Benoît XVI de A à Z

Mathématiques

2006



6 avril 2006 - Rencontre avec les jeunes du diocèse de Rome, Place Saint Pierre
Le grand Galilée a dit que Dieu a écrit le livre de la nature sous la forme du langage mathématique. Il était convaincu que Dieu nous a donné deux livres: celui de l'Ecriture Sainte et celui de la nature. Et le langage de la nature - telle était sa conviction - sont les mathématiques, celles-ci sont donc un langage de Dieu, du Créateur. Réfléchissons à présent sur ce que sont les mathématiques: en soi, il s'agit d'un système abstrait, d'une invention de l'esprit humain, qui comme tel, dans sa pureté, n'existe pas. Il est toujours réalisé de manière approximative, mais - comme tel - c'est un système intellectuel, c'est une grande, géniale invention de l'esprit humain. La chose surprenante est que cette invention de notre esprit humain, est vraiment la clef pour comprendre la nature, que la nature est réellement structurée de façon mathématique et que nos mathématiques, inventées par notre esprit, sont réellement l'instrument pour pouvoir travailler avec la nature, pour la mettre à notre service, pour l'instrumentaliser à travers la technique.

Cela me semble une chose presque incroyable qu'une invention de l'esprit humain et la structure de l'univers coïncident: les mathématiques, que nous avons inventées, nous donnent réellement accès à la nature de l'univers et nous le rendent utilisable. La structure intellectuelle du sujet humain et la structure objective de la réalité coïncident donc: la raison subjective et la raison objective dans la nature sont identiques. Je pense que cette coïncidence entre ce que nous avons pensé et la façon dont se réalise et se comporte la nature est une énigme et un grand défi, car nous voyons que, à la fin, c'est "une" raison qui les relie toutes les deux: notre raison ne pourrait pas découvrir cette autre, s'il n'existait pas une raison identique à la source de toutes les deux.

Dans ce sens, il me semble précisément que les mathématiques - dans lesquelles, en tant que telles, Dieu ne peut apparaître -, nous montrent la structure intelligente de l'univers. Certes, il existe également les théories du chaos, mais elles sont limitées car si le chaos prenait le dessus, toute la technique deviendrait impossible. Ce n'est que parce que notre mathématique est fiable que la technique est fiable. Notre science, qui permet finalement de travailler avec les énergies de la nature, suppose une structure fiable, intelligente, de la matière. Et ainsi, nous voyons qu'il y a une rationalité subjective et une rationalité objective de la matière, qui coïncident. Naturellement, personne ne peut prouver - comme on le prouve par l'expérience, dans les lois techniques - que les deux soient réellement le fruit d'une unique intelligence, mais il me semble que cette unité de l'intelligence, derrière les deux intelligences, apparaisse réellement dans notre monde. Et plus nous pouvons instrumentaliser le monde avec notre intelligence, plus apparaît le dessein de la Création.

Je dirais: ou Dieu existe, ou il n'existe pas. Il n'existe que deux options. Ou l'on reconnaît la priorité de la raison, de la Raison créatrice qui est à l'origine de tout et est le principe de tout - la priorité de la raison est également la priorité de la liberté - ou l'on soutient la priorité de l'irrationnel, selon laquelle tout ce qui fonctionne sur notre terre ou dans notre vie ne serait qu'occasionnel, marginal, un produit irrationnel - la raison serait un produit de l'irrationalité. On ne peut pas en ultime analyse "prouver" l'un ou l'autre projet, mais la grande option du Christianisme est l'option pour la rationalité et pour la priorité de la raison. Cela me semble une excellente option, qui nous montre que derrière tout se trouve une grande intelligence, à laquelle nous pouvons nous fier.

Mais le véritable problème contre la foi aujourd'hui me semble être le mal dans le monde: on se demande comment il peut être compatible avec cette rationalité du Créateur. Et ici, nous avons véritablement besoin du Dieu qui s'est fait chair et qui nous montre qu'Il n'est pas une raison mathématique, mais que cette raison originelle est également Amour. Si nous regardons les grandes options, l'option chrétienne est également aujourd'hui la plus rationnelle et la plus humaine. C'est pourquoi nous pouvons élaborer avec confiance une philosophie, une vision du monde qui soit fondée sur cette priorité de la raison, sur cette confiance que la Raison créatrice est amour, et que cet amour est Dieu.



19 octobre 2006 - Discours au Congrès de l'Eglise Italienne, à Verona
A la base du fait d'être chrétien - et donc à l'origine de notre témoignage de croyants - il n'y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec la Personne de Jésus Christ, «qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive» (Deus Caritas Est, 1). La fécondité de cette rencontre se manifeste aussi, de manière particulière et créative, dans le contexte humain et culturel actuel, tout d'abord en relation avec la raison qui a donné vie aux sciences modernes et aux technologies qui en dérivent. Une caractéristique fondamentale de ces dernières est en effet l'emploi systématique des instruments des mathématiques, afin de pouvoir œuvrer avec la nature et mettre ses immenses énergies à notre service. Les mathématiques comme telles sont une création de notre intelligence : la correspondance entre leurs structures et les structures réelles de l'univers - qui est le présupposé de tous les développements scientifiques et technologiques modernes, déjà expressément formulé par Galileo Galilei avec sa célèbre affirmation que le livre de la nature est écrit en langage mathématiques - suscite notre admiration et pose une grande question. Cela implique en effet que l'univers lui-même est structuré de manière intelligente, de manière à ce qu'il existe une correspondance profonde entre notre raison subjective et la raison objective de la nature. Il devient alors inévitable de se demander s'il n'existe pas une unique intelligence originelle, qui est la source commune de l'une et de l'autre. Ainsi, c'est précisément la réflexion sur le développement des sciences qui nous ramène vers le Logos créateur. La tendance à accorder la primauté à l'irrationnel, au hasard et à la nécessité, et à ramener à celui-ci également notre intelligence et notre liberté, est ainsi renversée. Sur ces bases, il devient également à nouveau possible d'élargir les horizons de notre rationalité, de l'ouvrir à nouveau aux grandes questions du vrai et du bien, de conjuguer entre elles la théologie, la philosophie et les sciences, dans le plein respect de leurs propres méthodes et de leur autonomie réciproque, mais également en ayant conscience de l'unité intrinsèque qui les relie. C'est une tâche qui nous revient, une aventure fascinante dans laquelle il vaut la peine de s'engager, pour donner un nouvel élan à la culture de notre temps et pour restituer, en celle-ci, sa pleine citoyenneté à la foi chrétienne.



6 novembre 2006 - A l'Assemblée Plénière de l'Académie Pontificale des Sciences
La méthode scientifique elle-même, dans sa recherche de données, dans leur élaboration et dans leur utilisation dans ses projections, possède des limites intrinsèques qui réduisent nécessairement la prévision scientifique à des contextes et des approches spécifiques. La science ne peut donc pas prétendre fournir une représentation complète, déterministe, de notre avenir et du développement de chaque phénomène qu'elle étudie. La philosophie et la théologie pourraient apporter une contribution importante à cette question fondamentalement épistémologique, par exemple en aidant les sciences empiriques à reconnaître la différence entre l'incapacité mathématique de prévoir des événements déterminés et la validité du principe de causalité, ou entre l'indéterminisme ou la contingence (casualité) scientifique et la causalité au niveau philosophique ou, plus radicalement, entre l'évolution comme origine ultime d'une succession dans l'espace et dans le temps et la création comme origine première de l'être participant de l'Etre essentiel.

Dans le même temps, il existe un niveau plus élevé qui transcende nécessairement les prévisions scientifiques, c'est-à-dire le monde humain de la liberté et de l'histoire. Alors que l'univers physique peut avoir son propre développement spatio-temporel, seule l'humanité, au sens strict, possède une histoire, l'histoire de sa liberté. La liberté, comme la raison, est une partie précieuse de l'image de Dieu en nous et ne peut être réduite à une analyse déterministe. Sa transcendance par rapport au monde matériel doit être reconnue et respectée, car elle est un signe de notre dignité humaine. Nier cette transcendance au nom d'une supposée capacité absolue de la méthode scientifique de prévoir et de conditionner le monde humain, comporterait la perte de ce qui est humain dans l'homme et, en ne reconnaissant pas son unicité et sa transcendance, pourrait dangereusement ouvrir la porte à son exploitation.



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