Respect de la vie - Bioéthique

Bioéthique et Eglise - De l'affrontement au débat - Tugdual Derville - 10 fev 2007


A Paris le 7 février dernier a eu lieu le Grand débat organisé par l'Université de la Vie "Bioéthique et Eglise - De l'affrontement au débat". Plus de 500 personnes se pressaient dans la grande salle de l'Asiem, beaucoup étant assises par terre ou devant rester debout... Le thème en était : " Après les échanges houleux autour du Téléthon, l'Eglise peut-elle encore s'exprimer sur la place publique à propos de la vie ? "

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Le journaliste du Monde Jean-Yves Nau avait dû s'excuser au dernier moment mais Gérard Leclerc et Tugdual Derville firent pour nous un extraordinaire panorama des enjeux intellectuels de la question.

Eglise : le contre-pouvoir de la vie

A distance de la controverse sur le Téléthon 2006, mais en pleine agitation préélectorale, la légitimité de l'Eglise à participer au débat public sur ces fameuses "questions de société", où elle dérange tant, est l'objet d'un débat récurrent. Sa voix y est contestée par les uns mais attendue par d'autres. L'Eglise serait-elle la seule à pouvoir apporter une contradiction cohérente aux idéologies libérales et libertaires entrées en collusion ?

"L'Eglise sera vaincue par le libéralisme" ! Le verdict sans appel de Jean-Marie Donegani, directeur des Etudes à Sciences-po, s'étale en pleine page dans le Monde du 21 janvier 2007. Le laïcisme qui tente depuis deux siècles d'étouffer une voix catholique jugée dogmatique, obscurantiste et liberticide serait en passe de lui porter un coup fatal. De nombreux chrétiens déclarés ne se montrent-ils pas insensibles aux préconisations ecclésiales en matière de respect de la vie et de sexualité ? Le christianisme, exclu successivement de la vie publique et de la vie privée - et ses églises désertées - ne survivrait qu'à l'état de "sectes" éparses. Un phénomène planétaire dont on imagine que la France constituerait l'avant-garde : au contraire d'autres nations, la plupart des Français affirment que les religions n'ont pas à influencer le domaine politique. Ils ne comprennent pas les mobiles humanitaires des interventions de l'Eglise sur la vie (ce seront les mêmes qui lui reprocheront, a posteriori, de ne pas s'être suffisamment impliquée contre certains totalitarismes). Quand on sait que pratiquement la moitié des 51% de Français qui se déclarent encore catholiques ne croit pas en Dieu, il ne faut pas s'étonner que se propage dans les médias une conception "surréaliste" de l'institution ecclésiale, à des années lumières des notions d'Eglise "peuple de Dieu" voire "corps mystique du Christ". Pour la disséquer, les analystes préfèrent s'en tenir aux critères politiques retenus pour d'autres organismes. Le fonctionnement interne de l'Eglise est essentiellement décrypté en confrontations identitaires, jeux de pouvoirs et rapports de force. Le même regard est porté sur ses relations avec "le monde". De la vie intime à l'espace public, on la suspecte de s'ingérer dans "ce qui ne la regarde pas", et d'entraver "le progrès de l'humanité".

Qu'adviendrait-il en effet si l'Eglise se taisait - ou s'était tue - en France sur le respect de la vie, la sexualité ou la famille ? Sans elle, le Téléthon 2006 se serait déroulé sans débat, l'adoption homosexuelle serait déjà passée comme une lettre à la poste, et l'euthanasie serait peut-être légale. A croire que dans la société "adulescente", la voix ecclésiale qui fait l'objet d'une contestation publique systématique est davantage respectée qu'on ne le dit par le for intérieur. C'est justement cette influence immaîtrisable que reprochent à l'Eglise ses adversaires. Comment faire jeu égal avec une instance au mode d'intervention incompréhensible, qui n'a ni troupes mobilisables, ni stratégie de communication lisible, et dont les membres éparpillent leur vote ? L'Eglise, combien de divisions ? Autant que de chapelles. Mais les fractures internes accumulées ne l'empêchent pas de s'auto-régénérer depuis des siècles alors que les idéologies qui entendaient lui tordre de cou ont implosé.

C'est aujourd'hui au tour des adeptes d'une science qui se veut sacro-sainte, sans conscience ni limite, de constater que seuls l'Eglise catholique et certains mouvements du protestantisme évangélique sont suffisamment structurés pour leur tenir tête. En bioéthique, le scientisme se retrouve logiquement en guerre "de religions" contre le christianisme. Les papes de la procréation ne prennent-ils pas ouvertement la posture messianique et prométhéenne ? "Père" du premier bébé éprouvette français, le professeur Frydman l'avoue dans sa "lettre à une femme" : "Je ressens la même excitation qu'hier, le besoin toujours de tenir tête au destin. Observer un embryon d'un dixième de millimètre, prélever une cellule, y repérer une drôle de couleur, l'annonce d'un enfant figé, déformé et souffrant, ce n'est rien d'autre que lire l'avenir, et regarder en face le handicap de celui qui n'est même pas encore né. (...) Pouvoir effacer cette image, c'est comme dire lève toi et marche, c'est aller, c'est vrai, au-delà du champ de la médecine, c'est changer pour lui, ses amours, son métier, ses voyages. C'est croire en l'homme et en sa force. Mais je me laisse aller à vous parler de moi, de mon orgueil, de ce qui me préoccupe et ne vous concerne pas." L'auteur de cette confession qui a été élu homme de l'année par le magazine Elle reconnaît ailleurs qu'il "manipule le désir". Le scientisme, parce qu'il répondait à des attentes éperdues a su s'allier successivement les féministes idéologique du droit à l'enfant "si je veux, quand je veux", le lobby homosexuel en quête de parentalité artificielle et une partie des associations de personnes malades ou handicapées, séduites par le mirage du clonage "thérapeutique". Ces groupes qui revendiquent que la science règle leurs problèmes alimentent sa fuite en avant et lui fournissent les cobayes humains dont elle a besoin.

En France, l'enjeu du bras de fer entre l'Eglise et l'idéologie prométhéenne concerne tout de même, chaque année, le destin de centaines de milliers d'êtres humains, et ce chiffre continue d'augmenter (220 000 IVG par an, 130 000 embryons congelés "en stock"...).
Tugdual Derville

C'est pour défendre les plus faibles que les institutions chrétiennes affirment ne pouvoir se désintéresser du politique, tout en se refusant à s'ingérer dans la lutte pour le pouvoir. Comment pourraient-elles fermer les yeux quand elles constatent que la quête désespérée du bonheur conduit tant de personnes à aggraver les épreuves de l'humanité dans l'espoir d'y échapper ? La découverte des dégâts psychologiques et familiaux induits par l'avortement en est l'exemple le plus saisissant. L'emballement du mystère du mal ne pouvait que provoquer l'incarnation de l'Eglise sur le terrain social et dans le débat politique. Au nom de la justice et de la miséricorde.

Paradoxe : du côté de ceux qui, sans épouser la foi chrétienne, reconnaissent la nécessité d'un débat sérieux sur les sujets anthropologiques qu'ils savent cruciaux pour l'humanité, la légitimité de l'Eglise à intervenir est de plus en plus reconnue, et ses responsables sont écoutés, même si le fossé culturel et surtout spirituel qui sépare désormais le christianisme de la plupart de ses commentateurs ne cesse de s'élargir. La réaction de l'Association française de lutte contre les myopathies (AFM) à certaines remises en cause de l'usage des fonds du Téléthon a ainsi paru si sectaire aux journalistes spécialisés dans la bioéthique, qu'elle n'a fait que confirmer à leurs yeux la cohérence des prises de parole ecclésiales. La virulence avec laquelle le président du Comité Consultatif National d'Ethique, tenant d'une morale officielle consensuelle, à contesté cette même parole, à l'unisson de maints leaders politiques, en a par ailleurs choqué plus d'un. Accordant à l'Eglise "le droit de considérer l'embryon humain comme sacré" Didier Sicard avait estimé : "elle n'a pas le droit d'en faire une manifestation publique". (Le Monde 1/12/07) Or, plus que "sacré", l'Eglise reconnaît l'embryon comme "humain" et considère son instrumentalisation comme une atteinte aux droits de l'homme. Peut-on l'obliger à le taire sans porter atteinte à la liberté d'expression ?

En quelques décennies, la famille, la vie, la sexualité et la bioéthique sont devenus des thèmes politiques incontestables, et prisés des médias hexagonaux. Les Etats-Unis ne sont plus l'exception. Même si, en France, la question environnementale a fait plus précocement son entrée en politique, on pressent que les évolutions démographiques, de la structure familiale, du statut de l'être humain à ses débuts et de notre emprise sur la fin de l'existence pourraient davantage conditionner notre avenir que la fiscalité, la protection sociale et l'emploi. Sur chacun de ces sujets de société, l'Eglise catholique se retrouve logiquement en première ligne. Face au scientisme, elle défend finalement les fondements d'une véritable écologie humaine. De plus en plus sommée de faire allégeance à une morale laïque qui se situe désormais aux antipodes de la morale chrétienne en matière de vie et de sexualité, elle résiste.

Le jésuite Henri Madelin, évoquant la thèse de la sociologue Danièle Hervieux sur "l'exculturation des valeurs de l'Eglise" peut affirmer que la foi chrétienne est en passe de "devenir une contre-culture" (Le Figaro 10/01/07). Les grands mouvements protestataires ont effectivement tour à tour investi les champs de la culture, de la politique puis de la loi. Le Planning familial - depuis 30 ans - puis le mouvement homosexuel et bientôt le lobby de l'euthanasie, officiellement habilité à représenter les usagers de l'hôpital, reflètent les "valeurs" désormais conformistes d'une société individualiste et éclatée. Marginalisée et contestatrice, l'Eglise est entrée dans le champ des contre-pouvoirs. De moins en moins perçue comme dominatrice, captant déjà la fascination exercée par les minoritaires, elle pourrait transformer son apparente faiblesse en force. Une posture expérimentée par les premiers chrétiens, risquée, mais pas sans atouts, où s'exprime, se joue et s'éprouve la véritable liberté.

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