Benoît XVI de A à Z

Conditionnement - Mode - Paraitre - Extériorité

2006



19 mars 2006 - Homélie de la Messe
Nous avons écouté une page célèbre et belle du Livre de l'Exode, celle dans laquelle l'auteur sacré raconte la remise à Israël du Décalogue de la part de Dieu. Un détail nous frappe immédiatement: l'énonciation des dix commandements est introduite par une référence significative à la libération du peuple d'Israël. Le texte dit: "Je suis Yahvé, ton Dieu, qui t'ai fait sortir du pays d'Egypte, de la maison de servitude" (Ex 20, 2). Le Décalogue se veut donc une confirmation de la liberté conquise. En effet, les commandements, si on les regarde en profondeur, sont le moyen que le Seigneur nous donne pour défendre notre liberté aussi bien des conditionnements internes des passions que des abus externes de personnes malintentionnées. Les "non" des commandements sont autant de "oui" à la croissance d'une liberté authentique. Il existe une deuxième dimension du Décalogue qu'il faut également souligner: à travers la loi donnée par la main de Moïse, le Seigneur révèle qu'il souhaite passer avec Israël un pacte d'alliance. Plus qu'un ordre, la loi est par conséquent un don. Plus que commander ce que l'homme doit faire, elle veut manifester à tous le choix de Dieu: il est du côté du peuple élu; il l'a libéré de l'esclavage et il l'entoure de sa bonté miséricordieuse. Le Décalogue est le témoignage d'un amour préférentiel.



2007



10 février 2007 - A l'Académie des Sciences morales et politiques
La réflexion et l'action des Autorités et des citoyens doivent être centrées autour de deux éléments: le respect de tout être humain et la recherche du bien commun. Dans le monde actuel, il est plus que jamais urgent d'inviter nos contemporains à une attention renouvelée à ces deux éléments. En effet, le développement du subjectivisme, qui fait que chacun a tendance à se prendre comme seule référence et à considérer que ce qu'il pense a le caractère de la vérité, nous incite à former les consciences sur les valeurs fondamentales, qui ne peuvent être bafouées sans mettre en danger l'homme et la société elle-même, et sur les critères objectifs d'une décision, qui supposent un acte de raison…

Qu'il me soit permis d'évoquer …devant vous la figure d'Andreï Dimitrijevitch Sakharov, auquel j'ai succédé à l'Académie. Cette haute personnalité nous rappelle qu'il est nécessaire, dans la vie personnelle comme dans la vie publique, d'avoir le courage de dire la vérité et de la suivre, d'être libre par rapport au monde ambiant qui a souvent tendance à imposer ses façons de voir et les comportements à adopter. La véritable liberté consiste à marcher dans la voie de la vérité, selon sa vocation propre, sachant que chacun aura à rendre compte de sa vie à son Créateur et Sauveur. Il importe que nous sachions proposer aux jeunes un tel chemin, leur rappelant que le véritable épanouissement n'est pas à n'importe quel prix et les invitant à ne pas se contenter de suivre toutes les modes qui se présentent. Ainsi, ils sauront avec courage et ténacité discerner le chemin de la liberté et du bonheur, qui suppose de vivre un certain nombre d'exigences et de réaliser les efforts, les sacrifices et les renoncements nécessaires pour agir bien.

Un des défis pour nos contemporains, et particulièrement pour la jeunesse, consiste à accepter de ne pas vivre simplement dans l'extériorité, dans le paraître, mais à développer la vie intérieure, lieu unificateur de l'être et de l'agir, lieu de la reconnaissance de notre dignité d'enfants de Dieu appelés à la liberté, non pas en se séparant de la source de la vie, mais en y demeurant relié. Ce qui réjouit le cœur de l'homme, c'est de se reconnaître fils et filles de Dieu, c'est une vie belle et bonne sous le regard de Dieu, ainsi que les victoires réalisées sur le mal et contre le mensonge. En permettant à chacun de découvrir que sa vie a un sens et qu'il en est responsable, nous ouvrons la voie à une maturation des personnes et à une humanité réconciliée, soucieuse du bien commun.

Le savant russe Sakharov en est un exemple; alors que, sous la période communiste, sa liberté extérieure était entravée, sa liberté intérieure, que nul ne pouvait lui enlever, l'autorisait à prendre la parole pour défendre avec fermeté ses compatriotes, au nom même du bien commun. Aujourd'hui encore, il importe que l'homme ne se laisse pas entraver par des chaînes extérieures, telles que le relativisme, la recherche du pouvoir et du profit à tout prix, la drogue, des relations affectives désordonnées, la confusion au niveau du mariage, la non-reconnaissance de l'être humain dans toutes les étapes de son existence, de sa conception à sa fin naturelle, laissant penser qu'il y a des périodes où l'être humain n'existerait pas vraiment. Nous devons avoir le courage de rappeler à nos contemporains ce qu'est l'homme et ce qu'est l'humanité. J'invite les Autorités civiles et les personnes qui ont une fonction dans la transmission des valeurs à avoir toujours ce courage de la vérité sur l'homme.



22 avril 207 - Homélie Messe à Pavie
La première conversion fondamentale de Saint Augustin fut le chemin intérieur vers le christianisme, vers le "oui" de la foi et du Baptême. Quel fut l'aspect essentiel de ce chemin? Augustin, d'une part, était le fils de son temps, profondément conditionné par les habitudes et par les passions qui dominaient en lui, ainsi que par toutes les questions et les problèmes d'un jeune homme. Il vivait comme tous les autres et toutefois, il y avait quelque chose de différent en lui: il demeura toujours une personne en recherche. Il ne se contenta jamais de la vie telle qu'elle se présentait et comme tous la vivaient. Il était toujours tourmenté par la question de la vérité. Il voulait trouver la vérité. Il voulait réussir à savoir ce qu'est l'homme; d'où provient le monde; d'où nous venons nous-mêmes, où nous allons et comment nous pouvons trouver la vie véritable. Il voulait trouver une vie droite et pas seulement vivre aveuglément sans sens, ni but. La passion pour la vérité est la véritable parole-clé de sa vie. La passion pour la vérité l'a véritablement guidé. Et il y a encore une particularité. Tout ce qui ne portait pas le nom du Christ ne lui suffisait pas. L'amour pour ce nom - nous dit-il - avait été bu avec le lait même de sa mère (cf. Conf. 3, 4, 8). Et il avait toujours cru, parfois plutôt vaguement, parfois plus clairement - que Dieu existe et qu'il prend soin de nous (cf. Conf. 6, 5, 8). Mais connaître véritablement ce Dieu, se familiariser véritablement avec Jésus Christ et arriver à Lui dire "oui" avec toutes les conséquences que cela comporte - telle était la grande lutte intérieure de ses années de jeunesse.



11 juin 2007, au congrès annuel du Diocèse de Rome, Basilique Saint Jean de Latran
L'expérience quotidienne nous dit - et nous le savons tous - qu'éduquer à la foi en particulier aujourd'hui n'est pas chose facile. Aujourd'hui, en réalité, chaque œuvre éducative semble devenir toujours plus difficile et précaire. On parle donc d'une grande "urgence éducative", de la difficulté croissante que l'on rencontre dans la transmission aux nouvelles générations des valeurs fondamentales de l'existence et d'un comportement droit, difficulté qui touche tant l'école que la famille et, peut-on dire, tout autre organisme qui se fixe des objectifs éducatifs. Nous pouvons ajouter qu'il s'agit d'une urgence inévitable: dans une société et dans une culture qui, trop souvent, font du relativisme leur propre credo - le relativisme est devenu une sorte de dogme -, dans une telle société manque la lumière de la vérité, on considère même dangereux de parler de vérité, on considère cela "autoritaire", et l'on finit par douter de la bonté de la vie - est-il bon d'être un homme? Est-il bon de vivre? - et de la validité des rapports et des engagements qui constituent la vie. Comment serait-il possible alors, de proposer aux plus jeunes et de transmettre de génération en génération quelque chose de valable et de sûr, des règles de vie, une signification authentique et des objectifs convaincants pour l'existence humaine, que ce soit en tant que personnes ou que communauté? C'est pourquoi l'éducation tend largement à se réduire à la transmission de compétences déterminées, ou de capacité de faire, tandis que l'on cherche à satisfaire le désir de bonheur des nouvelles générations en les comblant d'objets de consommation et de gratifications éphémères. Ainsi, tant les parents que les enseignants sont facilement tentés d'abdiquer leurs devoirs d'éducation, et de ne même plus comprendre quels sont leur rôle, ou mieux, la mission qui leur est confiée. Mais précisément ainsi, nous n'offrons pas aux jeunes, aux nouvelles générations, ce qui est de notre devoir de leur transmettre. Nous sommes débiteurs à leur égard également des véritables valeurs qui donnent leur fondement à la vie.

Aujourd'hui surtout, alors que l'isolement et la solitude sont une condition diffuse, à laquelle le bruit et le conformisme de groupe n'apportent pas de réel remède, l'accompagnement personnel, qui donne à la personne qui grandit la certitude d'être aimé, compris et écouté, devient décisif. De façon concrète, cet accompagnement doit faire toucher du doigt le fait que notre foi n'est pas quelque chose du passé, qu'elle peut être vécue aujourd'hui et qu'en la vivant, nous trouvons réellement notre bien. Ainsi, les enfants et les jeunes peuvent être aidés à se libérer des préjugés diffus et peuvent se rendre compte que la façon de vivre chrétienne est réalisable et raisonnable, et qu'elle est même de loin la plus raisonnable.

Au fur et à mesure que les enfants grandissent, croît naturellement en eux le désir d'autonomie personnelle, qui devient facilement, en particulier au cours de l'adolescence, une prise de distance critique vis-à-vis de leur famille. La proximité qui peut être assurée par le prêtre, par la religieuse, par le catéchiste ou par d'autres éducateurs capables de rendre concret pour un jeune le visage ami de l'Eglise et l'amour du Christ, se révèle alors particulièrement importante. Pour engendrer des effets positifs qui durent dans le temps, notre proximité doit être consciente que le rapport éducatif est une rencontre de liberté et que l'éducation chrétienne elle-même est une formation à la liberté authentique. Toute véritable proposition éducative conduit en effet à une décision, tout en restant respectueuse et pleine d'amour, et la proposition chrétienne interpelle précisément totalement la liberté, en l'appelant à la foi et à la conversion. Comme je l'ai dit au Congrès ecclésial de Vérone, "une éducation véritable doit réveiller le courage des décisions définitives, qui sont aujourd'hui considérées comme un lien qui porte atteinte à notre liberté, mais qui en réalité sont indispensables pour croître et parvenir à quelque chose de grand dans la vie, en particulier pour faire mûrir l'amour dans toute sa beauté: et donc pour donner consistance et signification à la liberté elle-même" (Discours du 19 octobre 2006). Lorsqu'ils sentent qu'ils sont respectés et pris au sérieux en ce qui concerne leur liberté, les adolescents et les jeunes, en dépit de leur inconstance et fragilité, sont tout à fait disponibles à se laisser interpeller par des propositions exigeantes: ils se sentent même attirés et souvent fascinés par elles. Ils veulent également manifester leur générosité dans le dévouement aux grandes valeurs qui sont éternelles et qui constituent le fondement de la vie.

L'éducateur authentique prend également au sérieux la curiosité intellectuelle qui existe déjà chez les enfants et qui, avec les années, revêt des formes plus conscientes. Sollicité et souvent égaré par la multiplicité des informations et par le contraste des idées et des interprétations qui lui sont continuellement proposées, le jeune d'aujourd'hui conserve toutefois en lui un grand besoin de vérité: il est donc ouvert à Jésus Christ qui, comme nous le rappelle Tertullien (De virginibus velaudis, I, 1) "a affirmé être la vérité, non l'habitude". Notre devoir est de tenter de répondre à la demande de vérité en confrontant sans crainte la proposition de la foi avec la raison de notre temps. Nous aiderons ainsi les jeunes à élargir les horizons de leur intelligence, en s'ouvrant au mystère de Dieu, dans lequel se trouvent le sens et la direction de l'existence, et en surmontant les conditionnements d'une rationalité qui ne se fie que de ce qui peut être objet d'expérience et de calcul.

Aujourd'hui, plus que par le passé, l'éducation et la formation de la personne sont influencées par les messages et par le climat diffus qui sont véhiculés par les moyens de communication de masse et qui s'inspirent d'une mentalité et d'une culture caractérisées par le relativisme, le consumérisme et par une exaltation fausse et destructrice, ou plus exactement, une profanation du corps et de la sexualité. C'est pourquoi, précisément en raison de ce grand "oui" que, en tant que croyants dans le Christ, nous disons à l'homme aimé de Dieu, nous ne pouvons certainement pas nous désintéresser de l'orientation générale de la société à laquelle nous appartenons, des tendances qui l'animent et des influences positives ou négatives qu'elle exerce sur la formation des nouvelles générations. La présence même de la communauté des croyants, son engagement éducatif et culturel, le message de foi, de confiance et d'amour dont elle est porteuse, sont en réalité un service inestimable à l'égard du bien commun et en particulier à l'égard des enfants et des jeunes qui se forment et se préparent à la vie.



17 juin 2007, avec les jeunes, à Assise ; à l'occasion du 8ème centenaire de la conversion de Saint François.
La conversion de Saint François eut lieu lorsqu'il était au plus fort de sa vitalité, de ses expériences, de ses rêves. Il avait passé vingt-cinq ans sans venir à bout du sens de la vie. Peu de mois avant de mourir, il se rappellera de cette période comme du temps où "il était dans le péché" (cf. 2 Test 1: FF 110).

A quoi pensait François, en parlant de péchés? D'après les biographies, dont chacune possède un point de vue personnel, cela n'est pas facile à déterminer. L'on trouve un portrait évocateur de sa façon de vivre dans la Légende des trois compagnons, où l'on lit: "François était très gai et généreux, se consacrant aux jeux et aux chants, il errait dans les rues d'Assise jour et nuit, avec des amis de son espèce, si généreux à la dépense qu'il dissipa en repas et autres choses tout ce qu'il pouvait avoir ou gagner" (3 Comp 1, 2: FF 1396). De combien de jeunes pourrait-on dire la même chose de nos jours également? De plus, aujourd'hui, il y a la possibilité d'aller se divertir bien au-delà de sa propre ville. Les initiatives de divertissement au cours des week-ends rassemblent de nombreux jeunes. On peut "errer" également virtuellement en "naviguant" sur Internet, en recherchant des informations ou des contacts en tout genre. Malheureusement, ne manquent pas - et ils sont même hélas trop nombreux! -, les jeunes qui cherchent des paysages mentaux aussi vides que destructeurs dans les paradis artificiels de la drogue. Comment nier qu'il y a tant de jeunes et de moins jeunes qui sont tentés de suivre de près la vie du jeune François, avant sa conversion ? Derrière cette façon de vivre, il y avait le désir de bonheur qui habite tout cœur humain. Mais cette vie pouvait-elle apporter la joie véritable? François ne la trouva certainement pas. Vous-mêmes, chers jeunes, vous pouvez vérifier cela à partir de votre propre expérience. La vérité est que les choses finies peuvent apporter des lueurs de joie, mais seul l'Infini peut remplir le cœur. C'est ce qu'a dit un autre grand converti, saint Augustin: "Tu nous as faits pour toi, ô Seigneur, et notre cœur sera agité tant qu'il ne repose pas en toi" (Confess. 1, 1).

Dans la Légende des trois compagnons, on nous rapporte que François était assez vaniteux. Il aimait se faire confectionner des habits somptueux et il recherchait l'originalité (cf. 3 Comp 1, 2: FF 1396). Dans la vanité, dans la recherche de l'originalité, il y a quelque chose qui nous touche tous d'une certaine façon. Aujourd'hui, on a l'habitude de parler de "soin de l'image" ou de "recherche de l'image". Pour avoir un minimum de succès, il faut nous faire valoir aux yeux des autres avec quelque chose d'inédit, d'original. Dans une certaine mesure, cela peut exprimer un désir innocent d'être bien accueillis. Mais souvent s'insinuent l'orgueil, la recherche effrénée de nous-mêmes, l'égoïsme et le désir de domination. En réalité, concentrer sa vie sur soi-même est un piège mortel: nous ne pouvons être nous-mêmes que si nous nous ouvrons à l'amour, en aimant Dieu et nos frères.



9 août 2007 - Aux participants de la « Mission des Jeunes » promuepar le diocèse de Madrid
En visitant les lieux où Pierre et Paul annoncèrent l'Evangile, où ils donnèrent leur vie pour le Seigneur et où beaucoup d'autres furent également persécutés et martyrisés à l'aube de l'Eglise, vous avez pu mieux comprendre pourquoi la foi en Jésus Christ, en ouvrant les horizons d'une vie nouvelle, de liberté authentique et d'une espérance sans limite, exige la mission, l'élan qui naît d'un cœur consacré généreusement à Dieu et le témoignage courageux de Celui qui est le Chemin, la Vérité, la Vie. C'est ce qui eut lieu ici, à Rome, il y a de nombreux siècles, dans un milieu qui ignorait le Christ, unique Sauveur du genre humain et du monde; c'est ce qui a toujours eu lieu, et ce qui a lieu également aujourd'hui, lorsque autour de vous, vous voyez les nombreuses personnes qui l'ont oublié ou qui s'en désintéressent, éblouies par tant de signes passagers qui promettent beaucoup mais qui laissent le cœur vide.



9 septembre 2007 - Homélie Messe Cathédrale Sain Etienne, à Vienne
"Qui veut en effet sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi, celui-là la sauvera. Que sert donc à l'homme de gagner le monde entier, s'il se perd ou se ruine lui-même?" (Lc 9, 24sq). Qui veut posséder seulement sa propre vie, la prendre seulement pour soi-même, la perdra. Seul celui qui se donne reçoit sa vie. En d'autres termes: seul celui qui aime trouve la vie. Et l'amour exige toujours de sortir de soi-même, exige toujours de se quitter soi-même. Celui qui se tourne en arrière pour se chercher et veut avoir l'autre seulement pour soi, se perd précisément de cette manière lui-même et l'autre. Sans cette perte plus profonde de soi-même, il n'y a pas de vie. La soif fébrile de vie qui aujourd'hui ne laisse pas les hommes en paix finit dans le vide de la vie perdue. "Qui perdra sa vie à cause de moi...", dit le Seigneur: une manière de se quitter soi-même de manière plus radicale n'est possible que si à travers cela, en fin de compte, nous ne tombons pas dans le vide, mais dans les mains de l'Amour éternel. Seul l'amour de Dieu, qui s'est perdu lui-même pour nous en se remettant à nous, nous permet à nous aussi de devenir libres, de nous laisser aller et ainsi de trouver véritablement la vie. Il est vrai que tout le savoir du monde ne nous sert à rien, si nous n'apprenons pas à vivre, si nous n'apprenons pas ce qui compte vraiment dans la vie.



21 octobre 2007 - Homélie Messe à Naples
La bataille entre les Israélites et les Amalécites (cf. Ex 17, 8-13a). Ce qui détermina l'issue de ce dur conflit fut précisément la prière adressée avec foi au vrai Dieu. Alors que Josué et ses hommes affrontaient les adversaires sur le champ de bataille, Moïse était sur la cime de la colline avec les mains levées, dans la position de la personne en prière. Ces mains levées du grand condottiere garantirent la victoire d'Israël. Dieu était avec son peuple, il en voulait la victoire, mais son intervention était conditionnée par les mains levées de Moïse. Cela semble incroyable, mais c'est ainsi: Dieu a besoin des mains levées de son serviteur! Les bras levés de Moïse font penser à ceux de Jésus sur la Croix: les bras ouverts et cloués avec lesquels le Rédempteur a vaincu la bataille décisive contre l'ennemi infernal. Sa lutte, ses mains levées vers le Père et ouvertes sur le monde demandent d'autres bras, d'autres cœurs qui continuent à s'offrir avec son même amour, jusqu'à la fin du monde. Comme Moïse sur la montagne, persévérez dans la prière pour affronter chaque jour le bon combat de l'Evangile.

Intérieurement illuminés par la Parole de Dieu, regardons la réalité de votre ville, où ne manquent pas des énergies saines, des personnes bonnes, culturellement préparées et possédant un grand sens de la famille. Cependant, pour de nombreuses personnes, il n'est pas simple de vivre: il y a tant de situations de pauvreté, de carence de logements, de chômage ou de sous-emploi, de manque de perspectives d'avenir. La violence tend malheureusement à devenir une mentalité courante, s'insinuant dans les plis de la vie sociale, dans les quartiers historiques du centre et dans les banlieues nouvelles et anonymes, avec le risque d'attirer en particulier la jeunesse, qui grandit dans des milieux dans lesquels prospère l'illégalité, le manque de transparence et l'art de s'arranger. Comme il est alors important d'intensifier les efforts pour établir une stratégie sérieuse de prévention, en s'appuyant sur l'école, sur le travail et sur une aide aux jeunes pour gérer leur temps libre. Une intervention est nécessaire, qui interpelle chacun dans la lutte contre toute forme de violence, à partir de la formation des consciences et en transformant les mentalités, les attitudes, les comportements de tous les jours. J'adresse cette invitation à chaque homme et femme de bonne volonté.






2008



21 janvier 2008 - Lettre aux Romains sur l'éducation
Nous avons tous à cœur le bien des personnes que nous aimons, en particulier de nos enfants, adolescents et jeunes. Nous savons, en effet, que c'est d'eux que dépend l'avenir de notre ville. Nous ne pouvons donc qu'être attentifs à la formation des nouvelles générations, à leur capacité de s'orienter dans la vie et de discerner le bien du mal, à leur santé non seulement physique, mais aussi morale.

Eduquer n'a toutefois jamais été facile et cela semble devenir encore plus difficile aujourd'hui. Les parents, les enseignants, les prêtres et tous ceux qui exercent des responsabilités éducatives directes le savent bien. On parle donc d'une grande "urgence éducative" confirmée par les échecs auxquels se heurtent trop souvent nos efforts pour former des personnes solides, capables de collaborer avec les autres et de donner un sens à leur vie. Nous en rejetons alors spontanément la faute sur les nouvelles générations, comme si les enfants qui naissent aujourd'hui étaient différents de ceux qui naissaient jadis. On parle, en outre, d'une "fracture entre les générations", qui existe certes et qui est importante, mais qui est l'effet, plutôt que la cause, du manque de transmission de certitudes et de valeurs.

Devons-nous alors rejeter la faute sur les adultes d'aujourd'hui, qui ne seraient plus capables d'éduquer? La tentation de renoncer est certainement forte, chez les parents et chez les enseignants et, plus généralement, chez les éducateurs, et plus encore le risque de ne pas même comprendre quel est leur rôle ou mieux, la mission qui leur est confiée. En réalité, ce qui est en question ce sont non seulement les responsabilités personnelles des adultes ou des jeunes, qui existent effectivement et ne doivent pas être cachées, mais aussi une atmosphère diffuse, une mentalité et une forme de culture qui conduisent à douter de la valeur de la personne humaine, de la signification même de la vérité et du bien, en dernier ressort, de la bonté de la vie. Il devient alors difficile de transmettre d'une génération à l'autre quelque chose de valable et de certain, des règles de comportement, des objectifs crédibles autour desquels construire sa vie.

Aussi, chers frères et sœurs de Rome, voudrais-je vous dire une parole très simple. N'ayez pas peur! Toutes ces difficultés, en effet, ne sont pas insurmontables. Elles sont plutôt, pour ainsi dire, le revers de la médaille du grand et précieux don qu'est notre liberté, avec la responsabilité qui précisément l'accompagne. A la différence de ce qui se produit dans le domaine technique ou économique, où les progrès d'aujourd'hui peuvent s'ajouter à ceux du passé, dans le cadre de la formation et de la croissance morale des personnes une telle possibilité d'accumulation n'existe pas, car la liberté de l'homme est toujours nouvelle et donc chaque personne et chaque génération doit prendre à nouveau et personnellement ses décisions. Même les plus grandes valeurs du passé ne peuvent pas être transmises en héritage; elles doivent, de fait, être faites nôtres et renouvelées à travers un choix personnel souvent laborieux.

Toutefois, quand les fondations sont ébranlées ou quand les certitudes essentielles font défaut, le besoin de ces valeurs recommence à se faire sentir de façon urgente: ainsi, concrètement, la demande d'une éducation qui soit une réelle éducation, augmente aujourd'hui. Les parents, préoccupés et souvent angoissés pour l'avenir de leurs enfants, la demandent; beaucoup d'enseignants, qui vivent la triste expérience de la dégradation de leurs écoles, la demandent; la société dans son ensemble, qui voit mettre en doute les bases mêmes de la coexistence, la demande; les enfants et les jeunes, qui ne veulent pas être laissés seuls face aux défis de la vie, la demandent au plus profond d'eux-mêmes. Par ailleurs, celui qui croit en Jésus Christ a une autre raison, plus forte encore, de ne pas avoir peur: il sait, en effet, que Dieu ne nous abandonne pas, que son amour nous atteint là où nous sommes et tels que nous sommes, avec nos pauvretés et nos faiblesses, pour nous offrir une nouvelle possibilité de bien.

Chers frères et sœurs, pour rendre plus concrètes mes réflexions, il peut être utile de discerner quelques exigences communes d'une éducation authentique. Elle a besoin avant tout de cette proximité et de cette confiance qui naissent de l'amour; je pense à l'expérience première et fondamentale de l'amour que font, ou du moins devraient faire, les enfants avec leurs parents. Mais tout éducateur véritable sait que pour éduquer il doit donner quelque chose de lui-même et qu'ainsi seulement il peut aider ses élèves à surmonter leurs égoïsmes et à devenir, à leur tour, capables d'un amour authentique.

Chez le petit enfant déjà, il existe un grand désir de savoir et de comprendre qui se manifeste dans ses questions et ses demandes d'explications incessantes. Une éducation qui se limiterait à fournir des notions et des informations, mais qui laisserait de côté la grande question concernant la vérité, surtout cette vérité qui peut servir de guide dans notre vie, serait une bien pauvre éducation.

La souffrance aussi fait partie de la vérité de notre vie. Par conséquent, en cherchant à tenir les plus jeunes à l'écart de toute difficulté et expérience de la douleur, nous risquons de faire grandir, malgré nos bonnes intentions, des personnes fragiles et peu généreuses: la capacité d'aimer correspond, de fait, à la capacité de souffrir et de souffrir ensemble.

Nous en arrivons ainsi, chers amis de Rome, au point sans doute le plus délicat de l'œuvre éducative: trouver un juste équilibre entre la liberté et la discipline. Sans règles de comportement et de vie, mises en évidence jour après jour jusque dans les petites choses, on ne forme pas le caractère et on n'est pas préparé à affronter les épreuves qui ne manqueront pas à l'avenir. Cependant, la relation éducative est avant tout la rencontre de deux libertés et l'éducation bien réussie est une formation au bon usage de la liberté. Au fur et à mesure que l'enfant grandit, il devient un adolescent, puis un jeune; nous devons donc accepter le risque de la liberté, en demeurant toujours prêts à l'aider à corriger des idées et des choix erronés. En revanche, ce que nous ne devons jamais faire, c'est de le seconder dans les erreurs, faire semblant de ne pas voir, ou pire de les partager, comme si elles étaient les frontières du progrès humain.

L'éducation ne peut donc pas se passer de cette autorité morale qui rend crédible l'exercice des rapports d'autorité. Elle est le fruit de l'expérience et de la compétence, mais s'acquiert surtout par la cohérence de sa propre vie et par l'implication personnelle, expression de l'amour véritable. L'éducateur est donc un témoin de la vérité et du bien: certes, il est fragile lui aussi et peut se tromper, mais il cherchera toujours à être en harmonie avec sa mission.

Très chers fidèles de Rome, ces simples considérations font apparaître combien est décisif, dans l'éducation, le sens des responsabilités: responsabilité de l'éducateur, certes, mais aussi, et dans une mesure croissante avec l'âge, responsabilité du fils, de l'élève, du jeune qui entre dans le monde du travail. Celui qui sait se répondre à lui-même et répondre aux autres est responsable. En outre, celui qui croit cherche avant tout à répondre à Dieu qui l'a aimé le premier.

La responsabilité est en premier lieu personnelle, mais il existe aussi une responsabilité que nous partageons ensemble, comme citoyens d'une même ville et d'une nation, comme membres de la famille humaine et, si nous sommes croyants, comme fils d'un unique Dieu et membres de l'Eglise. De fait, les idées, les styles de vie, les lois, les orientations globales de la société dans laquelle nous vivons, et l'image qu'elle donne d'elle-même à travers les moyens de communication, exercent une grande influence sur la formation des nouvelles générations, pour le bien, mais souvent aussi pour le mal. La société n'est toutefois pas une abstraction; à la fin, nous sommes nous-mêmes, tous ensemble, avec les orientations, les règles et les représentants que nous nous donnons, bien que les rôles et les responsabilités de chacun soient différents. La contribution de chacun de nous est donc nécessaire, de chaque personne, famille ou groupe social, car la société, à commencer par notre ville de Rome, devient un milieu plus favorable à l'éducation.
Je voudrais enfin vous soumettre une pensée que j'ai développée dans la récente Lettre encyclique Spe Salvi sur l'espérance chrétienne: seule une espérance fiable peut être l'âme de l'éducation, comme de la vie tout entière. Aujourd'hui notre espérance est assiégée de toutes parts et nous risquons de redevenir nous aussi, comme les païens d'autrefois, des hommes "sans espérance et sans Dieu dans ce monde", comme l'écrivait l'Apôtre Paul aux chrétiens d'Ephèse (Ep 2, 12). C'est ici précisément que naît la difficulté peut-être la plus profonde pour une véritable œuvre éducative: à la racine de la crise de l'éducation se trouve, en effet, une crise de confiance dans la vie.

Je ne peux donc pas terminer cette lettre sans une chaleureuse invitation à placer en Dieu notre espérance. Lui seul est l'espérance qui résiste à toutes les déceptions; seul son amour ne peut pas être détruit par la mort; seules sa justice et sa miséricorde peuvent panser les injustices et récompenser les souffrances subies. L'espérance qui s'adresse à Dieu n'est jamais une espérance pour moi seul, c'est toujours aussi une espérance pour les autres: elle ne nous isole pas, mais nous rend solidaires dans le bien, nous stimule à nous éduquer réciproquement à la vérité et à l'amour.



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