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Humanae vitae - Tugdual Derville - 26 mai 2008


Humanae Vitae
par Tugdual Derville
(France Catholique 26 mai 2008)

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40 ans après 1968, la célébration de l'encyclique Humanae Vitae est aussi celle d'une tornade qui secoue encore l'Église. Certains jugent son message inaudible, d'autres l'estiment de plus en plus prophétique.


Il faut imaginer l'émotion que pareil texte provoqua chez des couples chrétiens que certains pasteurs, et jusqu'à des archevêques, avaient « autorisés » à user des moyens de contraception, anticipant ce qu'ils croyaient être une évolution de la doc­trine ecclésiale. Certes, au fil des siècles, le plaisir sexuel a perdu son statut de suspect. Et l'on aurait pu tout autant saluer, dans l'encyclique, la confirmation des bienfaits reconnus à l'union conjugale, pour le seul épanouissement des époux. Plane encore sur ce sujet un malentendu sur la doctrine de l'Église, peut-être à cause de résidus de jansénisme. Quoi qu'il en soit, il sera difficile pour les fidèles des temps modernes de renoncer aux nouveaux moyens artificiels de régulation des naissances. Et Paul VI ne s'y est pas trompé, multipliant les formules d'encouragement pour qu'ils y résistent.

Le pape eut d'autant plus de mal à faire avaler « sa » pilule qu'on nageait en plein fantasme d'explosion démographique planétaire. Mais faut-il s'étonner que l'Église ait pris à contre-pied tant de ses « sages » et de ses « savants » qui l'incitaient à céder du terrain aux dogmes faciles de la « libération sexuelle »  ? Aujourd'hui encore, leurs voix s'élèvent. Interrogé par La Repubblica, à l'occasion de la sortie de son livre Ma bataille pour la liberté, le suisse Hans Küng semblait se réjouir le 22 mai  : « Seule une petite minorité [des fidèles] partage la doctrine officielle de l'encyclique Humanae vitae sur le refus d'une régulation responsable des naissances. » On décèle chez le théologien contestataire un zeste de mauvaise fois  : peut-il ignorer qu'Humanae Vitae incite au contraire à la « paternité responsable »  ? La voix du cardinal Mario Martini peut faire plus mal. Lui aussi brillant contemporain de l'actuel souverain pontife, il se lamente encore - d'aucuns diront ratiocine - sur les événements ecclésiaux de mai 1968, sur la forme comme sur le fond. Son dernier livre (Conversations nocturnes à Jérusalem) regrette les « développements négatifs et malheureux » de l'encyclique et la « solitude dans la décision » de Paul VI. Et d'appeler Benoît XVI à rédiger un autre texte. Dans le même élan, le jésuite fait part de son regard « progressiste » sur l'homosexualité et réclame le diaconat pour les femmes. Au risque de souligner la cohérence des positions qu'il conteste.

Car, de même que le « jouir sans entrave » de mai 68 fait dorénavant figure de slogan éculé, ayant largement contribué à la déstructuration des sociétés occidentales, à leur suicide démographique et aux souffrances des nouvelles générations, sans pour autant avoir libéré les femmes de toutes les contraintes qui pesaient sur elles, de même le prophétisme d'Humanae vitae apparaît progressivement. Ainsi, certains des scep­tiques l'admettent, à l'image d'Emma Fattorini déclarant à Libération  : « Paul VI a eu l'intuition qu'en dissociant complètement sexualité et procréation, on créait les bases de transformations anthropologiques irréversibles ». Pour l'universitaire italienne, les manipulations génétiques et la marchandisation du corps sont même des points à propos desquels féministes et écologistes pourraient se rapprocher de l'encyclique.

Après avoir explicité quelle « vision intégrale de l'homme » motivait l'invitation à ne pas entraver par des moyens artificiels la fécondité de l'union conjugale, Paul VI avait mis en garde contre les consé­quences de ce qui deviendra la culture contraceptive  : attentats contre la vie, fractures conjugales, violences faites aux femmes, dérive pornographique. Il écrivait  : « On peut craindre (...) que l'homme, en s'habituant à l'usage des pra­tiques anticonceptionnelles, ne finisse pas perdre le respect de la femme et, sans plus se soucier de l'équilibre physique et psychologique de celle-ci, n'en vienne à la considérer comme un simple instrument de jouissance égoïste et non plus comme sa compagne respectée et aimée ».

Paul VI avait aussi vu le risque que les États imposent certaines méthodes de contraception. Or, dans de nombreux pays pauvres, une énorme proportion de femmes sont désormais abusivement stérilisées. Enfin, ceux qui croyaient contester la « contradiction » d'Humanae vitae en regardant la contraception comme moyen de prévenir l'avortement (autrement plus grave) devraient déchanter en constatant les statistiques des pratiques. L'exhortation ecclésiale, au lieu de faire irruption dans l'intimité conjugale - comme on le lui a tant reproché - n'appelait-t-elle pas, au contraire, les époux à se garder des tierces personnes ou d'objets tiers qui n'ont rien à faire dans leur intimité  ?

Certes, l'humanité est portée à la faiblesse. Justement, nul ne conteste que l'Église exhorte à la générosité ou à l'humilité. Pourquoi l'empêcherait-on de plaider pour l'exigeante chasteté  ? Son seul tort serait d'avoir une haute idée de l'être humain.

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