Congrégation pour la doctrine de la foi

Déclaration sur l'avortement provoqué - 18 novembre 1974

CTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD HTML 4.01 Transitional//EN"> DÉCLARATION "QUESTIO DE ABORTU" SUR L'AVORTEMENT PROVOQUÉ   I. – Introduction 1. LE PROBLÈME DE L'AVORTEMENT provoqué et de son éventuelle libéralisation légale est devenu un peu partout le thème de discussions passionnées. Ces débats seraient moins graves s'il ne s'agissait de la vie humaine, valeur primordiale qu'il est nécessaire de protéger et de promouvoir. Chacun le comprend, même si plusieurs cherchent des raisons pour faire servir à ce but contre toute évidence, même l'avortement. On ne peut en effet manquer de s'étonner de voir grandir à la fois la protestation sans menaces contre la peine de mort, contre toute forme de guerre, et la revendication de rendre libre l'avortement, soit entièrement, soit sur des indications de plus en plus élargies. L'Église a trop conscience qu'il appartient à sa vocation de défendre l'homme contre tout ce qui pourrait le dissoudre ou le rabaisser pour se taire sur un tel sujet : puisque le Fils de Dieu s'est fait homme, il n'y a pas d'homme qui ne soit son frère en humanité et ne soit appelé à devenir chrétien, à recevoir de lui le salut. 2. En de nombreux pays, les pouvoirs publics qui résistent à une libéralisation des lois sur l'avortement sont l'objet de pressions puissantes qui visent à les y conduire. Cela, dit-on, ne violerait aucune conscience, puisqu'on laisserait chacun libre de suivre son opinion, tout en empêchant quiconque d'imposer la sienne à autrui. Le pluralisme éthique est revendiqué comme la conséquence normale du pluralisme idéologique. Il y a pourtant loin de l'un à l'autre, parce que l'action touche plus vite les intérêts d'autrui que la simple opinion et qu'on ne peut jamais se réclamer de la liberté d'opinion pour porter atteinte au droit des autres, très spécialement au droit à la vie. 3. De nombreux laïcs chrétiens, spécialement des médecins, mais aussi des associations de pères et de mères de famille, des hommes politiques ou des personnalités placées à des postes de responsabilité, ont vigoureusement réagi contre cette campagne d'opinion. Mais surtout, beaucoup de Conférences épiscopales et d'évêques, en leur propre nom, ont jugé bon de rappeler sans ambiguïté la doctrine traditionnelle de l'Église (1). Ces documents, dont la convergence est frappante, mettent admirablement en lumière l'attitude à la fois humaine et chrétienne de respect de la vie. Il est cependant arrivé que plusieurs d'entre eux rencontrent ici ou là réserve ou même contestation. 4. Chargée de promouvoir et de défendre la foi et la morale dans l'Église universelle (2), la congrégation pour la Doctrine de la foi se propose de rappeler cet enseignement en ses lignes essentielles à tous les fidèles. Ainsi, en illustrant l'unité de l'Église, elle confirmera de l'autorité propre au Saint-Siège ce que les évêques ont heureusement entrepris. Elle compte que tous les fidèles, y compris ceux qu'ont pu ébranler les controverses et les opinions nouvelles, comprendront qu'il ne s'agit pas d'opposer une opinion à d'autres mais de leur transmettre un enseignement constant du Magistère suprême, qui expose la règle des mœurs dans la lumière de la foi (3). Il est donc clair que cette Déclaration ne peut aller sans une grave obligation pour les consciences chrétiennes (4). Dieu veuille éclairer aussi tous les hommes qui cherchent d'un cœur entier à « faire la vérité » (Jn 3, 21). II. – A la lumière de la foi 5. « Dieu n'a pas fait la mort ; il ne prend pas plaisir à la perte des vivants. » (Sg 1, 13.) Certes, Dieu a créé des êtres qui n'ont qu'un temps et la mort physique ne peut être absente du monde des vivants corporels. Mais ce qui est d'abord voulu, c'est la vie et, dans l'univers visible, tout a été fait en vue de l'homme, image de Dieu et couronnement du monde (Gn 1, 26-28). Au plan humain, « c'est par l'envie du diable que la mort est entrée dans le monde » (Sg 2, 26) ; introduite par le péché, elle lui reste liée, elle en est à la fois le signe et le fruit. Mais elle ne saurait triompher. Confirmant la foi à la résurrection, le Seigneur proclamera dans l'Evangile que « Dieu n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants » (Mt 22, 32), et la mort, comme le péché, sera définitivement vaincue par la résurrection dans le Christ (1 Co 15, 20-27). Aussi comprend-on que la vie humaine, même sur cette terre, soit précieuse. Insufflée par le Créateur (5), c'est par lui qu'elle est reprise (Gn 2, 7 ; Sg 15, 11). Elle reste sous sa protection : le sang de l'homme crie vers lui (Gn 4, 10) et il en demandera compte, « car à l'image de Dieu l'homme a été fait » (Gn 9, 5-6). Le commandement de Dieu est formel : « Tu ne tueras point. » (Ex 20, 13.) En même temps qu'un don, la vie est une responsabilité reçue comme un « talent » (Mt 25, 14-30), elle doit être mise en valeur. Pour la faire fructifier, beaucoup de tâches s'offrent à l'homme en ce monde auxquelles il ne doit pas se soustraire ; mais plus profondément, le chrétien sait que la vie éternelle dépend pour lui de ce qu'avec la grâce de Dieu il aura fait de sa vie sur terre. 6. La tradition de l'Église a toujours considéré que la vie humaine doit être protégée et favorisée dès son début, comme aux diverses étapes de son développement. S'opposant aux mœurs du monde gréco-romain, l'Église des premiers siècles a insisté sur la distance qui, sur ce point, en sépare les mœurs chrétiennes. Dans la Didachè, il est dit clairement : « Tu ne tueras pas par avortement le fruit du sein et tu ne feras pas périr l'enfant déjà né (6). » Athénagoras souligne que les chrétiens tiennent pour homicides les femmes qui utilisent des médecines pour avorter ; il condamne les meurtriers d'enfants, y compris de ceux qui vivent encore dans le sein de leur mère, « où ils sont déjà l'objet des soins de la Providence divine (7) ». Tertullien n'a peut-être pas toujours tenu le même langage ; il n'en affirme pas moins clairement le principe essentiel : « C'est un homicide anticipé que d'empêcher de naître : peu importe qu'on arrache l'âme déjà née ou qu'on la fasse disparaître naissante. Il est déjà un homme celui qui le sera (8). » 7. Tout au long de l'histoire, les Pères de l'Église, ses pasteurs, ses docteurs ont enseigné la même doctrine, sans que les diverses opinions sur le moment de l'infusion de l'âme spirituelle aient introduit un doute sur l'illégitimité de l'avortement. Certes, quand, au Moyen Age, l'opinion était générale que l'âme spirituelle n'était présente qu'après les premières semaines, on a fait une différence dans l'appréciation du péché et la gravité des sanctions pénales ; d'excellents auteurs ont admis, pour cette première période, des solutions casuistiques plus larges, qu'ils repoussaient pour les périodes suivantes. Mais on n'a jamais nié alors que l'avortement provoqué, même en ces premiers jours, fût objectivement une grave faute. Cette condamnation a, de fait, été unanime. Parmi tant de documents, il suffira d'en rappeler quelques-uns. Le premier Concile de Mayence, en 847, reprend les peines établies par les Conciles précédents contre l'avortement et décide que la plus rigoureuse pénitence sera imposée « aux femmes qui provoquent l'élimination du fruit conçu de leur sein (9) ». Le décret de Gratien fait état de ces paroles du Pape Étienne V : « Celui-là est homicide qui fait périr par avortement ce qui était conçu (10). » Saint Thomas, docteur commun de l'Église, enseigne que l'avortement est un péché grave contraire à la loi naturelle (11). Au temps de la Renaissance, le Pape Sixte Quint condamne l'avortement avec la plus grande sévérité (12). Un siècle plus tard, Innocent XI réprouve les propositions de certains canonistes laxistes qui prétendaient excuser l'avortement provoqué avant le moment où d'aucuns fixaient l'animation spirituelle de l'être nouveau (13). De nos jours, les derniers Pontifes romains ont proclamé la même doctrine avec la plus grande netteté : Pie XI a répondu explicitement aux objections les plus graves (14) ; Pie XII a clairement exclu tout avortement direct, c'est-à-dire celui qui est une fin ou un moyen (15) ; Jean XXIII a rappelé l'enseignement des Pères sur le caractère sacré de la vie « qui, dès son début, exige l'action de Dieu créateur (16) ». Tout récemment, le IIe Concile du Vatican, présidé par Paul VI, a très sévèrement condamné l'avortement : « La vie doit être sauvegardée avec un soin extrême dès la conception : l'avortement et l'infanticide sont des crimes abominables (17). » Le même Paul VI, parlant de ce sujet à plusieurs reprises, n'a pas craint de déclarer que cet enseignement de l'Église « n'a pas changé et qu'il est inchangeable (18) ». III. - A la lumière conjointe de la raison 8. Le respect de la vie humaine ne s'impose pas aux seuls chrétiens ; la raison suffit à l'exiger en se basant sur l'analyse de ce qu'est et doit être une personne. Constitué par une nature raisonnable, l'homme est un sujet personnel, capable de réfléchir sur soi-même, de décider de ses actes et donc de son propre destin ; il est libre. Il est par conséquent maître de soi, ou plutôt, parce qu'il se fait dans le temps, il a de quoi le devenir, c'est là sa tâche. Immédiatement créée par Dieu, son âme est spirituelle, donc immortelle. Aussi est-il ouvert sur Dieu ; il ne trouvera qu'en lui son accomplissement. Mais il vit dans la communauté de ses semblables, il se nourrit de la communication interpersonnelle avec eux, dans l'indispensable milieu social. Vis-à-vis de la société et des autres hommes, chaque personne humaine se possède elle-même, elle possède sa vie, ses divers biens, par manière de droit : c'est ce qui exige de tous à son égard une stricte justice. 9. Cependant, la vie temporelle menée en ce monde ne s'identifie pas à la personne ; celle-ci possède en propre un niveau de vie plus profond, qui ne peut pas finir. La vie corporelle est un bien fondamental, ici-bas condition de tous les autres ; mais il y a des valeurs plus hautes, pour lesquelles il pourra être légitime ou même nécessaire de s'exposer au péril de la perdre. Dans une société de personnes, le bien commun est pour chacune une fin, qu'elle doit servir, à laquelle elle saura subordonner son intérêt particulier. Mais il n'est pas sa fin dernière, et à ce point de vue, c'est la société qui est au service de la personne, parce que celle-ci n'accomplira son destin qu'en Dieu. Elle ne peut être définitivement subordonnée qu'à Dieu. On ne pourra jamais traiter un homme comme un simple moyen dont on disposerait pour obtenir une fin plus haute. 10. Sur les droits et les devoirs réciproques de la personne et de la société, il appartient à la morale d'éclairer les consciences, au droit de préciser et d'organiser les prestations. Or il y a précisément un ensemble de droits que la société n'a pas à accorder parce qu'ils lui sont antérieurs, mais qu'elle a pour office de préserver et de faire valoir : tels sont la plupart de ceux qu'on appelle aujourd'hui les « droits de l'homme » et que notre époque se fait gloire d'avoir formulés. 11. Le premier droit d'une personne humaine, c'est sa vie. Elle a d'autres biens et certains sont plus précieux, mais celui-là est fondamental, condition de tous les autres. Aussi doit-il être plus que tout autre protégé. Il n'appartient pas à la société, il n'appartient pas à l'autorité publique, quelle qu'en soit la forme, de reconnaître ce droit à certains et non à d'autres : toute discrimination est inique, qu'elle se fonde sur la race, le sexe, la couleur ou la religion. Ce n'est pas la reconnaissance par autrui qui fait ce droit, il la précède ; il exige d'être reconnu, et il est strictement injuste de le refuser. 12. Une discrimination fondée sur les diverses époques de la vie n'est pas plus justifiée que toute autre. Le droit à la vie reste entier chez un vieillard, même très diminué ; un malade incurable ne l'a pas perdu. Il n'est pas moins légitime chez le petit enfant qui vient de naître que chez l'homme mûr. En réalité, le respect de la vie humaine s'impose dès que commence le processus de la génération. Dès que l'ovule est fécondée, se trouve inaugurée une vie qui n'est celle ni du père ni de la mère, mais d'un nouvel être humain qui se développe pour lui-même. Il ne sera jamais rendu humain s'il ne l'est pas dès lors. 13. A cette évidence de toujours (parfaitement indépendante des débats sur le moment de l'animation) (19), la science génétique moderne apporte de précieuses confirmations. Elle a montré que dès le premier instant se trouve fixé le programme de ce que sera ce vivant : un homme, cet homme individuel avec ses notes caractéristiques déjà bien déterminées. Dès la fécondation est commencée l'aventure d'une vie humaine dont chacune des grandes capacités demande du temps pour se mettre en place et se trouver prête à agir. Le moins qu'on puisse dire est que la science actuelle, en son état le plus évolué, ne donne aucun appui substantiel aux défenseurs de l'avortement. Du reste, il n'appartient pas aux sciences biologiques de porter un jugement décisif sur des questions proprement philosophiques et morales, comme celle du moment où est constituée la personne humaine et de la légitimité de l'avortement. Or, du point de vue moral, ceci est certain : même s'il y avait un doute concernant le fait que le fruit de la conception soit déjà une personne humaine, c'est objectivement un grave péché que d'oser prendre le risque d'un meurtre. « Il est déjà un homme celui qui le sera (20). » IV. - Réponse à quelques objections 14. La loi divine et la raison naturelle excluent donc tout droit de tuer directement un homme innocent. Cependant, si les raisons données pour justifier un avortement étaient toujours manifestement mauvaises et sans valeur, le problème ne serait pas aussi dramatique : sa gravité vient de ce qu'en certains cas, peut-être assez nombreux, en refusant l'avortement, on porte atteinte à des biens importants, auxquels il est normal de tenir, qui peuvent même parfois paraître prioritaires. Nous ne méconnaissons pas ces très grandes difficultés : ce peut être une question grave de santé, parfois de vie ou de mort, pour la mère ; ce peut être la charge que représente un enfant de plus, surtout s'il y a de bonnes raisons de craindre qu'il sera anormal ou demeurera arriéré ; ce peut être le poids que prennent en divers milieux des considérations d'honneur et de déshonneur, de déclassement, etc. Nous proclamons seulement que jamais aucune de ces raisons ne peut donner objectivement le droit de disposer de la vie d'autrui, même commençante ; et, pour ce qui est du malheur futur de l'enfant, personne, pas même le père ou la mère, ne peut se substituer à lui, même s'il est encore à l'état d'embryon, pour préférer en son nom la mort à la vie. Lui-même, en son âge mûr, n'aura jamais le droit de choisir le suicide ; tant qu'il n'est pas en âge de décider de lui-même, ses parents ne peuvent pas davantage choisir pour lui la mort. La vie est un bien trop fondamental pour qu'on le mette ainsi en balance avec des inconvénients même très graves (21). 15. Dans la mesure où le mouvement d'émancipation de la femme vise essentiellement à la libérer de tout ce qui est injuste discrimination, il est parfaitement fondé (22). Il y a, dans les diverses formes de culture, beaucoup à faire sur ce point ; mais on ne peut changer la nature ni soustraire la femme, pas plus que l'homme, à ce que la nature demande d'eux. D'ailleurs, toute liberté publiquement reconnue a toujours pour limites les droits certains d'autrui. 16. Il faut en dire autant de la revendication de liberté sexuelle. Si on entendait par cette expression la maîtrise progressivement acquise de la raison et de l'amour véritable sur les impulsions de l'instinct, sans dépréciation du plaisir, mais en le tenant à sa juste place – et c'est en ce domaine la seule liberté authentique –, il n'y aurait rien à lui objecter ; or, cette liberté-là se gardera toujours d'attenter à la justice. Mais si, au contraire, on entend que l'homme et la femme sont « libres » de rechercher le plaisir sexuel à satiété, sans tenir compte d'aucune loi ni de l'orientation essentielle de la vie sexuelle à ses fruits de fécondité (23), cette idée n'a rien de chrétien ; elle est même indigne de l'homme. De toute façon, elle ne fonde aucun droit de disposer de la vie d'autrui, fût-elle embryonnaire, et de la supprimer, sous prétexte qu'elle est gênante. 17. Les progrès de la science ouvrent et ouvriront de plus en plus à la technique la possibilité d'interventions raffinées dont les conséquences peuvent être très graves, en bien comme en mal. Ce sont des conquêtes en elles-mêmes admirables de l'esprit humain. Mais la technique ne saurait échapper au jugement de la morale, parce qu'elle est faite pour l'homme et doit en respecter les finalités. Pas plus qu'on n'a le droit d'utiliser à n'importe quelle fin l'énergie nucléaire, pas plus on n'est autorisé à manipuler la vie humaine en n'importe quel sens : ce ne doit être qu'à son service, pour mieux assurer le jeu de ses capacités normales, pour prévenir ou guérir les maladies, concourir au meilleur épanouissement de l'homme. Il est vrai que l'évolution des techniques rend de plus en plus facile l'avortement précoce ; l'appréciation morale ne s'en trouve pas modifiée. 18. Nous savons quelle gravité peut revêtir pour certaines familles et pour certains pays le problème de la régulation des naissances : c'est pour cela que le dernier Concile, puis l'encyclique Humanae vitae, du 25 juillet 1968, ont parlé de « paternité responsable (24) ». Ce que nous voulons redire avec force, comme l'ont rappelé la Constitution conciliaire Gaudium et spes, l'encyclique Populorum progressio, et d'autres documents pontificaux, c'est que jamais, sous aucun prétexte, l'avortement ne peut être utilisé ni par une famille ni par l'autorité politique comme un moyen légitime de régulation des naissances (25). L'atteinte aux valeurs morales est toujours pour le bien commun un mal plus grand que n'importe quel inconvénient d'ordre économique ou démographique. V. - La morale et le droit 19. La discussion morale s'accompagne un peu partout de graves débats juridiques. Il n'y a pas de pays dont la législation n'interdise et ne punisse l'homicide. Beaucoup en outre avaient précisé cette interdiction et ces peines dans le cas spécial de l'avortement provoqué. De nos jours, un vaste mouvement d'opinion demande une libéralisation de cette dernière interdiction. C'est déjà une tendance assez générale que de vouloir restreindre le plus possible toute législation répressive, surtout quand elle paraît entrer dans le domaine de la vie privée. On reprend en outre l'argument du pluralisme : si beaucoup de citoyens, en particulier les fidèles de l'Église catholique, condamnent l'avortement, beaucoup d'autres le tiennent pour licite au moins au titre du moindre mal ; pourquoi leur imposer de suivre une opinion qui n'est pas la leur, surtout dans un pays où ils seraient majoritaires ? Par ailleurs, là où elles existent encore, les lois qui condamnent l'avortement se révèlent difficiles à appliquer : le délit est devenu trop fréquent pour qu'on puisse sévir toujours, et les pouvoirs publics trouvent souvent plus sage de fermer les yeux. Mais garder une loi qu'on n'applique pas ne va jamais sans détriment pour l'autorité de toutes les autres. Il faut ajouter que l'avortement clandestin expose aux plus grands dangers pour leur fécondité future, mais aussi souvent pour leur vie, les femmes qui se résignent à y recourir. Même s'il continue de considérer l'avortement comme un mal, le législateur ne peut-il se proposer d'en limiter les dégâts ? 20. Ces raisons, et d'autres encore que l'on entend de divers côtés, ne sont pas décisives. Il est vrai que la loi civile ne peut vouloir recouvrir tout le domaine de la morale ou punir toutes les fautes ; personne ne le lui demande. Elle doit souvent tolérer ce qui est en définitive un moindre mal pour en éviter un plus grand. Il faut cependant prendre garde à ce que peut représenter un changement de législation. Beaucoup prendront pour une autorisation ce qui n'est peut-être que le renoncement à punir. Bien plus, dans le cas présent, ce renoncement même paraît inclure à tout le moins que la législation ne considère plus l'avortement comme un crime contre la vie humaine, puisque l'homicide reste toujours gravement puni. Il est vrai que la loi n'a pas à trancher entre des opinions ou à imposer l'une plutôt que l'autre. Mais la vie de l'enfant prévaut sur toute l'opinion : on ne peut invoquer la liberté de pensée pour la lui enlever. 21. Le rôle de la loi n'est pas d'enregistrer ce qui se fait, mais d'aider à mieux faire. C'est en tout cas la mission de l'Etat de préserver les droits de chacun, de protéger les plus faibles. Il lui faudra pour cela redresser bien des torts. La loi n'est pas obligée de tout sanctionner mais elle ne peut aller contre une loi plus profonde et plus auguste que toute loi humaine, la loi naturelle inscrite dans l'homme par le Créateur comme une norme que la raison déchiffre et travaille à bien formuler, qu'il faut toujours s'efforcer de mieux comprendre, mais qu'il est toujours mal de contredire. La loi humaine peut renoncer à punir, mais elle ne peut déclarer innocent ce qui serait contraire au droit naturel, car cette opposition suffit à faire qu'une loi ne soit pas une loi. 22. Il doit être en tout cas bien entendu qu'un chrétien ne peut jamais se conformer à une loi en elle-même immorale ; et tel est le cas de celle qui admettrait en principe la licéité de l'avortement. Il ne peut ni participer à une campagne d'opinion en faveur d'une telle loi ni donner à celle-ci son suffrage. Il ne pourra pas davantage collaborer à son application. Il est par exemple inadmissible que des médecins ou des infirmières se trouvent mis dans l'obligation de concourir de façon prochaine à des avortements et doivent choisir entre la loi chrétienne et leur situation professionnelle. 23. Ce qui par contre appartient à la loi, c'est de poursuivre une réforme de la société, des conditions de vie dans tous les milieux, à commencer par les plus défavorisés, pour que soit toujours et partout rendu possible un accueil digne de l'homme à tout enfant venant en ce monde. Aide aux familles et aux mères célibataires, allocations assurées aux enfants, statuts pour les enfants naturels et organisation raisonnable de l'adoption : toute une politique positive est à promouvoir pour qu'il y ait toujours à l'avortement une alternative concrètement possible et honorable. VI. – Conclusion 24. Suivre sa conscience dans l'obéissance à la loi de Dieu n'est pas toujours la voie facile : cela peut imposer des sacrifices et des fardeaux dont on ne doit pas méconnaître le poids ; il faut parfois de l'héroïsme pour rester fidèle à ses exigences. Aussi devons-nous en même temps souligner que la voie du véritable épanouissement de la personne humaine passe par cette constante fidélité à une conscience maintenue dans la droiture et la vérité et exhorter tous ceux qui en ont les moyens à alléger les fardeaux qui écrasent encore tant d'hommes et de femmes, tant de familles et d'enfants, placés devant des situations humainement sans issue. 25. L'appréciation d'un chrétien ne peut pas se limiter à l'horizon de la vie en ce monde ; il sait qu'en la vie présente une autre se prépare, dont l'importance est telle que c'est d'après elle qu'il faut juger (26). A ce point de vue, il n'y a pas ici-bas de malheur absolu, même l'affreuse peine d'élever un enfant déficient. Tel est le renversement annoncé par le Seigneur : « Bienheureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés ! » (Mt 5, 5.) C'est tourner le dos à l'Evangile que de mesurer le bonheur à l'absence de peines et de misères en ce monde. 26. Mais cela ne signifie pas qu'on puisse rester indifférent à ces peines et à ces misères. Tout homme de cœur, et certainement tout chrétien, doit être prêt à faire son possible pour y porter remède. C'est la loi de la charité, dont le premier souci doit toujours être d'instaurer la justice. On ne peut jamais approuver l'avortement ; mais il importe par-dessus tout d'en combattre les causes. Cela inclut une action politique et ce sera en particulier le domaine de la loi. Mais il faut en même temps agir sur les mœurs, travailler à tout ce qui peut aider les familles, les mères, les enfants. Des progrès considérables ont été accomplis par la médecine au service de la vie ; on peut espérer qu'ils iront plus loin encore, selon la vocation du médecin, qui n'est pas de supprimer la vie, mais de l'entretenir et de la favoriser au mieux. Il est également souhaitable que se développent, dans des institutions adaptées ou à leur défaut, dans l'élan de la générosité et de la charité chrétienne, toutes formes d'assistance. 27. On ne travaillera efficacement au plan des mœurs que si on lutte également au plan des idées. On ne peut pas laisser se répandre sans la contredire une manière de voir, et plus encore peut-être de sentir, qui considère la fécondité comme un malheur. Il est vrai que toutes les formes de civilisation ne sont pas également favorables aux familles nombreuses ; celles-ci rencontrent des obstacles beaucoup plus grands dans une civilisation industrielle et urbaine. Aussi l'Église a-t-elle insisté ces derniers temps sur l'idée de paternité responsable, exercice d'une véritable prudence, humaine et chrétienne. Cette prudence ne serait pas authentique si elle n'incluait la générosité ; elle doit rester consciente de la grandeur d'une tâche qui est coopération avec le Créateur pour la transmission de la vie, qui donne à la communauté humaine de nouveaux membres et à l'Église de nouveaux enfants. L'Église du Christ a le souci fondamental de protéger et de favoriser la vie. Elle pense certes avant tout à la vie que le Christ est venu apporter : « Je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu'ils l'aient en abondance. » (Jn 10, 10.) Mais la vie vient de Dieu à tous ses niveaux et la vie corporelle est pour l'homme l'indispensable commencement. Dans cette vie sur terre, le péché a introduit, multiplié, alourdi la peine et la mort ; mais Jésus-Christ, en prenant sur lui leur fardeau, les a transformées : pour qui croit en lui, la souffrance et la mort même deviennent instruments de résurrection. Dès lors, saint Paul peut dire : « J'estime que les souffrances du temps présent ne sont pas à comparer à la gloire qui doit se révéler en nous. » (Rm 8, 18) ; et, si nous comparons, nous ajouterons avec lui : « Nos tribulations, légères et d'un moment, nous préparent au-delà de toute mesure un poids éternel de gloire ! » (2 Co 4, 17.) S. S. Paul VI, au cours de l'audience accordée au soussigné secrétaire de la congrégation pour la Doctrine de la foi, le 28 juin 1974, a ratifié et confirmé cette déclaration sur l'avortement provoqué et a ordonné de la publier. Donné à Rome, au siège de la congrégation pour la Doctrine de la foi, le 18 novembre 1974, en la fête de la Dédicace des basiliques Saint-Pierre et Saint-Paul. Franjo card. ŠEPER, Préfet † Jérôme HAMER, O.P., Arch. tit. di Lorium, Secrétaire. imprimez

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