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L'euthanasie programmée d'Eluana Englaro - PO Arduin - 13.2.2009


Décryptage
Euthanasie
L'euthanasie programmée d'Eluana Englaro
13 février 2009 | Pierre-Olivier Arduin*

Après son transfert dans une clinique privée qui s'est portée volontaire pour lui retirer la sonde d'alimentation, Eluana Englaro est morte lundi 9 février, malgré une course contre la montre engagée par le gouvernement italien. Avec le soutien de l'Église catholique.

La jeune femme de 38 ans, tombée dans un état végétatif persistant le 18 janvier 1992 à la suite d'un accident de la circulation, s'est retrouvée au centre d'un âpre combat judiciaire dont le retentissement a été mondial. Depuis plus de dix années, son père revendiquait en effet qu'elle ne soit plus alimentée par la sonde gastrique qui la maintenait en vie. Il avait obtenu gain de cause cet été avec l'autorisation accordée le 9 juillet par la Cour d'appel de Milan de cesser l'alimentation assistée au motif que la jeune femme aurait refusé ce soin si elle avait pu s'exprimer. La sentence avait été contestée sur le champ par le parquet de la capitale de la Lombardie qui avait déposé un recours. C'est finalement la Cour de cassation qui jugeait recevable la décision de suspendre les soins par un arrêt du 13 novembre 2008.

Course contre la montre

Malgré le jugement émis par la haute juridiction italienne, plusieurs responsables de la vie politique se sont alors lancés dans une véritable course contre la montre pour annuler la décision. Ce fut d'abord le ministre des Affaires sociales, Maurizio Sacconi, qui adressait fin décembre une mise en garde aux établissements qui accepteraient d'accueillir la jeune femme dans le dessein de la « débrancher » : il promulguait en urgence une ordonnance interdisant aux hôpitaux publics d'interrompre l'hydratation et l'alimentation des personnes placées dans un état végétatif persistant. Pour le ministre, « Eluana n'est pas en état de mort cérébrale ni soumise à un acharnement thérapeutique, elle est seulement hydratée et alimentée par une sonde, condition dans laquelle se trouve de nombreux handicapés ». Ce fut ensuite au tour du secrétaire d'État à l'Intérieur Alfred Mantovani d'accuser « une partie de la magistrature d'introduire une forme voilée d'euthanasie plutôt que de protéger la vie humaine ».

Pour autant, la procédure suivait inexorablement son cours : la jeune femme était transférée lundi 2 février dans un établissement privé qui se déclarait prêt à suspendre la sonde et la sédater jusqu'à ce que mort s'en suive. Devant l'émoi d'une grande partie de l'opinion, Silvio Berlusconi en personne réunissait le conseil des ministres pour signer un décret-loi ainsi rédigé : « Dans l'attente de l'approbation d'une législation complète en matière de fin de vie, l'alimentation et l'hydratation ne peuvent en aucun cas être suspendues par ceux qui assistent les personnes qui ne sont pas en mesure de décider par elles-mêmes [1] ».

Le chef de l'exécutif faisait montre d'un courage peu commun refusant d'abdiquer ce que sa conscience lui prescrivait. Malheureusement, Giorgio Napolitano, le président communiste de la République italienne, refusait de ratifier le texte qui aurait évité de faire appel au Parlement.

« Une personne que nous avons aimée »

Alors que le Sénat, convoqué en urgence, examinait lundi 9 février en fin de journée le projet de loi de l'exécutif italien et bataillait ferme contre les 1000 amendements présentés par le parti radical pro-euthanasie, la nouvelle tombait comme un coup de tonnerre à 20h10 : Eluana Englaro s'était éteinte. Comme le rapporte Anita Bourdin de l'agence Zenit, le journal de 20h de la RAI interrompait brutalement son programme. Une image forte demeurera la minute de silence solennelle observée par les sénateurs suivie en direct par l'Italie entière. Le journaliste concluait la présentation du journal par ce commentaire : « Eluana, une personne que nous avons aimée [2] ». Le Père Lombardi, directeur de la salle de presse du saint-Siège, ne disait pas autre chose : « une personne que nous avons aimée et qui au cours de ces derniers mois a fait partie de notre vie. Sa mort ne peut pas nous laisser une ombre de tristesse du fait des circonstances dans lesquelles elle est survenue ».

Ce n'est pourtant pas faute aux élites intellectuelles et dirigeantes de la péninsule d'avoir pris la mesure de la gravité de l'affaire. Une grande partie du corps médical et de la classe politique s'est retrouvée coude à coude avec la position défendue par le Vatican, constamment rappelée dans les médias par Mgr Fisichella, président de l'Académie pontificale pour la vie, par le cardinal Javier Lozano Barragan, « ministre de la santé » du Saint-Siège et jusqu'à Benoît XVI lui-même, lors des deux derniers angélus sur la place saint Pierre [3].

Des raisons scientifiques

En l'espèce, le jugement éthique apporté par le Magistère n'a strictement aucun caractère confessionnel mais repose sur une argumentation rationnelle très précise, prenant en compte les dernières données de la science et de la clinique sur l'état végétatif ainsi que le statut de soin proportionné de l'alimentation assistée médicalement. Rappelons quelques éléments que nous avions longuement développés dans ces colonnes [4].

Les personnes en état végétatif ne sont pas dans une situation de fin de vie comme l'attestent tous les spécialistes des malades cérébro-lésés. Leurs grandes fonctions vitales se soutiennent d'elles-mêmes. La respiration est parfaitement autonome, la personne présente des cycles veille/sommeil réguliers, le métabolisme est normal. Eluana rentrait dans ce tableau clinique bien connu des neurologues, nécessitant seulement de soins de kinésithérapie pour entretenir sa tonicité musculaire ainsi que la pose d'une sonde nasogastrique à chaque repas pour lui administrer des nutriments fluides et enrichis. En effet, on comprend que chez ces patients inconscients, l'alimentation assistée ne fait que pallier, de manière totalement efficace et proportionnée, un défaut de déglutition en répondant à un besoin de base de l'organisme. Elle relève du « prendre soin », ce que pratiquaient avec attention et compassion au quotidien les soeurs de la Miséricorde qui l'ont soignée pendant 14 ans.

Il n'y a qu'un seul moyen de faire mourir cette catégorie de patients. Leur retirer toute alimentation, leur administrer des épileptiques pour éviter qu'ils convulsent et les sédater au cas où ils souffriraient. La cause de leur mort n'est donc pas l'état végétatif dans lequel ils sont plongés mais l'acte intentionnel de suspendre le seul soin qui est indispensable pour soutenir leur vie. Nous avons donc affaire à un acte euthanasique délibéré dont l'issue est parfaitement anticipée par le médecin qui le réalise. À aucun moment on ne peut parler d'acharnement thérapeutique.

Retirer la sonde d'alimentation d'un patient dont l'état est stable constitue en définitive une euthanasie qui ne dirait pas son nom. Le raisonnement est fondé en dernier ressort sur le fait que la vie de ces personnes nous apparaît insupportable et que leur existence ne vaut pas la peine d'être vécue : elle porte en germe une logique de discrimination et de dérive euthanasique qu'a parfaitement perçue le gouvernement italien.

L'affaire Eluana Englaro ne clôt pas pour autant le débat de l'autre côté des Alpes. « Maintenant, analyse le directeur de l'Osservatore romano, c'est le moment d'une réflexion qui puisse réunir croyants et non-croyants pour sauvegarder la dignité de tout être humain, dans quelque condition qu'il se trouve [5] ». « L'obligation de réflexion nous concerne tous », a-t-il ajouté. La mort d'Eluana n'est pas vaine : elle pourrait même pour le législateur aboutir à l'adoption d'une loi sur la fin de vie qui protégerait désormais les personnes tombées dans le coma. Il n'y a en effet qu'une seule alternative au retrait euthanasique de la sonde d'alimentation des personnes en état végétatif : l'accompagnement jusqu'au bout.







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[1] Zenit, 4 février 2009.
[2] Zenit, 10 février 2009.
[3] Benoît XVI, Angélus du 1er février 2009 : il faut avoir « le courage de dire clairement que l'euthanasie est une fausse solution au drame de la souffrance, une solution qui n'est pas digne de l'homme ». On notera également l'appel téléphonique du 7 février du cardinal secrétaire d'État Tarcisio Bertone au président italien.
[4] Décryptage, "Arrêt de l'alimentation artificielle, le débat est relancé", 29 septembre 2008.
[5] Zenit, 11 février 2009.

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