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Trop de gens n'ont pas intérêt à ce que les choses changent - Xavier Lemoine


Xavier Lemoine* : "Trop de gens n'ont pas intérêt à ce que les choses changent"
*Maire de Montfermeil - Decryptage - 18 novembre 2005



Décryptage. - Pourquoi cet emballement soudain et généralisé de la violence urbaine ?

Xavier Lemoine. - Les trois premiers jours d'émeute que nous avons connus fin octobre peuvent être considérés comme une réaction de colère. Un déchaînement émotionnel. Ensuite, incontestablement, il y a eu récupération et manipulation. Trop de gens n'ont pas intérêt à ce que les choses changent. Le Plan Borloo de cohésion sociale ou les mesures prises et envisagées par Nicolas Sarkozy dérangent. Trois raisons principales motivent ceux qui ne souhaitent pas l'apaisement durable des banlieues.

Premièrement, les raisons politiques : la France ne s'est pas débarrassée d'une culture de gauche marxiste qui vit toujours sur l'exploitation du conflit social. Ce discours ambiant ne sait pas résister à l'entretien et à l'exacerbation des tensions, qu'elles soient d'origine économique, ethnique ou religieuse. Le discours victimaire ambigu de certaines associations qui accusent la société de tous les maux finit par dresser les gens les uns contre les autres au nom des droits de l'homme. Au bout du discours, il y a évidemment des éléments extrémistes et des agitateurs qui font tout pour exciter le ressentiment de jeunes abandonnés à leurs seules violences.

Deuxièmement, les motifs d'ordre religieux. Les émeutes n'ont pas de prétextes identitaires au sens strict, mais les chefs fondamentalistes musulmans ont également intérêt à nourrir un terreau social déstabilisé pour s'imposer comme des recours. Certains imams modérés ont peut-être tenté de calmer le jeu, je n'en dirais pas autant de certains chefs religieux plus ou moins clandestins qui ne sont pas restés inertes.

Enfin, il y a des intérêts financiers énormes en jeu, avec les dealers en particulier, dont le commerce prospère davantage sur le désordre que sur le renforcement de l'autorité publique.


Ce n'est donc pas par hasard si l'on est passé en quelques jours de la transgression incontrôlée aux violences de bandes très organisées ?

L'amplification des émeutes vient de la structure même de la vie souterraine de certaines banlieues. Il n'y a pas eu de complot, ni de guerre, mais le désordre spontané s'est transformé en opérations locales de pillage et de destruction qui n'avaient rien d'improvisé. Des bandes de casseurs ont agi méthodiquement grâce au soutien objectif de groupes aux motivations diverses mais aux intérêts convergents. On a attisé leur colère, quand on ne l'a pas orchestré.

On a reproché aux médias de répandre le mal en banalisant la haine. Comment peut-on parler de cette violence ?

Des médias ont peut-être amplifié le phénomène en confondant un peu vite appel à la haine et appel à l'aide, comme s'il s'agissait pour les casseurs de purger seulement la rage qu'ils avaient dans le ventre, mais l'essentiel est ailleurs. Il y a une vraie colère, et de vraies frustrations, parce que les jeunes désoeuvrés des banlieues n'entendent pas de discours sur le mérite, que les associations subventionnées pour les aider ne cherchent qu'à les occuper sans les inviter à donner le meilleur d'eux-mêmes, autour de vrais projets de vie. Quand l'exacerbation du droit à la différence rencontre le droit à l'indifférence, il ne faut pas s'étonner que cela explose.


Cette brusque montée de violence n'est pas venue toute seule. Quelles sont les causes profondes du malaise des banlieue ?

Avant d'être sociale ou économique, la cause profonde est culturelle, et se cristallise aujourd'hui dans le choc entre immigration incontrôlée et crise économique. Les responsables politiques se sont mis depuis longtemps dans un état d'impuissance à trouver une réponse culturelle satisfaisante au phénomène de l'immigration, mais ils peuvent s'interroger sur l'effet de certaines mesures sociales et économiques aux effets pervers impitoyables.

La mondialisation est un fait et la compétition économique s'impose à tous. Mais ce ne sont pas les 35 heures qui vont enrayer le chômage. C'est le type même de l'erreur technique dont on n'a pas fini de payer le prix. Non seulement le travail n'apparaît plus comme une valeur, mais l'augmentation du coût du travail affecte tous les emplois, et pas seulement les emplois les moins qualifiés. Désormais, on délocalise de plus en plus les emplois qualifiés. En outre, le régime des minima sociaux décourage directement le travail : on gagne plus à ne rien faire qu'à toucher le Smic. Et c'est dans ce contexte qu'on persiste à soi-disant accueillir chaque année 170.000 immigrés mal préparés aux réalités du marché du travail français. On voudrait résoudre le malaise des banlieues en donnant du travail, mais on ne "donne" pas du travail ! On le gagne, on le mérite, avant de l'obtenir.

Alors que faire ?

Je l'ai dit, la solution est culturelle. Ce n'est pas d'abord un problème de rattrapage. On peut donner 100 millions d'euros aux associations, et il faut le faire. Les drames de la pauvreté sont là, et de vrais problèmes d'urbanisation demeurent. Mais il faudra surtout que cesse la collusion entre terrorisme de rue et terrorisme intellectuel, qu'on accepte de traiter les causes de la crise au lieu de gérer leurs effets, qu'on maîtrise l'immigration, qu'on s'adapte enfin aux réalités économiques, qu'on sanctionne les dealers et les trafics en tous genres, qu'on contrôle les fondamentalistes religieux.

Plus fondamentalement, deux systèmes de pensée s'affrontent, deux visions de l'homme et du monde, qui, dans leurs racines propres, ne considèrent pas la liberté, la responsabilité, la dignité de la personne, de la femme, de la même manière. Or pour faire l'unité, on propose un modèle devenu profondément matérialiste et individualiste où les règles de vie n'ont plus de sens. Si l'Occident compense à peu près l'effet de ses propres désordres parce que ses racines culturelles sont profondes, le vide du modèle laïque absolu ne peut provoquer que la révolte chez ceux qui n'ont plus rien à perdre.

Que faire pratiquement ? Ici à Montfermeil, nous travaillons sans relâche à rapprocher les populations autour de projets communs. La connaissance de l'autre précède toujours la reconnaissance, et découvrir ensemble que notre société a un nom, une culture, des racines et une histoire, c'est déjà un début.


*Xavier Lemoine est maire de Montfermeil, président de la Communauté d'agglomération Clichy-sous-Bois / Montfermeil.

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