Vie spirituelle

Croire avec le coeur - Père R.Cantalamessa - 9 décembre 2005


Deuxième prédication de l'Avent du p. Cantalamessa : Croire « avec le coeur »
Texte intégral

ROME, Vendredi 9 décembre 2005 (ZENIT.org) - Nous publions ci-dessous le texte intégral de la deuxième prédication de l'Avent prononcée ce vendredi au Vatican, en présence du pape et de ses collaborateurs de la curie romaine, par le prédicateur de la Maison Pontificale, le père Raniero Cantalamessa, OFMCap.






« Est-ce que tu crois ? »
La divinité du Christ dans l'évangile de Jean




1. « Si vous ne croyez pas que Moi, Je Suis... »

Un jour, je célébrais la messe dans un monastère de clôture. C'était le temps pascal. L'évangile était un passage de Jean dans lequel Jésus répète à plusieurs reprises son « Je suis » : « Si vous ne croyez pas que Moi, Je Suis, vous mourrez dans vos péchés... Quand vous aurez élevé le Fils de l'homme, alors vous saurez que moi Je Suis... Avant qu'Abraham existât, Je Suis » (Jn 8, 24.28.58).

Le fait que les mots « Je Suis » commencent tous deux par une majuscule - contrairement à toute règle grammaticale - en plus certainement de quelque autre cause plus mystérieuse, a fait jaillir une étincelle. Ces mots se sont illuminés en moi. Ce n'était plus seulement le Christ d'il y a 2000 ans qui le prononçait, mais le Christ ressuscité et vivant qui proclamait de nouveau, à ce moment, devant nous, son Ego Eimi, « Je Suis ! ». Ces mots prenaient une résonance cosmique. Ce n'était qu'une simple émotion de foi, mais de ces émotions qui, une fois passées, laissent dans le coeur un souvenir ineffaçable.

J'ai commencé par ce souvenir personnel car le thème de cette méditation est la foi en Jésus Christ dans l'Evangile de Jean, et le « Je Suis » du Christ est la plus haute expression de cette foi. Les commentaires modernes sur le quatrième évangile sont unanimes : ils voient tous dans ces paroles de Jésus une allusion au nom divin, tel que celui-ci se présente, par exemple dans Isaïe 43, 10 : « Afin que vous le sachiez, que vous croyiez en moi et que vous compreniez que c'est moi ».

Saint Augustin mettait cette parole de Jésus en relation avec la révélation du nom divin dans Exode 3, 14, et concluait en disant : « Il me semble que le Seigneur Jésus Christ, en disant : 'Si vous ne croyez pas que Je Suis', a tout simplement voulu dire ceci : 'Oui, si vous ne croyez pas que je suis Dieu, vous mourrez dans vos péchés » (1).

On pourrait répondre que ce sont les paroles de Jean, que ce sont des développements tardifs de la foi, et pas des paroles prononcées par Jésus. Mais la question est précisément là. Ce sont bel et bien des paroles de Jésus ; certainement de Jésus ressuscité qui vit et parle désormais « dans l'Esprit », mais toujours de Jésus, le Jésus de Nazareth.

On a aujourd'hui l'habitude de distinguer les paroles « authentiques » de Jésus dans l'évangile, et les paroles « non authentiques », c'est-à-dire de distinguer les paroles prononcées vraiment par lui au cours de sa vie et les paroles qui lui ont été attribuées par les apôtres, après sa mort. Mais cette distinction est très ambiguë et n'est pas valable dans le cas du Christ, comme dans le cas d'un auteur humain commun.

Il ne s'agit pas, bien évidemment de mettre en doute le caractère pleinement humain et historique des écrits du Nouveau Testament, la diversité des genres littéraires et des « formes », et encore moins de revenir à l'idée ancienne de l'inspiration verbale et presque mécanique de l'Ecriture. Il s'agit seulement de savoir si l'inspiration biblique a encore un sens pour les chrétiens, ou non ; si, lorsqu'à la fin d'une lecture biblique nous proclamons : « Parole du Seigneur ! », nous croyons ou non à ce que nous disons ».


2. « L'oeuvre de Dieu est croire en celui qu'il a envoyé »

Le Christ est l'objet spécifique et premier de la foi selon Jean. « Croire », sans autre spécification, signifie désormais croire au Christ. Cela peut également signifier croire en Dieu, au Dieu qui a envoyé son Fils dans le monde. Jésus s'adresse à des personnes qui croient déjà au vrai Dieu ; toute son insistance sur la foi concerne désormais cette chose nouvelle qui est sa venue dans le monde, le fait de parler au nom de Dieu. En un mot, le fait qu'il soit le Fils unique de Dieu, « une seule chose avec le Père ».

Jean a fait de la divinité du Christ et de sa filiation divine le but premier de son évangile, le thème qui unifie tout. Il conclut son évangile en disant : « Ceux-là [signes] ont été mis par écrit, pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu'en croyant vous ayez la vie en son nom » (Jn 20, 31) ; et conclut sa première épître avec des mots presque identiques : « Je vous ai écrit ces choses, à vous qui croyez au nom du Fils de Dieu, pour que vous sachiez que vous avez la vie éternelle » (1Jn 5, 13).

Si l'on survole rapidement le Quatrième évangile on se rend compte que la foi dans l'origine divine du Christ en constitue à la fois l'intrigue et la trame. Croire en celui que le Père a envoyé est vu comme « l'oeuvre de Dieu », ce qui plaît le plus à Dieu (cf. Jn 6, 29). Ne pas le croire est vu, en conséquence, comme « le péché » par excellence : Le consolateur « établira la culpabilité du monde en fait de péché » et le péché est de ne pas avoir cru en lui (Jn 16, 8-9). Jésus demande pour lui le type de foi que l'on demandait pour Dieu dans l'Ancien Testament : « Croyez en Dieu, croyez aussi en moi » (Jn 14, 1).

Même après sa disparition, la foi en lui restera la grande ligne de séparation au sein de l'humanité : il y aura d'une part ceux qui croiront, même sans avoir vu (cf. Jn 20, 29), de l'autre, le monde qui refusera de croire. Face à cette distinction, toutes les autres, connues auparavant, y compris la distinction entre juifs et gentils, passeront au deuxième plan.

On reste stupéfait devant l'entreprise que l'Esprit de Jésus a permis à Jean de mener à terme. Il a embrassé les thèmes, les symboles, les attentes, tout ce qu'il y avait de vivant sur le plan religieux, aussi bien dans le monde juif que dans le monde grec, faisant concourir tout cela vers une idée unique, mieux encore une personne unique : Jésus Christ Fils de Dieu, sauveur du monde.

En lisant les livres de certains savants, issus de « l'Ecole d'histoire comparée des religions », on pourrait penser que le mystère chrétien présenté par Jean ne se différentie que par peu de chose, du mythe religieux gnostique et mandéen, ou de la philosophie religieuse hellénistique et hermétique. Les contours s'estompent, les parallélismes se multiplient. La foi chrétienne devient une variante de cette mythologie changeante et de cette religiosité diffuse.

Mais que signifie cela ? Cela signifie seulement qu'elle fait abstraction de la chose essentielle : de la vie et de la force historique qui se cachent derrière les systèmes et les représentations. Les personnes vivantes sont différentes les unes des autres mais les squelettes se ressemblent tous. Une fois réduit à l'état de squelette, isolé de la vie qu'il a engendrée, c'est-à-dire de l'Eglise et des saints, le message chrétien risque toujours de se confondre avec d'autres propositions religieuses, alors qu'il est « unique ».

Jean ne nous a pas transmis un ensemble de doctrines religieuses anciennes, mais un puissant kérygme. Il a appris la langue des hommes de son temps, pour crier dans cette langue, de toutes ses forces, l'unique vérité qui sauve, la Parole par excellence, « le Verbe ».

Une telle entreprise ne se réalise pas derrière un bureau. La synthèse de la foi dans le Christ de Jean s'est comme « embrasée », sous l'influence de cette « onction » de l'Esprit Saint qui enseigne toute chose, dont lui-même parle, certainement par expérience personnelle, dans la première épître (cf. 1 Jn 2, 20.27). Et justement, à cause de cette origine, ce n'est pas en restant derrière un bureau avec quatre ou cinq dictionnaires ouverts devant soi, que l'on comprend, même aujourd'hui, l'évangile de Jean.

Seule une certitude révélée, derrière laquelle se cache la force même de Dieu, pouvait se déployer dans un livre avec une telle insistance et une telle cohérence, en arrivant toujours à la même conclusion, même si elle part de mille points différents : Jésus de Nazareth est le Fils de Dieu et le sauveur du monde.


3. Heureux celui qui ne « se scandalise » pas de moi

La divinité du Christ est le plus haut sommet, l'Everest, de la foi. C'est beaucoup plus difficile que de croire simplement en Dieu. Cette difficulté est liée à la possibilité et même l'inévitabilité du « scandale » : Heureux celui qui ne se scandalise pas de moi ! [trad. Littérale de l'italien, ndlr], (cf. Mt 11, 6), dit Jésus. Le scandale vient du fait que celui qui se proclame « Dieu » est un homme de qui on sait tout : « Mais lui, nous savons d'où il est », disent les pharisiens (Jn 7, 27).

La possibilité du scandale devait être spécialement forte pour un jeune juif tel que l'auteur du quatrième évangile, habitué à penser à Dieu comme au trois fois Saint, celui que l'on ne peut voir tout en restant en vie. Mais l'opposition entre l'universalité du Logos et la contingence de l'homme Jésus de Nazareth semblait extrêmement évidente même pour la mentalité philosophique de l'époque. « Fils de Dieu - s'exclamait Celse - un homme qui a vécu il y a quelques années ? Un homme d'hier ou d'avant-hier ? », un homme « né dans un village de Judée, d'une pauvre fileuse ? » (2). Cette réaction scandalisée est la preuve la plus claire que la foi dans la divinité du Christ n'est pas le fruit de l'hellénisation du christianisme mais tout au plus de la christianisation de l'hellénisme.

On lit à ce propos des observations éclairantes dans l'Introduction au christianisme de l'actuel Souverain Pontife : « Avec le deuxième article du 'Credo' nous sommes devant le vrai scandale du christianisme. Celui-ci est constitué par la confession que l'homme-Jésus, un individu exécuté vers l'an 30 en Palestine, soit le 'Christ' (l'oint, l'élu) de Dieu, et qui plus est, le Fils même de Dieu, et donc le centre focal, le point d'appui déterminant de toute l'histoire humaine... Pouvons-nous vraiment nous permettre de nous cramponner à la tige fragile d'un seul événement historique ? Pouvons-nous courir le risque de confier toute notre existence, et même toute l'histoire, à ce fil de paille d'un événement quelconque, flottant dans l'immense océan des vicissitudes cosmiques ? (3).

On sait combien cette idée, déjà en soi inacceptable pour la pensée antique et la pensée asiatique, rencontre de résistance dans le contexte actuel du dialogue interreligieux. « Un événement particulier - fait-on observer - limité dans le temps et dans l'espace, comme l'est la personne historique du Christ, ne peut épuiser les infinies potentialités de salut de Dieu et de son Verbe ». On doit par conséquent admettre des voies de salut différentes, indépendantes du Christ historique, voire même du Verbe éternel de Dieu.

La raison peut nous aider à fournir une première réponse à cette objection. S'il est vrai, en effet, qu'aucun événement particulier ne peut épuiser, à lui seul, les potentialités infinies de salut de Dieu et de son Verbe éternel, il est également vrai que celui-ci peut réaliser, à partir de ces potentialités, ce qui suffit pour le salut du monde, le monde étant lui-même fini !

Mais en dernière analyse, seule la foi permet de dépasser le scandale. Les preuves historiques de la divinité du Christ et du christianisme ne suffisent pas pour éliminer le scandale. On ne peut croire vraiment - a écrit Kierkegaard - qu'en situation de contemporanéité, c'est-à-dire en se faisant contemporains du Christ et des apôtres. Mais l'histoire, le passé, ne nous aident pas à croire ? Le Christ n'a-t-il pas vécu il y a 2000 ans maintenant ? Son nom n'est-il pas annoncé, ne croit-on pas en lui, dans le monde entier ? Sa doctrine n'a-t-elle pas changé la face de la terre, n'a-t-elle pas pénétré de manière victorieuse dans tous les milieux ? Et l'histoire n'a-t-elle pas montré de manière plus que suffisante qu'il était Dieu ?

Non, répond ce même philosophe, l'histoire ne pourrait faire cela dans toute l'éternité ! Il est impossible de conclure, des résultats d'une vie humaine comme celle de Jésus, en disant : Donc, cet homme était Dieu ! Des empreintes sur un chemin sont la conséquence du fait que quelqu'un est passé par là. Je pourrais me tromper en pensant par exemple qu'il s'agit d'un oiseau. En examinant plus attentivement je pourrais conclure qu'il ne s'agit pas d'un oiseau, mais d'un autre animal. Mais je ne peux pas, indépendamment de la qualité de mon examen, parvenir à la conclusion qu'il ne s'agit ni d'un oiseau ni d'un autre animal, mais d'un esprit, car un esprit, de par sa nature, ne peut laisser de traces sur la route.

De même, nous ne pouvons conclure que le Christ est Dieu, en considérant simplement ce que nous connaissons de lui et de sa vie, c'est-à-dire à travers l'observation directe. Celui qui veut croire au Christ est obligé de devenir son contemporain dans l'abaissement, en écoutant le « témoignage intérieur » que l'Esprit Saint nous donne sur lui.

En tant que catholiques nous avons quelques réserves à émettre à cette manière de poser le problème de la divinité du Christ. Il manque la nécessaire mise en évidence de la résurrection du Christ, et pas seulement de son abaissement, et l'on ne tient pas suffisamment compte du témoignage extérieur des apôtres, en plus du « témoignage intérieur de l'Esprit Saint ». Il y a là un élément important de vérité dont nous devons tenir compte pour rendre notre foi toujours plus authentique et personnelle.

Saint Paul dit que « la foi du coeur obtient la justice, et la confession des lèvres, le salut » (Rm 10, 10). Le deuxième moment, la profession de foi, est important, mais s'il n'est pas accompagné de ce premier moment qui se déroule dans les profondeurs cachées du coeur, celle-ci est vaine et vide. « C'est des racines du coeur que jaillit la foi », s'exclame saint Augustin (4) en paraphrasant le corde creditur de saint Paul, c'est avec le coeur que l'on croit.

La dimension sociale et communautaire est certainement essentielle à la foi chrétienne, mais celle-ci doit être le résultat de tant d'actes de foi personnels, si l'on ne veut pas d'une foi purement conventionnelle et fictive.


4. « Je suis le chemin, la vérité et la vie »

Cette foi « du coeur » est le fruit d'une onction spéciale de l'Esprit. Lorsque l'on se trouve sous cette onction la foi devient une sorte de connaissance, de vision, d'illumination intérieure : « Nous, nous croyons et nous avons reconnu que tu es le Saint de Dieu » (Jn 6, 69) ; « Nous avons contemplé le Verbe de vie » (cf. 1Jn 1, 1). Ecoute Jésus affirmer : « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. Nul ne vient au Père sinon par moi » (Jn 14, 6), et prends conscience, profondément, de tout ton être, que ce que tu entends est vrai.

J'ai découvert récemment un cas impressionnant de cette illumination de foi survenue précisément grâce à cette parole de Jésus transmise par Jean. J'ai rencontré à Milan un artiste d'origine suisse qui avait établi des relations d'amitié avec les personnalités de la philosophie et de l'art les plus en vue de son époque et organisé des expositions personnelles de peinture en différents endroits du monde. (L'une de ses oeuvres fut exposée et achetée par le Vatican à l'occasion des 80 ans de Paul VI).

Sa recherche passionnée dans le domaine religieux l'avait conduit à adhérer au bouddhisme et à l'hindouisme. Après de longs séjours au Tibet, en Inde, au Japon, il était devenu un maître dans ces disciplines. A Milan, une foule de professionnels et d'hommes de la culture avaient recours à lui pour une direction spirituelle et pratiquaient avec lui la méditation transcendantale et le yoga.

Son retour à la foi en Jésus Christ m'apparut soudain comme un témoignage extraordinairement actuel et j'ai longuement insisté pour qu'il l'écrive. Je viens de recevoir son manuscrit et je voudrais vous en lire un court extrait. Cela aide, entre autres, à comprendre ce que Saul a dû éprouver sur le chemin de Damas, face à la lumière qui anéantissait subitement tout son monde intérieur et le remplaçait par un autre :

J'étais seul, dans un bois touffu, lorsque se produisit cette révolution intérieure qui changea toute la structure pensante de mon intelligence. Je connaissais les paroles du Christ : « Je suis le chemin, la vérité et la vie et nul ne vient au Père sinon par moi ». Mais, dans le passé, je les avais trouvé quelque peu présomptueuses. Ces paroles frappaient maintenant au plus profond de moi. Après trente cinq ans de bouddhisme, hindouisme et taoïsme, j'étais attiré par « ce Dieu ». Il y avait cependant en moi la présence d'un profond refus de tout ce qui concernait le christianisme. Peu à peu je sentis une étrange sensation m'envahir, une sensation complètement nouvelle, comme je ne l'avais jamais ressenti auparavant. Je perçus la présence de Quelqu'un de qui émanait une puissance extraordinaire.

Ces paroles du Christ étaient une obsession. Elles devenaient un cauchemar. Je résistais mais le son intérieur s'amplifiait et revenait comme un écho dans ma conscience. J'étais au bord de la crise. Je perdais le contrôle de mon esprit et après trente ans de méditation du sens profond, ceci était pour moi inconcevable. « Oui, c'est vrai, tu as raison, criais-je, c'est vrai, c'est vrai, mais arrête, je t'en prie, je t'en prie ». Je croyais mourir de l'impossibilité de sortir de cette épouvantable situation. Je ne voyais plus les arbres, je n'entendais plus les oiseaux, il n'y avait plus que la voix intérieure de ces paroles qui s'inscrivaient dans mon être.

Je tombai à terre et perdis connaissance. Mais juste avant, je me sentis enveloppé d'un amour infini. Je sentais se liquéfier la structure porteuse de ma pensée, comme une grande explosion de ma conscience. Je mourais à un passé qui m'avait profondément conditionné. Toutes mes vérités se désintégraient. Je ne sais pas combien de temps je restai là, mais lorsque je repris connaissance, c'était comme si j'avais vécu une nouvelle naissance. Le ciel de mon esprit était limpide et des larmes sans fin me mouillaient le visage et le cou. J'avais le sentiment d'être l'être le plus ingrat existant sur cette terre. Oui, la grande vie existe et n'appartient pas à ce monde. Pour la première fois je découvrais ce que les chrétiens entendent par « grâce ».

Depuis plus de vingt-cinq ans cet homme, connu sous le nom de Master Bee, vit, avec sa femme, une artiste elle aussi, une vie semi-érémitique dans le monde, et enseigne la prière du coeur et celle du chapelet aux anciens disciples qui viennent le consulter.

Il n'a pas ressenti le besoin de renier ses expériences religieuses passées qui ont préparé la rencontre avec le Christ et qui lui permettent maintenant d'apprécier toute la nouveauté de cette rencontre. Il continue même à avoir un profond respect pour ces expériences, en montrant, par les faits comment il est possible de conjuguer aujourd'hui la plus totale adhésion au Christ avec une très grande ouverture aux valeurs d'autres religions.

L'histoire secrète des âmes, loin des projecteurs des mass media, est remplie de ces rencontres avec le Christ qui changent la vie et il est dommage que les discussions sur le Christ, y compris entre théologiens, fassent complètement abstraction de ces rencontres. Celles-ci montrent que Jésus est vraiment « le même, hier, aujourd'hui et à jamais », capable de saisir les coeurs des hommes d'aujourd'hui avant autant de force que lorsqu'il « saisit » Jean et Paul.


5. Le disciple que Jésus aimait (et qui aimait Jésus)

Revenons, pour terminer, au disciple que Jésus aimait. Jean nous invite très fortement à redécouvrir la personne de Jésus et à renouveler notre acte de foi en lui. Il est un témoignage extraordinaire du pouvoir que Jésus peut avoir sur le coeur d'un homme. Il nous montre comment il est possible de construire tout son univers autour du Christ. Il réussit à faire percevoir la plénitude unique, la merveille inimaginable qu'est la personne de Jésus (5).

Ce n'est pas tout. Ne pouvant emporter la foi avec eux au ciel, où celle-ci ne leur sert plus, les saints sont heureux de la laisser en héritage aux frères qui en ont besoin sur la terre, comme Elie laissa son manteau à Elisée, en montant au ciel. C'est à nous de le recueillir. Nous pouvons non seulement contempler la foi ardente de Jean, mais aussi la faire nôtre. Le dogme de la communion des saints nous assure que cela est possible et en priant nous en faisons l'expérience.

On a dit que le plus grand défi pour l'évangélisation, au début du troisième millénaire, sera l'émergence d'un nouveau type d'homme et de culture, l'homme cosmopolite qui, de Hong Kong à New York et de Rome à Stockholm, se meut désormais dans un système d'échanges et d'informations mondiales, qui efface les distances et fait passer au second plan les traditionnelles distinctions de culture et de religion.

Jean a vécu dans un contexte culturel qui ressemblait à celui-là. Le monde faisait alors, pour la première fois, l'expérience d'un certain cosmopolitisme. C'est précisément à cette époque qu'est né et que s'est affirmé le terme même de kosmopolitès, cosmopolite. Dans les grandes villes hellénistiques, comme Alexandrie d'Egypte, on respirait un air d'universalité et de tolérance religieuse.

Comment se comporte, dans une telle situation, l'auteur du quatrième évangile ? A-t-il cherché à adapter Jésus à ce climat dans lequel toutes les religions et les cultes étaient accueillis, à condition d'accepter de faire partie d'un ensemble plus grand ? Absolument pas. Il n'a fait de polémique contre personne, si ce n'est contre les mauvais chrétiens et les hérétiques au sein de l'Eglise ; il ne lança aucune polémique contre d'autres religions et cultes de l'époque (si ce n'est, dans l'Apocalypse, contre l'indu de l'empereur) ; il annonça simplement le Christ comme don suprême du Père au monde, laissant chacun libre de l'accueillir ou non. Il a, il est vrai, polémiqué avec le judaïsme, mais cela n'était pas pour lui une « autre religion », c'était sa religion !

Comment Jean est-il parvenu à une admiration aussi totale et une idée aussi absolue de la personne de Jésus ? Comment expliquer qu'au fil des années, son amour pour lui, au lieu de s'affaiblir, n'a fait qu'augmenter ? Je crois que cela est dû, au-delà de l'Esprit Saint, au fait qu'à ses côtés se tenait la Mère de Jésus, qu'il vivait avec elle, priait avec elle, parlait avec elle de Jésus. C'est impressionnant de penser que lorsqu'il conçut la phrase : « Et le Verbe s'est fait chair », l'évangéliste avait près de lui, sous le même toit, celle dans le sein duquel ce mystère s'était accompli.

Origène a écrit : « La fleur des quatre évangiles est l'évangile de Jean, dont seul celui qui a posé la tête sur la poitrine de Jésus et qui a reçu de lui Marie comme sa propre mère, peut saisir le sens profond » (6).

Jésus est né de la Vierge Marie, conçu du Saint Esprit. L'Esprit Saint et Marie, sont, à titres différents, les deux meilleurs alliés de notre effort pour nous approcher de Jésus, pour le faire naître, par la foi, dans notre vie, en ce Noël.

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(1) Saint Augustin, In Ioh. 38,10 (PL 35, 1680).
(2) Origène, Contro Celso, I, 26.28 (SCh 147, pp. 202 ss.).
(3) J. Ratzinger, Introduzione al cristianesimo, cit., p.149.
(4) Saint Augustin, In Ioh. 26,2 (PL 35, 1607).
(5) J. Guillet, Jesus, in "Dictionnaire de spiritualité", 8, col. 1098.
(6) Origène, Commento a Giovanni, I, 6, 23 (SCh 120, pp. 70 s).

[Texte original : italien - Traduction réalisée par Zenit]
ZF05120908

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