Benoît XVI de A à Z

Saint-Suaire

 

 

2010

2 mai 2010 – Homélie Messe à Turin

Je suis heureux de me trouver avec vous en ce jour de fête et de célébrer pour vous cette Eucharistie solennelle. Je salue chacune des personnes présentes, en particulier le pasteur de votre archidiocèse, le cardinal Severino Poletto, que je remercie des paroles chaleureuses qu'il m'a adressées au nom de tous. Je salue également les archevêques et les évêques présents, les prêtres, les religieux et les religieuses, les représentants des associations et des mouvements ecclésiaux. J'adresse une pensée respectueuse au maire, M. Sergio Chiamparino, reconnaissant pour son hommage courtois, au représentant du gouvernement et aux autorités civiles et militaires, avec des remerciements particuliers à tous ceux qui ont généreusement offert leur collaboration pour la réalisation de ma visite pastorale. J'étends ma pensée à tous ceux qui n'ont pas pu être présents, en particulier aux malades, aux personnes seules et à tous ceux qui se trouvent en difficulté. Je confie au Seigneur la ville de Turin et tous ses habitants au cours de cette célébration eucharistique qui, comme tous les dimanches, nous invite à participer de manière communautaire au double banquet de la Parole de vérité et du Pain de la vie éternelle.

Nous sommes dans le temps pascal, qui est le temps de la glorification de Jésus. L'Evangile que nous avons écouté il y a peu nous rappelle que cette glorification s'est réalisée à travers la passion. Dans le mystère pascal, passion et glorification sont étroitement liées entre elles et forment une unité indivisible. Jésus affirme:  "Maintenant le Fils de l'homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui" (Jn 13, 31) et il le fait lorsque Judas sort du Cénacle pour accomplir le plan de sa trahison, qui conduira à la mort du Maître:  c'est précisément à ce moment-là que commence la glorification de Jésus. L'évangéliste Jean le fait comprendre clairement:  en effet, il ne dit pas que Jésus a été glorifié seulement après sa passion, au moyen de la résurrection, mais il montre que sa glorification a commencé précisément avec la passion. Dans celle-ci, Jésus manifeste sa gloire, qui est gloire de l'amour, qui se donne totalement. Il a aimé le Père, accomplissant sa volonté jusqu'au bout, en une donation parfaite; il a aimé l'humanité, donnant sa vie pour nous. Ainsi, dans sa passion, il est déjà glorifié, et Dieu est glorifié en lui. Mais la passion - comme expression très réelle et profonde de son amour - n'est qu'un début. C'est pourquoi Jésus affirme que sa glorification sera également future (cf. v. 32). Ensuite le Seigneur, au moment où il annonce son départ de ce monde (cf. v. 33), comme un testament laissé à ses disciples pour poursuivre de manière nouvelle sa présence parmi eux, leur donne un commandement :  "Je vous donne un commandement nouveau:  c'est de vous aimer les uns les autres" (v. 34). Si nous nous aimons les uns les autres, Jésus continue à être présent parmi nous, à être glorifié dans le monde.

Jésus parle d'un "commandement nouveau". Mais quelle est sa nouveauté ?  Déjà dans l'Ancien Testament, Dieu avait donné le commandement de l'amour ; à présent, cependant, ce commandement est devenu nouveau dans la mesure où Jésus y apporte un ajout très important :  "Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres". Ce qui est nouveau est précisément cet "aimer comme Jésus a aimé". Tout notre amour est précédé par son amour et se réfère à cet amour, s'insère dans cet amour, se réalise précisément pour cet amour. L'Ancien Testament ne présentait aucun modèle d'amour, mais formulait seulement le précepte d'aimer. Jésus, en revanche, s'est donné lui-même à nous comme modèle et comme source d'amour. Il s'agit d'un amour sans limites, universel, en mesure de transformer également toutes les circonstances négatives et tous les obstacles qui se dressent pour progresser dans l'amour. Et nous voyons dans les saints de cette ville la réalisation de cet amour, toujours à partir de la source de l'amour de Jésus.

Au cours des siècles passés, l'Eglise qui est à Turin a connu une riche tradition de sainteté et de généreux service à nos frères - comme l'ont rappelé le cardinal-archevêque et le maire - grâce à l'½uvre de prêtres, de religieux et de religieuses de vie active et contemplative et de fidèles laïcs zélés. Les paroles de Jésus acquièrent alors un écho particulier pour cette Eglise de Turin, une Eglise généreuse et active, à commencer par ses prêtres. En nous donnant le commandement nouveau, Jésus nous demande de vivre son amour même, de son amour même, qui est le signe vraiment crédible, éloquent et efficace pour annoncer au monde la venue du Royaume de Dieu. Bien évidemment, avec nos seules forces nous sommes faibles et limités. Il y a toujours en nous une résistance à l'amour et dans notre existence, il y a tant de difficultés qui provoquent des divisions, du ressentiment et des ranc½urs. Mais le Seigneur nous a promis d'être présent dans notre vie, en nous rendant aptes à cet amour généreux et total, qui sait vaincre tous les obstacles, même ceux qui sont dans nos propres c½urs. Si nous sommes unis au Christ, nous pouvons vraiment aimer de cette manière. Aimer les autres comme Jésus nous a aimés n'est possible qu'avec cette force qui nous est communiquée dans la relation avec Lui, en particulier dans l'Eucharistie, où devient présent de manière réelle son sacrifice d'amour qui engendre l'amour:  c'est la véritable nouveauté dans le monde et la force d'une glorification permanente de Dieu, qui se glorifie dans la continuité de l'amour de Jésus dans notre amour.

Je voudrais alors adresser une parole d'encouragement en particulier aux prêtres et aux diacres de cette Eglise, qui se consacrent avec générosité au travail pastoral, ainsi qu'aux religieux et aux religieuses. Etre des ouvriers dans la vigne du Seigneur peut être parfois fatigant, les engagements se multiplient, les demandes sont nombreuses, les problèmes ne manquent pas:  sachez puiser quotidiennement à la relation d'amour avec Dieu dans la prière la force pour apporter l'annonce prophétique du salut; recentrez votre existence sur l'essentiel de l'Evangile; cultivez une dimension réelle de communion et de fraternité à l'intérieur du presbyterium, de vos communautés, dans les relations avec le Peuple de Dieu; témoignez dans le ministère de la puissance de l'amour qui vient d'en-Haut, qui vient du Seigneur présent parmi nous.

La première lecture que nous avons écoutée, nous présente précisément une manière particulière de glorification de Jésus:  l'apostolat et ses fruits. Paul et Barnabé, au terme de leur premier voyage apostolique, reviennent dans les villes déjà visitées et encouragent à nouveau les disciples, les exhortant à rester solides dans la foi, car, comme ils le disent:  "Il nous faut passer par bien des épreuves pour entrer dans le royaume de Dieu" (Ac 14, 22). Chers frères et s½urs, la vie chrétienne n'est pas facile; je sais qu'à Turin également les difficultés, les problèmes, les préoccupations ne manquent pas:  je pense, en particulier, à ceux qui vivent concrètement leur existence dans des situations précaires, à cause du manque de travail, de l'incertitude pour l'avenir, de la souffrance physique et morale; je pense aux familles, aux jeunes, aux personnes âgées qui vivent souvent dans la solitude, aux laissés-pour compte, aux immigrés. Oui, la vie conduit à affronter de nombreuses difficultés, de nombreux problèmes, mais c'est précisément la certitude qui nous vient de la foi, la certitude que nous ne sommes pas seuls, que Dieu aime chacun sans distinction et est proche de chacun avec son amour, qui permet d'affronter, de vivre et de surmonter la fatigue des problèmes quotidiens. C'est l'amour universel du Christ ressuscité qui a poussé les apôtres à sortir d'eux-mêmes, à diffuser la parole de Dieu, à se prodiguer sans réserve pour les autres, avec courage, avec joie et sérénité. Le Ressuscité possède une force d'amour qui dépasse toute limite, il ne s'arrête devant aucun obstacle. Et la communauté chrétienne, en particulier dans les domaines les plus engagés sur le plan pastoral, doit être un instrument concret de cet amour de Dieu.

J'exhorte les familles à vivre la dimension chrétienne de l'amour dans les simples actions quotidiennes, dans les relations familiales en surmontant les divisions et les incompréhensions, en cultivant la foi qui rend la communion encore plus solide. Dans le monde riche et varié de l'université et de la culture, que ne manque pas également le témoignage de l'amour dont nous parle l'Evangile d'aujourd'hui, dans la capacité de l'écoute attentive et du dialogue humble dans la recherche de la Vérité, certains que c'est la vérité elle-même qui vient à notre rencontre et qui nous saisit. Je désire également encourager l'effort, souvent difficile, de ceux qui sont appelés à administrer le bien public:  la collaboration pour rechercher le bien commun et rendre la ville toujours plus humaine et vivable est un signe que la pensée chrétienne sur l'homme n'est jamais contre sa liberté, mais en faveur d'une plus grande plénitude qui ne trouve sa réalisation que dans une "civilisation de l'amour". A tous, en particulier aux jeunes, je veux dire de ne jamais perdre l'espérance, celle qui vient du Christ ressuscité, de la victoire de Dieu sur le péché, sur la haine et sur la mort.

La deuxième lecture d'aujourd'hui nous montre précisément l'issue finale de la Résurrection de Jésus:  c'est la Jérusalem nouvelle, la ville sainte, qui descend du ciel, de Dieu, prête comme une épouse parée pour son époux (cf. Ap 21, 2). Celui qui a été crucifié, qui a partagé notre souffrance, comme nous le rappelle également de manière éloquente le Saint-Suaire, est celui qui est ressuscité et il veut nous réunir tous dans son amour. Il s'agit d'une espérance merveilleuse, "forte" solide, car, comme le dit l'Apocalypse:  "(Dieu) essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort n'existera plus; et il n'y aura plus de pleurs, de cris, ni de tristesse; car la première création aura disparu" (21, 4). Le Saint-Suaire ne transmet-il pas le même message? Dans celui-ci nous voyons, comme reflétées, nos souffrances dans les souffrances du Christ:  "Passio Christi. Passio hominis". C'est précisément pour cette raison qu'il est un signe d'espérance:  le Christ a affronté la croix pour mettre un frein au mal; pour nous faire entrevoir, dans sa Pâque, l'anticipation de ce moment où, pour nous aussi, chaque larme sera essuyée et il n'y aura plus ni mort, ni pleurs, ni cris, ni tristesse.

Le passage de l'Apocalypse termine par l'affirmation:  "Alors celui qui siégeait sur le Trône déclara:  "Voici que je fais toutes choses nouvelles"" (21, 5). La première chose absolument nouvelle réalisée par Dieu a été la résurrection de Jésus, sa glorification céleste. Elle est le début de toute une série de "choses nouvelles", auxquelles nous participons nous aussi. Les "choses nouvelles" sont un monde plein de joie, où il n'y a plus de souffrances ni d'abus, où il n'y a plus de ranc½ur et de haine, mais seulement l'amour qui vient de Dieu et qui transforme tout.

Chère Eglise qui est à Turin, je suis venu parmi vous pour vous confirmer dans la foi. Je désire vous exhorter, avec force et avec affection, à rester solides dans cette foi que vous avez reçue et qui donne un sens à la vie, qui donne la force d'aimer; à ne jamais perdre la lumière de l'espérance dans le Christ ressuscité, qui est capable de transformer la réalité et de rendre toutes choses nouvelles; à vivre l'amour de Dieu dans votre ville, dans les quartiers, dans les communautés, dans les familles, de manière simple et concrète:  "Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres".

 

 

2 mai 2010 – Méditation lors de la Vénération du Saint-Suaire Turin

C'est pour moi un moment très attendu. En diverses autres occasions, je me suis trouvé face au Saint-Suaire, mais cette fois, je vis ce pèlerinage et cette halte avec une intensité particulière:  sans doute parce que les années qui passent me rendent encore plus sensible au message de cet extraordinaire Icône; sans doute, et je dirais surtout, parce que je suis ici en tant que Successeur de Pierre, et que je porte dans mon c½ur toute l'Eglise, et même toute l'humanité. Je rends grâce à Dieu pour le don de ce pèlerinage et également pour l'occasion de partager avec vous une brève méditation qui m'a été suggérée par le sous-titre de cette Ostension solennelle:  "Le mystère du Samedi Saint".

On peut dire que le Saint-Suaire est l'Icône de ce mystère, l'Icône du Samedi Saint. En effet, il s'agit d'un linceul qui a enveloppé la dépouille d'un homme crucifié correspondant en tout point à ce que les Evangiles nous rapportent de Jésus, qui, crucifié vers midi, expira vers trois heures de l'après-midi. Le soir venu, comme c'était la Parascève, c'est-à-dire la veille du sabbat solennel de Pâques, Joseph d'Arimathie, un riche et influent membre du Sanhédrin, demanda courageusement à Ponce Pilate de pouvoir enterrer Jésus dans son tombeau neuf, qu'il avait fait creuser dans le roc à peu de distance du Golgotha. Ayant obtenu l'autorisation, il acheta un linceul et, ayant descendu le corps de Jésus de la croix, l'enveloppa dans ce linceul et le déposa dans le tombeau (cf. Mc 15, 42-46). C'est ce que rapporte l'Evangile de saint Marc, et les autres évangélistes concordent avec lui. A partir de ce moment, Jésus demeura dans le sépulcre jusqu'à l'aube du jour après le sabbat, et le Saint-Suaire de Turin nous offre l'image de ce qu'était son corps étendu dans le tombeau au cours de cette période, qui fut chronologiquement brève (environ un jour et demi), mais qui fut immense, infinie dans sa valeur et sa signification.

Le Samedi Saint est le jour où Dieu est caché, comme on le lit dans une ancienne Homélie:  "Que se passe-t-il? Aujourd'hui, un grand silence enveloppe la terre. Un grand silence et un grand calme. Un grand silence parce que le Roi dort... Dieu s'est endormi dans la chair, et il réveille ceux qui étaient dans les enfers" (Homélie pour le Samedi Saint, PG 43, 439). Dans le Credo, nous professons que Jésus Christ "a été crucifié sous Ponce Pilate, est mort et a été enseveli, est descendu aux enfers. Le troisième jour est ressuscité des morts".

Chers frères et s½urs, à notre époque, en particulier après avoir traversé le siècle dernier, l'humanité est devenue particulièrement sensible au mystère du Samedi Saint. Dieu caché fait partie de la spiritualité de l'homme contemporain, de façon existentielle, presque inconsciente, comme un vide dans le c½ur qui s'est élargi toujours plus. Vers la fin du xix siècle, Nietzsche écrivait:  "Dieu est mort! Et c'est nous qui l'avons tué!". Cette célèbre expression est, si nous regardons bien, prise presque à la lettre par la tradition chrétienne, nous la répétons souvent dans la Via Crucis, peut-être sans nous rendre pleinement compte de ce que nous disons. Après les deux guerres mondiales, les lager et les goulag, Hiroshima et Nagasaki, notre époque est devenue dans une mesure toujours plus grande un Samedi Saint:  l'obscurité de ce jour interpelle tous ceux qui s'interrogent sur la vie, et de façon particulière nous interpelle, nous croyants. Nous aussi nous avons affaire avec cette obscurité.

Et toutefois, la mort du Fils de Dieu, de Jésus de Nazareth a un aspect opposé, totalement positif, source de réconfort et d'espérance. Et cela me fait penser au fait que le Saint-Suaire se présente comme un document "photographique", doté d'un "positif" et d'un "négatif". Et en effet, c'est précisément le cas:  le mystère le plus obscur de la foi est dans le même temps le signe le plus lumineux d'une espérance qui ne connaît pas de limite. Le Samedi Saint est une "terre qui n'appartient à personne" entre la mort et la résurrection, mais dans cette "terre qui n'appartient à personne" est entré l'Un, l'Unique qui l'a traversée avec les signes de sa Passion pour l'homme:  "Passio Christi. Passio hominis". Et le Saint-Suaire nous parle exactement de ce moment, il témoigne précisément de l'intervalle unique et qu'on ne peut répéter dans l'histoire de l'humanité et de l'univers, dans lequel Dieu, dans Jésus Christ, a partagé non seulement notre mort, mais également le fait que nous demeurions dans la mort. La solidarité la plus radicale.

Dans ce "temps-au-delà-du temps", Jésus Christ "est descendu aux enfers". Que signifie cette expression? Elle signifie que Dieu, s'étant fait homme, est arrivé au point d'entrer dans la solitude extrême et absolue de l'homme, où n'arrive aucun rayon d'amour, où règne l'abandon total sans aucune parole de réconfort:  "les enfers". Jésus Christ, demeurant dans la mort, a franchi la porte de cette ultime solitude pour nous guider également à la franchir avec Lui. Nous avons tous parfois ressenti une terrible sensation d'abandon, et ce qui nous fait le plus peur dans la mort, est précisément cela, comme des enfants, nous avons peur de rester seuls dans l'obscurité, et seule la présence d'une personne qui nous aime peut nous rassurer. Voilà, c'est précisément ce qui est arrivé le jour du Samedi Saint:  dans le royaume de la mort a retenti la voix de Dieu. L'impensable a eu lieu:  c'est-à-dire que l'Amour a pénétré "dans les enfers":  dans l'obscurité extrême de la solitude humaine la plus absolue également, nous pouvons écouter une voix qui nous appelle et trouver une main qui nous prend et nous conduit au dehors. L'être humain vit pour le fait qu'il est aimé et qu'il peut aimer; et si dans l'espace de la mort également, a pénétré l'amour, alors là aussi est arrivée la vie. A l'heure de la solitude extrême, nous ne serons jamais seuls:  "Passio Christi. Passio hominis".

Tel est le mystère du Samedi Saint! Précisément de là, de l'obscurité de la mort du Fils de Dieu est apparue la lumière d'une espérance nouvelle:  la lumière de la Résurrection. Et bien, il me semble qu'en regardant ce saint linceul avec les yeux de la foi, on perçoit quelque chose de cette lumière. En effet, le Saint-Suaire a été immergé dans cette obscurité profonde, mais il est dans le même temps lumineux; et je pense que si des milliers et des milliers de personnes viennent le vénérer, sans compter celles qui le contemplent à travers les images - c'est parce qu'en lui, elles ne voient pas seulement l'obscurité, mais également la lumière; pas tant l'échec de la vie et de l'amour, mais plutôt la victoire, la victoire de la vie sur la mort, de l'amour sur la haine; elles voient bien la mort de Jésus, mais elles entrevoient sa Résurrection; au sein de la mort bat à présent la vie, car l'amour y habite. Tel est le pouvoir du Saint-Suaire:  du visage de cet "Homme des douleurs", qui porte sur lui la passion de l'homme de tout temps et de tout lieu, nos passions, nos souffrances, nos difficultés, nos péchés également - "Passio Christi. Passio hominis" - de ce visage émane une majesté solennelle, une grandeur paradoxale. Ce visage, ces mains et ces pieds, ce côté, tout ce corps parle, il est lui-même une parole que nous pouvons écouter dans le silence. Que nous dit le Saint-Suaire? Il parle avec le sang, et le sang est la vie! Le Saint-Suaire est une Icône écrite avec le sang; le sang d'un homme flagellé, couronné d'épines, crucifié et transpercé au côté droit. L'image imprimée sur le Saint-Suaire est celle d'un mort, mais le sang parle de sa vie. Chaque trace de sang parle d'amour et de vie. En particulier cette tâche abondante à proximité du flanc, faite de sang et d'eau ayant coulé avec abondance par une large blessure procurée par un coup de lance romaine, ce sang et cette eau parlent de vie. C'est comme une source qui murmure dans le silence, et nous, nous pouvons l'entendre, nous pouvons l'écouter, dans le silence du Samedi Saint.

Chers amis, rendons toujours gloire au Seigneur pour son amour fidèle et miséricordieux. En partant de ce lieu saint, portons dans les yeux l'image du Saint-Suaire, portons dans le c½ur cette parole d'amour, et louons Dieu avec une vie pleine de foi, d'espérance et de charité. Merci.

 

 

 

 

 

2 mai 2010 – rencontre avec les jeunes à Turin

     Je suis vraiment heureux d'être avec vous, à l'occasion de ma visite à Turin pour vénérer le Saint-Suaire. Je vous salue tous avec beaucoup d'affection et je vous remercie de l'accueil et de l'enthousiasme de votre foi. A travers vous, je salue toute la jeunesse de Turin et des diocèses du Piémont, avec une prière en particulier pour les jeunes qui vivent des situations de souffrance, de difficulté et d'égarement. J'adresse une pensée particulière et un profond encouragement à tous ceux qui, parmi vous, sont en train de parcourir le chemin vers le sacerdoce, la vie consacrée, ou bien vers des choix généreux de services aux laissés-pour-compte. Je remercie votre pasteur, le cardinal Severino Poletto, des expressions cordiales qu'il m'a adressées et je remercie vos représentants, qui m'ont présenté les intentions, les problématiques et les attentes de la jeunesse de cette ville et de cette région.

Il y a vingt-cinq ans, à l'occasion de l'Année internationale de la jeunesse, le vénérable et bien-aimé Jean-Paul II adressa une Lettre apostolique aux jeunes du monde, garçons et filles, centrée sur la rencontre de Jésus avec le jeune homme riche dont parle l'Evangile (Lettre aux jeunes, 31 mars 1985). C'est précisément en partant de cette page (cf. Mc 10, 17-22; Mt 19, 16-22), qui a également été l'objet d'une réflexion dans mon Message de cette année pour la Journée mondiale de la jeunesse, que je voudrais vous offrir quelques pensées qui, je l'espère, pourront vous aider dans votre croissance spirituelle et dans votre mission au sein de l'Eglise et dans le monde.

Le jeune homme de l'Evangile – nous le savons – demande à Jésus: « Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle? ». Aujourd'hui, il n'est pas facile de parler de vie éternelle et de réalités éternelles, parce que la mentalité de notre époque nous dit qu'il n'existe rien de définitif: tout change, et même très vite. « Changer » est devenu, très souvent, le mot d'ordre, l'exercice le plus exaltant de la liberté, et de cette manière, vous aussi les jeunes, vous êtes souvent portés à penser qu'il est impossible de faire des choix définitifs, qui engagent pour toute la vie. Mais est-ce là la bonne manière d'exercer la liberté? Est-il bien vrai que pour être heureux, nous devons nous contenter de joies momentanées petites et fugaces, qui, une fois terminées, nous laissent une amertume dans le c½ur? Chers jeunes, là n'est pas la vraie liberté, le bonheur ne s'obtient pas ainsi. Chacun de nous est créé non pas pour accomplir des choix provisoires et révocables, mais des choix définitifs et irrévocables, qui donnent tout son sens à l'existence. Nous le voyons dans notre vie: nous voudrions que chaque belle expérience, qui nous comble de bonheur, n'ait jamais de fin. Dieu nous a créés en vue du « pour toujours », il a mis dans le c½ur de chacun de nous la semence pour une vie qui réalise quelque chose de beau et de grand. Ayez le courage des choix définitifs et vivez-les avec fidélité! Le Seigneur pourra vous appeler au mariage, au sacerdoce, à la vie consacrée, à un don particulier de vous-mêmes: répondez-lui avec générosité!

Dans le dialogue avec le jeune homme, qui possédait de grandes richesses, Jésus indique quelle est la richesse la plus importante et la plus grande de la vie: l'amour. Aimer Dieu et aimer les autres de toute notre personne. Le mot amour – nous le savons – est sujet à diverses interprétations et revêt différentes significations: nous avons besoin d'un Maître, le Christ, qui nous en indique le sens le plus authentique et le plus profond, qui nous guide vers la source de l'amour et de la vie. Amour est le nom propre de Dieu. L'Apôtre Jean nous le rappelle: « Dieu est amour », et il ajoute que « ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c'est lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils ». Et « si Dieu nous a ainsi aimés, nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres » (1 Jn 4, 8.10.11). Dans la rencontre avec le Christ et dans l'amour réciproque, nous faisons l'expérience en nous de la vie même de Dieu, qui demeure en nous avec son amour parfait, total, éternel (cf. Jn 4, 12). Il n'y a donc rien de plus grand pour l'homme, un être mortel et limité, que de participer à la vie d'amour de Dieu. Nous vivons aujourd'hui dans un contexte culturel qui ne favorise pas les rapports humains profonds et désintéressés, mais, au contraire, conduit souvent à se renfermer sur soi-même, à l'individualisme, à laisser prévaloir l'égoïsme qu'il y a dans l'homme. Mais le c½ur d'un jeune est, par nature, sensible à l'amour vrai. C'est pourquoi je m'adresse avec beaucoup de confiance à chacun de vous et je vous dis: il n'est pas facile de faire de votre vie quelque chose de beau et de grand, cela est exigeant, mais avec le Christ, tout est possible!

Dans les yeux de Jésus, qui fixe son regard – comme le dit l'Evangile – avec amour sur le jeune homme, nous saisissons tout le désir de Dieu d'être avec nous, d'être proche de nous; il y a un désir de Dieu pour notre « oui », pour notre amour. Oui, chers jeunes, Jésus veut être votre ami, votre frère dans la vie, le maître qui nous indique le chemin à parcourir pour atteindre le bonheur. Il vous aime pour ce que vous êtes, dans votre fragilité et votre faiblesse, pour que, touchés par son amour, vous puissiez être transformés. Vivez cette rencontre avec l'amour du Christ dans une profonde relation personnelle avec Lui: vivez-la dans l'Eglise, en particulier dans les sacrements. Vivez-la dans l'Eucharistie, dans laquelle son Sacrifice est présent: il donne réellement son Corps et son Sang pour nous, pour racheter les péchés de l'homme, pour que nous devenions un avec Lui, pour que nous apprenions nous aussi la logique du don de soi. Vivez-la dans la Confession, où en nous offrant son pardon, Jésus nous accueille avec toutes nos limites pour nous donner un c½ur nouveau, capable d'aimer comme Lui. Apprenez à être familiers de la parole de Dieu, à la méditer notamment dans la Lectio divina, la lecture spirituelle de la Bible. Enfin, sachez rencontrer l'amour du Christ dans le témoignage de charité de l'Eglise. Turin vous offre, dans son histoire, de splendides exemples: suivez-les, en vivant concrètement la gratuité du service. Tout dans la communauté ecclésiale doit tendre à faire toucher du doigt aux hommes la charité infinie de Dieu.

Chers amis, l'amour du Christ pour le jeune homme de l'Evangile est le même que celui qu'il a pour chacun de vous. Ce n'est pas un amour confiné dans le passé, ce n'est pas une illusion, il n'est pas réservé à quelques-uns. Vous rencontrerez cet amour et vous ferez l'expérience de toute sa fécondité si vous cherchez avec sincérité le Seigneur et si vous vivez profondément votre participation à la vie de la communauté chrétienne. Que chacun se sente « une partie vivante » de l'Eglise, impliquée dans l'½uvre d'évangélisation, sans crainte, dans un esprit de sincère harmonie avec vos frères dans la foi et en communion avec les pasteurs, en sortant d'une tendance individualiste également dans votre manière de vivre la foi, pour respirer à pleins poumons la beauté de faire partie de la grande mosaïque de l'Eglise du Christ.

Ce soir, je ne peux manquer de vous indiquer comme modèle un jeune de votre ville: le bienheureux Pier Giorgio Frassati, dont on fête cette année le vingtième anniversaire de la béatification. Son existence fut entièrement enveloppée par la grâce et par l'amour de Dieu et fut consumée, avec sérénité et joie, dans le service passionné pour le Christ et pour les frères. Jeune comme vous, il vécut avec beaucoup d'intensité sa formation chrétienne et offrit son témoignage de foi, simple et concret. Un garçon fasciné par la beauté de l'Evangile des Béatitudes, qui fit l'expérience de toute la joie d'être un ami du Christ, de le suivre, de se sentir partie intégrante et vivante de l'Eglise. Chers jeunes, ayez le courage de choisir ce qui est essentiel dans la vie! « Vivre et non vivoter » répétait le bienheureux Pier Giorgio Frassati. Comme lui, découvrez qu'il vaut la peine de s'engager pour Dieu et avec Dieu, de répondre à son appel dans les choix fondamentaux et dans les choix quotidiens, même lorsqu'il en coûte!

Le parcours spirituel du bienheureux Pier Giorgio Frassati rappelle que le chemin des disciples du Christ exige le courage de sortir de soi-même, pour suivre la route de l'Evangile. Ce chemin exigeant de l'esprit, vous le vivez dans les paroisses et dans les autres institutions ecclésiales; vous le vivez également dans le pèlerinage des Journées mondiales de la jeunesse, un rendez-vous toujours attendu. Je sais que vous vous préparez au prochain grand rassemblement, en programme à Madrid en août 2011. Je souhaite de tout c½ur que cet événement extraordinaire, auquel j'espère que vous pourrez participer très nombreux, contribue à faire croître en chacun de vous l'enthousiasme et la fidélité de suivre le Christ et d'accueillir avec joie son message, source de vie nouvelle.

Jeunes de Turin et du Piémont, soyez des témoins du Christ dans notre temps! Que le Saint-Suaire soit en particulier pour vous une invitation à imprimer dans votre esprit le visage de l'amour de Dieu, pour être vous-mêmes, dans les milieux qui sont les vôtres, avec les jeunes de votre âge, une expression crédible du visage du Christ. Que Marie, que vous vénérez dans vos sanctuaires mariaux, et saint Jean Bosco, Patron de la jeunesse, vous aident à suivre le Christ sans jamais vous lasser. Et que vous accompagnent toujours ma prière et ma Bénédiction, que je vous donne avec beaucoup d'affection. Merci de votre attention!

 

 

 

 

2 mai 2010 – Rencontre avec les personnes malades, au Cottolengo, à Turin

Je désire exprimer à tous ma joie et ma reconnaissance au Seigneur qui m'a conduit jusqu'à vous, en ce lieu, où de tant de manières et selon un charisme particulier, se manifestent la charité et la Providence du Père céleste. Notre rencontre est une rencontre en harmonie avec mon pèlerinage auprès du Saint-Suaire, où nous pouvons lire tout le drame de la souffrance, mais également, à la lumière de la Résurrection du Christ, la pleine signification que celui-ci revêt pour la rédemption du monde. Je remercie Don Aldo Sarotto pour les paroles éloquentes qu'il m'a adressées: à travers lui, mes remerciements s'étendent à ceux qui ½uvrent en ce lieu, la Petite Maison de la Divine Providence, comme voulut l'appeler saint Joseph Benoît Cottolengo. Je salue avec reconnaissance les trois familles religieuses nées du c½ur de saint Cottolengo et de l'« imagination » de l'Esprit Saint. Merci à vous tous, chers malades, qui êtes le trésor précieux de cette maison et de cette ¼uvre.

Comme vous le savez peut-être, au cours de l'Audience générale de mercredi dernier, avec la figure de saint Léonard Murialdo, j'ai également présenté le charisme de votre fondateur. Oui, il a été un véritable champion de la charité, dont les initiatives, comme des arbres luxuriants, se trouvent devant nos yeux et sous le regard du monde. En relisant les témoignages de l'époque, nous voyons qu'il ne fut pas facile pour Joseph Benoît Cottolengo de commencer son entreprise. Les nombreuses activités d'assistance présentes sur le territoire en faveur des plus démunis n'étaient pas suffisantes pour guérir la plaie de la pauvreté, qui frappait la ville de Turin. Saint Cottolengo chercha à apporter une réponse à cette situation, en accueillant les personnes en difficulté et en privilégiant celles qui n'était pas reçues et soignées par d'autres. Le premier noyau de la Maison de la Divine Providence ne connut pas une vie facile et ne dura pas longtemps. En 1832, dans le quartier de Valdocco, une nouvelle structure vit le jour, aidée également par plusieurs familles religieuses.

Saint Cottolengo, bien que traversant dans sa vie des moments dramatiques, conserva toujours une confiance sereine face aux événements; attentif à saisir les signes de la paternité de Dieu, il reconnut, dans toutes les situations, sa présence et sa miséricorde et, chez les pauvres, l'image la plus aimable de sa grandeur. Une conviction profonde le guidait: « Les pauvres sont Jésus – disait-il – ils ne sont pas son image. Ils sont Jésus en personne et, comme tels, il faut les servir. Tous les pauvres sont nos maîtres, et ceux qui sont si rebutants à la vue sont encore davantage nos maîtres, ils sont nos véritables trésors. Si nous ne les traitons pas bien, ils nous chassent de la Petite Maison. Ils sont Jésus ». Saint Jospeh Benoît Cottolengo voulut s'engager pour Dieu et pour l'homme, animé au plus profond de son c½ur par la parole de l'apôtre Paul: La charité du Christ nous pousse (cf. 2 Co 5, 14). Il voulut la traduire par un dévouement total au service des plus pauvres et des laissés-pour-compte. Le principe fondamental de son ½uvre fut, dès le début, l'exercice de la charité chrétienne envers tous, qui lui permettait de reconnaître en chaque homme, même s'il était en marge de la société, une grande dignité. Il avait compris que celui qui était frappé par la souffrance et par le rejet tend à se renfermer et à s'isoler et à manifester un manque de confiance envers la vie elle-même. C'est pourquoi, prendre sur soi tant de souffrances humaines signifiait, pour notre saint, créer des relations de proximité affective, familiale et spontanée, donnant vie à des structures qui puissent favoriser cette proximité, dans le style de cette famille qui se poursuit encore aujourd'hui.

Pour saint Joseph Benoît Cottolengo, retrouver la dignité personnelle signifiait rétablir et valoriser tout ce qui est humain: des besoins fondamentaux psycho-sociaux aux besoins moraux et spirituels, de la réhabilitation des fonctions physiques à la recherche d'un sens de la vie, en conduisant la personne à se sentir encore partie vivante de la communauté ecclésiale et du tissu social. Nous sommes reconnaissants à ce grand apôtre de la charité car, en visitant ces lieux, en rencontrant la souffrance quotidienne sur les visages et dans les membres de tant de nos frères et s½urs accueillis ici comme dans leur maison, nous faisons l'expérience de la valeur et de la signification la plus profonde de la souffrance et de la douleur.

Chers malades, vous accomplissez une ½uvre importante: en vivant vos souffrances en union avec le Christ crucifié et ressuscité, vous participez au mystère de sa souffrance pour le salut du monde. En offrant notre douleur à Dieu au moyen du Christ, nous pouvons collaborer à la victoire du bien sur le mal, car Dieu rend féconds notre offrande, notre acte d'amour. Chers frères et s½urs, vous tous qui êtes ici, chacun pour sa part: ne vous sentez pas étrangers au destin du monde, mais sentez-vous comme les tesselles précieuses d'une très belle mosaïque que Dieu, comme un grand artiste, compose jour après jour également grâce à votre contribution. Le Christ, qui est mort sur la Croix pour nous sauver, s'est laissé clouer afin que de ce bois, de ce signe de mort, puisse fleurir la vie dans toute sa splendeur. Cette maison est l'un des fruits mûrs nés de la Croix et de la résurrection du Christ, et elle manifeste que la souffrance, le mal, la mort n'ont pas le dernier mot, car la vie peut renaître de la mort et de la souffrance. C'est ce dont a témoigné de manière exemplaire l'un de vous, que je désire rappeler: le vénérable frère Luigi Bordino, merveilleuse figure de religieux infirmier.

En ce lieu, nous comprenons alors mieux que si la passion de l'homme a été assumée par le Christ dans sa Passion, rien ne sera perdu. On comprend ici de manière particulière le message de cette solennelle ostension du Saint-Suaire: « Passio ChristiPassio hominis ». Nous prions le Seigneur crucifié et ressuscité afin qu'il illumine notre pèlerinage quotidien par la lumière de son Visage; qu'il illumine notre vie, le présent et l'avenir, la douleur et la joie, les difficultés et les espérances de l'humanité tout entière. Chers frères et s½urs, en invoquant l'intercession de la Vierge Marie et de saint Joseph Benoît Cottolengo, je donne de tout c½ur à tous ma Bénédiction: qu'elle vous réconforte et vous console dans les épreuves et obtienne pour vous chaque grâce qui vient de Dieu, auteur et dispensateur de chaque don parfait. Merci!

   

 


 

 

publié le : 03 mai 2024

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