Vie spirituelle

La Samaritaine, ou de la vie éternelle - Père R.Cantalamessa - fev 2008


La Samaritaine, ou de la vie éternelle

Dans l'Evangile de ce dimanche, Jésus fait une proposition radicale à la Samaritaine et à tous ceux qui, d'une certaine manière, se reconnaissent dans ce qu'elle vit : chercher une autre « eau », donner un sens nouveau et un nouvel horizon à leur vie. Un horizon éternel ! « L'eau que je lui donnerai deviendra en lui source jaillissante pour la vie éternelle ». Le mot éternité est un mot tombé en « désuétude ». Il est devenu une sorte de tabou pour l'homme moderne. On se dit que cette pensée peut détourner les gens de leur engagement historique et concret à changer le monde, que c'est un moyen de s'évader, une manière de « gaspiller au ciel les trésors destinés à la terre », comme le disait Hegel.

Mais quel en est le résultat ? La vie, la souffrance humaine, tout devient immensément plus absurde. On a perdu la mesure. Sans le contrepoids de l'éternité, toute souffrance, tout sacrifice, apparaît absurde, démesuré, ils nous « déséquilibrent », nous jettent à terre. Saint Paul a écrit : « Car la légère tribulation d'un instant nous prépare, jusqu'à l'excès, une masse éternelle de gloire ». Par rapport à l'éternité de la gloire, le poids de la peine lui semble « léger » (lui qui dans la vie a tant souffert !) précisément parce qu'il est momentané (« d'un instant »). Il ajoute : « les choses visibles en effet n'ont qu'un temps, les invisibles sont éternelles » (2 Co 4, 17-18).

Le philosophe Miguel de Unamuno (qui était pourtant un penseur « laïc »), répondait en ces termes à un ami qui lui reprochait sa recherche d'éternité, comme s'il y voyait de l'orgueil et de la présomption : « Je ne dis pas que nous méritons un au-delà, et que la logique nous le démontre, je dis que nous en avons besoin, que nous le méritions ou pas, c'est tout. Je dis que ce qui passe ne me satisfait pas, que j'ai soif d'éternité, et que sans cela, tout m'est indifférent. Sans cette éternité, il n'y a plus aucune joie de vivre... C'est trop facile de dire : 'Il suffit de vivre, il suffit de se contenter de cette vie'. Et ceux qui ne s'en contentent pas ? » Ce n'est pas celui qui désire l'éternité qui prouve ne pas aimer la vie, mais celui qui ne la désire pas, dans la mesure où il se résigne aussi facilement à la pensée que celle-ci doive prendre fin.

L'Eglise, mais aussi la société, aurait beaucoup à gagner à redécouvrir le sens de l'éternité. Cela l'aiderait à retrouver un équilibre, à relativiser les choses, à ne pas tomber dans le désespoir face aux injustices et à la souffrance qui existent dans le monde - tout en les combattant -, à vivre de manière moins frénétique.

Toute personne a, dans sa vie, à un moment donné, une intuition de l'éternité, une sensation, même si celle-ci est confuse... Il faut veiller à ne pas chercher l'expérience de l'infini dans la drogue, dans le sexe effréné et dans d'autres choses, porteuses, en définitive, uniquement de désillusion et de mort. « Tout homme qui boit de cette eau aura encore soif », dit Jésus à la Samaritaine. Il faut chercher l'infini vers le haut, et non vers le bas ; au-delà de la raison, non pas en deçà, dans l'ébriété irrationnelle.

Il est clair qu'il ne suffit pas de savoir que l'éternité existe, il faut aussi savoir comment l'atteindre. Il faut se demander, comme le jeune homme riche de l'Evangile : « Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? ». Dans le poème « L'Infini », Leopardi parle d'une haie qui « dérobe au regard tant de pans de l'extrême horizon ». Que représente pour nous cette « haie »? L'obstacle qui nous empêche de porter notre regard vers l'extrême horizon, l'horizon éternel ? Ce jour-là, la Samaritaine comprit que quelque chose devait changer dans sa vie si elle voulait obtenir la « vie éternelle », car nous la retrouvons peu après transformée, en train d'évangéliser, racontant à tous, sans complexe, ce que Jésus lui a dit.

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