église, Mère et Maîtresse. Je renouvelle avec une grande conviction l'appel lancé par Familiaris consortio : « Chaque Église locale et, en termes plus particuliers, chaque communauté paroissiale, doit permettre une plus vive conscience de la grâce et de la responsabilité qu'elle reçoit du Seigneur en vue de promouvoir la pastorale de la famille. Tout plan de pastorale organique, à quelque niveau que ce soit, ne peut jamais omettre de prendre en considéra­tion la pastorale de la famille. » (N. 70.)

 

La famille, Église en miniature

     L'exigence absolue que la foi devienne culture doit trouver son lieu de réalisation premier et fondamental dans le couple et la famille. Le but de la pastorale familiale consiste non seulement à rendre les communautés ecclésiales plus sou­cieuses du bien chrétien et humain des couples et de la famille, en particulier de celles qui sont les plus pauvres et en difficulté, mais aussi et surtout à susciter V « engage­ment » propre et irremplaçable des couples et des familles elles-mêmes dans l'Église et la société.

     Pour une pastorale familiale efficace et incisive, il faut compter sur la formation de ceux qui travaillent dans ce domaine vital pour l'Église et pour le monde, et susciter aussi des vocations à l'apostolat. Les paroles de Jésus : « La moisson est immense mais les ouvriers sont peu nombreux » (Le 10, 2), valent aussi pour le domaine de la pastorale familiale. Il faut des « ouvriers » qui ne craignent pas les difficultés et les incompréhensions quand ils présentent le projet de Dieu sur le mariage, qui soient disposés à « semer dans les larmes », dans l'assurance de « moissonner dans la joie » (cf. Ps 125-126, 5).

     7. Dieu veut que chaque famille devienne en Jésus-Christ une « Église domestique » (cf. Lumen gentium, 11) : de cette « Église en miniature », comme saint Jean Chrysostome aime à appeler la famille (cf. par exemple In Genesim serm. VI, 2 ; VII, 1), dépend principalement l'avenir de l'Église et de sa mission évangélisatrice.

     L'avenir d'une société plus humaine, parce que inspirée et soutenue par la civilisation de l'amour et de la vie, dépend lui aussi en grande partie de la « qualité » morale et spirituelle du mariage et de la famille ; il dépend de leur « sainteté ».

     C'est là le but suprême de l'action pastorale de l'Église dont nous, évêques, sommes les premiers responsables. Le ving­tième anniversaire d'Humanae vitae nous propose à nouveau ce but, à tous, avec la même urgence apostolique que ressentait Paul VI lorsqu'il terminait son encyclique en adressant ces paroles à ses frères dans l'épiscopat : « A la tête des prêtres, vos collaborateurs, et de vos fidèles,^ travaillez avec ardeur et sans relâche à la sauvegarde et à la sainteté du mariage, pour qu'il soit toujours davantage vécu dans toute sa plénitude humaine et chrétienne. Considérez cette mission comme l'une de vos plus urgentes responsabili­tés dans le temps présent. » (Humanae vitae, 30.)

     En faisant mienne cette exhortation, je vous accorde à tous, avec affection, ma bénédiction apostolique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

12 novembre 1988 - IIe Congrès International de rA théologie morale qui s'est tenu à l'Université pontificale du Latran, ayant pour objet l'encyclique Humanae vitae publiée par Paul VI II y a vingt ans, le Pape Jean-Paul II a reçu les quelque 400 participants accompagnés par Mgr Carlo Caffara, président de l'Institut pontifical Jean-Paul II pour les études sur le mariage et la famille. Il a prononcé devant eux, le 12 novembre, le discours suivant

Une collaboration entre pasteurs et scientifiques

     1. C'est avec une vive joie que je vous adresse mon salut : à vous, illustres professeurs, et à vous tous qui avez pris part au Congrès international de théologie morale, arrivé à son point de conclusion. Mon salut va aussi à M. le cardinal Hermann Groër, archevêque de Vienne, et aux représentants des Chevaliers de Colomb qui, par leur généreuse contribu­tion, ont permis la réalisation de ce Congrès. Une parole de satisfaction va aussi à l'Institut d'études sur le mariage et la famille de l'Université pontificale du Latran et au Centre académique romain de la Sainte-Croix qui en ont assuré la mise en œuvre et la réalisation.

Le thème qui vous a retenu, au cours de ces journées, chers Frères, provoquant de votre part une réflexion approfondie, c'est l'Encyclique Humanae vitae (1), avec le complexe réseau de problèmes qui s'y rattachent. Comme vous le savez, une rencontre s'est déroulée, ces derniers jours, sous les auspices du Conseil pontifical pour la famille, à laquelle ont participé les évêques responsables de la pastorale familiale dans leurs pays respectifs, représentant les Conférences episcopales du monde entier (2). Cette coïncidence qui n'est pas fortuite m'offre l'occasion de souligner l'importance de la collaboration entre les pasteurs et les théologiens et, d'une façon plus générale, entre les pasteurs et le monde de la science, afin d'assurer aux époux engagés à réaliser dans leur vie le dessein divin sur le mariage un soutien efficace et adapté.

     Tout le monde connaît l'invitation explicite qui est adressée, dans l'Encyclique Humóme vitae, aux hommes de science, et tout spécialement aux scientifiques catholiques, pour qu'ils contribuent par leurs études à éclairer toujours plus loin les différentes conditions qui favorisent une raisonnable régula­tion de la procréation humaine (cf. n. 24). J'ai moi-même renouvelé en plusieurs circonstances cette invitation, car je suis convaincu qu'un engagement interdisciplinaire est indis­pensable pour aborder correctement la problématique com­plexe afférente à ce secteur délicat.

 

L'enseignement d'Humanae vitae n'est pas une doctrine inventée par l'homme

     2. Une seconde occasion m'est ici offerte : celle de donner acte des résultats réconfortants déjà obtenus par de nombreux savants qui, au cours de ces années, ont fait progresser la recherche dans ce domaine. C'est aussi grâce à leur apport qu'il a été possible de mettre en lumière la richesse de vérité et, bien plus, la valeur si éclairante et quasi prophétique de l'Encyclique de Paul VI, vers laquelle des personnes venues  des horizons culturels les plus différents tournent leur attention avec un intérêt croissant. Des signes d'une nouvelle réflexion se font jour aussi dans ces secteurs du monde catholique qui ont été, au début, quelque peu critiques vis-à-vis de l'important document. Le progrès de la réflexion biblique et anthropologique a permis, en effet, de mieux en éclairer les présupposés et la signification.

      Rappelons en particulier le témoignage des évêques au Synode de 1980 : ceux-ci, « dans l'unité de la foi avec le successeur de Pierre », écrivaient qu'il fallait tenir ferme­ment « ce qui, au Concile Vatican II (cf. Const. Gaudium et spes, 50) et, à sa suite, dans l'Encyclique Humanae vitae, était proposé; en particulier, que l'amour conjugal doit être pleinement humain, exclusif et ouvert à la vie {Humanae vitae, n. 11 et cf. nn. 9 et 12) » (Prop. 22).  A mon tour, j'ai repris ce témoignage dans l'Exhortation post-synodale Familiaris consortio, en proposant à nouveau - et en l'élargissant au contexte de la vocation et de la mission de la famille - la perspective anthropologique et morale d'Humanae vitae, ainsi que la norme éthique qu'il en faut tirer pour la vie des époux.

.     Il ne s'agit pas, en effet, d'une doctrine inventée par l'homme : celle-ci a été inscrite par la main créatrice de Dieu dans la nature même de la personne humaine, et a été confirmée par lui dans la Révélation. Par conséquent, la remettre en cause équivaut à refuser l'obéissance de notre intelligence à Dieu lui-même. Cela revient à préférer l'éclairage de notre raison à la lumière de la Sagesse divine ; on tombe ainsi dans l'obscurité de l'erreur et on finit par entamer d'autres bases fondamentales de la doctrine chrétienne.        
 

 

La vérité est une...

      Il faut, à ce propos, rappeler que l'ensemble des vérités confiées au ministère de la prédication de l'Église constitue un tout unitaire, comme une sorte de symphonie, dans laquelle chaque vérité s'intègre harmonieusement aux au­tres. Les vingt années écoulées ont démontré, a contrario, cette consonance profonde : l'hésitation ou le doute sur la norme morale enseignée dans Humanae vitae a touché également d'autres vérités fondamentales de raison et de foi. Je sais que ce fait a été l'objet d'une considération attentive au cours de votre Congrès, et c'est là-dessus que je voudrais attirer maintenant votre attention. 4. Comme l'enseigne le Concile Vatican II, « in imo conscientiae legem homo detegit, quam ipse sibi non dat, sed cui oboedire débet... Nam homo legem in corde sua a Deo inscriptam habet, cui parère ipsa dignitas eius est et secundum quam ipse iudicabitur » (Const. Gaudium et spes, 16). (3) Au cours de ces années, à la suite de la contestation d'Humanae vitae, c'est la doctrine chrétienne même de la conscience morale qui a été remise en cause, dès lors qu'était acceptée l'idée d'une conscience créatrice de la norme morale. Le lien d'obéissance à la sainte volonté du Créateur a été ainsi radicalement rompu, ce lien qui constitue la dignité même de l'homme. La conscience, en effet, est le « lieu » où l'homme est éclairé par une lumière qui ne provient pas de sa raison créée et toujours faillible, mais de la sagesse même du Verbe, en qui tout a été créé. « Conscientia » - écrit encore admirablement Vati­can II - « est nucleus secretissimus atque sacrarium hominis, in quo solus est cum Deo, cuius vox resonat in intimo eius » (ibid.). (4)

...et confiée à l'enseignement du Magistère

     Plusieurs conséquences en découlent, qu'il convient de souligner. Le Magistère de l'Église ayant été institué par le Christ Seigneur pour éclairer la conscience, se réclamer de cette conscience précisément pour contester la vérité de ce qui est enseigné par la Magistère comporte le refus de la conception catholique, tant du Magistère que de la conscience morale. Parler de dignité intangible de la conscience, sans autre spécification, expose au risque d'er­reurs graves. Bien différente, en effet, est la situation d'une personne qui, après avoir mis en œuvre tous les moyens à sa disposition pour rechercher la vérité, se trompe, et celle d'une personne qui, par pur acquiescement à l'opinion de la majorité - souvent créée intentionnellement par les puis­sances du monde -, ou par négligence, se soucie peu de trouver la vérité. C'est l'enseignement lumineux de Vati­can II qui nous le rappelle : « Non raro tamen evenit ex ignorantia invicibili conscientiam errare, quin inde suam digni-tatem amittat. Quod auiem dici nequit cum homo de vero et bono inquirendo parum curât, et conscientia ex peccati consuetudine paulatim fere obcaecatur » (ibid.). (5) Au nombre des moyens que l'amour rédempteur du Christ a disposés afin d'éviter ce danger d'erreur, se trouve le Magistère de l'Église : en son nom, celui-ci possède une autorité d'enseignement vraie et propre. On ne peut, par conséquent, dire qu'un fidèle a mis en œuvre une diligente recherche de la vérité s'il ne tient pas compte de ce qu'enseigne le Magistère ; si, le comparant à toute autre forme de connaissance, il s'en fait le juge ; si, dans le doute, il suit plutôt son opinion personnelle ou celle de théologiens, en la préférant à l'enseignement certain du Magistère. Dans cette situation, le fait de parler encore de dignité de la conscience, sans plus, ne répond pas à ce qui est enseigné par Vatican II et par toute la Tradition de l'Église.

 

 

La norme morale et la sainteté de Dieu

     5. Le thème du caractère contraignant de la norme morale enseignée dans Humanae vitae est étroitement lié au thème de la conscience      morale. Paul VI, en qualifiant l'acte contraceptif d'intrinsèquement illicite, a voulu enseigner que la norme morale est telle qu'elle n'admet aucune exception : aucune circonstance personnelle ou sociale n'a jamais pu, ne peut et ne pourra justifier un tel acte. L'existence de normes particulières concernant l'agir de l'homme en ce monde, normes dotées d'un caractère obligatoire tel qu'il exclut toujours et quoi qu'il en soit, la possibilité d'exceptions, est un enseignement constant de la Tradition et du Magistère de l'Église qui ne peut être mis en discussion par le théologien catholique. On touche ici un point central de la doctrine chrétienne concernant Dieu et l'homme. Si l'on regarde de plus près ce qui est remis en question dans le refus de cet enseignement, il s'agit de l'idée même de la sainteté de Dieu. Nous ayant prédestinés à être saints et immaculés en sa présence, il nous a créés « in Christo Jesu in operibus bonis, quaepreparavit... ut in illis ambulemus » (Ep 2, 10) (6) : ces normes sont simplement l'exigence, dont aucune circonstance historique ne peut nous dispenser, de la sainteté de Dieu, à laquelle chaque personne humaine participe concrètement et non abstraitement. En outre, cette négation rend vaine la croix du Christ (1 Co 1, 17). En s'incarnant, le Verbe est entré pleinement dans notre existence quotidienne qui s'articule en actes humains concrets ; en mourant pour nos péchés, il nous a recréés dans la sainteté originelle qui doit s'exprimer dans notre activité quotidienne en ce monde.

     Cette négation implique encore, comme conséquence logi­que, qu'aucune vérité de l'homme n'est soustraite au cou­rant du devenir historique. Vouloir rendre vain le mystère de Dieu aboutit comme toujours à rendre vain le mystère de l'homme ; et ne pas reconnaître les droits de Dieu aboutit à nier la dignité de l'homme.

 

 

La grande responsabilité des enseignants de théologie morale

      6.  Le Seigneur nous donne de célébrer cet anniversaire pour que chacun, s'examinant devant lui, s'engage à l'avenir -dans la responsabilité ecclésiale - à défendre et à approfon­dir la vérité éthique enseignée dans Humanae vitae. Grande est la responsabilité qui repose sur vous en ce domaine, chers enseignants de théologie morale. Qui peut mesurer l'influence qu'exerce yotre enseignement, tant dans la formation de la conscience des fidèles que dans la formation des futurs pasteurs de l'Église?.

Au cours de ces vingt dernières années, pourtant un certain nombre d'enseignants n'ont pas manqué d'être en dissension ouverte avec ce qu'a enseigné Paul VI dans son encyclique.

      Cet anniversaire peut être l'occasion et le point de départ d'une réflexion nouvelle courageuse sur les raisons qui ont conduit les savants à assumer de telles positions. On découvrira alors probablement qu'à la racine de cette « opposition » à Humanae vitae il est une compréhension erronée, ou tout au moins insuffisante, des fondements même de la théologie morale. L'accueil sans critique des postulats propres à certaines orientations philosophiques et î' « utilisation » unilatérale des données offertes par la science peuvent avoir fait dévier, malgré leurs bonnes intentions, certains interprètes du document pontifical. Un effort généreux de la part de tous est nécessaire pour mieux éclairer les principes fondamentaux de la théologie morale, en ayant soin - comme l'a recommandé le Concile - de s'appliquer à ce que leur « présentation scientifique, plus nourrie de la doctrine de la Sainte Écriture, mette en lumière la grandeur de la vocation des fidèles dans le Christ et leur obligation de porter du fruit dans la charité pour la vie du monde » (Decr. Optatam totius, 16).

     7. Dans cet effort, l'Institut pontifical pour les études sur le mariage et la famille peut donner une grande impulsion : son but est précisément d'« exposer toujours plus clairement, par des méthodes scientifiques, la vérité du mariage et de la famille », et d'offrir à des laïcs, religieux et prêtres, la possibilité « d'acquérir en ce domaine une formation scienti­fique, tant sur le plan philosophique et théologique que sur le plan des sciences humaines », de manière à être plus aptes à travailler efficacement au service de la pastorale familiale (cf. Const. ap. Magnum matrimonii, 3) (7).

 

 

Des ministres de Dieu « qui parlent un même langage »

     Cependant, si l'on veut que la problématique morale connexe à Humanae vitae et à Familiaris consortio trouve sa juste place dans cet important secteur du travail et de la mission de l'Église qu'est la pastorale familiale, et qu'elle suscite une réponse responsable de la part des laïcs eux-mê­mes, comme protagonistes dans une action ecclésiale qui les regarde de si près, il faut que des Instituts comme celui-ci se multiplient dans différents pays. C'est seulement de cette façon qu'il sera possible de faire progresser l'approfondisse­ment doctrinal de la vérité et de préparer les initiatives pastorales d'une manière adaptée aux exigences qui surgis­sent dans les divers secteurs culturels et humains.

     Il faut surtout que l'enseignement de la théologie morale dans les séminaires et dans les Instituts de formation soit conforme aux directives du Magistère, de façon à ce qu'il en sorte des ministres de Dieu qui « parlent un même langage » (Encycl. Humanae vitae, 28), ne diminuant « d'aucune manière la doctrine salutaire du Christ » (ibid., 29). C'est au sens de la responsabilité des enseignants qu'il est ici fait appel : ils doivent être les premiers à donner à leurs élèves l'exemple d'« un assentiment loyal, interne et externe, au Magistère de l'Église » (ibid., 28).

     8. En voyant tant de jeunes étudiants - prêtres ou non -présents â cette rencontre, je veux conclure en leur adressant à eux aussi un salut particulier. L'un des profonds connaisseurs du cœur humain, saint Augustin, écrit : « Haec estlibertas nostra, cum isti subdimur  veritati » (De libero arbitrio, 13, 37.) (8) Cherchez toujours la vérité : vénérez la vérité découverte, obéissez à la vérité. Il n'est pas de joie en dehors de cette recherche, de cette vénération, de cette obéissance.            

Dans cette aventure merveilleuse de votre esprit, l'Église ne vous est pas un obstacle : au contraire, elle vous est une aide. En vous éloignant de son Magistère, vous vous exposez à la vanité de l'erreur et à l'esclavage des opinions : apparem­ment fortes, mais en réalité fragiles, car seule la vérité du Seigneur est éternelle.

     En invoquant l'aide divine sur votre noble labeur de chercheurs de la vérité et de ses apôtres, je donne à tous et de tout cœur ma bénédiction.

 

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(1) DC 1968, n°1523, col. 1441-1457.

(2) DC 1988, n°1974, p. 1170.

(3) « Au-fond de sa conscience, l'homme découvre la présence d'une loi qu'il ne s'est pas donnée à lui-même, mais à laquelle il est tenu d'obéir... Car c'est une loi inscrite par Dieu au cœur de l'homme; sa dignité est de lui obéir, et c'est elle qui le jugera. »

(4) « La conscience est le centre le plus secret de l'homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre. »

(5) « Toutefois, il arrive souvent que la conscience s'égare, par suite d'une ignorance invincible, sans perdre pour autant sa dignité. Ce que l'on ne peut dire lorsque l'homme se soucie peu de rechercher le vrai et le bien et lorsque l'habitude du péché rend peu à peu sa conscience presque aveugle. »

(6) « Dans le Christ Jésus, en vue des bonnes œuvres que Dieu a préparées d'avance pour que nous les pratiquions. »

(7) DC 1982, n" 1839, p. 973.

(8) « C'est notre liberté que nous nous soumettions à cette vérité. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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