Vie spirituelle

Au retour du fils prodigue, « le père ne sait plus comment exprimer sa joie » - Père R.Cantalamessa




Evangile de Jésus Christ selon saint Luc 15, 1-3.11-32



Jésus et les pécheurs

L'Evangile du quatrième dimanche de Carême est l'une des pages les plus célèbres de l'Evangile de Luc et de l'ensemble des quatre Evangiles: la parabole du fils prodigue. Tout est surprenant dans cette parabole; jamais Dieu n'avait été ainsi décrit aux hommes. Cette parabole a touché plus de coeurs à elle seule que tous les discours des prédicateurs réunis. Elle a un pouvoir incroyable sur l'esprit, le coeur, l'imagination, la mémoire. Elle sait toucher les cordes les plus diverses : le regret, la honte, la nostalgie.

La parabole est introduite par ces paroles : « Les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l'écouter. Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : 'Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux !'. Alors Jésus leur dit cette parabole » (Lc 15, 1-2). En suivant cette indication penchons-nous sur l'attitude de Jésus envers les pécheurs, en parcourant l'ensemble de l'Evangile, en conservant l'objectif que nous nous sommes fixés dans ces commentaires des Evangiles du Carême, de mieux comprendre qui était Jésus, de voir ce que nous savons de lui sur le plan historique.

On sait l'accueil que Jésus réserve aux pécheurs dans l'Evangile et l'opposition que cela lui valut de la part des défenseurs de la loi qui l'accusaient d'être « un glouton et un ivrogne, un ami des publicains et des pécheurs » (Lc 7, 34). L'un des dictons de Jésus et qui fait historiquement le plus autorité est : « Je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs » (Mc 2, 17). Se sentant accueillis par lui et pas jugés, les pécheurs l'écoutaient volontiers.

Mais qui étaient les pécheurs, quelle catégorie de personnes était désignée ainsi ? Dans l'intention de justifier pleinement les adversaires de Jésus, les pharisiens, certains ont affirmé que ce terme désigne « les transgresseurs délibérés et impénitents de la loi », en d'autres termes les criminels, les hors-la-loi. S'il en était ainsi, les adversaires de Jésus avaient parfaitement raison de se scandaliser et de le considérer comme une personne irresponsable et dangereuse sur le plan social. Ce serait comme si aujourd'hui un prêtre avait l'habitude de fréquenter les mafieux et les criminels et acceptait leurs invitations à dîner, sous prétexte d'en profiter pour leur parler de Dieu.

En réalité, les choses sont différentes. Les pharisiens avaient leur propre vision de la loi et de ce qui y est conforme ou contraire et considéraient comme réprouvés tous ceux qui ne se conformaient pas à leur interprétation rigide de la loi. Pour eux, étaient en somme pécheurs, tous ceux qui ne suivaient pas leurs traditions et leurs décrets. Dans cette même logique, les Essènes de Qumran considéraient les pharisiens eux-mêmes comme injustes et violateurs de la loi ! Ceci se produit aujourd'hui également. Certains groupes ultra-orthodoxes considèrent automatiquement comme hérétiques, tous ceux qui ne pensent pas exactement comme eux.

Voici ce qu'écrit un écrivain célèbre à ce propos : « Il n'est pas vrai que Jésus ait ouvert les portes du royaume à des criminels endurcis et obstinés, ou qu'il ait nié l'existence de 'pécheurs'. Jésus s'opposa aux barrières qui étaient érigées dans le corps d'Israël, à cause desquelles certains israélites étaient traités comme s'ils n'appartenaient pas à l'alliance et exclus de la grâce de Dieu » (James Dunn).

Jésus ne nie pas l'existence du péché et des pécheurs. Le fait de les appeler « malades » le montre. Sur ce point il est plus rigoureux que ses adversaires. Si ceux-ci condamnent l'adultère de fait, il condamne même l'adultère de désir ; si la loi disait de ne pas tuer, il dit que l'on ne doit pas même haïr ni insulter son frère. Il dit aux pécheurs qui s'approchent de lui : « Va, et ne pèche plus » ; il ne dit pas : « Va et continue comme avant ».

Ce que Jésus condamne c'est le fait d'établir seul la véritable justice et de mépriser les autres en leur niant même la possibilité de changer. La manière dont Luc introduit la parabole du pharisien et du publicain est significative : « Jésus dit une parabole pour certains hommes qui étaient convaincus d'être justes et qui méprisaient tous les autres » (Lc 18, 9). Jésus était plus sévère envers les personnes méprisantes qui condamnaient les pécheurs qu'envers les pécheurs eux-mêmes.

Mais le fait le plus nouveau et le plus inédit dans la relation entre Jésus et les pécheurs n'est pas sa bonté et sa miséricorde à leur égard. Ceci peut s'expliquer humainement. Il y a quelque chose dans son comportement que l'on ne peut expliquer humainement, c'est-à-dire en partant du principe que Jésus fut un homme comme les autres : le fait de remettre les péchés.

Jésus dit au paralytique : « Mon enfant, tes péchés sont pardonnés ». « Qui peut remettre les péchés sinon Dieu seul ? » crient horrifiés ses adversaires. Et Jésus répond : « Eh bien ! Pour que vous sachiez que le Fils de l'homme a le pouvoir de pardonner les péchés sur la terre, je te l'ordonne, dit-il au paralysé : Lève-toi, prends ton brancard et rentre chez toi ». Personne ne pouvait vérifier si les péchés de cet homme avaient été remis ou non, mais tous pouvaient constater qu'il se levait et marchait. Le miracle visible attestait le miracle invisible.

L'examen des relations de Jésus avec les pécheurs contribue donc également à fournir une réponse à la question : qui était Jésus ? Un homme comme les autres, un prophète, ou quelque chose de plus et de différent ? Au cours de sa vie terrestre Jésus n'a jamais affirmé être Dieu, de manière explicite (et nous avons également déjà expliqué pourquoi), mais il agit en s'attribuant des pouvoirs qui appartiennent exclusivement à Dieu.

Revenons maintenant à l'Evangile de ce dimanche et à la parabole du fils prodigue. Il y a un élément commun qui unit entre elles les trois paraboles racontées successivement au chapitre 15 de Luc : la brebis perdue, la pièce d'argent perdue et le fils prodigue. Que dit le pasteur qui a retrouvé la brebis perdue et la femme qui a retrouvé sa pièce d'argent ? « Réjouissez-vous avec moi ». Et que dit Jésus à la fin de chacune des trois paraboles ? « Il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de conversion ».

Le leitmotiv des trois paraboles est donc la joie de Dieu. (« Il y a de la joie chez les anges de Dieu » est une manière bien juive de dire qu'il y a de la joie « en Dieu »). Dans notre parabole, la joie déborde et devient fête. Ce père ne sait plus comment exprimer sa joie et qu'inventer : il ordonne d'aller chercher un riche vêtement, l'anneau avec le sceau de la famille, de tuer le veau gras, et dit à tout le monde : « Mangeons et festoyons. Car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé ».

Dans l'un de ses romans, Dostoïevsky décrit une scène qui a tout l'air d'une scène observée dans la réalité. Une femme du peuple tient dans ses bras son enfant de quelques semaines, lorsque celui-ci - pour la première fois, selon elle - lui sourit. Le coeur contrit, elle fait le signe de croix et répond à qui lui demande la raison de ce geste : « Voilà, comme une mère devant le premier sourire de son enfant, Dieu se réjouit chaque fois qu'un pécheur se met à genoux et lui adresse une prière du fond du coeur (L'idiot, Milano 1983, p. 272). En écoutant cela, quelqu'un décidera peut-être de procurer enfin à Dieu un peu de cette joie, de lui sourire avant de mourir...

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