Jean-Paul II de A à Z

Carême

 

Message pour le Carême 1979

Vous vous posez la question : «qu’est devenu le Carême ?» La privation toute relative de nourriture, pensez-vous, ne signifie pas grand chose, alors que tant de nos frères et de nos s½urs, victimes de guerres ou de catastrophes, souffrent tellement, physiquement et moralement.

Le jeûne concerne l’ascèse personnelle, toujours nécessaire, mais l’Église demande aux baptisés de marquer aussi autrement ce Temps liturgique. Le Carême a, en effet, pour nous, une signification : il doit manifester aux yeux du monde que le Peuple de Dieu tout entier, parce que pécheur, se prépare dans la Pénitence à revivre liturgiquement la Passion, la Mort et la Résurrection du Christ. Ce témoignage public et collectif a sa source dans l’esprit de Pénitence de chacun de nous et il nous entraîne aussi à approfondir intérieurement ce comportement et à mieux le motiver.

Se priver, c’est non seulement donner de son superflu, mais encore parfois de son nécessaire comme la veuve de l’Évangile qui savait que son obole était déjà un don reçu de Dieu. Se priver, c’est se libérer des servitudes d’une civilisation qui nous incite à toujours plus de confort et de consommation, sans même se soucier de la préservation de notre environnement, patrimoine commun de l’humanité.

Vos communautés ecclésiales vous convient à prendre part à des « Campagnes de Carême » ; elles vous aident ainsi à orienter l’exercice de votre esprit de Pénitence en partageant ce que vous possédez avec ceux qui ont moins ou qui n’ont rien.

Peut-être restez-vous encore inactifs sur la place parce que personne ne vous a conviés à travailler ? Le chantier de la Charité chrétienne manque d’ouvriers ; l’Église vous y appelle. N’attendez pas qu’il soit trop tard pour secourir le Christ qui est en prison ou sans vêtements, le Christ qui est persécuté ou réfugié, le Christ qui a faim ou qui est sans logement. Aidez nos frères et nos s½urs qui manquent du minimum nécessaire à sortir de conditions inhumaines et à accéder à une véritable promotion humaine.

Vous tous qui êtes décidés à porter ce témoignage évangélique de pénitence et de partage, je vous bénis au Nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

  

 

 

 

Message pour le Carême 1980

Chaque année, au seuil du Carême, le Pape aime s’adresser à tous les membres de l’Église et les encourager à bien vivre ce temps qui nous est offert pour nous préparer à une vraie libération.

L’esprit de pénitence et sa pratique nous conduisent à nous détacher sincèrement de ce que nous possédons de superflu, et parfois même de nécessaire, et qui nous empêche d’“être” vraiment ce que Dieu veut que nous soyons: “Là où est ton trésor, là est ton c½ur”. Notre c½ur est-il attaché aux richesses matérielles? au pouvoir sur les autres? à des subtilités égoïstes de domination? Alors, nous avons besoin du Christ Libérateur de Pâques qui, si nous le voulons, peut nous défaire de toutes ces bandelettes de péché qui nous entravent.

Préparons-nous à nous laisser enrichir de la grâce de la Résurrection en nous défaisant de tout faux trésor: les biens matériels qui ne nous sont pas nécessaires sont souvent les conditions mêmes de survie pour des millions d’êtres humains. Au-delà de leur subsistance minimum, des centaines de millions d’hommes attendent de nous que nous les aidions à se donner les moyens nécessaires à leur propre promotion humaine intégrale comme au développement économique et culturel de leur pays.

Mais les déclarations d’intention ou un simple don ne suffisent pas à changer le c½ur de l’homme, il y faut cette conversion de l’esprit qui nous amène, dans la rencontre des c½urs, à partager avec les plus défavorisés de nos sociétés, avec ceux qui sont dépossédés de tout, même parfois de leur dignité d’hommes et de femmes, de jeunes ou d’enfants, avec tous les réfugiés du monde qui ne peuvent plus vivre sur la terre de leurs ancêtres et doivent quitter leur propre patrie. C’est là que nous rencontrons et vivons plus intimement le mystère des souffrances et de la mort rédemptrices du Seigneur. Le vrai partage qui est rencontre des autres nous aide à nous libérer de ces liens qui nous font esclaves, et, parce qu’il nous fait voir dans les autres des frères et des s½urs, il nous fait redecouvrir que nous sommes enfants d’un même Père, “héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ” de qui nous tenons les richesses incorruptibles.

Je vous exhorte donc à répondre généreusement aux appels que, pendant ce Carême, lanceront vos Évêques, personnellement ou par les autres responsables des campagnes de partage. Vous en serez les premiers bénéficiaires, car vous vous mettrez ainsi sur le chemin de la seule vraie Libération. Vos efforts joints à ceux de tous les baptisés témoigneront de la Charité du Christ et construiront ainsi cette “civilisation de l’Amour” que désire, consciemment ou non, notre monde meurtri par les conflits et les injustices, désabusé parce qu’il ne trouve plus de vrais témoins de l’Amour de Dieu.

Je vous bénis au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

 

 

 

 

 

Message pour le Carême 1981

Le Carême est un temps de vérité.

Le chrétien en effet, appelé par l’Église à la prière, à la pénitence et au jeûne, au dépouillement de soi-même, intérieur et extérieur, se place devant son Dieu et se reconnaît, se redécouvre.

“Souviens-toi, ô homme, que tu es poussière et que tu retourneras en poussière” (paroles de la distribution des Cendres). Souviens-toi, ô homme, que tu es appelé à d’autres choses que ces biens terrestres et matériels qui risquent de te détourner de l’essentiel. Souviens-toi, ô homme, de ta vocation première: tu viens de Dieu, et tu retournes à Dieu en allant vers la Résurrection qui est la voie tracée par le Christ. “Quiconque ne porte pas sa croix et ne vient pas derrière moi ne peut être mon disciple” (Lc 14, 27).

Temps de vérité profonde, qui convertit, redonne espoir et, remettant tout en place, apaise et fait naître l’optimisme.

Temps qui fait réfléchir sur nos relations avec “ Notre Père ” et rétablit l’ordre qui doit régner entre frères et s½urs; temps qui nous rend co-responsables les uns des autres; il nous dégage de nos égoïsmes, de nos petitesses, de nos mesquineries, de notre orgueil; temps qui nous éclaire et nous fait comprendre davantage que nous devons, comme le Christ, servir.

“Je vous donne un commandement nouveau: vous aimer les uns les autres” (Jn 13, 34). "Et qui est mon prochain?" (Lc 10, 29).

Temps de vérité qui, comme le Bon Samaritain, nous fait nous arrêter sur la route, reconnaître notre frère et mettre notre temps et nos biens à son service dans un partage quotidien. Le Bon Samaritain, c’est l’église! Le Bon Samaritain, c’est chacun et chacune d’entre nous! Par vocation! Par devoir! Le Bon Samaritain vit la charité.

Saint Paul dit: “ Nous sommes donc en ambassade pour le Christ ” (2Co 5, 20). C’est là notre responsabilité! Nous sommes envoyés vers les autres, vers nos frères. Répondons généreusement à cette confiance que le Christ a mise en nous.

Oui, le Carême est un temps de vérité! Examinons-nous avec sincérité, franchise, simplicité! Nos frères sont là chez les pauvres, les malades, les marginaux, les vieillards. Où en sommes-nous de notre amour? de notre vérité?

A l’occasion du Carême, partout dans vos diocèses, dans vos églises, on va faire appel à cette Vérité qui est vôtre, à cette Charité qui en est la preuve.

Ouvrez donc votre intelligence pour regarder autour de vous, votre c½ur pour comprendre et sympathiser, votre main pour secourir. Les besoins sont énormes, vous le savez; je vous encourage donc à participer avec générosité à ce partage, et vous assure de mes prières et de ma Bénédiction Apostolique.

 

 

 

 

 

Message pour le Carême 1982

“Qui est mon prochain?” (Lc 10, 29).

Vous rappelez: c’est par la parabole du Bon Samaritain que Jésus répond à cette question d’un légiste qui vient de confesser ce qu’il lit dans la Loi: “Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton c½ur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit; et ton prochain comme toi-même”.

Le Bon Samaritain, c’est tout d’abord le Christ; c’est Lui qui le premier s’est approché de nous, a fait de nous son prochain, pour nous secourir, nous guérir et nous sauver: “Il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave et devenant semblable aux hommes. S’étant comporté comme un homme, il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la mort et à la mort sur une croix” (Ph 2, 7-8).

S’il y a encore quelque distance entre Dieu et nous, cela ne peut venir que de nous, des obstacles que nous mettons à ce rapprochement: le péché qui est en notre c½ur, les injustices que nous commettons, la haine et les désunions que nous entretenons, tout ce qui fait que nous n’aimons pas encore Dieu de toute notre âme, de toute notre force. Le temps du carême est le temps privilégié de la purification et de la Pénitence pour laisser le Sauveur faire de nous son prochain et nous sauver par son Amour.

Le second commandement est semblable au premier (cf. Mt 22, 39) et en est indissociable. Nous aimons les autres avec l’Amour même (cf. Mt 22, 39) que Dieu déverse en nos c½urs et avec lequel il les aime lui-même. Là aussi, que d’obstacles pour faire de l’autre notre prochain: nous n’aimons pas assez Dieu et nos frères. Pourquoi avons-nous tant de difficultés encore à quitter le stade, important mais insuffisant, de la réflexion, des déclarations ou des protestations, pour nous faire vraiment immigrés avec les immigrés, réfugiés avec les réfugiés, pauvres avec ceux qui sont démunis de tout?

Le temps liturgique du Carême nous est procuré en Église et par l’Église pour nous purifier du reste d’égoïsme, d’attachement excessif à des biens, matériels ou autres, qui nous tiennent à distance de ceux qui ont des droits sur nous: principalement, ceux qui, physiquement proches ou éloignés de nous, n’ont pas la possibilité de vivre dans la dignité leur vie d’hommes et de femmes, créés par Dieu à son image et ressemblance.

Laissez-vous donc pénétrer par l’esprit de pénitence et de conversion, qui est l’esprit d’amour et de partage; à l’imitation du Christ, faites-vous proches des spoliés et des blessés, de ceux que le monde ignore ou rejette. Participez à tout ce qui se fait dans votre Église locale pour que les chrétiens et tous les hommes de bonne volonté procurent à chacun de leurs frères les moyens, même matériels, de vivre dignement, de prendre eux-mêmes en charge leur promotion humaine et spirituelle et celle de leur famille.

Que les collectes de Carême, même dans les pays pauvres, vous permettent d’aider, par le partage, les Églises locales de pays encore plus défavorisés à remplir leur mission de Bons Samaritains auprès de ceux dont elles sont directement responsables: les pauvres de chez elles, ceux qui manquent de nourriture, ceux qui sont victimes de dénis de justice, ceux qui ne peuvent pas encore être les responsables de leur propre développement et de celui de leurs communautés humaines.

Pénitence, conversion: tel est le chemin, non pas triste, mais libérateur, de notre temps de Carême.

Et si vous vous posez encore la question: “Qui est mon prochain?”, vous lirez la réponse sur le visage du Ressuscité, et vous l’entendrez de ses lèvres: “En vérité, je vous le dis, dans la mesure où vous l’avez fait à l’un des plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait” (Mt 25, 40).

 

 

 

 

 

Message pour le Carême 1983

« Tous les croyants ensemble mettaient tout en commun ; ils vendaient leurs propriétés et leurs biens et en partageaient le prix entre tous selon les besoins de chacun » (Ac 2, 44-45).

Ces paroles de saint Luc ont un grand écho en mon c½ur, alors que nous sommes sur le point de célébrer de nouveau la période liturgique du Carême : semaines précieusement offertes par l’Église à tous les chrétiens, pour les aider à réfléchir sur leur identité profonde de fils du Père céleste et de frères de tous les hommes, et à retrouver un nouvel élan de partage concret et généreux, puisque Dieu lui-même nous a appelés à fonder nos vies sur la Charité.

Nos relations avec le prochain sont donc capitales. Et lorsque je parle de « prochain », j’entends évidemment ceux qui vivent à nos côtés, dans la famille, le quartier, le village, la ville. Mais il s’agit tout autan de ceux que nous retrouvons au travail, de ceux qui souffrent, sont malades, connaissent la solitude, sont vraiment pauvres. Mon prochain est également constitué de tous ceux qui sont géographiquement très éloignés, ou exilés de leur patrie, sans travail, sans nourriture et sans vêtements, et souvent sans liberté. Mon prochain, ce sont tous ces sinistrés, complètement ruinés ou presque par des catastrophes imprévisibles et dramatiques, les plongeant dans la misère physique et morale, et très souvent dans le chagrin d’avoir perdu des êtres très chers.

Le Carême est vraiment un appel pressant du Seigneur au renouveau intérieur, personnel et communautaire, dans la prière et le retour aux sacrements, mais également dans une manifestation de charité, par des sacrifices personnels et collectifs de temps, d’argent et de biens de toutes sortes, afin de subvenir aux besoins et aux détresses de nos frères à travers le monde. Le partage est un devoir auquel tout homme de bonne volonté, et surtout les disciples du Christ, ne peuvent se dérober. Les formes du partage peuvent être multiples, depuis le volontariat où l’on propose ses services avec une spontanéité digne de l’Évangile, depuis les offrandes généreuses et même répétées, tirées de notre superflu et parfois de notre nécessaire, jusqu’au travail proposé au chômeur ou à celui qui est en train de perdre tout espoir.

Enfin, ce Carême de l’année 1983 sera une grâce extraordinaire puisqu’il coïncidera avec l’ouverture de l’Année Sainte de la Rédemption, susceptible de stimuler en profondeur la vie des chrétiens, afin qu’elle corresponde encore mieux à la vocation divine qui est la leur : devenir des enfants de Dieu et de véritables frères universels, à la manière du Christ.

Au jour de l’inauguration solennelle de mon pontificat, je disais : « Ouvrez toutes grandes vos portes au Christ ». Et aujourd’hui, je vous dis : Ouvrez largement vos mains pour donner vraiment tout ce que vous pouvez à vos frères dans le besoin ! N’ayez pas peur ! Soyez, tous et chacun, des artisans nouveaux et infatigables de la Charité du Christ ! 

 

 

 

 

 

Message pour le Carême 1984

Que de fois, nous avons lu et entendu le texte bouleversant du chapitre vingt-cinquième de l’Évangile selon saint Matthieu : « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire…, il dira… ‘venez les bénis de mon Père… car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger… » !

Oui, le Rédempteur du monde a faim de toutes les faims de ses frères humains. Il souffre avec ceux qui ne peuvent nourrir leurs corps : toutes ces populations victimes de la sécheresse ou de mauvaises conditions économiques, toutes ces familles atteintes par le chômage ou la précarité de l’emploi. Et pourtant notre terre peut et doit nourrir tous ses habitants depuis les enfants en bas âge jusqu’aux personnes âgées, en passant par toutes les catégories de travailleurs.

Le Christ souffre également avec ceux qui sont légitimement affamés de justice et du respect de leur dignité humaine, avec ceux qui sont frustrés de leurs libertés fondamentales, avec ceux qui sont abandonnés ou, pire encore, exploités dans leur situation de pauvreté.

Le Christ souffre avec ceux qui aspirent à une paix équitable et générale, alors qu’elle est détruite ou menacée par tant de conflits et par un surarmement démentiel. Est-il permis d’oublier que le monde est à construire et non à détruire ?

En un mot, le Christ souffre avec toutes les victimes de la misère matérielle, morale et spirituelle.

« J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger…, j’étais un étranger et vous m’avez accueilli, malade et vous m’avez visité, prisonnier et vous êtes venus me voir » (Mt 25, 35-36). C’est à chacun de nous que ces paroles seront adressées au jour du Jugement. Mais, déjà, elles nous interpellent et nous jugent.

Donner de notre superflu et même de notre nécessaire n’est pas toujours un élan spontané de notre nature. C’est bien pour cette raison qu’il nous fait ouvrir sans cesse des yeux fraternels sur la personne et la vie de nos semblables, stimuler en nous-mêmes cette faim et cette soif de partage, de justice, de paix, afin de passer réellement aux actes qui contribueront à secourir les personnes et les populations durement éprouvées.

Chers Frères et S½urs, en ce temps de Carême de l’Année jubilaire de la Rédemption, convertissons-nous encore, réconcilions-nous plus sincèrement avec Dieu et avec nos frères. Cet esprit de pénitence, de partage et de jeûne se traduira en gestes concrets, auxquels vos Églises locales vous inviteront certainement.

« Que chacun donne selon ce qu’il a décidé dans son c½ur, non d’un manière chagrine ou contrainte ; car Dieu aime qui donne avec joie ». Cette exhortation de saint Paul aux Corinthiens est tout à fait d’actualité (2 Co 9, 7). Puissiez-vous éprouver profondément la joie pour la nourriture partagée, pour l’hospitalité offerte à l’étranger, pour les secours apportés à la promotion humaine des pauvres, pour le travail procuré aux chômeurs, pour l’exercice honnête et courageux de vos responsabilités civiques et socio-professionnelles, pour la paix vécue dans le sanctuaire familial et dans toutes vos relations humaines ! C’est tout cela, l’Amour de Dieu auquel nous devons nous convertir. Amour inséparable du service si souvent urgent de notre prochain. Souhaitons, et méritons, entendre le Christ nous dire au dernier jour que dans la mesure où nous avons fait le bien à l’un des plus petits parmi ses frères c’est à Lui que nous l’avons fait !

 

 

 

Message pour le Carême 1985

Cette année encore, je désire, en ce temps de Carême, vous parler de l’angoissante situation créée dans le monde par la faim. Quand des centaines de millions de personnes manquent de nourriture, quand des millions d’enfants en sont irrémédiablement marqués pour le reste de leur vie et que des milliers d’entre eux en meurent, je ne peux pas me taire, nous ne pouvons pas rester silencieux ou inactifs.

Des aides très nombreuses, le savons, sont envoyées par des Gouvernements, des Organisations internationales et des Associations, aux victimes de cette pénurie alimentaire, sans que, malheureusement, toutes puissent recevoir ce qui les sauverait. Mais un effort assez important pour être décisif ne pourrait-il pas être fait pour s’attaquer plus résolument encore aux causes de ce fléau qui sévit à l’échelle mondiale ?

Certes, les causes naturelles, comme les intempéries et les longues périodes de sécheresse, sont actuellement inévitables, mais leurs conséquences seraient souvent moins graves si les hommes n’y ajoutaient pas leurs erreurs et parfois leurs injustices. Tout est-il fait pour prévenir, au moins en partie, les effets néfastes des intempéries, ainsi que pour assurer la juste et rapide répartition des denrées et des secours ? Il est, d’autre part, des situations intolérables : je pense à celle des cultivateurs qui ne reçoivent pas la juste rétribution de leur pénible travail : je pense aussi à celle des paysans dépossédés de leurs terres productrices par des personnes ou des groupes déjà abondamment nantis qui accumulent des fortunes au prix de la faim et de la souffrance des autres. Et combien d’autres causes et situations de la faim pourraient être citées !

Dans une même famille, les uns peuvent-ils manger à leur faim alors que leurs frères et s½urs sont exclus de la table ? Penser à ceux qui souffrent ne suffit pas. En ce temps du Carême, la conversion du c½ur nous appelle à joindre le jeûne à la prière, en vivifiant de la Charité de Dieu les démarches que nous inspirent les exigences de la justice envers le prochain.

«J’ai pitié de cette foule» (Mc 8, 2), disait Jésus avant de multiplier les pains afin de nourrir ceux qui le suivaient depuis trois jours pour écouter sa Parole. La faim du corps n’est pas la seule dont souffre l’humanité : tant de nos frères et s½urs ont aussi faim et soif de dignité, de liberté, de justice, de nourriture pour leur intelligence et leur âme ; il y a des déserts pour les esprits et les c½urs !

Comment manifester de manière concrète notre conversion et notre esprit de pénitence en ce temps de préparation à la Pâque ?

D’abord, à la mesure de nos responsabilités parfois grandes, ne collaborer en rien à ce qui peut affamer ne serait-ce qu’un seul de nos frères et s½urs en humanité, qu’il soit proche ou à des milliers de kilomètres de nous ; et, si nous l’avons fait, réparer.

Dans les pays qui souffrent de la faim et de la soif, les chrétiens participent aux secours urgents et aux luttes contre les causes de cette catastrophe dont ils sont les victimes comme leurs compatriotes. Aidons-les en partageant de notre superflu et même de notre nécessaire ; c’est cela, la pratique du jeûne. Prenons part généreusement aux actions concertées de nos Églises locales.

Rappelons-nous sans cesse que partager, c’est remettre aux autres ce que Die leur destine et qui ne nous est que confié.

Donner fraternellement en nous laissant inspirer par l’Amour qui vient de Dieu, c’est contribuer à apaiser la faim corporelle, à nourrir les esprits et à réjouir les c½urs.

« Que tout se passe chez vous dans la charité… La grâce du Seigneur Jésus soit avec vous ! » (1 Co 16, 14.23).

 

 

 

 

 

 

Message pour le Carême 1986

L’Évangile nous donne la loi de la charité, si bien définie par les paroles et les exemples constants du Christ, le Bon Samaritain ; il nous demande d’aimer Dieu et d’aimer tous nos frères, surtout les plus nécessiteux. La charité, en effet, nous vide de notre égoïsme ; elle abat les murs de notre isolement ; elle ouvre les yeux et fait découvrir le prochain qui est près de nous, celui qui est loin de nous et de l’humanité tout entière. La charité est exigeante, mais réconfortante car elle est l’accomplissement de notre vocation chrétienne fondamentale et nous fait participer à l’Amour du Seigneur.

Notre époque, comme toute époque, est celle de la charité. Certes, les occasions de vivre cette charité ne manquent pas. Chaque jour, les médias saisissent nos yeux et notre c½ur, en faisant entendre les appels angoissés et urgents de millions de nos frères moins fortunés, frappés par quelque désastre, naturel ou fait de l’homme, ces frères qui sont affamés, blessés dans leur corps et dans leur âme, malades, dépossédés, réfugiés, isolés, dépourvus de tout secours ; ils lèvent les bras vers nous chrétiens qui voulons vivre l’Évangile et le grand et unique Commandement de l’Amour.

Nous sommes donc informés. Mais nous sentons-nous concernés ? Comment, à partir de notre journal ou de notre écran de télévision, voyager en touriste froid et tranquille, porter des jugements de valeur sur les événements, sans cependant sortir de notre confort ? Pouvons-nous refuser d’être dérangés, gênés, ennuyés, bousculés par ces millions d’êtres humains qui sont aussi nos frères et nos s½urs, comme nous créatures de Dieu appelées à la vie éternelle ? Comment rester impassible devant ces enfants au regard désespéré et au corps squelettique ? Notre conscience de chrétiens peut-elle rester insouciante dans ce monde de souffrance ? La parabole du Bon Samaritain a-t-elle encore quelque chose à nous dire ?

En ce commencement du Carême, temps de pénitence, temps de réflexion et de générosité, le Christ fait de nouveau appel à vous tous. L’Église, qui veut être présente au monde, et surtout au monde qui souffre, compte sur vous. Les sacrifices que vous ferez, si petits soient-ils, sauveront des corps et réanimeront des âmes, et la « civilisation de l’Amour » ne sera plus un vain mot.

La charité n’hésite pas, car elle est l’expression de notre foi. Que vos mains s’ouvrent donc cordialement pour partager avec tous ceux dont vous ferez votre prochain.

« Par la charité, mettez-vous au service les uns des autres » (Ga 5, 13).

 

 

 

 

 

 

 

Message pour le Carême 1987

« Il a comblé de biens les affamés et renvoyé les riches les mains vides » (Lc 1, 53).

Ces paroles que la Vierge Marie a prononcées dans son Magnificat sont à la fois une louange à Dieu le Père et un appel que chacun de nous peut accueillir dans son c½ur et méditer en ce temps de Carême.

Temps de la conversion, temps de la Vérité qui nous « fera libres » (Jn 8, 32), parce que nous ne pouvons pas tromper celui qui scrute « les reins et les c½urs » (Ps 7, 10). Devant Dieu notre Créateur, devant le Christ notre Rédempteur, de quoi pourrions-nous tirer orgueil ? Quelles richesses ou quels talents pourraient nous donner quelque supériorité ?

Les vraies richesses, celles qui ne passent pas, Marie nous enseigne qu’elles viennent de Dieu ; nous devons les désirer, en avoir faim, tout abandonner de ce qui est factice et passager, pour recevoir ces biens et les recevoir en abondance. Convertissons-nous, abandonnons le vieux levain (1 Co 5, 6) de l’orgueil et de tout ce qui conduit à l’injustice, au mépris, à la soif de posséder pour nous-mêmes argent et pouvoir.

Si nous nous reconnaissons pauvres devant Dieu – ce qui est vérité, et non pas fausse humilité - , nous aurons un c½ur de pauvre, des yeux et des mains de pauvres pour partager ces richesses dont Dieu nous comblera : notre Foi que nous ne pouvons garder égoïstement pour nous seuls, l’Espérance dont ont besoin ceux qui sont privés de tout, la Charité qui, comme Dieu, nous fait aimer les pauvres d’un amour de préférence. L’Esprit d’Amour nous comblera de mille biens à partager ; plus nous les désirerons, plus nous les recevrons en abondance.

Si nous sommes véritablement ces « pauvres en esprit » à qui est promis le Royaume des cieux (Mt 5, 3), notre offrande sera agréable à Dieu. Même notre offrande matérielle, que nous avons coutume de faire pendant le Carême, si elle est faite avec un c½ur de pauvre, est une richesse, car nous donnons ce que nous avons reçu de Dieu pour être distribué : nous ne recevons que pour donner. Comme ces cinq pains et ces deux poissons du jeune homme que les mains du Christ ont multipliés pour nourrir une foule, ce que nous offrirons sera multiplié par Dieu pour les pauvres.

Sortirons-nous de ce Carême le c½ur suffisant, plein de nous-mêmes, mais les mains vides pour les autres ? Ou arriverons-nous à Pâques, guidés par la Vierge du Magnificat, avec une âme de pauvre, affamée de Dieu, et avec les mains riches de tous les dons de Dieu à distribuer au monde qui en a tant besoin ?

« Rendez grâce à Dieu, car il est bon : éternel est son amour » (Ps 117, 1).

3 mars 1987

 

 

 

 

 

Message pour le Carême 1988

Dans la joie et l’espérance, je voudrais, par ce Message de Carême, vous exhorter à la pénitence qui produira en vous les fruits spirituels abondants d’une vie chrétienne plus dynamique et d’une charité effective.

Le temps du Carême, qui marque profondément la vie de toutes les communautés chrétiennes, favorise l’esprit de recueillement, de prière, d’écoute de la Parole de Dieu ; il incite à répondre généreusement à l’appel du Seigneur exprimé par le Prophète : «Voici le jeûne que je préfère : … partager ton pain avec celui qui a faim, recueillir chez toi les pauvres sans abri… Alors tu crieras et le Seigneur répondra, tu appelleras, il dira : « Me voici ! » (Is 58, 6.7.9).

Le Carême de 1988 se déroule dans le contexte de l’Année mariale, à l’approche du deuxième millénaire de la naissance de Jésus, le Sauveur. En contemplant la maternité divine de Marie, elle qui porta en son sein le Fils de Dieu et entoura d’une sollicitude spéciale l’enfance de Jésus, s’impose à mon esprit le drame douloureux de tant de mères dont l’espérance et la joie sont brisées par la mort précoce de leurs enfants.

Oui, chers Frères et S½urs, je vous demande de penser à ce scandale de la mortalité infantile dont les victimes se comptent par dizaines de milliers chaque jour. Des enfants meurent avant d’avoir vu le jour, d’autres n’ont qu’une brève et douloureuse existence que viennent écourter des maladies pourtant faciles à éviter.

Des enquêtes sérieuses montrent que, dans les pays les plus cruellement éprouvés par la pauvreté, c’est chez les enfants que l’on constate le plus grand nombre de morts dues à une déshydratation aiguë, à des parasites, à de l’eau polluée, à la faim, au manque de vaccination contre les épidémies, et même au manque d’affection. Dans de telles conditions de misère, un grand nombre d’enfants meurent prématurément, d’autres sont tellement atteints que leur développement physique et psychique est compromis, que leur simple survie reste précaire et qu’ils sont désavantagés pour trouver une place dans la société.

Les victimes de cette tragédie, ce sont les enfants naissant dans des situations de pauvreté qui résultent trop souvent des injustices sociales, ce sont les familles qui manquent des ressources nécessaires et que blesse à jamais la mort prématurée de leurs enfants.

Rappelons-nous avec quelle détermination le Seigneur Jésus a voulu se montrer solidaire des enfants : Il a appelé à lui un petit enfant, il l’a placé au milieu d’eux et il a déclaré : « Quiconque accueille un petit enfant tel que lui à cause de mon nom, c’est moi qu’il accueille… » ; il a ordonné : « Laissez les petits enfants et ne les empêchez pas de venir à moi » (cf. Mt 18, 2.5 ; 19, 14).

Je vous exhorte vivement, en ce temps liturgique du Carême, à vous laisser saisir par l’Esprit de Dieu, qui peut rompre les chaînes de l’égoïsme et du péché. Partagez en esprit de solidarité avec ceux qui ont moins de ressources. Donnez, non seulement de votre superflu mais encore de ce qui vous est peut-être nécessaire, afin de soutenir généreusement toutes les actions et les projets de votre Église locale, spécialement pour assurer un avenir juste aux enfants les moins protégés.

Ainsi, chers Frères et S½urs dans le Christ, brillera votre Charité : « Alors, en voyant ce que vous faites de bien, tous rendront gloire à votre Père qui est aux cieux » (Mt 5, 16).

Que pendant ce Carême, à l’exemple de Marie qui accompagna fidèlement son Fils jusqu’à la Croix, se fortifie notre fidélité au Seigneur et que notre vie généreuse témoigne de notre obéissance à son commandement !

De tout c½ur, je vous bénis, au nom du Père, du Fils et de l’Esprit Saint. Amen.

 9 février 1988

 

 

 

 

Message pour le Carême 1989

«Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour» (Mt 6, 11). C’est par cette demande que s’ouvre la seconde partie de la prière que Jésus lui-même a enseignée à ses disciples et que nous tous, chrétiens, nous répétons chaque jour avec ferveur.

Des lèvres de tous les hommes et de toutes les femmes des diverses races humaines qui composent la grande communauté chrétienne, s’élève harmonieusement cette supplication au Père qui est aux cieux, mais avec différents accents ; nombreux sont les peuples qui lancent, non pas une supplication sereine et confiante, mais un cri d’angoisse et de douleur parce qu’ils ne peuvent pas satisfaire leur faim physique par manque d’une alimentation suffisante.

Cher fils et chères filles, c’est du fond du c½ur et avec grande espérance que je vous propose ce problème de la «faim dans le monde» comme thème de réflexion et objectif d’action apostolique, caritative et solidaire pendant le Carême 1989. Vous qui avez toujours de quoi manger, votre jeûne généreux et volontaire vous permettra de partager la privation de tant d’autres qui ont faim. Vos jeûnes de Carême, qui font partie de la riche tradition chrétienne, vous ouvriront davantage l’esprit et le c½ur pour partager vos biens avec ceux qui n’en ont pas.

La faim dans le monde frappe des millions d’êtres humains appartenant à de nombreux peuples ; toutefois, elle atteint plus durement certains continents et certaines nations où elle décime la population et compromet son développement. La carence alimentaire revient de manière cyclique dans quelques régions pour des causes très complexes qu’il faut extirper avec l’aide solidaire de tous les peuples.

Nous sommes fiers en notre siècle, et à juste raison, des progrès de la science et de la technologie. Mais nous devons aussi avancer sur le plan de l’humanisme ; nous ne pouvons donc rester passifs ni indifférents devant le drame tragique de tant de peuples qui ne peuvent se nourrir suffisamment, se voient contraints à vivre dans un régime de simple subsistance, et rencontrent donc des obstacles presque insurmontables pour leur juste progrès.

Je joins ma voix suppliante à celle de tous les croyants pour implorer notre Père commun : «Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour». Bien sûr, «l’homme ne vit pas seulement de pain» (Mt 4, 4) ; mais le pain matériel est une nécessité pressante et notre Seigneur Jésus-Christ lui-même a agi efficacement pour donner à manger aux multitudes affamées.

La foi doit être accompagnée d’½uvres concrètes. Je vous invite tous à prendre conscience du grave fléau de la faim dans le monde, pour entreprendre de nouvelles actions et renforcer celles qui existent déjà en faveur de ceux qui souffrent de la faim, pour assurer le partage des biens avec ceux qui n’en ont pas, pour développer les programmes visant à l’autosuffisance alimentaire.

Je tiens à encourager toutes les Organisations catholiques qui luttent contre la faim, et les organismes gouvernementaux et non gouvernementaux qui s’appliquent à chercher des solutions pour que se poursuive sans trêve l’assistance aux nécessiteux.

«Notre Père qui es aux cieux…, donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour». Fais qu’aucun de tes enfants ne se voie privé des fruits de la terre ; que personne ne souffre de l’angoisse de ne pas avoir le pain quotidien pour lui et pour les siens ; que tous, solidairement, comblés de l’immense amour que Tu as pour nous, nous sachions distribuer le pain que tu nous donnes si généreusement ; que nous sachions élargir notre table pour y faire place aux plus petits et aux plus faibles, et qu’ainsi un jour, nous méritions tous de participer à ton banquet céleste !

31 janvier 1989

 

 

Message pour le Carême 1990

1. Comme chaque année l’approche du Carême m’offre l’occasion de m’adresser à vous pour vous inviter à profiter de ce temps favorable, de «ce jour du salut» (cf. 2 Co 6, 2). Puissiez-vous le vivre intensément à la fois comme un temps de conversion à Dieu et d’amour de nos frères ! Le Carême en effet nous appelle à un changement total de mentalité et de c½ur pour écouter la voix du Seigneur qui nous invite à revenir vers lui pour vivre d’une vie nouvelle et à nous rendre toujours plus sensibles aux souffrances de ceux qui nous entourent.

Cette année, je voudrais plus particulièrement proposer à notre réflexion le problème des expatriés et des réfugiés. L’afflux important et croissant des réfugiés constitue dans le monde où nous vivons une réalité douloureuse qui n’est plus limitée à certaines régions mais s’étend désormais à tous les continents.

Sans patrie, les réfugiés recherchent l’accueil d’autres pays dans ce monde qui est notre maison commune. Peu de réfugiés seulement ont la possibilité de rentrer dans leur pays d’origine à la suite des changements intervenus dans la situation intérieure. Pour les autres, les pénibles difficultés de l’exode, de l’insécurité et de la recherche anxieuse d’une situation convenable se prolongent. Parmi eux, il y a des enfants, des femmes, des veuves, des familles souvent séparées, des jeunes frustrés dans leurs aspirations, des adultes arrachés à leur profession, privés de tous leurs biens matériels, de leur maisons, de leur patrie.

2. Face à l’ampleur et à la gravité de ce problème, tous les membres de l’Église doivent se sentir interpellés, comme disciples de Jésus – Lui qui a connu l’épreuve de l’exil – et comme témoins de l’Évangile. Le lundi de la première semaine de Carême, selon le rite latin, nous lisons dans une page bouleversante de l’Évangile que le Christ lui-même a voulu se reconnaître dans chaque réfugié et s’identifier à chacun d’entre eux : «J’étais un étranger et vous m’avez accueilli… J’étais un étranger et vous ne m’avez pas accueilli» (Mt 25, 35.43).

Ces paroles du Christ doivent nous conduire à un sérieux examen de conscience à propos de notre attitude envers les exilés et les réfugiés. Tous les jours, en effet, nous pouvons les rencontrer dans nos paroisses, dans nos quartiers. Il sont vraiment devenus notre prochain le plus proche. Ils ont besoin de charité, de justice et de solidarité de la part de tous les chrétiens.

3. C’est pourquoi, à l’occasion de ce Carême, j’adresse un pressant appel aux membres et aux communautés de l’Église catholique : cherchez tous les moyens susceptibles de venir en aide à nos frères réfugiés, ménagez-leur un accueil qui favorise leur insertion dans la société civile, manifestez à leur égard une généreuse ouverture d’esprit et une chaleureuse cordialité.

La sollicitude envers les réfugiés doit nous inciter à réaffirmer les droits de l’homme, universellement reconnus, à en souligner l’importance et à en demander le respect effectif à leur égard. Comme je le rappelais le 3 juin 1986, à l’occasion de la remise du Prix International de la Paix Jean XXIII au « Catholic Office for Emergency and Refugees » (COERR), l’encyclique Pacem in terris de ce grand pontife avait déjà souligné l’urgence de reconnaître les droits des réfugiés en tant que personnes et j’affirmais qu’il « est de notre devoir de toujours garantir les droits inaliénables qui sont inhérents à tout être humain et qui ne sont pas conditionnés par des facteurs naturels ou par des situations socio-politiques» (n. 6). Il s’agit donc de garantir aux réfugiés le droit de former une famille ou de la réunir, d’avoir un emploi stable, décent et équitablement rémunéré, de vivre dans des habitations convenables, de faire bénéficier leurs enfants petits et grands d’une éducation appropriée ainsi que de l’assistance sanitaire nécessaire ; en un mot de jouir de tous les droits sanctionnés solennellement depuis 1951 par la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et confirmés par le Protocole de 1967 sur le même Statut.

 4. Face à un si grave problème, je sais le travail intense qui a été réalisé par les Organismes internationaux, les Organisations catholiques et des Mouvements d’autres orientations, avec le soutien et la collaboration de nombreuses personnes, pour l’élaboration de programmes sociaux appropriés. Je les remercie tous et je les encourage à avoir une attention toujours plus vive, car nous le constatons facilement, même si nous faisons beaucoup, c’est loin d’être suffisant. En effet le nombre de réfugiés s’accroît sans cesse alors que les possibilités d’accueil et d’assistance se révèlent souvent inadéquates.

Notre engagement prioritaire doit être de promouvoir, d’animer et de soutenir par notre témoignage des courants d’authentique charité afin que pénètre dans tous les pays le souci de la formation de l’enfance et de la jeunesse au respect réciproque, à la tolérance, à l’esprit de service, et cela à tous les niveaux, à celui des personnes comme à celui des pouvoirs publics. Ainsi la solution de tant de problèmes sera rendue plus facile.

 5. Je me tourne aussi vers vous, frères et s½urs exilés et réfugiés, vous qui vivez unis dans la foi en Dieu, dans la charité mutuelle et l’espérance inébranlable. Tout le monde connaît vos vicissitudes et l’Église est proche de vous à travers ses membres qui s’efforcent de vous aider, conscients de l’insuffisance de cette aide. Pour alléger vos souffrances, il faut aussi votre collaboration avec votre bonne volonté et votre intelligence. Vous êtes riches de votre civilisation, de votre culture, de vos traditions, de vos valeurs humaines et spirituelles, vous pouvez y puiser la capacité et la force de commencer une vie nouvelle. Pratiquez, vous aussi, l’assistance et l’aide mutuelles là où vous résidez temporairement.

Nous les catholiques, nous vous accompagnerons et vous soutiendrons dans votre marche, reconnaissant en chacun de vous le visage du Christ exilé et réfugié, nous souvenant de ses paroles : «Ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait» (Mt 25, 40).

 6. Au début de ce Carême, j’implore la richesse de grâce et de lumière qui rayonne de la Passion et de la Résurrection rédemptrices du Christ afin que, dans toute l’Église, chaque personne et chaque communauté ecclésiale ou religieuse puisse trouver l’inspiration et l’énergie nécessaires pour réaliser une solidarité concrète avec nos frères et s½urs exilés et réfugiés ; afin que les réfugiés trouvent dans le soutien et l’intérêt fraternel de tous un réconfort qui leur permette de poursuivre leur marche difficile en retrouvant la joie et l’espérance.

Que ma bénédiction attire abondamment les dons du Seigneur sur tous ceux qui seront sensibles à ce pressant appel !

 Du Vatican, le 8 septembre 1989

 

 

 

 

Message pour le Carême 1991

La grande encyclique de Léon XIII, Rerum novarum, dont nous célébrons le centenaire, a ouvert un nouveau chapitre de la doctrine sociale de l’Église. Or, dans cet enseignement, revient inlassablement l’invitation à un engagement solidaire pour vaincre la pauvreté et le sous-développement dont souffrent des millions de personnes.

Les biens de la création sont destinés à tous ; et pourtant, aujourd’hui encore, une grande partie de l’humanité supporte le poids intolérable de la misère. Dans une telle situation, il faut une charité et une solidarité vécues, comme je l’ai affirmé dans l’encyclique Sollicitudo rei socialis, afin de faire comprendre combien il est urgent d’½uvrer pour le bien des autres et d’être prêt à perdre sa vie – au sens évangelique – pour servir les autres au lieu de les opprimer par intérêt personnel.

1. Ce temps de Carême nous invite à nous tourner vers le Dieu riche en miséricorde, source de toute bonté, pour lui demander de nous guérir de l’égoïsme et de nous donner un c½ur nouveau et un esprit nouveau.

Le Carême, et, à sa suite, le temps pascal nous invitent à considérer la totale identification de notre Seigneur Jésus Christ avec les pauvres. Le Fils de Dieu, qui s’est fait pauvre par amour pour nous, s’est identifié à ceux qui souffrent, comme l’expriment si clairement ses propres paroles : «Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait» (Mt 25, 40).

2. Au sommet du Carême, le Jeudi saint, la liturgie nous rappelle l’institution de l’Eucharistie, mémorial de la passion, de la mort et de la résurrection du Christ. C’est là, dans le sacrement par lequel l’Église célèbre la profondeur de sa foi, que nous devons prendre une vive conscience de la condition du Christ pauvre, souffrant et persécuté. Ce même Jésus Christ qui nous a aimés jusqu’à donner sa vie pour nous et qui s’est fait pour nous, dans l’Eucharistie, nourriture pour la vie éternelle, c’est lui qui nous invite à le voir dans la personne et dans la vie des pauvres, avec lesquels il s’est pleinement solidarisé.

Saint Jean Chrysostome a magnifiquement saisi cette identification quand il affirme : «Tu veux honorer le Corps du Christ ? Ne le méprise pas lorsqu’il est nu. Ne l’honore pas ici, dans l’église, par des tissus de soie tandis que tu le laisses dehors souffrir du froid et du manque de vêtements» (Hom. in Mattheum, n. 50, 3-4 : PG 58).

3. En ce temps de Carême, il est bon de relire et de méditer la parabole du mauvais riche et de Lazare. Tous les hommes sont appelés à participer au banquet où sont offerts les biens de la vie, cependant beaucoup se trouvent encore à la porte comme Lazare, tandis que «les chiens venaient lécher ses plaies» (Lc 16, 21).

Si nous ne voulons rien savoir de la multitude des personnes qui sont privées non seulement du minimum vital (nourriture, maison, assistance médicale), mais encore de tout espoir d’un avenir meilleur, nous devenons semblables au mauvais riche qui ne veut pas voir le pauvre Lazare (cf. Lc 16, 19-31).

Nous devons donc avoir bien présente à l’esprit la misère atroce qui frappe durement tant de régions du monde ; dans ce but, je répète ici l’appel que j’ai adressé à tous les hommes – au nom de Jésus Christ et au nom de l’humanité entière – lors de ma dernière visite au Sahel. «Comment l’histoire jugerait-elle une génération qui a tous les moyens de nourrir la population de la planète et qui refuserait de le faire dans un aveuglement fratricide ?… Quel désert serait un monde où la misère ne rencontrerait pas l’amour qui donne à vivre !» (L’Osservatore Romano, 31 janvier 1990, p.6).

Si nous tournons notre regard vers le Christ, le bon Samaritain, nous ne pouvons oublier que – de la pauvreté de la crèche au total dépouillement de la Croix – il ne fait qu’un avec les plus délaissés. Il nous a enseigné à nous détacher des richesses, à mettre notre confiance en Dieu, à être disposés au partage. Il nous exhorte à poser sur nos frères et s½urs qui vivent sous le poids de la misère et de la souffrance le regard de celui qui se sait pauvre lui-même, dans une dépendance totale et un absolu besoin de Dieu. La manière dont nous nous comporterons traduira l’authenticité de notre amour pour Lui, source de vie et d’amour, et sera le signe de notre fidélité à son Évangile.

Que ce Carême nous aide à mieux en prendre conscience et à nous engager plus généreusement en faveur de nos frères et s½urs ! Ainsi, ce temps ne passera pas en vain, et nous parviendrons, réellement renouvelés, à la joie de Pâques.

 Du Vatican, le 8 septembre 1990

 

 

 

Message pour le Carême 1992

La création est pour tous. Oui, à l'approche du temps du Carême, pendant lequel le Seigneur Jésus Christ nous appelle d'une manière spéciale à la conversion, je désire adresser à chacun de vous une invitation à réfléchir sur cette vérité et à mettre en oeuvre des réalisations concrètes qui montrent la sincérité de votre coeur.

Ce même Seigneur, dont nous célébrons à Pâques la plus grande preuve d'amour, était auprès du Père dès le commencement et préparait la merveilleuse table de la création à laquelle il a voulu inviter tous les hommes sans exception (cf. Jn 1, 3). L'Église a compris cette vérité manifestée depuis les débuts de la Révélation et en a fait un idéal de vie qu'elle propose aux hommes (cf. Ac 2, 44-45; 4, 32-35). A une époque plus récente, elle a redit plus d'une fois - et c'est le thème central de son enseignement social - que les biens de la création, tant matériels que spirituels, ont une destination universelle. Faisant sienne cette grande tradition, l'encyclique Centesimus annus, publiée à l'occasion du centenaire de l'encyclique Rerum novarum de mon prédécesseur Léon XIII, a voulu promouvoir la réflexion sur cette destination universelle des biens, qui est antérieure à toute forme de propriété privée et qui doit éclairer son véritable sens.

Cependant, en dépit des formulations claires et souvent répétées de ces vérités, nous devons constater avec tristesse qu'à bien des points de vue, la terre avec tous ses biens - nous l' avons comparée à un grand banquet auquel ont été invités tous les hommes et toutes les femmes qui ont existé et qui existeront - est malheureusement toujours entre les mains d'une minorité. Les biens de la terre sont merveilleux, tant ceux qui nous viennent directement de la main du Créateur que ceux qui sont le fruit de l'action de l'homme, lui qui est appelé à collaborer à la création par son génie et par son travail. En outre, la participation à ces biens est nécessaire pour que tout être humain puisse parvenir à son plein épanouissement. C'est pourquoi il est d'autant plus douloureux de constater que des millions de personnes sont exclues de la table de la création.

Je vous invite à concentrer particulièrement votre attention sur cette année commémorative du cinquième centenaire de l'évangélisation du continent américain, qui ne doit pas se limiter à un simple souvenir historique. Notre vision du passé doit être complétée par un regard sur ce qui nous entoure et sur l'avenir (cf. Centesimus annus, n. 3), en essayant de discerner la mystérieuse présence de Dieu dans l'histoire, à partir de laquelle il nous interpelle et nous appelle à lui donner des réponses concrètes. Cinq siècles de présence de l' Évangile dans ce continent n'ont pu accomplir une répartition égale des biens de la terre; cela seressent plus douloureusement quand on pense aux plus pauvres parmi les pauvres: les groupes indigènes et, avec eux, de nombreux paysans, blessés dans leur dignité parce qu'on les prive même de l'exercice des droits les plus élémentaires, qui font partie, eux aussi, des biens destinés à tous. La situation de ces hommes, qui sont nos frères, crie justice vers le Seigneur. Par conséquent, il faut promouvoir une généreuse et audacieuse réforme des structures économiques et des politiques agraires, de telle sorte qu'elles assurent le bien-être des groupes indigènes et de la plus grande masse des paysans qui, si souvent, ont été traités de manière injuste, et qu'elles leur permettent d'exercer leurs droits humains légitimes.

C'est en faveur de ces personnes, en faveur de tous ceux qui sont dépossédés de par le monde - car tous nous sommes fils de Dieu, frères les uns des autres, et tous nous sommes dépositaires des biens de la création -, que nous devons déployer sans retard toutes nos énergies afin qu'ils occupent la place qui leur revient à la table de la création. Durant le Carême, et aussi à l'occasion des campagnes de solidarité - campagnes de l' Avent et semaines en faveur des plus démunis -, la conscience claire que la volonté du Créateur est de mettre les biens de la création au service de tous doit inspirer les efforts entrepris en vue d'une authentique promotion intégrale de tout l'homme et de tous les hommes.

Dans un esprit de prière et dans une attitude responsable, nous devons écouter attentivement ces paroles: "Voici, je me tiens à la porte et je frappe (Ap 3, 20). Oui, c'est le Seigneur lui-même qui frappe avec douceur au coeur de chacun de nous, sans nous forcer, mais en attendant patiemment que nous lui ouvrions la porte pour qu'il puisse entrer et s'asseoir à table avec nous. De plus, nous ne devons jamais oublier que - selon le message central de l'Évangile - Jésus nous adresse son appel par chacun de nos frères, et c'est en fonction de notre réponse personnelle que nous serons placés à sa droite avec les bienheureux, ou à sa gauche avec les damnés: "J'ai eu faim..., j'ai eu soif..., j'étais un étranger..., nu..., malade..., prisonnier" (Mt 25, 34.36) .

En demandant avec instance au Seigneur d'éclairer les efforts de tous en faveur des plus pauvres et des plus nécessiteux, je vous bénis de tout coeur, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Amen.

Du Vatican, le 29 juin 1991

 

 

 

 

Message pour le Carême 1993

1. Au saint temps du Carême, l' Église reprend une nouvelle fois le chemin qui monte vers Pâques. Sous la conduite de Jésus, et marchant sur ses pas, elle nous entraîne dans une traversée du désert.

L'histoire du Salut a donné au désert une signification religieuse profonde. Sous la conduite de Moïse et, plus tard, éclairé par d'autres prophètes, le Peuple élu a pu, au milieu des privations et des souffrances, faire l'expérience de la présence fidèle de Dieu et de sa miséricorde; il s'est nourri avec le pain descendu du ciel et il a étanché sa soif par l'eau qui jaillit du rocher; le Peuple de Dieu a grandi dans la foi et dans l'espérance de l'avènement du Messie rédempteur.

C'est aussi dans le désert que Jean-Baptiste a prêché, et les foules ont accouru à lui pour recevoir, dans les eaux du Jourdain, le baptême de pénitence: le désert fut un lieu de conversion afin d'accueillir Celui qui vient pour vaincre la désolation et la mort liées au péché. Jésus, le Messie des pauvres qu'il comble de biens (cf. Lc 1, 53), a inaugure sa mission en prenant la condition de celui qui a faim et soif dans le désert.

Chers frères et soeurs, je vous invite, au cours de ce Carême, à méditer la Parole de vie laissée par le Christ à son Église afin qu'elle éclaire l'itinéraire de chacun de ses membres. Reconnaissez la voix de Jésus qui vous parle, spécialement en ce temps de Carême, dans l'Évangile, dans les célébrations liturgiques, dans les exhortations de vos pasteurs. Écoutez la voix de Jésus qui, fatigué et assoiffé, dit à la Samaritaine près du puits de Jacob: «Donne-moi à boire» (Jn 4,7). Contemplez Jésus cloué sur la croix, mourant, et entendez sa voix à peine perceptible: «J'ai soif» (Jn 19,28). Aujourd'hui, le Christ répète son appel et revit les tourments de son agonie en nos frères les plus pauvres.

En nous entraînant par la pratique du Carême sur les routes d'amour et d'espérance tracées par le Christ, l'Église nous fait comprendre que la vie chrétienne comporte le détachement des biens superflus, l'acceptation d'une pauvreté qui nous libère et qui nous dispose à découvrir la présence de Dieu et accueillir nos frères avec une solidarité toujours plus active et dans une communion toujours plus large.

Rappelez-vous donc la parole du Seigneur: « Celui qui donnera à boire, même un simple verre d'eau fraîche, à l'un de ces petits en qualité de disciple, en vérité je vous le dis: il ne perdra pas sa récompense» (Mt 10,42). Et mettez votre coeur et votre espérance dans ces autres paroles: «Venez, les bénis de mon Père, ... car j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire» (Mt 25, 34-35).

2. Pendant le Carême de 1993, pour mettre en oeuvre concrètement la solidarité et la charité fraternelle liées à la recherche spirituelle de ce temps fort de l'année, je demande aux membres de l'Église d'être particulièrement attentifs aux hommes et aux femmes qui sont éprouvés par la désertification dramatique de leurs terres et à ceux qui, en trop de régions du monde, manquent de ce bien élémentaire, mais indispensable à la vie, qu'est l'eau.

De nos jours, nous sommes inquiets de voir le désert progresser et s'étendre à des terres qui, hier encore, étaient prospères et fertiles. Nous ne pouvons pas oublier que, dans bien des cas, l'homme lui-même a été la cause de la stérilisation de terres devenues désertiques tout comme de la pollution d'eaux jusque-là saines. Quand on ne respecte pas lies biens de la terre, quand on en abuse, on agit de manière injuste et même criminelle, car cela entraîne pour de nombreux frères et soeurs la misère et la mort.

Nous sommes gravement préoccupés de voir que des peuples entiers, des millions d'êtres humains, sont réduits à l'indigence, qu'ils souffrent de la faim et de maladies parce qu'ils manquent d'eau potable. De fait, la faim et de nombreuses maladies sont intimement liées à la sécheresse et à la pollution des eaux. Là où les pluies sont rares et où les sources d'eau se tarissent, la vie devient plus fragile, elle se raréfie au point de disparaître. D'immenses zones de l'Afrique connaissent ce fléau; mais on le rencontre aussi dans certaines régions d'Amérique latine et d'Australie.

En outre, il est bien clair pour tous que le développement industriel anarchique et l' emploi de technologies qui rompent l'équilibre naturel ont causé de graves dommages à l'environnement, provoquant de sérieuses catastrophes. Nous courons le risque de laisser en héritage aux générations à venir le drame de la soif et du désert en de nombreuses parties du monde.

Je vous invite chaleureusement à soutenir avec générosité les institutions, les organisations et les oeuvres sociales qui s'emploient à aider les populations affligées par les pénuries ou par la soif et soumises aux difficultés d'une désertification croissante. Je vous exhorte également à collaborer avec les chercheurs qui s'efforcent d'analyser scientifiquement tous les facteurs de la désertification et de découvrir les moyens d'y remédier.

Puisse la générosité active des fils et des filles de l'Église, ainsi que de tous les hommes et les femmes de bonne volonté, hâter l'accomplissement de la prophétie d'Isaïe : «Parce qu'auront jailli les eaux dans le désert et les torrents dans la steppe, la terre brûlée deviendra un marécage et le pays de la soif, des eaux jaillissantes» (35, 6-7)!

De tout coeur, je vous bénis au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Amen.

Du Vatican, le 18 septembre 1992.

 

 

 

 

 

Message pour le Carême 1994

 

1. Le temps de Carême est le temps favorable, donné par le Seigneur, pour renouveler notre démarche de conversion et fortifier en nous la foi, l' espérance et la charité, pour entrer dans l'Alliance voulue par Dieu et pour connaître un temps de grâce et de réconciliation.

«La famille est au service de la charité, la charité est au service de la famille». Par ce thème, choisi cette année, je voudrais inviter tous les chrétiens à transformer leur existence et à modifier leurs comportements, pour être un ferment et pour faire grandir au sein de la famille humaine la charité et la solidarité, valeurs essentielles de la vie sociale et de la vie chrétienne.

2. Tout d'abord, que les familles prennent conscience de leur mission dans l'Église et dans le monde! C'est dans la prière personnelle et communautaire qu'elles reçoivent l'Esprit Saint, qui vient faire en elles et par elles toutes choses nouvelles et qui ouvre le coeur des fidèles à la dimension universelle. En puisant à la source de l'amour, chacun deviendra apte à transmettre cet amour par sa vie et par ses oeuvres. La prière nous relie au Christ et fait ainsi de tous les hommes des frères.

La famille est le premier lieu privilégié de l'éducation et de l'exercice de la vie fraternelle, de la charité et de la solidarité, dont les formes sont multiples. Dans les relations familiales s'apprennent l'attention, l'accueil et le respect de l'autre, qui doit toujours pouvoir trouver la place qui lui revient. La vie commune est ensuite une invitation au partage, qui permet de sortir de son égoïsme. En apprenant à partager et à donner, on découvre la joie immense que procure la communion des biens. Les parents auront soin, avec délicatesse, d'éveiller chez leurs enfants, par leur exemple et leur enseignement, le sens de la solidarité. Dès l'enfance, chacun est aussi appelé à faire l'expérience de la privation et du jeûne afin de forger son caractère et de maîtriser ses instincts, en particulier celui de la possession pour soi seul. Ce qui s'apprend dans la vie familiale demeure présent tout au long de l'existence.

3. En ces temps particulièrement difficiles que traverse notre monde, que les families, à l'exemple de Marie, qui s'empresse d'aller visiter sa cousine Elisabeth, se rendent proches de leurs frères qui sont dans le besoin et qu'elles les portent dans la prière! Comme le Seigneur qui prend soin des hommes, nous devons pouvoir dire: «J'ai vu la misère de mon peuple et son cri est venu jusqu'à moi» (1 S 9, 16); nous ne pourrons pas alors rester sourds à ses appels. Car la pauvreté d'un nombre toujours croissant de nos frères anéantit leur dignité d'hommes et défigure l'humanité tout entière; elle est une injure criante au devoir de solidarité et de justice.

4. Aujourd'hui, notre attention doit se porter spécialement sur les souffrances et les pauvretés familiales. En effet, de nombreuses familles ont atteint le seuil de pauvreté et n'ont plus le minimum vital pour se nourrir et nourrir leurs enfants, pour permettre à ces derniers d'avoir une croissance physique et psychique normale et de suivre une scolarité régulière et légitime. Certaines n'ont pas les moyens de se loger décemment. Le chômage frappe de plus en plus et accroît dans des proportions importantes la paupérisation de franges entières de la population. Des femmes sont seules pour subvenir aux besoins de leurs enfants et pour les éduquer, ce qui conduit souvent les jeunes à errer dans les rues, à se réfugier dans la drogue, dans l'abus d'alcool ou dans la violence. On constate actuellement une augmentation des couples et des familles ayant des épreuves psychologiques et relationnelles. Les difficultés sociales contribuent parfois à l'éclatement du noyau familial. Trop souvent, l'enfant à naître n'est pas accepté. Dans certains pays, les plus jeunes sont soumis à des conditions inhumaines ou sont honteusement exploités. Les personnes âgées et handicapées, parce qu'elles ne sont pas économiquement rentables, sont rejetées dans une extrême solitude et se sentent inutiles. Parce qu'elles appartiennent à d'autres races, à d'autres cultures, à d'autres religions, des familles sont rejetées de la terre dans laquelle elles s' étaient établies.

5. Face à ces fléaux, qui atteignent l'ensemble de la planète, nous ne pouvons pas nous taire ni rester inactifs, car ils blessent la famille, cellule de base de la société et de l'Église. Nous sommes appelés à nous ressaisir. Les chrétiens et les hommes de bonne volonté ont le devoir de soutenir les familles en difficulté, en leur donnant les moyens spirituels et matériels de sortir des situations souvent tragiques que nous venons d'évoquer.

En ce temps de Carême, j'invite donc avant tout au partage avec les familles les plus pauvres, pour qu'elles puissent exercer, particulièrement auprès des enfants, les responsabilités qui leur reviennent. Nul ne peut être rejeté au nom de sa différence, de sa faiblesse ou de sa pauvreté. Au contraire, les diversités sont des richesses pour la construction commune. C'est au Christ que nous donnons lorsque nous donnons aux pauvres, car ils «ont revêtu le visage de notre Sauveur» et «sont les préférés de Dieu» (S. Gregoire de Nysse, De l'amour des pauvres). La foi exige le partage avec ses semblables. La solidarité matérielle est une expression essentielle et première de la charité fraternelle: elle donne à chacun les moyens de subsister et de conduire sa vie.

La terre et ses richesses appartiennent à tous. «La fécondité de toute la terre doit être la fertilité pour tous» (S. Ambroise de Milan, De Nabuthe VII, 33). Dans les heures douloureuses que nous vivons, il ne suffit sans doute pas de prendre sur son superflu, mais bien de transformer ses comportements et ses modes de consommation, afin de prélever sur son nécessaire et de ne garder que l'essentiel, pour que tous puissent vivre dans la dignité. Faisons jeûner nos désirs parfois immodérés de posséder, afin d'offrir à notre prochain ce qui lui manque radicalement. Le jeûne des riches doit devenir la nourriture des pauvres (cf. S. Léon le Grand, Homélie 20 sur le jeûne).

6. J'attire particulièrement l'attention des communautés diocésaines et paroissiales sur la nécessité de trouver des moyens pratiques pour venir en aide aux familles démunies. Je sais que de nombreux synodes diocésains ont déjà fait des démarches en ce sens. La Pastorale familiale doit aussi pouvoir jouer un rôle de premier plan. En outre, dans les organismes civils auxquels ils participent, les chrétiens rappelleront toujours cette attention et ce devoir impérieux d'aider les familles les plus fragilisées. Je m'adresse encore aux dirigeants des nations pour qu'ils trouvent, à l'échelle de leurs pays et de l'ensemble de la planète, les moyens de faire cesser la spirale de la pauvreté et de l'endettement des ménages. L'Église souhaite que, dans les politiques économiques, les dirigeants et les chefs d'entreprise prennent conscience des changements à opérer et de leurs obligations, pour que les familles ne dépendent pas uniquement des aides qui leur sont octroyées, mais que le travail de leurs membres puisse leur apporter les moyens de subsister.

7. La communauté chrétienne accueille avec joie l'initiative des Nations Unies de faire de 1994 une Année internationale de la Famille, et,partout où elle le peut, elle y apporte volontiers sa contribution spécifique.

Aujourd'hui ne fermons pas notre coeur, mais écoutons la voix du Seigneur et celle de nos frères les hommes!

Puissent les actions de charité réalisées au cours de ce Carême, par les familles et pour les familles, procurer à chacun la joie profonde et ouvrir les coeurs au Christ ressuscité, «l'aîne d'une multitude de frères» (Rm 8, 29) ! A tous ceux qui répondront à cet appel de la part du Seigneur, j'accorde volontiers ma Bénédiction apostolique.

Du Vatican, le 3 septembre 1993.

 

 

 

 

 

 

Message pour le Carême 1995

«L' Esprit du Seigneur ... m'a consacré ... pour porter la bonne nouvelle aux pauvres.
Il m'a envoyé ... annoncer aux aveugles le retour à la vue...
» (Lc 4, 18).

 

Chers Frères et Soeurs dans le Christ,

1. Au temps du Carême, je souhaite réfléchir avec vous tous sur un mal obscur qui prive un grand nombre de pauvres de beaucoup de possibilités de progrès, de victoire sur la marginalisation et de véritable libération. Je pense à l'analphabétisme. Le Pape Paul VI nous rappelait déjà que «la faim d'instruction n'est pas moins déprimante que la faim d'aliments. Un analphabète est un esprit sous-alimenté» (Populorum progressio, n.35).

Cette plaie terrible contribue à maintenir d'immenses multitudes dans la condition du sous-développement, avec tout ce que cela comporte de scandaleuse misère. De nombreux témoignages provenant des différents continents, de même que les rencontres que j'ai pu faire au cours de mes voyages apostoliques, confirment ma conviction que, là où il y a l'analphabétisme, règnent plus qu'ailleurs la faim, les maladies, la mortalité infantile, et aussi l'humiliation, l'exploitation et des souffrances de toute sorte.

Un homme qui ne sait ni lire ni écrire éprouve de grandes difficultés pour recourir aux méthodes modernes de travail; il est comme condamné à l' ignorance de ses droits et de ses devoirs; il est vraiment un pauvre. Nous devons avoir conscience que des centaines de millions d'adultes sont analphabètes, que des dizaines de millions d'enfants ne peuvent pas aller à l'école parce qu'il n'en existe pas à proximité ou bien parce que la pauvreté les empêche d' y accéder. Ils se trouvent entravés dans l'épanouissement de leur vie et empêchés d'exercer leurs droits fondamentaux. Ce sont des foules humaines qui lèvent les bras vers nous, nous demandant un geste de fraternité.

2. Nous savons que lorsque les personnes, les familles et les communautés ont accès à l'instruction, à l'éducation et aux divers niveaux de formation, elles peuvent mieux progresser sur tous les fronts. L'alphabétisation permet à la personne de développer ses possibilités, d'épanouir ses talents, d'enrichir ses relations. Le Concile Vatican II affirme: «C'est le propre de la personne humaine de n'accéder vraiment et pleinement à l'humanité que par la culture» (Gaudium et spes, n. 53, 1). La formation intellectuelle est un élément décisif pour développer cette culture humaine qui aide à être plus autonome et plus libre. Elle permet aussi de mieux former sa conscience et de mieux percevoir ses responsabilités sur le plan moral et spirituel. Car la véritable éducation est tout à la fois spirituelle, intellectuelle et morale.

Parmi les questions qui suscitent des inquiétudes à notre époque, on met souvent en relief l'évolution démographique dans le monde. Dans ce domaine, il s'agit de favoriser la prise de responsabilité des familles elles-mêmes. Les Cardinaux réunis en consistoire en juin 1994 ont ainsi unanimement déclaré que «l'éducation et le développement sont des réponses beaucoup plus efficaces aux tendances démographiques que ne le sont toutes les contraintes et les formes artificielles de contrôle démographique»(1). L'institution même de la famille est affermie lorsque ses membres peuvent utiliser la communication écrite; ils ne subissent plus passivement des programmes qui leur seraient imposés au détriment de leur liberté et de la maîtrise responsable de leur fécondité; ils sont les agents de leur propre développement.

3. Devant la gravité des conditions de vie de nos frères et soeurs tenus à l'écart de la culture contemporaine, notre devoir est de leur manifester toute notre solidarité. Les actions menées pour favoriser l'accès à la lecture et à l'écriture sont une première condition pour aider le frère pauvre à faire mûrir son intelligence et à conduire sa propre vie de manière plus autonome. L'alphabétisation et la scolarisation sont un devoir et un investissement essentiels pour l'avenir de l'humanité, pour «le développement intégral de tout l'homme et de tous les hommes», ainsi que l'a dit le Pape Paul VI (Populorum progressio, n. 42) .

Au sein des peuples, plus est élevé le nombre de personnes qui bénéficient d'une éducation suffisante, mieux le peuple pourra prendre en main son propre destin. En cela, l'alphabétisation facilite la collaboration entre les nations et la paix dans le monde. L'égale dignité des personnes et des peuples exige que la communauté internationale se mobilise pour surmonter les inégalités préjudiciables qu' entraîne encore l'illettrisme de millions d'êtres humains.

4. Ma reconnaissance va à toutes les personnes et aux organisations qui sont engagées dans l'oeuvre de solidarité qu'est l'alphabétisation. Je m'adresse tout particulièrement aux forces sociales et religieuses, aux enseignants, aux écoliers et aux étudiants, à toutes les personnes de bonne volonté, et je les invite à partager davantage encore leurs biens matériels et culturels: qu'ils agissent dans ce sens autour d'eux , qu'ils soutiennent l'action des organismes spécifiquement engagés à promouvoir l'alphabétisation dans les différentes parties du monde.

5. L'approfondissement de l'évangélisation sera aussi favorisé par le progrès de l'alphabétisation, dans la mesure ou l'on aidera chacun de nos frères et soeurs à saisir de manière plus personnelle le message chrétien et à prolonger l'écoute de la Parole de Dieu par la lecture. Rendre possible au plus grand nombre l'accès direct à l'Écriture Sainte, autant que faire se peut dans sa propre langue, cela ne peut qu'enrichir la réflexion et la méditation de tous ceux qui cherchent le sens et l'orientation de leur propre vie.

J'exhorte vivement les pasteurs de l'Église à prendre à coeur et à encourager ce grand service rendu à l'humanité. Car il s'agit de joindre à l'annonce de la Bonne Nouvelle la transmission d'un savoir qui permet à nos frères et soeurs d'assimiler par eux-mêmes la portée de ce message, d'en goûter toute la richesse et d'en faire une part intégrante de leur culture. À notre époque, ne peut-on dire que travailler pour l'alphabétisation, c'est contribuer à bâtir la communion dans une authentique et active charité fraternelle?

6. Par l'intercession de la Très Sainte Vierge Marie, Mère de Jésus et notre Mère, je prie Dieu d'écouter notre voix et de toucher les coeurs, afin que ce saint Carême 1995 marque une nouvelle étape dans la conversion que Jésus notre Seigneur a prêchée, dès le début de sa mission messianique, à l'intention de toutes les nations (cf. Mt 4, 12-17)

Dans cette espérance, je vous accorde de grand coeur la Bénédiction apostolique.

Du Vatican, le 7 septembre 1994.

 (1) Appel des Cardinaux pour la protection de la famille, 14 juin 1994.

 

 

 

 

Message pour le Carême 1996

«Donnez-leur vous-mêmes à manger» (Mt 14, 16)

 

Chers Frères et Soeurs,

1. Le Seigneur nous appelle une fois encore à le suivre sur le chemin du Carême, un chemin proposé chaque année à tous les fidèles, afin qu'ils renouvellent leur réponse personnelle et communautaire à leur vocation baptismale, et que, par leur conversion, ils portent des fruits. Le Carême est un chemin de réflexion dynamique et créative, qui incite à la pénitence afin d'affermir toutes les résolutions d'engagement évangélique; c'est un chemin d'amour, qui ouvre l'âme des croyants à leurs frères, les orientant vers Dieu. Jésus demande à ses disciples de vivre et de répandre la charité, le commandement nouveau qui constitue l'admirable synthèse du Décalogue divin confié à Moïse sur le Mont Sinaï. Dans la vie de tous les jours, il nous est donné de rencontrer des affamés, des assoiffés, des malades, des marginaux, des migrants. Pendant le temps du Carême, nous sommes invités à regarder avec plus d'attention leurs visages douloureux, des visages qui expriment le défi des différentes formes de pauvreté en notre temps.

L'Évangile montre que le Rédempteur éprouve une vive compassion pour ceux qui sont en difficulté; il leur parle du Royaume de Dieu et guérit le corps et l'esprit de ceux qui ont besoin d'assistance. Il dit aussi à ses disciples: «Donnez-leur vous-mêmes à manger». Mais les disciples se rendent compte qu'ils n'ont que cinq pains et deux poissons. Nous aussi, aujourd'hui, comme les Apôtres à Bethsaïde en leur temps, nous ne disposons que de moyens réellement insuffisants pour faire face efficacement aux besoins des quelque huit cent millions de personnes souffrant de la faim ou de la malnutrition qui luttent encore pour leur survie au seuil du troisième millénaire.

Alors, que faire? Laisser les choses comme elles sont, en se résignant à l'impuissance? C'est la question sur laquelle je voudrais attirer l'attention de tous les fidèles et de toute la communauté ecclésiale au début du Carême. La foule des affamés, formée d'enfants, de femmes, de personnes âgées, de migrants, de réfugiés ou de chômeurs, élève vers nous son cri de douleur. Tous, ils nous implorent, dans l'espoir d'être entendus. Comment ne pas ouvrir nos oreilles et nos coeurs, en commençant par mettre à leur disposition les cinq pains et les deux poissons que Dieu a mis dans nos mains? Nous pouvons tous faire quelque chose pour eux, chacun peut leur apporter sa contribution. Cela demande assurément des renoncements qui supposent une conversion intérieure profonde. Il faut évidemment revoir nos comportements de consommateurs, combattre l'hédonisme, nous opposer à l'indifférence et au transfert des responsabilités.

3. La faim est un drame immense qui afflige l'humanité: il n'en est que plus urgent d'en prendre conscience et d'apporter un soutien déterminé et généreux aux Organisations et aux Mouvements fondés pour apaiser les souffrances de ceux qui risquent de mourir faute de nourriture, en privilégiant les personnes qui ne sont pas prises en charge par des programmes gouvernementaux ou internationaux. Il faut soutenir la lutte contre la faim autant dans les pays les moins développés que dans les pays industrialisés où, malheureusement, s'élargit le fossé qui sépare les riches des pauvres.

La terre est pourvue des ressources nécessaires pour alimenter l'humanité entière. Il faut savoir les utiliser avec intelligence, en respectant l'environnement et les rythmes de la nature, en assurant l'équité et la justice dans les échanges commerciaux et une distribution des richesses qui tienne compte du devoir de la solidarité. Certains pourraient objecter que c'est là une grande et irréalisable utopie. L'enseignement social et l'action de l'Église montrent cependant le contraire: quand les hommes se convertissent à l'Évangile, ce projet de partage et de solidarité se réalise d'une manière extraordinaire.

4. En fait, alors que, d'un côté, nous voyons la destruction de grandes quantités de produits nécessaires à la vie de l'homme, d'un autre côté, nous apercevons avec tristesse de longues files de personnes qui attendent leur tour devant les soupes populaires ou auprès des convois des Organisations humanitaires chargés de distribuer des aides de toute sorte. Dans les métropoles modernes aussi, à la fermeture des marchés de quartier, il n'est pas rare d'apercevoir des inconnus qui se baissent pour ramasser les restes de marchandises abandonnés sur place.

Devant de telles scènes, révélatrices de contradictions profondes, comment ne pas éprouver un sentiment intime de révolte? Comment ne pas se sentir entraîné dans un élan spontané de charité chrétienne? Toutefois, la solidarité authentique ne s'improvise pas; ce n'est que grâce à un travail de formation patient et approfondi mené dès l'enfance que la solidarité devient un réflexe de la personne et englobe les divers domaines d'action et de responsabilité. Un processus de sensibilisation générale est nécessaire, afin d'impliquer toute la société. En collaboration cordiale avec les autres Confessions religieuses, l'Église catholique désire apporter sa contribution spécifique à ce processus. Il s'agit d'un effort fondamental de promotion de l'homme et de partage fraternel qui ne peut pas ne pas engager également les pauvres eux-mêmes, en faisant appel à leurs propres possibilités.

5. Chers Frères et Soeurs, en vous confiant ces réflexions pour le Carême, afin que vous les développiez individuellement et en communauté sous la conduite de vos Pasteurs, je vous exhorte à accomplir des gestes significatifs concrets, de nature à multiplier les quelques pains et les quelques poissons dont nous disposons. On agira ainsi valablement pour faire face aux différents besoins de ceux qui souffrent la faim; et ce sera une manière authentique de vivre la période providentielle du Carême, temps de conversion et de réconciliation.

Dans ces projets et ces engagements, que vous soutienne et vous réconforte la Bénédiction apostolique que je donne volontiers à chacun de vous, en demandant au Seigneur pour vous la grâce de prendre généreusement, par la prière et la pénitence, le chemin qui monte vers les célébrations de Pâques.

A Castelgandolfo, le 8 septembre 1995, fête de la Nativité de la Sainte Vierge Marie, en la dix-septième année de mon pontificat.

 

 

 

 

Message pour le Carême 1997

1. Le temps du Carême rappelle les quarante années qu'Israël a passées dans le désert quand il était en marche vers la terre promise. Pendant cette période, le peuple apprit ce que signifiait vivre sous la tente, sans demeure fixe, dans une totale absence de sécurité. Bien des fois, il fut tenté de retourner en Égypte : là, au moins, il était sûr d'avoir à précarité du désert, c'est Dieu lui-même qui fournit l'eau et la nourriture à son peuple, et qui le protégea dans les dangers. Ainsi, l'expérience de la totale dépendance par rapport à Dieu se transforma pour les Hébreux en marche pour se libérer de l'esclavage et de l'idolâtrie des biens matériels.

Le temps du Carême entend aider les croyants à revivre, dans un effort de purification personnelle, le même itinéraire spirituel, en prenant conscience de la pauvreté et de la précarité de l'existence, et en redécouvrant l'intervention providentielle du Seigneur, qui invite à ouvrir les yeux sur les besoins de nos frères les plus nécessiteux. De cette façon, le Carême devient aussi le temps de la solidarité avec les individus et les peuples de nombreuses parties du monde qui se trouvent en situation précaire.

2. Pour le Carême de 1997, première année de préparation au grand Jubilé de l'An 2000, je voudrais faire porter ma réflexion sur la situation dramatique de ceux qui vivent sans toit. Je propose comme thème de cette méditation les paroles tirées de l'Évangile selon saint Matthieu : «Venez, les bénis de mon Père... Car j'étais un étranger et vous m'avez accueilli» (Mt 25, 34- 35). La maison est le siège de la communion familiale, le foyer domestique où les enfants naissent de l'amour vécu par le mari et la femme, où ils apprennent les façons de vivre et les va leurs morales et spirituelles fondamentales qui feront d'eux les citoyens et les chrétiens de demain. À la maison, la personne âgée et le malade font l'expérience du climat de proximité et d'affection qui aide à surmonter les journées de souffrance et de déclin physique.

Mais il y a malheureusement beaucoup de personnes qui vivent totalement privées de l'atmosphère de chaleur humaine et d'accueil qui est caractéristique du foyer. Je pense aux réfugiés, aux personnes déplacées, aux victimes des guerres et des catastrophes naturelles, comme aussi aux personnes soumises à ce qu'on appelle l'émigration économique. Et que dire des familles expulsées de leur logement ou de celles qui n'arrivent pas à trouver une habitation, du grand nombre de personnes âgées auxquelles les retraites ne permettent pas de se procurer un logement digne à un juste prix ? Ce sont là des difficultés qui, à leur tour, engendrent parfois d'autres véritables calamités comme l'alcoolisme, la violence, la prostitution, la drogue. Au moment où se déroulait la Conférence mondiale sur les établissements humains, Habitat II, réunie à Istanbul en juin dernier, j'ai attiré l'attention de tous, lors de la récitation de l'Angélus dominical, sur ces graves problèmes, et j'ai souligné leur urgence, rappelant que le droit au logement doit être reconnu non seulement à l'individu en tant qu'être humain, mais aussi à la famille, composée de plusieurs personnes. La famille, cellule fondamentale de la société, a pleinement droit à un logement adéquat comme milieu de vie, afin qu'elle puisse réaliser une authentique communion domestique. L'Église reconnaît ce droit primordial et elle sait qu'elle doit contribuer à ce qu'il soit effectivement reconnu.

3. De nombreux passages bibliques mettent en lumière le devoir de subvenir aux besoins de ceux qui sont dépourvus d'un toit.

Déjà dans l'Ancien Testament, selon la Torah, l'étranger et en général le sans-abri, parce qu'il est exposé à toute sorte de péril, mérite un traitement spécial de la part du croyant. Et même, à plusieurs reprises, Dieu recommande de pratiquer une généreuse hospitalité à l'égard de l'étranger (cf. Dt 24, 17-18; 10, 18-19; Nb 15, 15; etc.), en rappelant la précarité à laquelle était exposé Israël lui-même. Quant à Jésus, il s'identifie à celui qui n'a pas de toit : «J'étais un étranger et vous m'avez accueilli» (Mt 25, 35), et il enseigne que la charité envers celui qui connaît cette situation sera récompensée au ciel. Les Apôtres du Seigneur recommandent aux communautés qu'ils ont fondées de pratiquer l'hospitalité réciproque en signe de communion et de vie nouvelle dans le Christ.

C'est de l'amour de Dieu que le chrétien apprend à secourir celui qui est dans le besoin, partageant avec lui ses biens matériels et spirituels. Cette sollicitude ne consiste pas seulement à apporter un secours matériel à ceux qui sont dans le dénuement, mais elle constitue une occasion de croissance spirituelle pour celui qui donne, car elle stimule en lui le détachement des biens terrestres. Il existe en effet une dimension plus haute, indiquée par l'exemple même du Christ : «Le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête» (Mt 8, 20). Il voulait exprimer ainsi sa totale disponibilité envers son Père du ciel, dont il entendait accomplir la volonté sans se laisser lier par la possession de biens terrestres; il y a en effet un danger permanent que les réalités terrestres prennent la place de Dieu dans le coeur de l'homme.

Le Carême constitue donc une occasion providentielle pour effectuer ce détachement spirituel des richesses afin de s'ouvrir à Dieu, vers qui le chrétien doit orienter toute sa vie, sachant qu'il n'a pas de demeure stable en ce monde car «notre cité se trouve dans les cieux» (Ph 3, 20). La célébration du mystère pascal, au terme du Carême, fait apparaître le fait que la démarche quadragésimale de purification culmine dans l'offrande de soi, libre et aimante, au Père. C'est par ce chemin que le disciple du Christ apprend à sortir de lui-même et de ses intérêts égoïstes pour rencontrer ses frères dans l'amour.

4. L'appel évangélique à être près du Christ «sans toit» est une invitation faite à tout baptisé pour qu'il reconnaisse sa propre réalité et regarde ses frères avec des sentiments de solidarité concrète, en prenant sur lui leurs difficultés. C'est en se montrant ouverts et généreux que les chrétiens peuvent servir, de façon communautaire ou individuelle, le Christ présent dans le pauvre, et témoigner de l'amour du Père. Le Christ nous précède sur cette route. Sa présence est une force et un encouragement : il nous rend libres et nous fait devenir des témo ins de l'Amour.

Chers Frères et Soeurs, allons sans crainte avec lui jusqu'à Jérusalem (cf. Lc 18, 31), en accueillant son invitation à la conversion pour adhérer plus profondément à Dieu, saint et miséricordieux, surtout durant le temps de grâce qu'est le Carême. Je souhaite qu'il aide chacun à écouter l'appel du Seigneur à ouvrir son coeur à tous ceux qui sont dans le besoin. En invo quant la protection céleste de Marie, particulièrement sur ceux qui sont sans toit, j'accorde à tous une affectueuse Bénédiction apostolique.

Du Vatican, le 25 octobre 1996.

 

 

 

 

 

Message pour le Carême 1998

Venez, les bénis de mon Père, parce que j'étais pauvre, exclu, et que vous m'avez reçu !

1. Chers frères et s½urs,

Chaque année, le Carême nous fait revivre le mystère du Christ «conduit par l'Esprit à travers le désert» (Lc 4, 1). Par cette expérience unique, Jésus témoigna de sa confiance totale en la volonté du Père. L'Église offre aux fidèles ce temps liturgique, pour qu'ils se renouvellent intérieurement par la Parole de Dieu et qu'ils puissent exprimer dans leur vie l'amour que le Christ dépose dans le c½ur de celui qui croit en lui.

Cette année, l'Église, qui se prépare au grand Jubilé de l'An 2000, contemple le mystère de l'Esprit Saint. Elle se laisse guider par lui «à travers le désert», pour faire avec Jésus l'expérience de la fragilité de la créature, mais aussi de la proximité de Dieu qui sauve. Le prophète Osée écrit: «Je vais la séduire, je vais l'entraîner jusqu'au désert, et je lui parlerai c½ur à c½ur» (Os 2, 16). Le Carême est donc un chemin de conversion dans l'Esprit Saint, pour rencontrer Dieu dans notre vie. En effet, le désert est un lieu de sécheresse et de mort; il est synonyme de solitude, mais aussi de dépendance de Dieu, de recueillement et de retour à l'essentiel. Pour le chrétien, l'expérience du désert veut dire éprouver personnellement sa petitesse devant Dieu et devenir ainsi plus sensible à la présence de ses frères pauvres.

2. Cette année, je compte proposer à la réflexion de tous les fidèles les paroles inspirées par l'Évangile selon saint Matthieu: «Venez, les bénis de mon Père, parce que j'étais pauvre, exclu, et que vous m'avez reçu !» (cf. Mt 25, 34-36).

La pauvreté a plusieurs significations. La première, c'est le manque de moyens matériels suffisants. Cette pauvreté, qui confine à la misère pour beaucoup de nos frères, constitue un scandale. Elle prend des formes multiples et se trouve liée à des phénomènes douloureux et variés: la privation des moyens de subsistance nécessaires et des soins médicaux indispensables; le manque d'une maison à habiter ou son inadaptation, avec les situations de promiscuité qui en découlent; pour les plus faibles, la mise à l'écart de la société et, pour les chômeurs, l'exclusion des cycles de production; la solitude de celui qui ne peut compter sur personne; la condition d'exilé loin de sa patrie ou de victime de la guerre ou de ses blessures; la mauvaise répartition des salaires; l'absence de famille avec les graves conséquences qui en résultent, comme la drogue et la violence. L'homme qui est privé du nécessaire pour vivre est humilié: il y a là un drame face auquel la conscience de celui qui a la possibilité d'intervenir ne peut rester indifférente.

Il existe une autre pauvreté, tout aussi grave; elle consiste dans le manque non de moyens matériels, mais de nourriture spirituelle, de réponse aux questions essentielles, d'espérance pour l'existence. Cette pauvreté qui affecte l'esprit provoque de très vives souffrances. Nous avons sous les yeux les conséquences, souvent tragiques, d'une existence vidée de son sens. Cette forme de misère se manifeste surtout dans les milieux où l'homme vit dans le bien-être, où il est matériellement rassasié mais spirituellement privé de finalité. Cela confirme la parole du Seigneur dans le désert: «Ce n'est pas seulement de pain que vit l'homme, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu» (Mt 4, 4). Au fond de son c½ur, l'homme demande un sens, il demande un amour.

La réponse à cette pauvreté, c'est l'annonce, traduite par les actes, de l'Évangile qui sauve, qui illumine même les ténèbres de la souffrance, parce qu'il répand l'amour et la miséricorde de Dieu. C'est, en dernière analyse, la faim de Dieu qui dévore l'homme: sans le réconfort qui vient de Lui, l'être humain se trouve abandonné à lui-même, dans le besoin parce que privé de la source d'une vie véritable.

Depuis toujours, l'Église combat toutes les formes de pauvreté, parce qu'elle est Mère et qu'elle veut que chaque homme puisse vivre pleinement sa dignité de fils de Dieu. Le temps du Carême est particulièrement indiqué pour rappeler aux membres de l'Église leur engagement en faveur de leurs frères.

3. La sainte Écriture contient des rappels fréquents de la sollicitude à l'égard du pauvre, car Dieu même est présent en lui: «Celui qui fait la charité au pauvre prête au Seigneur qui paiera le bienfait de retour» (Pr 19, 17). La révélation du Nouveau Testament nous enseigne à ne pas mépriser le pauvre, parce que le Christ s'identifie à lui. Dans les sociétés de l'opulence et dans un monde toujours plus marqué par un matérialisme pratique qui envahit tous les domaines de la vie, nous ne pouvons oublier les paroles fortes par lesquelles le Christ admoneste les riches (cf. Mt 19, 23-24; Lc 6, 24-25; 16, 19-31). En particulier, nous ne pouvons oublier qu'il s'est lui-même «fait pauvre», pour que nous devenions «riches par sa pauvreté» (2 Co 8, 9). Le Fils de Dieu «se dépouilla lui-même en prenant la condition d'un esclave [...]; il s'abaissa lui-même en devenant obéissant jusqu'à mourir, et à mourir sur une croix» (Ph 2, 7-8). Le Christ ayant pris sur lui la réalité humaine dans tous ses aspects, y compris ceux de la pauvreté, de la souffrance et de la mort, toute personne peut se retrouver en lui.

Le Christ qui s'est fait pauvre a voulu s'identifier à tout pauvre. Ainsi, le jugement dernier, dont les paroles inspirent le thème de ce message, voit le Christ bénir celui qui a reconnu son visage dans le pauvre: «Chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces petits qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait» (Mt 25, 40). C'est pourquoi celui qui aime Dieu en vérité reçoit le pauvre. Il sait en effet que Dieu a pris cette condition et cela pour être jusqu'au bout solidaire des hommes. L'accueil du pauvre est le signe de la vérité de l'amour pour le Christ, comme le montre saint François qui embrasse le lépreux, parce qu'il a reconnu en lui le Christ souffrant.

4. Tout chrétien se sent appelé à partager la peine et la difficulté de l'autre, en qui Dieu lui-même se cache. Mais s'ouvrir aux nécessités du frère implique un accueil sincère, qui n'est possible que par une attitude personnelle de pauvreté en esprit. En effet, la pauvreté n'est pas seulement négative. Il existe aussi une pauvreté bénie de Dieu. C'est celle que l'Évangile appelle «bienheureuse» (Mt 5, 3). Grâce à elle, le chrétien reconnaît que son salut ne vient que de Dieu et il se rend disponible pour accueillir et servir son frère, le jugeant «supérieur à lui-même» (Ph 2, 3). L'attitude de pauvreté spirituelle est le fruit du c½ur nouveau donné par Dieu et, pendant le temps du Carême, ce fruit doit mûrir par des attitudes concrètes, telles que l'esprit de service, la disponibilité à chercher le bien de l'autre, la volonté de communion avec le frère, l'engagement à combattre l'orgueil qui nous referme sur nous-mêmes face à notre prochain.

Ce climat d'accueil est devenu d'autant plus nécessaire que nous assistons à notre époque à diverses formes de refus de l'autre. Elles se manifestent gravement dans le problème des millions de réfugiés et d'exilés, dans le phénomène de l'intolérance raciale à l'égard de personnes dont la seule «faute» est de chercher du travail et de meilleures conditions de vie hors de leur patrie, dans la peur de tout ce qui est différent et donc perçu comme une menace. La Parole du Seigneur prend ainsi une nouvelle actualité face aux nécessités de tant de personnes qui demandent un logement, qui luttent pour avoir un emploi, qui cherchent à donner une éducation à leurs enfants. Les accueillir reste un défi pour la communauté chrétienne, qui ne peut que se sentir engagée à faire en sorte que chaque homme puisse trouver des conditions de vie correspondant à sa dignité de fils de Dieu.

En ce temps du Carême, j'exhorte tout chrétien à rendre visible sa conversion personnelle par un signe concret d'amour à l'égard de ceux qui sont dans le besoin, reconnaissant en eux le visage du Christ qui lui répète, dans un dialogue personnel: «J'étais pauvre, j'étais exclu... et tu m'as reçu».

5. C'est aussi grâce à cet engagement que la lumière de l'espérance se rallumera en de nombreuses personnes. Quand l'Église se met avec le Christ au service de l'homme qui est dans le besoin, elle ouvre les c½urs pour entrevoir une nouvelle espérance, au-delà du mal et de la souffrance, au-delà du péché et de la mort. En effet, les maux qui nous affligent, l'étendue des problèmes, le nombre immense de ceux qui souffrent représentent des limites humainement infranchissables. L'Église offre son aide, notamment matérielle, pour lever ces difficultés, mais elle sait qu'elle peut et qu'elle doit donner bien davantage: ce qu'on attend d'elle, c'est surtout une parole d'espérance. Là où les moyens matériels ne peuvent pas soulager la misère, par exemple dans le cas de maladies du corps ou de l'esprit, l'Église annonce au pauvre l'espérance qui vient du Christ. En ce temps de préparation à Pâques, je veux reprendre cette annonce. Au cours de l'année que l'Église consacre à la vertu d'espérance, dans la perspective du Jubilé de l'An 2000, je redis à tous les hommes, mais spécialement à ceux qui se sentent pauvres, seuls, souffrants, exclus, les paroles de la séquence pascale: «Le Christ, mon espérance, est ressuscité». Il a vaincu le mal qui réduit l'homme à l'abrutissement, le péché qui lui ferme le c½ur par l'égoïsme, la peur de la mort qui le menace.

Dans le mystère de la mort et de la résurrection du Christ, nous entrevoyons une lumière pour tout homme. Ce message de Carême est une invitation à ouvrir les yeux sur la pauvreté d'un grand nombre. Il veut aussi indiquer le chemin pour rencontrer à Pâques le Christ qui, donné en nourriture, inspire à nos c½urs confiance et espérance. C'est pourquoi je souhaite que le Carême de cette année 1998 devienne pour tout chrétien l'occasion de se faire pauvre avec le Fils de Dieu, pour être un instrument de son amour au service de nos frères qui sont dans le besoin.

Du Vatican, le 9 septembre 1997

 

 

 

 

Message pour le Carême 1999

Le Seigneur préparera un festin pour tous les peuples (cf. Is 25, 6)

Frères et S½urs dans le Christ,

Le Carême, que nous nous apprêtons à célébrer, est un nouveau don de Dieu. Il entend nous aider à redécouvrir notre nature de fils, créés et renouvelés, grâce au Christ, par l'amour du Père dans l'Esprit Saint.

1. Le Seigneur préparera un festin pour tous les peuples. Ces paroles, dont s'inspire le présent message de Carême, nous incitent tout d'abord à réfléchir sur l'attention prévenante du Père céleste pour tous les hommes. Celle-ci se manifeste dès l'acte de la création, lorsque “Dieu vit tout ce qu'il avait fait : cela était très bon” (Gn 1, 31). Elle est ensuite confirmée dans les rapports privilégiés avec le peuple d'Israël, que Dieu choisit comme son peuple pour engager l'½uvre du salut. Enfin, en Jésus Christ, cette attention prévenante atteint sa plénitude : en Lui, la bénédiction d'Abraham passe aux païens et nous recevons la promesse de l'Esprit par la foi (cf. Ga 3, 14).

Le Carême est le temps favorable où nous manifestons au Seigneur notre sincère gratitude pour les merveilles opérées en faveur de l'homme à toutes les époques de l'histoire, et en particulier dans la Rédemption, en vue de laquelle il n'a pas épargné son propre Fils (cf. Rm 8, 32).

La découverte de la présence salvifique de Dieu dans l'histoire humaine nous pousse à la conversion. Elle nous fait sentir que nous sommes tous destinataires de l'amour de prédilection de Dieu, et elle nous incite à le louer et à le glorifier. Avec saint Paul, nous redisons : “Qu'il soit béni, le Dieu et Père de notre Seigneur, Jésus, le Christ ! Il nous a bénis et comblés des bénédictions de l'Esprit, au ciel, dans le Christ. Il nous a choisis, dans le Christ, avant que le monde fût créé, pour être saints et sans péchés devant sa face grâce à son amour” (Ep 1, 3-4). Dieu lui-même nous invite à un itinéraire de pénitence et de purification intérieure pour renouveler notre foi. Il nous appelle inlassablement à lui, et chaque fois que nous connaissons l'échec du péché, il nous montre le chemin du retour vers sa maison, où nous retrouvons cette attention singulière dont il a voulu que nous soyons l'objet, dans le Christ. Ainsi, de l'expérience de l'amour que le Père nous manifeste, jaillit en nous la gratitude.

2. L'itinéraire de Carême nous prépare à la célébration de la Pâque du Christ, mystère de notre salut. Le repas que le Seigneur partage avec ses disciples le Jeudi saint, s'offrant lui-même sous le signe du pain et du vin, est une anticipation de ce mystère. Dans la célébration eucharistique, comme je l'ai écrit dans la Lettre apostolique Dies Domini, “la présence réelle, substantielle et durable du Seigneur ressuscité est accomplie... et le pain de vie qui est le gage de la gloire à venir est offert” (n. 39).

Le festin est un signe de joie, car il s'y manifeste la communion intense de ceux qui y participent. L'Eucharistie réalise ainsi le festin annoncé par le prophète Isaïe pour tous les peuples (cf. Is 25, 6). En elle est présente une immanquable valeur eschatologique. Par la foi, nous savons que le mystère pascal s'est déjà accompli dans le Christ; mais il doit encore se réaliser pleinement en chacun de nous. Par sa mort et sa résurrection, le Fils de Dieu nous a fait don de la vie éternelle, qui commence ici-bas mais se réalisera définitivement dans la Pâque éternelle du ciel. Beaucoup de nos frères et s½urs ont la force de supporter leur situation de misère, d'inconfort, de maladie, uniquement parce qu'ils ont la certitude d'être un jour appelés au banquet éternel du ciel. Ainsi, le Carême fait tourner les regards au-delà du présent, au-delà de l'histoire, au-delà de l'horizon de ce monde, vers la communion parfaite et éternelle avec la très Sainte Trinité.

La bénédiction que nous recevons dans le Christ brise pour nous le mur de ce temps et nous ouvre la porte de la participation définitive à la vie en Dieu. “Heureux les invités au festin des noces de l'Agneau” (Ap 19, 9) : nous ne pouvons oublier que notre vie trouve dans ce festin Ä anticipé dans le sacrement de l'Eucharistie Ä sa fin ultime. Le Christ nous a acquis non seulement une dignité nouvelle dans notre vie terrestre, mais surtout la dignité nouvelle de fils de Dieu, appelés à participer à la vie éternelle avec Lui. Le Carême nous invite à surmonter la tentation de considérer comme définitives les réalités de ce monde et à reconnaître que “notre cité se trouve dans les cieux” (Ph 3, 20).

3. Tandis que nous contemplons ce merveilleux appel que le Père nous adresse dans le Christ, nous ne pouvons pas ne pas ressentir l'amour qu'il a eu pour nous. La présente année de préparation au grand Jubilé de l'An 2000 veut nous aider à renouveler en nous la conscience que Dieu est le Père qui, dans son Fils bien-aimé, nous communique sa vie même. Par l'histoire du salut qu'il opère avec nous et pour nous, nous apprenons à vivre avec une intensité nouvelle la charité (cf. 1 Jn 4, 10 et ss.), vertu théologale, que, dans la Lettre apostolique Tertio millennio adveniente, j'ai recommandé d'approfondir durant l'année 1999.

L'expérience de l'amour du Père pousse le chrétien à faire de lui-même un don vivant, dans une logique de service et de partage qui l'ouvre à l'accueil de ses frères. Il y a d'immenses domaines dans lesquels l'Église, au cours des siècles, a témoigné, par la parole et par les ½uvres, de l'amour de Dieu. Aujourd'hui encore s'ouvrent devant nous de vastes espaces dans lesquels la charité de Dieu doit se faire présente par l'½uvre des chrétiens. Les nouvelles pauvretés et les grandes interrogations qui angoissent beaucoup de c½urs attendent des réponses concrètes et appropriées. Ceux qui sont seuls, ceux qui se trouvent en marge de la société, ceux qui ont faim, ceux qui sont victimes de la violence, ceux qui n'ont pas d'espérance, doivent pouvoir sentir, dans la sollicitude de l'Église, la tendresse du Père des cieux qui, depuis les origines du monde, a pensé à chaque homme pour le combler de sa bénédiction.

4. Le Carême, vécu avec le regard fixé sur le Père, devient ainsi un temps particulier de charité qui se concrétise par les ½uvres de miséricorde corporelle et spirituelle. La pensée se tourne de façon spéciale vers ceux qui sont exclus chaque jour du banquet de la société de consommation. Il y a beaucoup de “Lazare” qui frappent aux portes de la société : tous ceux qui ne participent pas aux avantages matériels apportés par le progrès. Il y a des situations persistantes de misère qui ne peuvent pas ne pas secouer la conscience du chrétien et lui rappeler le devoir d'y faire face d'urgence, de manière personnelle ou communautaire.

Ce n'est pas seulement aux personnes que sont offertes des occasions de faire preuve de disponibilité pour inviter les pauvres à participer à leur bien-être : les institutions internationales, les gouvernements des peuples et les centres qui tiennent les rênes de l'économie mondiale doivent eux aussi assumer la responsabilité d'envisager des voies courageuses pour assurer une plus juste répartition des biens de la terre, que ce soit à l'intérieur de chaque pays ou dans les rapports entre les peuples.

5. Frères et S½urs, au début de notre cheminement de Carême, je vous adresse ce message pour vous encourager sur la voie de la conversion, qui mène à une connaissance toujours plus pleine du bonheur que Dieu nous réserve. Que Marie, Mère de la miséricorde, soutienne notre marche ! La première, elle a connu et accueilli le dessein d'amour du Père, elle a cru et elle est “bénie entre toutes les femmes” (Lc 1, 42). Elle a obéi dans la souffrance et elle a ainsi, la première, participé à la gloire des fils de Dieu.

Que Marie nous fortifie par sa présence; qu'elle soit “un signe d'espérance assurée” (Lumen gentium, n. 68) et qu'elle intercède auprès de Dieu afin que se renouvelle pour nous l'effusion de la divine miséricorde !

Du Vatican, le 15 octobre 1998.

 

 

 

Message pour le Carême 2000 – Année Sainte

“Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde” (Mt 28, 20)

Frères et S½urs,

1. La célébration du Carême, temps de conversion et de réconciliation, prend cette année un caractère tout à fait particulier, parce qu’elle s’inscrit dans le grand Jubilé de l’An 2000. Le temps du Carême représente en effet le point culminant de ce chemin de conversion et de réconciliation que le Jubilé, année de grâce du Seigneur, propose à tous les croyants pour renouveler leur adhésion au Christ et pour annoncer avec une ardeur renouvelée son mystère de salut au cours du nouveau millénaire. Le Carême aide les chrétiens à pénétrer plus profondément ce “mystère tenu caché depuis toujours” ( Ep 3, 9) : il les conduit à s’examiner à la lumière de la Parole du Dieu vivant et il leur demande de renoncer à leur égoïsme pour accueillir l’action salvifique du Saint Esprit.

2. “Nous étions morts par suite de nos fautes” (Ep 2, 5) : c’est ainsi que saint Paul décrit la situation de l’homme sans le Christ. Voilà pourquoi le Fils de Dieu a voulu s’unir à notre nature humaine, la rachetant de l’esclavage du péché et de la mort.

C’est un esclavage dont l’homme fait l’expérience quotidiennement, en en ressentant profondément les racines dans son c½ur même (cf. Mt 7, 11). Parfois, il se manifeste de façon dramatique et inédite, comme ce fut le cas au cours des grandes tragédies du XXe siècle qui ont profondément marqué la vie de tant de communautés et de personnes, victimes de violences cruelles. Les déportations forcées, l’élimination systématique de peuples, le mépris des droits fondamentaux de la personne, sont des tragédies qui, aujourd’hui encore, humilient malheureusement l’humanité. Même dans la vie quotidienne, se manifestent diverses formes d’injustice, de haine, d’anéantissement de l’autre, de mensonge, dont l’homme est victime et auteur. L’humanité est marquée par le péché. Sa condition dramatique rappelle le cri alarmant de l’Apôtre des Nations : “Il n’y a pas un juste, pas même un seul” (Rm 3, 10; cf. Ps 13, 3).

3. Face à l’obscurité du péché et à l’impossibilité pour l’homme de se libérer par lui-même, l’½uvre de salut du Christ apparaît dans toute sa splendeur : “Dieu a exposé le Christ sur la croix afin que, par l’offrande de son sang, il soit le pardon pour ceux qui croient en lui. Ainsi Dieu voulait manifester sa justice” (Rm 3, 25). Le Christ est l’Agneau qui a pris sur lui le péché du monde (cf. Jn 1, 29). Il a partagé l’existence humaine “jusqu’à mourir et à mourir sur une croix” (Ph 2, 8) pour racheter l’homme de l’esclavage du mal et le réintégrer dans sa dignité originelle de fils de Dieu. Tel est le mystère pascal dans lequel nous sommes renés ! En lui, comme le rappelle la Séquence de Pâques, “la mort et la vie s’affrontèrent en un duel prodigieux”. Les Pères de l’Eglise affirment que, en Jésus Christ, le démon attaque toute l’humanité et brandit contre elle la menace de la mort dont elle est libérée par la force victorieuse de la Résurrection. Dans le Seigneur ressuscité, le pouvoir de la mort a été brisé et la possibilité est offerte à l’homme, à travers la foi, d’accéder à la communion avec Dieu. A celui qui croit, la vie même de Dieu est donnée, par l’action de l’Esprit Saint, “premier don fait aux croyants” (Prière eucharistique IV). La rédemption accomplie sur la croix renouvelle ainsi l’univers et réalise la réconciliation entre Dieu et l’homme, et des hommes entre eux.

4. Le Jubilé est le temps de grâce où nous sommes invités à nous ouvrir de manière particulière à la miséricorde du Père qui, dans le Fils, s’est penché sur l’homme, et à la réconciliation, don immense du Christ. Cette année doit donc devenir pour les chrétiens, et aussi pour les hommes de bonne volonté, un moment favorable pour faire l’expérience de la force régénérante de l’amour de Dieu, qui pardonne et qui réconcilie. Dieu offre sa miséricorde à quiconque veut l’accueillir, même s’il en est éloigné et s’il doute. A l’homme d’aujourd’hui, las de tant de médiocrité et de fausses illusions, est ainsi offerte la possibilité de s’engager sur la voie d’une vie en plénitude. Dans ce contexte, le Carême de l’Année Sainte 2000 constitue par excellence “le moment favorable, le jour du salut” (2 Co 6, 2), l’occasion particulièrement propice pour “se laisser réconcilier avec Dieu” (2 Co 5, 20).

Pendant l’Année Sainte, l’Eglise offre différentes occasions de réconciliation personnelle et communautaire. Chaque diocèse a désigné des lieux spéciaux où les croyants peuvent se rendre pour faire l’expérience d’une présence particulière de Dieu, en reconnaissant à sa lumière son propre péché, et pour s’engager, grâce au sacrement de la Réconciliation, sur un nouveau chemin de vie. Le pèlerinage en Terre Sainte et à Rome, lieux privilégiés de rencontre avec Dieu, prend un relief particulier, en raison du rôle singulier que ces lieux ont eu dans l’histoire du salut. Comment ne pas se mettre en route, au moins spirituellement, vers la Terre qui, il y a deux mille ans, a vu le passage du Seigneur ? Là, “le Verbe s’est fait chair” (1 Jn 1, 14) et “il a grandi en sagesse, en taille et en grâce” (Lc 2, 52) ; là, “il parcourrait toutes les villes et les villages, ... proclamant la Bonne Nouvelle du Royaume et guérissant toute maladie et toute infirmité” (Mt 9, 35); là, il a porté à son accomplissement la mission confiée par le Père (cf. Jn 19, 30) et il a répandu l’Esprit Saint sur l’Eglise naissante (cf. Jn 20, 22).

Moi aussi, je me promets, précisément en ce temps de Carême de l’an 2000, d’accomplir le pèlerinage sur la terre du Seigneur, aux sources de notre foi, pour célébrer le Jubilé bimillénaire de l’Incarnation. J’invite tout chrétien à m’accompagner par la prière tandis que, dans les diverses étapes du pèlerinage, j’invoquerai le pardon et la réconciliation pour les fils de l’Eglise et pour l’humanité tout entière.

5. L’itinéraire de la conversion conduit à se réconcilier avec Dieu et à vivre en plénitude la vie nouvelle dans le Christ : vie de foi, d’espérance et de charité. Ces trois vertus, appelées “théologales” parce qu’elles se réfèrent directement à Dieu dans son mystère, ont été l’objet d’un approfondissement spécial dans les trois années de préparation au grand Jubilé. La célébration de l’Année Sainte demande maintenant à tout chrétien de vivre et de manifester ces vertus plus pleinement et plus consciemment.

La grâce du Jubilé pousse avant tout à renouveler la foi personnelle. Elle consiste à adhérer à l’annonce du mystère pascal, à travers lequel le croyant reconnaît que, dans le Christ mort et ressuscité, le salut lui est donné ; il lui fait quotidiennement don de sa propre vie ; il accueille ce que le Seigneur dispose pour lui, dans la certitude que Dieu l’aime. La foi est le “oui” de l’homme à Dieu, son “Amen”.

Abraham est une figure exemplaire du croyant pour les juifs, les chrétiens et les musulmans : confiant dans la promesse, il écoute la voix de Dieu qui l’appelle sur des chemins inconnus. La foi aide a découvrir les signes de la présence amoureuse de Dieu dans la création, chez les personnes, dans les événements de l’histoire et surtout dans l’½uvre et le message du Christ, poussant l’homme à regarder au-delà de lui-même, au-delà des apparences vers la transcendance où s’entrouvre le mystère de l’amour de Dieu pour toute créature.

Par la grâce du Jubilé, le Seigneur nous invite aussi à raviver notre espérance. Dans le Christ en effet, le temps lui-même est racheté et il s’ouvre sur une perspective de joie sans fin et de pleine communion avec Dieu. Le temps du chrétien est caractérisé par l’attente des noces éternelles, anticipées chaque jour dans le banquet eucharistique. Le regard tourné vers elles, “l’Esprit et l’Epouse disent : ?Viens !’” (Ap 22, 17), nourrissant l’espérance qui soustrait le temps à la simple répétition et lui attribue un sens authentique. Par la vertu d’espérance, le chrétien témoigne que, au-delà de tout mal et de toute limite, l’histoire porte en elle un germe de bien que le Seigneur développera en plénitude. Il regarde donc le nouveau millénaire sans crainte et il fait face aux défis et aux attentes de l’avenir, avec la certitude confiante qui naît de la foi en la promesse du Seigneur.

Enfin, par le Jubilé, le Seigneur nous demande de raviver notre charité. Le Royaume que le Christ manifestera dans sa plénitude à la fin des temps est déjà présent là où les hommes vivent selon la volonté de Dieu. L’Eglise est appelée à manifester la communion, la paix et la charité qui la caractérisent. Dans cette mission, la communauté chrétienne sait que la foi sans les ½uvres est morte (cf. Jc 2, 17). Ainsi, par la charité, le chrétien rend visible l’amour de Dieu pour les hommes, révélé dans le Christ, et il manifeste sa présence dans le monde “jusqu’à la fin des temps”. Pour le chrétien, la charité n’est pas seulement un geste ou un idéal; elle est, pour ainsi dire, le prolongement de la présence du Christ qui se donne lui-même.

A l’occasion du Carême, tous - riches ou pauvres - sont invités à rendre présent l’amour du Christ par des actions généreuses de charité. En cette année jubilaire, notre charité est appelée, de façon particulière, à manifester l’amour du Christ à nos frères qui manquent du nécessaire pour vivre, à ceux qui sont victimes de la faim, de la violence et de l’injustice. Tel est le moyen de mettre en pratique les exigences de libération et de fraternité déjà présentes dans l’Ecriture Sainte que la célébration de l’Année Sainte propose à nouveau. En effet, l’antique jubilé juif exigeait de libérer les esclaves, de remettre les dettes et de secourir les pauvres. Aujourd’hui, de nouveaux esclavages et des pauvretés plus dramatiques frappent des multitudes de personnes, particulièrement dans les pays du Tiers Monde. C’est un cri de douleur et de désespoir qui doit trouver attention et disponibilité chez ceux qui entreprennent le chemin jubilaire. Comment pouvons-nous demander la grâce du Jubilé si nous sommes insensibles aux nécessités des pauvres, si nous ne nous engageons pas à garantir à tous les moyens nécessaires pour vivre dignement ?

Puisse ce millénaire qui va commencer être une époque dans laquelle finalement l’appel de tant d’hommes, nos frères, qui ne possèdent pas le minimum pour vivre, soit entendu et accueilli fraternellement ! Je souhaite que les chrétiens, à tous les niveaux, se fassent les promoteurs d’initiatives concrètes pour assurer une distribution égale des biens et la promotion humaine intégrale pour chaque individu.

6. “Je suis avec vous jusqu’à la fin des temps”. Ces paroles de Jésus nous assurent que, lorsque nous annonçons et vivons l’évangile de la charité, nous ne sommes pas seuls. Dans ce Carême de l’an 2000, également, il nous invite à revenir vers le Père qui nous attend les bras ouverts, pour que nous soyons des signes vivants et efficaces de son amour miséricordieux.

A Marie, Mère de toute souffrance et Mère de la divine Miséricorde, nous confions nos intentions et nos projets. Qu’elle soit l’étoile lumineuse de notre marche dans le nouveau millénaire !

C’est avec ces souhaits que j’invoque sur tous la Bénédiction de Dieu, Un et Trine, principe et fin de toutes choses, vers lequel “jusqu’à la fin des temps” s’élève l’hymne de bénédiction et de louange : “Par Lui, avec Lui et en Lui, à Toi, Dieu le Père tout puissant, dans l’unité du Saint Esprit, tout honneur et toute gloire, pour les siècles des siècles. Amen”.

De Castelgandolfo, le 21 septembre 1999.

 

 

 

 

Message pour le Carême 2001

“La charité ne tient pas compte du mal” (cf. 1 Co 13, 5) 

1.  “Voici que nous montons à Jérusalem” (Mc 10, 33). Par ces paroles, le Seigneur invite les disciples à parcourir avec Lui le chemin qui, de la Galilée, mène au lieu où s’accomplira sa mission rédemptrice. Ce chemin vers Jérusalem, que les évangélistes présentent comme le couronnement de l’itinéraire de Jésus sur terre, constitue le modèle de la vie du chrétien, engagé à la suite du Maître sur la voie de la Croix. Cette invitation à “monter à Jérusalem”, le Christ l’adresse également aux hommes et aux femmes d’aujourd’hui. Il l’adresse avec une force particulière au moment du Carême, temps favorable pour se convertir et pour retrouver la pleine communion avec Lui, en participant intimement au mystère de sa mort et de sa résurrection. 

Pour les croyants, le Carême est donc une bonne occasion pour se livrer à une profonde révision de vie. Dans le monde contemporain, aux côtés de généreux témoins de l’Évangile, il y aussi des baptisés qui, face à l’appel exigeant à entreprendre la “montée vers Jérusalem”, prennent une attitude de sourde résistance et parfois même de rébellion ouverte. Ce sont des situations où l’expérience de la prière est vécue de façon plutôt superficielle, de sorte que la parole de Dieu n’a pas d’incidence sur l’existence. Nombreux sont ceux qui n’accordent aucune signification au sacrement même de la Pénitence et qui ne considèrent la célébration eucharistique dominicale que comme un devoir à remplir.

Comment accueillir l’invitation à la conversion que Jésus nous adresse aussi durant ce Carême ? Comment parvenir à un sérieux changement de vie ? Il s’agit avant tout d’ouvrir notre c½ur aux messages parlants de la liturgie. La période qui prépare à la Pâque représente un don providentiel du Seigneur et une possibilité précieuse pour s’approcher de Lui, en rentrant en nousi-mêmes et en nous mettant à l’écoute de ses inspirations intérieures. 

2. Il y a des chrétiens qui pensent pouvoir se passer de cette force spirituelle constante, parce qu’ils ne perçoivent pas l’urgence de se confronter avec la vérité de l’Évangile. Ils s’efforcent de vider de leur sens et de rendre inoffensives, pour qu’elles ne troublent pas leur façon de vivre, des paroles comme celles-ci: “Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent” (Lc 6, 27). De telles paroles sont aux yeux de ces personnes fort difficiles à accepter et à traduire en comportements de vie cohérents. En effet, si ces paroles sont prises au sérieux, elles exigent une conversion radicale. Au contraire, quand on est offensé et blessé, on est tenté de céder aux mécanismes psychologiques de l’apitoiement sur soi et de la vengeance, ignorant l’invitation de Jésus à aimer son propre ennemi. La vie humaine quotidienne fait cependant apparaître, avec grande évidence, qu’on ne peut renoncer au pardon et à la réconciliation si l’on veut parvenir à un réel renouveau personnel et social. Cela vaut dans les relations interpersonnelles, mais aussi dans les rapports entre communautés et entre nations. 

3. Les conflits innombrables et tragiques qui déchirent l’humanité, et qui découlent parfois de motifs religieux mal compris, ont creusé des fossés de haine et de violence entre les peuples. Cela se produit aussi parfois entre groupes et factions au sein d’une même nation. Ainsi, il arrive que l’on assiste,  avec une sensation douloureuse d’impuissance, à la reprise de luttes que l’on croyait définitivement apaisées, et on a l’impression que certains peuples sont impliqués dans une spirale de violence sans fin, qui continuera à faire d’innombrables victimes, sans qu’il y ait la moindre perspective concrète de solution. Et les v½ux de paix, qui sont formulés aux quatre coins du monde, s’avèrent inefficaces: l’engagement nécessaire pour parvenir à la concorde désirée ne parvient pas à prendre corps.

Face à ce scénario inquiétant, les chrétiens ne peuvent rester indifférents. Et c’est pourquoi, au cours de l’Année jubilaire qui vient de se terminer, je me suis fait l’écho de la demande de pardon que l’Église adressait à Dieu pour les péchés de ses enfants. Nous sommes bien conscients que les fautes des chrétiens ont malheureusement obscurci son visage immaculé, mais, confiants en l’amour miséricordieux de Dieu qui, dans la perspective du repentir, ne tient pas compte du mal, nous savons également que c’est avec confiance que nous pouvons sans cesse reprendre le chemin. L’amour de Dieu trouve son expression la plus haute précisément quant l’homme, pécheur et ingrat, est admis à vivre en pleine communion avec Lui. Dans cette optique, la “purification de la mémoire” constitue avant tout la profession renouvelée de la miséricorde divine, profession que l’Église, à ses différents niveaux, est appelée chaque fois à faire sienne avec une conviction renouvelée. 

4. L’unique voie de la paix est le pardon. Accepter et accorder le pardon rend possible une nouvelle qualité de rapports entre les hommes, interrompt la spirale de la haine et de la vengeance, et rompt les chaînes du mal qui enserrent le c½ur des ennemis. Pour les nations à la recherche de la réconciliation et pour toutes les personnes qui désirent une coexistence pacifique entre les individus et entre les peuples, il n’y a pas d’autre voie que celle-ci: le pardon reçu et offert. Quelle richesse d’enseignements salutaires contiennent les paroles du Seigneur: “Aimez vos ennemis, et priez pour vos persécuteurs, afin de devenir fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes” (Mt 5, 44-45) ! Aimer celui qui nous a offensés désarme l’adversaire et peut transformer même un champ de bataille en un lieu de coopération solidaire. 

C’est là un défi qui concerne les personnes  mais aussi les communautés, les peuples et l’humanité entière. Il concerne de façon spéciale les familles. Il n’est pas facile de se convertir au pardon et à la réconciliation. Se réconcilier peut déjà paraître problématique lorsque, au point de départ, se trouve notre propre faute. Si la faute vient de l’autre, se réconcilier peut même être perçu comme une humiliation qui dépasse la raison. Pour une telle démarche, un chemin de conversion intérieure est nécessaire ; il faut le courage de l’humble obéissance au commandement de Jésus. Sa parole ne laisse pas de doute : non seulement celui qui provoque l’inimitié mais aussi celui qui la subit doit chercher la réconciliation (cf. Mt 5, 23-24). Le chrétien doit aussi faire la paix lorsqu’il se sent victime de celui qui l’a offensé et frappé injustement. Le Seigneur lui-même a agi ainsi. Il attend du disciple qu’il le suive, coopérant ainsi à la rédemption de son frère.  

De nos jours, le pardon apparaît toujours plus comme une dimension nécessaire pour un renouveau social authentique et pour l’affermissement de la paix dans le monde. En annonçant le pardon et l’amour des ennemis, l’Église a conscience d’introduire dans le patrimoine spirituel de l’humanité entière une façon nouvelle de vivre en relation avec les autres ; une façon laborieuse, certes, mais riche d’espérance. Pour ce faire, elle sait qu’elle peut compter sur l’aide du Seigneur, qui jamais n’abandonne ceux qui ont recours à Lui dans les difficultés. 

5. “La charité ne tient pas compte du mal” (cf. 1 Co 13, 5). Dans cette expression de la première Lettre aux Corinthiens, l’Apôtre Paul rappelle que le pardon est une des formes les plus élevées de l’exercice de la charité. Le temps du Carême est un temps propice pour mieux approfondir la portée de cette vérité. Par le sacrement de la Réconciliation, le Père nous donne son pardon dans le Christ et cela nous pousse à vivre dans la charité, considérant l’autre non pas comme un ennemi, mais comme un frère. 

Puisse ce temps de pénitence et de réconciliation encourager les croyants à penser et à agir sous le signe d’une charité authentique, ouverte à toutes les dimensions de l’homme ! Cette attitude intérieure les mènera à porter les fruits de l’Esprit (cf. Ga 5, 22) et à offrir avec un c½ur nouveau une aide matérielle à ceux qui sont dans le besoin. 

Un c½ur réconcilié avec Dieu et avec le prochain est un c½ur généreux. Durant les jours saints du Carême, la “collecte” prend une valeur significative, car il ne s’agit pas de donner de son superflu pour tranquilliser sa conscience, mais de prendre en charge, avec sollicitude et solidarité, la misère présente dans le monde. Considérer le visage douloureux et les conditions de souffrance de tant de frères et s½urs nous poussent nécessairement à partager au moins une partie de nos biens avec ceux qui sont en difficulté. Et l’offrande de Carême a encore plus de valeur lorsque celui qui la fait s’est libéré du ressentiment et de l’indifférence, obstacles qui le maintiennent à distance de la communion avec Dieu et avec ses frères.

Le monde attend des chrétiens un témoignage cohérent de communion et de solidarité. À ce propos, les paroles de l’Apôtre Jean sont particulièrement révélatrices : “Celui qui a de quoi vivre en ce monde, s’il voit son frère dans le besoin sans se laisser attendrir, comment l’amour de Dieu pourrait-il demeurer en lui ?” (1 Jn 3, 17). 

Frères et S½urs ! Commentant l’enseignement du Seigneur sur la montée vers Jérusalem, saint Jean Chrysostome rappelle que le Christ ne laisse pas ses disciples dans l’ignorance des luttes et des sacrifices qui les attendent. Il souligne qu’il est difficile de renoncer à son “moi”, mais que ce n’est pas impossible quand on peut compter sur l’aide de Dieu qui nous est accordée “au moyen de la communion avec la personne du Christ” (Homélie sur l’Évangile de Mathieu, 65, 2: PG 58, 619). 

Voilà pourquoi, en ce Carême, je désire inviter tous les croyants à prier le Seigneur avec ardeur et confiance d’accorder à chacun de nous de faire une nouvelle expérience de sa miséricorde. Seul ce don nous aidera à accueillir et à vivre d’une manière toujours plus joyeuse et plus généreuse la charité de Christ, qui “ne s’irrite pas, ne tient pas compte du mal, ne se réjouit pas de l’injustice, mais qui met sa joie dans la vérité” (cf. 1 Co 13, 5-6).

Dans ces sentiments, j’invoque la protection de la Mère de Miséricorde sur la marche de Carême de toute la communauté des croyants et, de tout c½ur, je donne à chacun la Bénédiction apostolique. 

Du Vatican, 7 janvier 2001.

 

 

 

Message pour le Carême 2002

1. Nous nous préparons à reprendre le chemin du Carême, qui nous conduira aux célébrations solennelles du mystère central de la foi, le mystère de la passion, de la mort et de la résurrection du Christ. Nous nous apprêtons à vivre le temps propice que l’Église offre aux fidèles pour méditer sur l’½uvre de salut réalisée par le Seigneur sur la Croix. Le dessein de salut du Père céleste s’est accompli dans le don libre et total de son Fils unique aux hommes. “Personne n’a pu m’enlever ma vie: je la donne de moi-même” (Jn 10, 18), affirme Jésus, mettant bien en lumière le fait qu’il offre lui-même sa vie en sacrifice, volontairement, pour le salut du monde. Pour preuve d’un si grand don d’amour, le Rédempteur ajoute: “Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis” (Jn 15, 13).

Le Carême, occasion providentielle de conversion, nous aide à contempler cet étonnant mystère d’amour. Il constitue un retour aux sources de la foi car, en méditant sur le don de grâce incommensurable qu’est la Rédemption, nous ne pouvons pas ne pas réaliser que tout nous est donné par l’initiative de l’amour de Dieu. C’est précisément pour méditer sur cet aspect du mystère du salut que j’ai choisi pour thème du Message de Carême de cette année ces mots du Seigneur: “Vous avez reçu gratuitement : donnez gratuitement” (Mt 10, 8). 

2. Dieu nous a donné librement son propre Fils: qui a pu ou qui peut mériter un tel privilège ? Saint Paul affirme: “Tous les hommes sont pécheurs, ils sont tous privés de la gloire de Dieu, lui qui leur donne d’être des justes par sa seule grâce” (Rm 3, 23-24). Dieu nous a aimés avec une infinie miséricorde sans se laisser arrêter par les conditions de grave rupture dans lesquelles le péché avait placé la personne humaine. Il s’est penché avec bienveillance sur nos infirmités, en en faisant l’occasion d’une nouvelle et plus merveilleuse effusion de son amour. L’Église ne cesse d’annoncer ce mystère d’infinie bonté, exaltant le libre choix de Dieu et son désir de ne pas condamner mais de réintégrer l’homme dans la communion avec Lui.

Vous avez reçu gratuitement : donnez gratuitement”. Ces paroles de l’Évangile résonnent dans le c½ur de chaque communauté chrétienne en pèlerinage pénitentiel vers Pâques. Rappelant le mystère de la mort et de la résurrection du Seigneur, le Carême conduit tout chrétien à s’émerveiller au plus profond de lui-même de la grandeur d’un tel don. Oui ! Nous avons reçu gratuitement. Notre existence n’est-elle pas tout entière marquée par la bienveillance de Dieu? L’éclosion de la vie et son prodigieux développement sont un don. C’est précisément parce qu’elle est un don que l’existence ne peut pas être considérée comme une possession ou une propriété privée, même si les potentialités dont nous disposons aujourd’hui pour en améliorer la qualité pourraient laisser croire que l’homme en est le “maître”. En effet, les conquêtes de la médecine et de la biotechnologie pourraient parfois induire l’homme à penser qu’il est son propre créateur, et à céder à la tentation de manipuler “l’arbre de vie” (Gn 3, 24).

Il est bon de rappeler encore ici que ce qui est techniquement possible n’est pas toujours moralement licite. Et, si l’on peut admirer l’effort de la science pour assurer une qualité de vie plus conforme à la dignité de l’homme, on ne doit jamais oublier que la vie humaine est un don, et qu’elle reste une valeur même quand elle est marquée par la souffrance et par des limites. Elle est un don à accueillir et à aimer toujours: reçu gratuitement et à mettre gratuitement au service des autres! 

3. En nous proposant de nouveau l’exemple du Christ qui s’immole pour nous sur le Calvaire, le Carême nous aide à comprendre d’une manière singulière que la vie est rachetée en lui. Par le Saint-Esprit, il renouvelle notre vie et nous rend participants de la vie même de Dieu qui nous introduit dans son intimité et nous fait goûter son amour pour nous. Il s’agit d’un don sublime, que le chrétien est appelé à proclamer avec joie. Saint Jean écrit dans son Évangile: “La vie éternelle, c’est de te connaître, toi le seul Dieu, le vrai Dieu, et de connaître celui que tu as envoyé, Jésus Christ” (Jn 17, 3). Cette vie, qui nous est communiquée par le Baptême, nous devons continuellement la nourrir par une réponse de foi individuelle et communautaire, par la prière, la célébration des sacrements et le témoignage évangélique.

Ayant en effet reçu gratuitement la vie, nous devons à notre tour la donner gratuitement à nos frères. C’est ce que Jésus demande à ses disciples quand il les envoie comme ses témoins dans le monde: “Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement.” Le premier don à faire en retour, c’est celui d’une vie sainte, témoignage de l’amour gratuit de Dieu. Puisse l’itinéraire du Carême être pour tous les croyants un rappel constant à approfondir leur vocation particulière! Comme croyants, nous devons nous ouvrir à une existence pleine de “gratuité”, nous consacrant nous-mêmes sans réserve à Dieu et au prochain. 

4. “As-tu quelque chose sans l’avoir reçu?”, demande saint Paul (1 Co 4, 7). Aimer ses frères, se consacrer à eux, est une exigence qui découle de cette conscience. Plus ils en ont besoin, plus le devoir de les servir devient urgent pour le croyant. Dieu ne permet-il pas qu’il y ait des situations de besoin pour qu’en allant à la rencontre des autres nous apprenions à nous défaire de notre égoïsme et à vivre de l’authentique amour évangélique? Le commandement de Jésus est clair: “Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous? Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant?” (Mt 5, 46). Le monde estime les rapports avec les autres selon l’intérêt et l’avantage de chacun, suscitant ainsi une vision égocentrique de l’existence dans laquelle, trop souvent, les pauvres et les faibles n’ont pas leur place. C’est au contraire chaque personne, même la moins douée, qui doit être accueillie et aimée pour elle-même, par-delà ses qualités et ses défauts. Plus elle est en difficulté, plus elle doit justement être l’objet de notre amour concret. C’est de cet amour que l’Église témoigne, à travers les innombrables institutions qui prennent en charge les malades, les marginaux, les pauvres et les exploités. De cette façon, les chrétiens deviennent les apôtres de l’espérance et les bâtisseurs de la civilisation de l’amour.

Il est très significatif que ces paroles : “Vous avez reçu gratuitement: donnez gratuitement” soient prononcées par Jésus au moment même où il envoie les Apôtres répandre l’Évangile du salut, don premier et principal qu’il fait à l’humanité. Il veut que son Règne désormais tout proche (cf. Mt 10, 5 ss) se propage à travers des gestes d’amour gratuit de la part de ses disciples. Ainsi firent les Apôtres aux débuts du christianisme, et ceux qui les rencontraient reconnaissaient qu’ils étaient porteurs d’un message plus grand qu’eux-mêmes. Aujourd’hui encore comme à cette époque-là, le bien accompli par les croyants devient un signe et souvent une invitation à croire. Même lorsque, comme pour le bon samaritain, le chrétien va au-devant des besoins de son prochain, son aide n’est jamais purement matérielle. Elle est toujours en même temps une annonce du Règne, qui révèle le sens plénier de la vie, de l’espérance et de l’amour. 

5.  Chers Frères et S½urs, voilà l’esprit dans lequel nous devons nous préparer à vivre le Carême : la générosité active envers nos frères les plus pauvres. En leur ouvrant notre c½ur, nous devenons toujours plus conscients que notre don aux autres est une réponse aux nombreux dons que le Seigneur continue à nous faire. Nous avons reçu gratuitement, donnons gratuitement!

Y a-t-il un moment plus favorable que le temps du Carême pour rendre ce témoignage de gratuité dont le monde a tant besoin? Dans l’amour même que Dieu a pour nous, il y a l’appel à nous donner, à notre tour, gratuitement aux autres. Je remercie tous ceux – laïcs, religieux, prêtres – qui, en tous points du monde, rendent ce témoignage de charité. Qu’il en soit ainsi pour tout chrétien, en quelque situation qu’il se trouve!

Puisse Marie, Vierge et Mère du bel Amour et de l’Espérance, être notre guide et notre soutien sur ce chemin de Carême! Avec l’assurance de ma prière et de mon affection, j’accorde à tous, spécialement à ceux qui travaillent quotidiennement sur les nombreux chantiers de la charité, une particulière Bénédiction apostolique. 

Du Vatican, le 4 octobre 2001, en la fête de saint François d’Assise.

 

 

 

Message pour le Carême 2003

1. Temps fort de prière, de jeûne et d’engagement à l’égard de ceux qui sont dans le besoin, le Carême offre à tout chrétien la possibilité de se préparer à la fête de Pâques en examinant avec soin sa propre vie, la confrontant d’une manière spéciale avec la Parole de Dieu qui éclaire la route quotidienne des croyants.

Cette année, comme guide de réflexion pour le Carême, je voudrais proposer la phrase extraite des Actes des Apôtres: «Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir» (20, 35). Il ne s’agit pas d’un simple rappel moral, ni d’un commandement qui parvient à l’homme de l’extérieur. L’inclination au don est inscrite dans les profondeurs intimes du c½ur humain: toute personne éprouve le désir d’entrer en relation avec les autres et se réalise pleinement quand elle se donne librement aux autres.

2. Notre époque est malheureusement influencée par une mentalité particulièrement sensible aux sollicitations de l’égoïsme, toujours prêt à se réveiller dans le c½ur de l’homme. Dans la vie sociale, de même que dans les médias, la personne est souvent sollicitée par des messages qui, de manière insistante, ouvertement ou subrepticement, exaltent une culture de l’éphémère et l’hédonisme. Bien qu’une attention aux autres ne fasse pas défaut dans des situations de catastrophes écologiques, de guerres ou d’autres cas d’urgences, il s’avère en général difficile de développer une culture de la solidarité. L’esprit du monde affaiblit la tendance intérieure au don désintéressé de soi aux autres et pousse à satisfaire ses propres intérêts particuliers. Le désir d’accumuler des biens se fait toujours plus pressant. Il est évidemment naturel et juste que chacun, grâce à ses talents personnels et à son travail, s’attache à obtenir ce dont il a besoin pour vivre, mais le désir exagéré de posséder empêche la créature humaine de s’ouvrir au Créateur et à ses semblables. Les paroles que Paul adressait à Timothée ont la même valeur pour tous les temps : «La racine de tous les maux, c’est l’amour de l’argent. Pour s’y être livrés, certains se sont égarés loin de la foi et se sont infligé à eux-mêmes des tourments sans nombre» (1 Tm 6, 10).

L’exploitation de l’homme, l’indifférence face à la souffrance d’autrui, la violation des normes morales, ne sont que quelques-uns des fruits de l’appât du gain. Devant le spectacle désolant de la pauvreté persistante qui afflige une si grande part de la population mondiale, comment ne pas reconnaître que la recherche effrénée du profit et le manque d’attention tangible et responsable pour le bien commun concentrent entre les mains de quelques-uns une grande part des ressources tandis que le reste de l’humanité souffre de la misère et de l’abandon ?

Faisant appel aux croyants et à tous les hommes de bonne volonté, je voudrais rappeler un principe évident en lui-même, bien que souvent négligé: il est nécessaire de rechercher non pas le bien d’un petit cercle de privilégiés, mais l’amélioration des conditions de vie de tous. C’est seulement sur ce fondement que l’on pourra édifier l’ordre international, réellement empreint de justice et de solidarité, que tous appellent de leurs v½ux.

3. «Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir». En répondant à l’appel intérieur à se donner aux autres sans rien attendre pour lui, le croyant éprouve une profonde satisfaction intérieure.

L’effort du chrétien pour promouvoir la justice, son engagement pour la défense des plus faibles, ses initiatives humanitaires pour procurer du pain à qui en est privé et pour soigner les malades, en allant à la rencontre de toutes les détresses et de tous les besoins, trouvent leur source dans cet unique et inépuisable trésor d’amour qu’est le don total de Jésus au Père. Le croyant est invité à suivre les pas du Christ, vrai Dieu et vrai homme, qui, dans la parfaite adhésion à la volonté de son Père, se dépouilla et s’humilia lui-même (cf. Ph 2, 6 ss.), se donnant à nous dans un amour désintéressé et total, jusqu’à mourir sur la Croix. Du Calvaire se répand de manière éloquente le message de l’amour trinitaire pour les êtres humains de tous les temps et de tous les pays.

Saint Augustin remarquait que Dieu seul, Bien suprême, est en mesure de vaincre les misères du monde. La miséricorde et l’amour envers le prochain doivent donc jaillir d’un rapport vivant avec Dieu, et se référer sans cesse à Lui, parce que c’est dans la proximité avec le Christ que réside notre joie (cf. De civitate Dei, L. X, ch. 6, Paris, 2000, p. 378).

4. Le Fils de Dieu nous a aimés le premier, «alors que nous étions encore pécheurs» (Rm 5, 8), sans rien exiger, sans nous imposer aucune condition a priori. Face à ce constat, comment ne pas voir dans le Carême une occasion propice pour faire des choix courageux d’altruisme et de générosité ? Il nous offre les armes pratiques et efficaces du jeûne et de l’aumône pour lutter contre l’attachement excessif à l’argent. Se priver non seulement du superflu, mais aussi de quelque chose de plus, pour le donner à celui qui en a besoin, contribue au renoncement sans lequel il n’y a pas de pratique authentique de la vie chrétienne. D’autre part, en puisant des forces dans une prière incessante, le baptisé manifeste que Dieu occupe réellement la première place dans son existence.

C’est l’amour de Dieu répandu dans nos c½urs qui doit inspirer et transformer notre être et notre agir. Le chrétien ne doit pas croire qu’il peut chercher le bien véritable de ses frères s’il ne vit pas la charité du Christ. Même s’il réussissait à modifier d’importants aspects négatifs dans la vie sociale ou politique, tout résultat serait éphémère sans la charité. La capacité même de se donner aux autres est un don qui jaillit de la grâce de Dieu. Comme l’enseigne saint Paul, «c’est l’action de Dieu qui produit en vous la volonté et l’action, parce qu’il veut votre bien» (Ph 2, 13).

5. À l’homme d’aujourd’hui, souvent insatisfait d’une existence vide et éphémère, et recherchant la joie et le bonheur authentiques, le Christ se propose en exemple pour l’inviter à le suivre. À qui l’écoute, il demande de dépenser sa vie pour ses frères. Un tel don est source d’une réalisation plénière de soi et d’une joie profonde, comme le montre l’exemple éloquent des hommes et des femmes qui, abandonnant leur vie tranquille, n’ont pas hésité à risquer leur vie comme missionnaires dans les diverses parties du monde. On en trouve un témoignage dans la décision de ces jeunes qui, animés par la foi, ont embrassé la vocation sacerdotale ou religieuse pour se mettre au service du «salut de Dieu». On en a une illustration dans le nombre croissant de volontaires qui, avec disponibilité et promptitude, se dévouent pour les pauvres, les personnes âgées, les malades et tous ceux qui connaissent des situations de détresse.

On a pu assister récemment à de beaux mouvements de solidarité en faveur des victimes des inondations en Europe, des tremblements de terre en Amérique latine et en Italie, des épidémies en Afrique, des éruptions volcaniques aux Philippines, sans oublier les autres parties du monde ensanglantées par la haine et la guerre.

En de telles circonstances, les moyens de communication sociale s’avèrent fort utiles, montrant l’aide réalisée et avivant la disponibilité pour soutenir ceux qui sont dans l’épreuve et dans la difficulté. Ce n’est pas toujours l’impératif chrétien de l’amour qui motive l’intervention en faveur d’autrui, mais une compassion naturelle. Toutefois celui qui assiste la personne dans le besoin jouit toujours de la bienveillance de Dieu. Dans les Actes des Apôtres, on peut lire que Tabitha, qui était disciple, est sauvée parce qu’elle a fait du bien à son prochain (cf. 9, 36 ss.). Le centurion Corneille obtient la vie éternelle en raison de sa générosité (cf. ibid., 10, 1-31).

Le service de ceux qui sont dans le besoin peut être pour «ceux qui sont loin» le chemin providentiel pour rencontrer le Christ, car le Seigneur rend sans mesure pour tout don fait au prochain (cf. Mt 25, 40).

Je désire ardemment que le Carême soit pour les croyants une période favorable pour répandre l’Évangile de la charité en tous lieux et en témoigner, car la vocation à la charité constitue le c½ur de toute évangélisation authentique. J’invoque à cette intention l’intercession de Marie, Mère de l’Église. Puisse-t-elle nous accompagner durant notre temps de Carême ! Dans ces sentiments, je vous bénis tous de grand c½ur.

Du Vatican, le 7 janvier 2003.

 

 

Message pour le Carême 2004

1. Par le rite suggestif de l’imposition des Cendres, commence le temps sacré du Carême, durant lequel la liturgie renouvelle aux croyants l’appel à une conversion radicale, dans la confiance en la miséricorde divine.

Le thème de cette année – «Celui qui accueillera un enfant comme celui-ci en mon nom, c’est moi qu’il accueille» (Mt 18,5) – nous donne l’occasion de réfléchir sur la condition des enfants, qu’aujourd’hui encore, Jésus appelle à lui et montre en exemple à ceux qui veulent devenir ses disciples. Les paroles de Jésus constituent une exhortation à examiner la façon dont les enfants sont traités dans nos familles, dans la société civile et dans l’Église. Elles incitent également à redécouvrir la simplicité et la confiance que le croyant doit développer, imitant le Fils de Dieu qui a partagé le sort des petits et des pauvres. À ce propos, sainte Claire d'Assise aimait dire de Lui: «Né dans la crèche, Il a vécu pauvre sur la terre et est resté nu sur la croix» (Testament, Sources franciscaines n. 2841).

Jésus aimait les enfants et avait une prédilection pour eux, «pour leur simplicité et leur joie de vivre, pour leur spontanéité et pour leur foi pleine d’émerveillement» (Angélus du 18 décembre 1994). Il veut donc que la communauté leur ouvre ses bras et son c½ur comme elle les lui ouvre à Lui-même : «Celui qui accueillera un enfant comme celui-ci en mon nom, c’est moi qu’il accueille» (Mt 18,5). À côté des enfants, Jésus place nos «frères les plus petits», c'est-à-dire les miséreux, les nécessiteux, les affamés et assoiffés, les étrangers, ceux qui sont nus, les malades, les prisonniers. Les accueillir et les aimer ou, à l’inverse, les traiter avec indifférence et les repousser, signifie se comporter de la même manière envers Lui, car c’est en eux qu’il se rend tout particulièrement présent.

2. L’Évangile raconte l’enfance de Jésus dans la pauvre maison de Nazareth où, soumis à ses parents, «il grandissait en sagesse, en taille et en grâce, sous le regard de Dieu et des hommes» (Lc 2,52). En devenant enfant, Il a voulu partager l’expérience humaine. «Il se dépouilla lui-même, – écrit l’apôtre Paul – en prenant la condition de serviteur. Devenu semblable aux hommes et reconnu comme un homme à son comportement, il s’est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu’à mourir, et à mourir sur une croix» (Ph 2, 7-8). Lorsque, à douze ans, il resta dans le Temple de Jérusalem, il répondit à ses parents qui le cherchaient, tout angoissés: «Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? Ne le saviez-vous pas ? C’est chez mon Père que je dois être» (Lc 2,49). En réalité, toute son existence fut marquée par une soumission confiante et filiale à son Père céleste. «Ma nourriture – disait-Il – est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé et d’accomplir son ½uvre» (Jn 4,34).

Durant les années de sa vie publique, il a répété à plusieurs reprises que seuls ceux qui sauraient devenir comme des enfants entreraient dans le Royaume des Cieux (cf. Mt 18,3 ; Mc 10,15; Lc 18,17; Jn 3,3). Dans ses interventions, l’enfant devient une image éloquente du disciple, appelé à suivre le divin Maître avec la docilité d’un enfant : «Celui qui se fera petit comme cet enfant, c’est celui-là qui est le plus grand dans le Royaume des Cieux» (Mt 18,4).

«Devenir» petits et «accueillir» les petits: ce sont deux aspects d’un même enseignement que le Seigneur renouvelle à ses disciples d'aujourd'hui. Seul celui qui se fait «petit» est en mesure d’accueillir avec amour ses frères les plus «petits».

3. Nombreux sont les croyants qui cherchent à suivre fidèlement ces enseignements du Seigneur. Je voudrais rappeler ici les parents qui n’hésitent pas à prendre en charge une famille nombreuse, les mères et les pères qui, au lieu d’avoir comme priorité la recherche de leur succès professionnel et de leur carrière, se préoccupent de transmettre à leurs enfants les valeurs humaines et religieuses qui donnent le sens véritable à l’existence.

Je pense avec une admiration pleine de gratitude à ceux qui prennent soin de la formation des enfants en difficulté et qui soulagent les souffrances des enfants et de leurs proches causées par les conflits et la violence, par le manque d’eau et de nourriture, par l’émigration forcée, ainsi que par les nombreuses autres formes d’injustice qui existent à travers le monde.

Face à une telle générosité, il faut néanmoins constater également l’égoïsme de ceux qui n´«accueillent» pas les enfants. Il existe des mineurs qui sont profondément blessés par la violence des adultes: abus sexuels, engagement dans la prostitution, implication dans le trafic et la consommation de drogue; des enfants obligés à travailler ou enrôlés pour combattre; des enfants innocents marqués pour toujours par la désagrégation familiale; des petits enfants détruits par le trafic abject d’organes et d’êtres humains. Et que dire de la tragédie du sida avec ses conséquences dévastatrices en Afrique ? Il est question désormais de millions de personnes touchées par ce fléau et, parmi elles, nombreuses sont celles qui ont été contaminées dès leur naissance. L’humanité ne peut pas fermer les yeux devant un drame aussi préoccupant !

4. Quel mal ont commis ces enfants pour mériter autant de souffrance ? D’un point de vue humain, il n’est pas facile, voire même impossible, de répondre à cette question inquiétante. Seule la foi nous aide à pénétrer dans un abîme de souffrance aussi profond. En se faisant «obéissant jusqu’à mourir, et à mourir sur une croix» (Ph 2,8), Jésus a pris sur lui la souffrance humaine et l’a éclairée de la lumière éclatante de sa résurrection. Par sa mort, il a, pour toujours, vaincu la mort.

Durant le Carême, nous nous préparons à revivre le Mystère pascal qui projette une lumière d’espérance sur toute notre existence, même dans ses aspects les plus complexes et les plus douloureux. La Semaine Sainte nous proposera à nouveau ce mystère de salut à travers les rites suggestifs du Triduum pascal.

Chers Frères et S½urs, entrons avec confiance dans l’itinéraire du Carême, animés par le désir d’une prière plus intense, de la pénitence et d’une plus grande attention envers les personnes qui sont dans le besoin. Que le Carême soit, de façon particulière, une occasion utile pour que chacun puisse consacrer, dans son propre milieu familial et social, une plus grande attention aux enfants: ces derniers constituent l’avenir de l’humanité.

5. Dans la prière du «Notre Père», avec la simplicité caractéristique des enfants, nous nous adressons à Dieu en l’appelant, comme Jésus nous l’a enseigné, «Abba», Père.

Notre Père ! Au cours du Carême, répétons fréquemment cette prière, répétons-la avec un élan profond. En appelant Dieu «Notre Père», nous nous reconnaîtrons comme ses enfants et nous nous sentirons frères entre nous. De cette façon, il nous sera plus facile d’ouvrir notre c½ur aux petits, selon l’invitation de Jésus: «Celui qui accueillera un enfant comme celui-ci en mon nom, c’est moi qu’il accueille» (Mt 18,5).

Dans ces sentiments, j’invoque sur chacun de vous la bénédiction de Dieu par l’intercession de Marie, Mère du Verbe de Dieu fait homme et Mère de toute l’humanité.

Du Vatican, le 8 décembre 2003.

 

 

Message pour le Carême 2005

1. Chaque année, le Carême se propose à nous comme un temps propice à l'intensification de la prière et de la pénitence, en ouvrant notre c½ur pour accueillir docilement la volonté divine. Le Carême nous indique un itinéraire spirituel qui nous prépare à revivre le grand mystère de la mort et de la résurrection du Christ, à travers surtout une écoute plus assidue de la Parole de Dieu et la pratique plus généreuse de la mortification, grâce à laquelle il nous est possible d'aider davantage notre prochain dans le besoin.

Je désire, cette année, proposer à votre attention, chers Frères et S½urs, un thème plus que jamais actuel, et qui se trouve bien illustré par les versets suivants du Deutéronome : "Car là est ta vie, ainsi que la longue durée de ton séjour sur la terre " (30,20). Ce sont les mots que Moïse adresse au peuple pour l'inviter à nouer l'alliance avec Yahvé dans le pays de Moab, "pour que toi et ta postérité vous viviez, aimant Yahvé ton Dieu, écoutant sa voix, t'attachant a lui" (30,19-20). La fidélité à cette alliance divine est pour Israël la garantie de l’avenir "sur la terre que Yahvé a juré à tes pères, Abraham, Isaac et Jacob, de leur donner" (30,20). Dans la vision de la Bible, atteindre l'âge mûr est un signe de la bénédiction aimante du Très-Haut. La longévité apparaît ainsi comme un don divin particulier.

Je voudrais vous inviter à réfléchir sur ce thème pendant le Carême, pour approfondir la conscience du rôle que les personnes âgées sont appelées à jouer dans la société et dans l'Eglise, et pour disposer ainsi votre âme à cet accueil aimant qu'elles doivent recevoir. Dans la société moderne, grâce aussi à la contribution des sciences et de la médecine, on constate un prolongement de la vie humaine et, par conséquent, une augmentation du nombre des personnes âgées. Cela demande une attention plus spécifique au monde  dit du "troisième âge", afin d'aider ses membres à vivre pleinement leurs potentialités, en les mettant au service de la communauté tout entière. Les fidèles doivent avoir à c½ur de soigner les personnes âgées, surtout lorsqu'elles connaissent des moments difficiles, spécialement dans les Communautés ecclésiales des sociétés occidentales, où le problème existe de façon particulière.

2. La vie de l'homme est un don précieux, qu'il faut aimer et défendre dans chacune de ses étapes. Le commandement "Tu ne tueras pas" demande qu'elle soit respectée et promue, toujours, depuis son début jusqu'à son crépuscule naturel. C'est un commandement qui vaut aussi en présence de la maladie, et lorsque l'affaiblissement de ses forces réduit l'être humain à ne plus être autonome. Si le vieillissement et ses limites inévitables sont accueillis en toute sérénité, à la lumière de la foi, ils peuvent devenir de précieuses occasions pour mieux comprendre le mystère de la Croix qui donne pleinement son sens à l'existence humaine.

La personne âgée a besoin d'être comprise et aidée dans cette perspective. Je veux dire ici combien j'apprécie tous ceux qui font leur possible pour satisfaire ces exigences et j'exhorte aussi toutes les personnes de bonne volonté à vouloir profiter du Carême pour apporter leur contribution personnelle. Cela permettra à bien des personnes âgées de ne pas se sentir un poids pour la communauté et, parfois même, pour leurs familles, dans une situation de solitude qui les expose à la tentation de se refermer sur soi et de se décourager.

Il faut s'engager à faire grandir dans l'opinion publique la conscience que les personnes âgées constituent, dans tous les cas, une ressource qui doit être mise en valeur. Aussi, faut-il renforcer les soutiens économiques et les initiatives législatives qui leur permettent de ne pas être exclues de la vie sociale. Pour dire la vérité, au cours des dernières décennies, la société est devenue plus attentive à leurs exigences, et la médecine a développé des soins palliatifs qui, dans une approche intégrale du malade, se révèlent particulièrement bénéfiques pour les malades hospitalisés à long terme.

3. Disposant de plus de temps à ce stade de leur existence, les personnes âgées ont l'occasion d'affronter des questions de fond qui avaient été sans doute négligées auparavant, en raison d'intérêts pressants ou reconnus comme prioritaires. La conscience de se rapprocher du but final pousse les personnes âgées à se concentrer sur ce qui est essentiel, en reconnaissant l'importance de tout ce qui n'est pas détruit par l'usure des ans.

C'est justement à cause de la condition qui est la leur que les personnes âgées peuvent jouer un rôle dans la société. S'il est vrai que chacun et chacune vit de l'héritage de ceux qui l'ont précédé, et que son avenir dépend de façon déterminante de la manière dont lui ont été transmises les valeurs de la culture de son peuple d'appartenance, la sagesse et l'expérience des personnes âgées peuvent illuminer son avancée sur la route du progrès qui mène à une forme de civilisation toujours plus complète.

Combien il est important de redécouvrir cet enrichissement mutuel des différentes générations ! Avec son invitation ferme à la conversion et à la solidarité, le Carême nous conduit cette année à nous concentrer sur ces thèmes importants qui concernent tous les hommes. Qu'arriverait-il si le Peuple de Dieu acceptait une certaine mentalité courante qui considère ces frères et ces s½urs âgés comme quasiment inutiles, lorsqu'ils se retrouvent avec des capacités réduites par les inconvénients de l'âge ou de la maladie ? Et au contraire, combien la communauté serait différente, à commencer par la famille, si elle s'efforçait de rester toujours ouverte et accueillante à leur égard !

4. Très chers Frères et S½urs : pendant ce Carême, et en nous aidant de la Parole de Dieu, réfléchissons sur l’importance pour chaque communauté d’accompagner les personnes vieillissantes, avec amour et compréhension. Il faut, en outre, nous habituer à concevoir le mystère de la mort avec confiance, pour que la rencontre définitive avec Dieu se réalise dans un climat de paix intérieure, avec la conscience que nous sommes accueillis par Celui "qui nous a tissé au sein de notre mère" (cf. Ps 139,13b) et qui a voulu que nous soyons "à son image comme sa ressemblance" (cf. Gn 1,26).

Que Marie, notre guide tout au long de cet itinéraire quadragésimal, conduise tous les croyants, et spécialement les plus âgés, à une connaissance toujours plus profonde du Christ mort et ressuscité, raison ultime de notre existence. Qu'elle intercède pour chacun de nous, elle, la Servante fidèle de son divin Fils, avec sainte Anne et saint Joachim, "maintenant et à l'heure de notre mort".

A tous, je donne ma Bénédiction apostolique !

Du Vatican, le 8 septembre 2004

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

publié le : 21 février 2023

Sommaire documents

t>