Vie spirituelle

Ils pensent devoir mettre Dieu de côté pour avoir de la place pour eux-mêmes -

 homélie du 15 août 2012, du Père Abbé de l'abbaye de Mondaye,

 

Ce Magnificat, que nous venons d’entendre, c’est, comme le Notre Père, une des rares pages de l’Évangile que beaucoup de chrétiens, beaucoup d’entre nous, connaissons par cœur. Cette grande poésie s'est élevée des lèvres, et plus encore du cœur de Marie, inspirée par l'Esprit Saint et là se reflète toute l'âme, toute la personnalité de Marie. Nous pouvons dire que son chant est un portrait, une véritable icône de Marie, dans laquelle nous pouvons la voir exactement telle qu'elle est.

Avec Benoît XVI, à qui j’emprunte cette réflexion[1], je voudrais souligner uniquement un point de ce grand chant. Celui-ci commence par la parole "Magnificat": mon âme "magnifie" le Seigneur, c'est-à-dire "proclame la grandeur" du Seigneur.

Marie désire que Dieu soit grand dans le monde, soit grand dans sa vie, soit présent parmi nous tous. Elle n'a pas peur que Dieu puisse être un "concurrent" dans notre vie, qu'il puisse ôter quelque chose de notre liberté, de notre espace vital, par sa grandeur. Elle sait que si Dieu est grand, nous aussi, nous sommes grands. Notre vie n'est pas opprimée, mais est élevée et élargie: ce n'est qu'alors qu'elle devient grande dans la splendeur de Dieu.

Dans le récit des origines, au livre de la Genèse, c’est bien une contestation du Magnificat qui s’exprime à travers ce qu’on appelle le péché originel. Au-delà d’une histoire de pommes, c’est bien parce que l’humanité, homme et femme, craignent que la grandeur de Dieu, la magnificence de Dieu vont ôter quelque chose à leur vie. Ils pensent alors devoir mettre Dieu de côté pour avoir de la place pour eux-mêmes. Souvenez-vous de ce que dit le Satan : « Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal[2]. »

Telle a été également la grande tentation à partir du siècle des lumières, de l'époque moderne, symbolisée par ces très grands penseurs,  Marx, Freud et Nietzsche, eux qu’on appelle les maitres du soupçon ;   on a toujours plus pensé, écrit et dit : «Mais ce Dieu ne nous laisse pas notre liberté, il rend étroit l'espace de notre vie avec tous ses commandements. Dieu doit donc disparaître; nous voulons être autonomes, indépendants. Sans ce Dieu, nous ne serons plus aliénés, nous serons nous-mêmes des dieux, et nous ferons ce que nous voulons et aurons décidé par nous-mêmes".

Deux millénaires plus tôt, Jésus nous a montré que telle était également la pensée du fils prodigue, qui ne comprit pas que, précisément en vertu du fait d'être dans la maison du père, il était "libre". Il partit dans des pays lointains et consuma la substance de sa vie. Ce n’est qu’à la fin qu’il comprit que, précisément parce qu'il s'était éloigné du père, au lieu d'être libre, il était devenu esclave; il comprit que ce n'est qu'en retournant à la maison du Père qu'il pouvait être véritablement libre, dans toute la splendeur de la vie.

Il en est de même aujourd’hui. Naïvement on pense et on croit que, ayant mis Dieu de côté et étant autonomes, littéralement, en nous donnant à nous-mêmes notre loi, en suivant uniquement nos idées, notre volonté, nous sommes devenus réellement libres, nous pouvons faire ce que nous voulons sans que personne ne nous donne aucun ordre. Mais là où Dieu disparaît, l'homme ne devient pas plus grand; il perd au contraire sa dignité divine, il perd la splendeur de Dieu sur son visage.

C'est précisément ce que l'expérience du siècle dernier a confirmé d’une manière terrifiante dans les grands drames totalitaires que furent et que sont le nazisme et le communisme.

En ce troisième millénaire, c’est ce que d’une manière plus subtile et insidieuse l’évolution de nos sociétés occidentales matérialistes, individualistes, soumises à la dictature du politiquement correct véhiculé par les médias, tente d’imposer démocratiquement. La proposition exceptionnelle d’une prière commune à tous les catholiques en ce jour de l’Assomption illustre bien que derrière des choix de société, il y a en fait des enjeux éthiques fondamentaux à propos du bien commun et vivre ensemble, et, qui se ramènent en fait à ce que dit le Satan : Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. »

Cette fête de l’Assomption est là pour nous rappeler, à nous catholiques, que ce n'est que si Dieu est grand que l'homme est également grand. Avec Marie, nous devons commencer à comprendre cela. Nous ne devons pas nous éloigner de Dieu, mais rendre Dieu présent; faire en sorte qu'Il soit grand dans notre vie; ainsi, nous aussi, nous devenons divins; toute la splendeur de la dignité divine nous appartient alors.

Frères et sœurs, appliquons cela à notre vie. Il est important que Dieu soit grand pour nous et parmi nous. Dans la vie publique, il est important que Dieu soit présent, et que sa parole ne soit pas confinée dans les sacristies, que Dieu soit manifesté dans notre vie sociale, car il est important de rappeler que le fondement des droits de l’homme ne dépend de l’opinion d’une majorité fluctuante, mais d’une dignité qui nous vient de  Dieu

Mais cela veut dire aussi qu’il est de notre responsabilité de laisser  un espace à Dieu dans notre vie, qu’en est-il de notre prière ? Qu’en est-il de notre dimanche ? Nous ne perdons pas notre temps libre si nous l'offrons à Dieu. Si Dieu entre dans notre temps, tout notre temps devient plus grand, plus ample, plus riche et nous pourrons redire avec Marie le Magnificat !

Et voici qu’après avoir chanté le Magnificat, après avoir vécu le Magnificat, Marie est élevée corps et âme à la gloire du ciel et avec Dieu et en Dieu, elle est Reine du ciel et de la terre. Parce qu'elle est avec Dieu et en Dieu, elle est très proche de chacun de nous. Étant en Dieu, qui est proche de nous, qui est au plus intime de nous-mêmes, comme aime à le redire Saint Augustin, Marie participe aussi à cette proximité de Dieu. Elle connaît notre cœur, elle peut entendre nos prières, elle peut nous aider par sa bonté maternelle et elle nous est donnée précisément comme "mère", à laquelle nous pouvons nous adresser à tout moment car elle nous écoute toujours, elle est toujours proche de nous, et, étant la Mère du Fils, elle participe de la puissance du Fils, de sa bonté. Nous pouvons donc toujours confier toute notre vie à cette Mère, Notre Dame de l’Assomption.

Oui, rendons grâce au Seigneur, en ce jour de fête, pour le don de sa Mère, notre Mère et prions Marie, afin qu'elle nous aide à trouver le bon chemin maintenant et à l’heure de notre mort. Amen.

 

[1] Homélie du 15 août 2005.

[2] Genèse 3, 5.

 

 

 

publié le : 18 août 2012

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