Conseil pontifical de la famille

La Famille et les droits de l'Homme

Présentation Nous avons célébré récemment le 50ème anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. Cette déclaration, basée sur la notion de dignité de la personne, et promouvant et défendant le respect vis-à-vis des peuples et de chacun de leurs membres, a certainement représenté une conquête pour l'humanité. Le Conseil Pontifical pour la Famille a déjà pris ce sujet comme objet de ses réflexions en octobre 1998, lors de la Seconde Rencontre des Hommes Politiques et Législateurs d'Europe, au Vatican, et en août 1999, lors de la Troisième Rencontre des Hommes Politiques et Législateurs d'Amérique, à Buenos Aires, Argentine. Certes, cette Déclaration n'a pas empêché les nombreuses atteintes et violations portées aux droits de l'homme au cours de ces cinquante années. Cependant, la reconnaissance de ces principes constitue, sans aucun doute, un stimulus notable pour l'esprit et la pratique de la justice dans les différents pays et dans les relations entre les pays, dans la mesure où se conserve la véritable « universalité », et où la Déclaration n'est pas soumise à des fragmentations pouvant altérer son caractère originel. La Déclaration reconnaît la Famille comme « élément naturel et fondamental de la société » (art. 16). Nous offrons la présente réflexion sur les droits de la famille dans ce contexte de la Déclaration Universelle. Elle a été réalisée lors d'un séminaire auquel prirent part un large groupe de spécialistes en diverses sciences. Nous offrons aussi dans cette même publication, pour des raisons pratiques et pour contribuer à sa diffusion et à sa connaissance, le texte de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme des Nations Unies et celui de la Charte des Droits de la Famille du Saint-Siège. La Charte représente une réflexion profonde et un développement, à la lumière de la raison, sur ce qui est déjà indiqué dans la Déclaration. Ces documents ne sont pas toujours à portée de main. Le réflexion que nous offrons à l'occasion de ce 50ème anniversaire constitue un instrument pour le dialogue et l'échange scientifique sur des thèmes qui touchent aux biens fondamentaux de la personne et de la société. Alfonso Cardinal López Trujillo
Président S. E. Mgr Francisco Gil Hellίn
Secrétaire   1. Introduction 1.1. Un point de rencontre 1. Nous sommes un groupe d'experts et de personnes qui se battent pour la cause de la famille et de la vie,1 réuni, à l'appel du Conseil Pontifical pour la Famille, pour réfléchir pendant trois jours (du 14 au 16 décembre 1998) sur le thème « Droits humains et droits de la famille ». C'est donc avec une vive espérance que nous nous associons à la célébration du cinquantenaire de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, promulguée par l'ONU le 10 décembre 1948.2 2. Par le présent document (qui se limite à quelques considérations d'une importance particulière, et que nous sommes heureux d'offrir comme piste en vue de considérations ultérieures et plus approfondies), nous entendons non seulement reconnaître la signification et la validité de cette Déclaration, mais aussi aller plus loin dans la perspective d'une réelle universalité et de la nécessité de son application intégrale. Nous reconnaissons la valeur et la capacité permanente d'inspiration de cette Déclaration, puisque nous partageons les éléments d'une même vérité. Partager la vérité est une condition indispensable de la cohabitation humaine. Certes, nous n'ignorons pas les réserves que la Déclaration peut susciter: elle peut favoriser l'individualisme et le subjectivisme. Diverses critiques ont été formulées en ce sens. Mais il convient de souligner la grande convergence qui existe entre la Déclaration et l'anthropologie et l'éthique chrétiennes,3 en dépit du fait qu'elle ne contient aucune référence à Dieu. Il y a, en outre, une identité conceptuelle sur certains points qui sont reconnus comme naturels, en ce sens qu'ils font partie de la conscience commune de l'humanité. Il ne s'agit pas, bien entendu, de droits créés par la Déclaration, mais de droits reconnus et codifiés par elle. « La Déclaration universelle est claire: elle reconnaît les droits qu'elle proclame, elle ne les confère pas ».4 En outre, par le fait qu'elle reconnaît « la dignité inhérente » et les « droits égaux et inaliénables de tous les membres de la famille humaine »,5 la Déclaration constitue un « point de rencontre » pour la réflexion et l'action conjointes. 3. Après les souffrances de la guerre, avec ses blessures profondes et avec les très graves attentats contre la dignité de l'homme qui la marquèrent, l'humanité s'unit pour affirmer « la valeur de la personne humaine »,6 ainsi que le respect et la protection qui lui sont dues. Provenant de toutes parts et de toutes les cultures, les nations du monde proclamèrent des vérités universelles, des droits universels et des biens universels. Malgré la diversité des nations du monde, leurs délégués écoutèrent les inspirations de l'esprit, l'appel de la raison, les leçons de l'histoire et les inclinations du cœur.7 Au nom des peuples du monde, les nations se mirent d'accord pour renoncer à l'idéologie, en dépassant l'utilitarisme, et pour reconnaître les fins enracinées dans la nature de toutes les personnes et de chaque personne. La Déclaration universelle des Droits de l'Homme qui en résulta contenait une dynamique d'universalité qui a fait que, autour de la vérité de l'homme, le nombre des nations qui ont adhéré à la Déclaration n'a cessé de croître, au point qu'il inclura un jour — désormais proche — toutes les nations de la terre. 4. Nous sommes conscients que la « guerre froide » fit obstacle à l'application de la Déclaration, mais nous discernons aussi les grandes possibilités que renferme notre époque dite de « globalisation ». Une globalisation qui ne se limite pas aux seules questions économiques, mais recouvre aussi d'autres réalités et d'autres dimensions, qui doivent converger dans la reconnaissance de la dignité de la personne humaine et passer par un corps de valeurs éthiques ayant un caractère obligatoire. Tout ceci sera une réalité si nous découvrons la manière de promouvoir la reconnaissance et l'application des droits humains. 5. Dans son message du 30 novembre 1998, Jean-Paul II rend explicitement hommage à la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, qu'il qualifie de « l'un des documents les plus précieux et significatifs de l'histoire du droit ».8 Les droits énumérés dans la Déclaration forment un tout intégré, ayant pour base commune l'affirmation de la dignité de chaque personne. La dérogation à l'un quelconque de ces droits est une violation de l'humanité de la personne. Jean-Paul II a ajouté — et c'est un avertissement d'une grande importance — qu'un usage sélectif de ses principes met en danger « la structure organique de la Déclaration, qui associe chaque droit à d'autres droits et à d'autres devoirs et limitations nécessaires à un ordre social juste ».9 6. Pour toutes ces raisons, le présent document n'est pas seulement une « célébration jubilaire » de celui publié en 1948, mais une exhortation adressée à tous ceux qui reconnaissent le rôle central de la personne humaine et de la famille comme noyau fondamental et irremplaçable, capable de donner vie à une société qui reflète le monde auquel nous aspirons. La construction de cette société est la tâche noble et difficile de l'humanité. 7. Nous nous concentrerons sur deux domaines inséparables: la famille et la vie, par rapport à la Déclaration historique. Dans ces domaines, ce document conserve toute son importance et sa valeur, et plus encore aujourd'hui que les attentats contre la famille, qui dans son identité ne présente ni alternative ni solution de remplacement, se répandent de façon alarmante, et que se multiplient les menaces contre la vie, sous le couvert d'un discours de justice apparente qui prétend couvrir la défiguration de la réalité et du sens de ce don sacré. 1.2. Le rôle de la famille 8. Nous considérons que la Déclaration de 1948, qui s'inspire de valeurs anthropologiques et éthiques solidement ancrées et qui s'appuie sur des convictions d'ordre moral objectif, bien enracinées, conserve toute sa validité même si elle répond à des circonstances culturelles, socioéconomiques et politiques historiquement datées. La Déclaration garde intacte sa capacité d'établir et d'animer un dialogue efficace et fécond avec le monde d'aujourd'hui, avec ses questions et ses défis. Dans cette perspective, la promotion des « droits humains » doit être renforcée, face aux multiples aspects de la crise actuelle. 9. Un point fondamental pour la promotion des droits humains est la reconnaissance des « droits de la famille », ce qui implique la protection du mariage dans le cadre des « droits humains » et de la vie familiale comme objectif de leur organisation juridique. Dans la Charte des Droits de la Famille, présentée par le Saint-Siège, la famille est conçue comme un sujet qui intègre l'ensemble de ses membres. La famille est donc un tout qui ne doit pas être divisé dans son traitement, en isolant ses composantes, pas même en invoquant des raisons de suppléance sociale, laquelle est certainement nécessaire dans bien des cas, mais ne doit jamais mettre le sujet famille en position marginale. La famille et le mariage doivent être défendus et promus non seulement par l'État, mais par la société tout entière. Ils requièrent l'engagement résolu de chaque personne, puisque c'est à partir de la famille et du mariage qu'il est possible de donner une réponse intégrale aux défis du présent et aux risques de l'avenir. 10. Des défis tels que les menaces contre la survie, la « culture de la mort », la violence, l'absence de protection, le sous-développement, le chômage, les migrations, les distorsions des moyens de communication, etc., ne peuvent être affrontés avec succès qu'à partir d'une conception des droits humains qui s'exercent concrètement à travers la famille, en transformant la société qui en elle et par elle se génère. 2. LA SOCIÉTÉ:
COMMUNION DE PERSONNES 11. Nous sommes convaincus qu'il est non seulement possible, mais nécessaire d'établir et de promouvoir un dialogue, à partir de la raison humaine, sur la société et sur les principes et les exigences éthiques qui doivent gouverner la cohabitation humaine.10 Nous ne voyons pas d'autre manière de nous acheminer sur des bases communes avec les non-croyants. Cependant, nous souhaitons prolonger notre réflexion en une vision dans laquelle la foi et la raison convergent. La raison s'enrichit quand elle est éclairée par la foi, laquelle lui donne une profondeur et une densité qui sont au service de la dignité de l'homme et des peuples.11 2.1. Le fondement de la fraternité 12. Depuis toujours, on cherche dans l'homme les traits propres à son être. Dans notre siècle, on a beaucoup étudié l'homme sous l'angle des multiples sciences humaines; pourtant, jamais on ne s'était posé avec autant d'insistance la question de savoir qui est l'homme. On n'a pas résolu le paradoxe suivant: si d'un côté, on n'a jamais autant parlé de l'homme, de sa dignité, de sa liberté, de sa grandeur et de son pouvoir, de l'autre, l'homme n'a jamais été autant vilipendé, objet de terribles massacres, humilié par la violence, surtout celle des puissants.12 Les guerres mondiales, les guerres fratricides (et toute guerre l'est, puisque « chaque homme est mon frère ») et les guerres tribales sont un chapitre obscur de l'histoire. Et jamais non plus il n'y avait eu autant d'attentats contre les plus faibles et innocents, une catégorie de personnes vilipendée de tant des manières.13 Depuis d'Antiquité, on considère que l'homme se caractérise par sa raison. Ainsi Euripide affirma que « l'intellect est Dieu en chacun de nous ».14 De le même ordre d'idées, Platon15 et Aristote16 indiquèrent la raison comme étant la faculté qui distingue l'homme. À la suite de la célèbre définition de Boèce: « Individua substantia rationalis naturae », saint Thomas d'Aquin, en continuant sur cette voie, reconnut que l'homme — qui est personne, est entant que tel ce qu'il y a de plus parfait dans la nature tout entière: perfectissimum in omni natura. L'homme est un être subsistant, corporel et spirituel; il est un tout structuré. Il est distinctum subsistens in intellectuali natura. 13. Les concepts de personne et de dignité sont mutuellement liés mais ne s'identifient pas entre eux. La personne se réfère à l'être à son plus haut degré de perfection, sous ses trois aspects de subsistance, spiritualité et totalité. La dignité se réfère avant tout à une qualité de l'être, à une valeur qui peut être opposée à une anti-valeur. Chaque personne, par le simple fait qu'elle est une personne, possède une dignité connaturelle qui doit être reconnue et respectée.17 Mais l'être personnel, par le fait qu'il est libre et qu'il est en devenir, est appelé à acquérir une autre dignité à travers le développement de ses possibilités humaines. En ce sens, il peut posséder également une dignité acquise, qu'il conquiert à mesure qu'il se perfectionne dans son propre ordre humain. 14. Comme image de Dieu, l'homme a été créé par un acte d'amour. Dieu a voulu communiquer à l'homme une nature distincte de celle de tout l'ordre créé. L'homme émerge parmi les autres être créés; il les transcende. Nous participons tous à l'existence sur le mode personnel par l'action d'un même Dieu créateur. Comme créature personnelle, dotée de raison et de libre arbitre, appelée à la félicité éternelle, chaque être humain reflète une part de la magnificence divine. Tel est le fondement ultime et indispensable de notre fraternité. 15. La famille est le lieu par excellence, le plus propice et irremplaçable, pour la reconnaissance et le développement de l'être personnel dans son cheminement vers la pleine dignité. En elle, il entame son développement humain. En elle il se forme, non seulement dans un utérus maternel, mais aussi, comme l'a dit saint Thomas, dans un « utérus spirituel ».18 C'est dans ce milieu familial et formateur que débute le processus d'éducation et de promotion de l'être humain. Le sujet qui ne reçoit pas cette première promotion familiale est fortement défavorisé pour atteindre la plénitude humaine à laquelle il est appelé de par sa condition de personne. 2.2. La famille: base de la société 16. Le respect des droits humains est nécessaire au développement humain des personnes dans la communauté. Ces biens comprennent la vie elle-même, la santé, la connaissance, le travail, la communauté et la religion. Avant tout, « la famille est une communauté de personnes pour lesquelles la vraie façon d'exister et de vivre ensemble est la communion: communio personarum ».19 Ces biens, qui pour elles sont essentiels, ne peuvent se réaliser que lorsqu'un homme et une femme s'engagent l'un envers l'autre par un don total dans le mariage, communauté d'amour et de vie, et qu'ils sont prêts à accueillir pleinement — dans la procréation et l'éducation — le don d'une nouvelle vie. Les parents donnent à cette nouvelle vie un foyer dans lequel l'enfant peut croître et se développer. Tous les droits nécessaires par nature au développement de la personne dans sa totalité se réalisent dans la famille de la manière la plus efficace. La famille, de par sa nature, est un sujet de droit, elle est l'élément fondateur de la société humaine et la force la plus nécessaire pour le développement total de la personne humaine. L'importance de la médiation sociale de la famille est incontestable. Elle garde toute sa valeur, malgré les changements qui ont affecté la famille dans l'histoire. 17. Puisque tous les hommes sont des personnes, le Saint-Père a qualifié cette institution fondamentale de la société de « communio personarum ».20 « Plus que toute autre réalité humaine, la famille est le milieu dans lequel l'homme peut exister "pour lui-même" par le don désintéressé de soi. C'est pourquoi elle reste une institution sociale qu'on ne peut pas et qu'on ne doit pas remplacer: elle est "le sanctuaire de la vie" ».21 En conséquence, promouvoir dans l'être de l'homme son projet existentiel est, avant tout, reconnaître sa réalité personnelle et la dignité qui lui est connaturelle. Pour réaliser cette finalité, la valorisation de la famille et de chacun des membres qui la composent s'impose avec une force croissante. 3. LA PERSONNE:
SA DIGNITÉ, SES DROITS 3.1. Dignité et égalité 18. Le concept de dignité de l'être humain doit toujours être la clé d'interprétation de la Déclaration de 1948. Il est mentionné au premier paragraphe du préambule, reconnu à l'article premier et réaffirmé par la suite tout au long de la Déclaration. Toutes les affirmations, principes et droits mentionnés dans la Déclaration ont été rédigés et doivent être interprétés à la lumière de la dignité propre à l'être humain. 19. La Déclaration recueille le fruit du patrimoine historique de l'humanité. La conception chrétienne de l'homme donne à cette réalité un fondement encore plus solide, puisqu'elle affirme que l'homme est le seul être qui vaut pour lui-même, et pas seulement en raison de l'espèce. Qui plus est, c'est un être qui a été créé à l'image et à la ressemblance de Dieu (Gn 1,27) et qui, de ce fait, est doté d'une valeur absolue: la créature humaine est aimée de Dieu pour elle-même, comme fin.22 Elle n'est donc pas un moyen, une chose manipulable. 20. La Déclaration universelle commence par affirmer qu'elle reconnaît la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine, ainsi que leurs droits égaux et inaliénables.23 Elle confirme ainsi que cette dignité est une réalité qui émane de ce que l'homme est, autrement dit de sa nature. Elle est, par conséquent, le reflet de la réalité substantielle et spirituelle de la personne humaine, et non celui d'une création de la volonté ou d'une concession des pouvoirs publics, ni le produit des cultures ou des circonstances historiques. 21. Dans la Déclaration, la dignité de l'être humain est mise en relation avec la raison et la conscience dont l'être humain est doté24 et donc avec son libre arbitre. C'est aussi ce que souligne expressément l'encyclique Pacem in terris.25 Il est donc évident que la dignité n'est pas un concept vague, purement formel ou vide, mais au contraire un concept riche en contenu, comme le montrent les articles ultérieurs de la Déclaration. Il s'agit de la dignité et de la possibilité pour chaque personne réelle de réaliser sa propre personnalité et ses propres droits, non pas de façon abstraite, mais concrètement, en tant que femme ou homme, épouse ou époux, enfant ou parent. 22. La Déclaration, d'un autre côté, proclame et reconnaît la pleine égalité de toute personne,26 d'où l'interdiction de toute forme de discrimination ou de limitation de ses droits pour des motifs « de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique,... d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ».27 Cette égalité se manifeste également en reconnaissant à toute personne des droits à chaque stade de sa croissance et à chaque moment de sa vie. 3.2. Tout être humain 23. Cette dignité, tout être humain la possède, comme le réaffirme à maintes reprises la Déclaration, dont la quasi-totalité des articles commence par des expressions telles que « tous les êtres humains », « tous les membres de la famille humaine », « tous les individus humains sans distinction aucune », etc. L'énumération des droits et des devoirs inclus dans la Déclaration fournit par conséquent une orientation à la fois juridique et éthique, qui permet d'envisager les multiples situations humaines, tant celles existantes au moment où la Déclaration fut rédigée que celles dérivant des changements sociaux ultérieurs et des innovations introduites par le développement de la technologie, de l'économie et des institutions politiques à l'intérieur des États. 24. Il est évident que tout ce qui est dit à propos de la dignité, des droits et des devoirs de l'être humain vaut également pour l'homme et pour la femme. La dignité commune des hommes et des femmes, et sa réciprocité, est la base authentique qui permet d'affirmer leur pleine dignité. La réciprocité implique, en effet, qu'entre l'homme et la femme il n'existe ni une égalité statique et indifférenciée, ni une distinction conflictuelle inexorable et irréconciliable.28 3.3. Travail et famille 25. Le travail, droit et devoir,29 exprime et réalise la dignité de l'être humain; il manifeste sa capacité de dominer le monde qui l'entoure, contribue au développement de sa personnalité30 et rend possible le progrès de la civilisation. L'ensemble de la société, des organes et des politiques des États doit concourir à mettre en place des conditions telles qu'il existe une possibilité de travail pour tous. Il ne faut pas oublier que « le travail est le fondement sur lequel s'édifie la vie familiale, qui est un droit naturel et une vocation de l'homme. Ces deux sphères de valeurs – l'une lié au travail, l'autre dérivant du caractère familial de la vie humaine – doivent correctement s'unir et s'influencer de façon correcte. Le travail est, d'une certaine manière, la condition qui rend possible la fondation d'une famille, puisque celle-ci exige des moyens de subsistance que l'homme acquiert normalement par le travail ».31 26. La contribution spécifique que le père et la mère apportent, par leur travail, à la société, doit être reconnue. Celle que la mère apporte à la famille, et par son intermédiaire, à la société, mérite la plus grande considération et a d'ailleurs attiré l'attention de quelques-uns des penseurs les plus éminents de notre époque. Cette contribution spécifiquement maternelle se manifeste à l'évidence dans le domaine de l'éducation, de la santé, de l'instruction, de la formation religieuse et de toutes les activités qui concourent au bien-être de la famille et de ses membres. Jean-Paul II a souligné à maintes reprises l'importance ce cette contribution.32 Mais l'accent mis sur la contribution de la mère ne doit pas pour autant rejeter dans l'ombre l'importante contribution spécifique du père; ces deux contributions sont complémentaires. 27. Concrètement, l'homme et la femme, dans la famille, se complètent par leur travail et concourent à la pleine réalisation de leur vie conjugale et à l'éducation et au bien-être de leurs enfants. Eu égard au fait que la maternité et la paternité font partie du don créatif le plus éminent du genre humain, celui de la transmission de la vie, l'organisation de la société et les lois de l'État doivent faire en sorte que l'organisation et la rémunération du travail aident la femme à réaliser sa vocation de mère, par la gestation et l'éducation des enfants.33 4. LE DROIT À LA VIE 4.1. La clé des autres droits 28. L'affirmation de la dignité de chaque être humain a pour conséquence immédiate et essentielle le droit fondamental à la vie, reconnu par l'article 3 de la Déclaration: « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne ». Ce droit, l'être humain le possède dès l'instant où son existence commence, c'est-à-dire dès l'instant de la conception, et pas seulement de la naissance.34 29. Dès le premier instant de sa conception, l'homme reçoit de Dieu sa réalité personnelle. La personne possède dans son être une dignité qui lui est inhérente. Autrement dit, tant la personne que sa dignité se situent sur le plan ontologique. Peu importent les manifestations possibles de l'homme au cours de son évolution; dès l'instant de sa conception, il est pour toujours une personne dont la dignité doit lui être reconnue dans toutes les circonstances de son parcours existentiel. 30. Avant tout, l'homme a droit à la vie, fondement et clé de tous les autres droits, comme droit inviolable, garanti et protégé en toute circonstance, non seulement par les lois et les politiques de l'État, mais aussi par une authentique culture de la vie, « car aucune offense au droit à la vie, à la dignité de toute personne, n'est sans importance ».35 C'est un droit fondamental, au sens le plus fort que l'on puisse donner à ce terme, puisque sans lui les autres droits perdent leur consistance, par absence de sujet, de support. Il faut bien distinguer entre un droit fondamental, d'une part, et sa valeur et sa noblesse, d'autre part. D'autres droits peuvent revêtir plus d'importance et de noblesse. Au point que, pour eux, il est digne et licite de donner ou de risquer sa propre vie. 4.2. Protection avant et après la naissance 31. L'article 3 de la Déclaration de 1948 affirme que « tout individu a droit à la vie... ». Ce principe a été développé dans la Déclaration des Droits de l'Enfant, adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 20 novembre 1959, selon laquelle « l'enfant, en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle, a besoin d'une protection spéciale et de soins spéciaux, y compris de la protection légale due tant avant qu'après la naissance ». Cette déclaration a été ensuite incorporée dans le « Préambule » de la Convention sur les Droits de l'Enfant approuvée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 20 novembre 1989. 32. Elle doit être considérée comme un principe fondamental du système international de protection des droits humains (ius cogens36), puisqu'elle fait incontestablement partie de la conscience commune des sujets de la communauté internationale. 33. Donc, le droit international réaffirme un principe de la tradition juridique canonique romaine, selon lequel l'individu humain, de par sa naissance, existe en tant que personne. Les droits de l'enfant à naître et sa condition de personne avaient déjà été affirmés, dès l'Antiquité, par Ulpien, Justinien, Gratien et bien d'autres maîtres du droit. Sur cette ligne de pensée, les réflexions judaïque, chrétienne et musulmane convergent. 34. D'un autre côté, toute intention normative qui prétendrait promouvoir le « droit » à l'avortement ou toute autre forme de négation de la vie humaine à naître est en contradiction avec les développements de la législation internationale. Cette législation, de façon cohérente, garantit « le droit à venir au monde pour celui qui n'est pas encore né »; protège « les nouveau-nés, et en particulier les filles, du crime de l'infanticide », assure aux « personnes handicapées le développement de leurs possibilités, et l'attention voulue aux malades et aux personnes âgées ».37 4.3. Les droits de l'enfant à naître 35. Conformément à ces orientations de la pensée juridique, réaffirmées par la communauté internationale et par son système juridique, nous déclarons que: 36. dès le premier instant de son existence, c'est-à-dire dès la fécondation de l'ovule, l'être humain possède la dignité spéciale propre à la personne et jouit des droits qui lui appartiennent selon les étapes de son développement;38 37. dès le début de son existence prénatale, l'être humain est un sujet qui a droit à la vie et à la sûreté de sa personne; 38. dès le début de sa vie, l'être humain a droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique, avec toutes les conséquences qui découlent d'une telle reconnaissance; 39. la personne à naître est un « enfant » au sens et avec toutes les conséquences inscrites dans la Convention sur les Droits de l'Enfant; 40. l'enfant à naître a droit à ce que la législation garantisse, dans toute la mesure du possible, sa survie et son développement;39 41. toute politique ou tout moyen concret de planification démographique qui comporte ou implique un attentat contre la survie ou la santé de l'enfant à naître doit être considéré comme contraire au droit à la vie et à la dignité humaine. 42. L'enfant à naître a droit à ce que la législation le protège contre toute expérimentation sur sa personne et contre toute pratique médicale n'ayant pas directement pour objet la protection ou l'amélioration de sa santé; le clonage humain et toute autre pratique qui porte atteinte à la dignité de l'enfant à naître doivent être proscrits: « Jamais, la vie ne peut être réduite à un simple objet ».40 4.4. Devoirs de la famille et de l'État vis-à-vis de l'enfant à naître 43. La famille est l'institution première pour la protection des droits de l'enfant. C'est pourquoi l'intérêt de l'enfant exige que sa conception ait lieu dans le mariage et par l'acte spécifiquement humain de l'union conjugale. « Le don de la vie humaine doit se réaliser dans le mariage moyennant les actes spécifiques et exclusifs des époux, suivant les lois inscrites dans leurs personnes et dans leur union ».41 44. En raison du lien entre mère et nouveau-conçu et de la fonction irremplaçable du père, il est nécessaire que l'enfant à naître soit accueilli au sein d'une famille qui lui garantisse, dans la mesure où cela est possible et conforme au droit naturel, la présence de la mère et du père. Le père et la mère en tant que couple, selon les caractéristiques qui leur sont propres, procréent et éduquent l'enfant. L'enfant a donc droit à être accueilli, aimé, reconnu au sein d'une famille. En ce sens, la Convention sur les Droits de l'Enfant représente un pas en avant très significatif, et doit être appliquée. 45. L'enfant à naître a droit à être identifié par le nom de ses parents, à leur hérédité, et par conséquent à la protection de son identité.42 46. L'enfant à naître a droit à un niveau de vie suffisant pour son plein développement psychophysique, spirituel, moral et social, y compris en cas de rupture du lien matrimonial de ses parents.43 47. Les parents ont la responsabilité primaire de former et d'éduquer leurs enfants pour garantir leur développement intégral ainsi qu'un niveau de bien-être social, spirituel, moral, physique et intellectuel convenable pour eux. A cette fin, sont appelés à concourir tant la législation que les services de l'État, pour donner à la famille un soutien adéquat.44 48. Suivant le principe de subsidiarité, c'est uniquement quand la famille n'est pas en condition de défendre convenablement les intérêts de l'enfant à naître que l'État a le devoir d'appliquer des mesures spéciales de protection en sa faveur, et notamment: l'assistance à la mère avant et après l'accouchement, la cura ventris, l'adoption prénatale, la tutelle. De même, l'intervention de l'État dans la vie familiale est justifiée uniquement quand la dignité de l'enfant et ses droits fondamentaux sont sérieusement menacés, en tenant compte exclusivement de « l'intérêt supérieur de l'enfant », sans aucune discrimination.45 49. En outre, eu égard à leur condition particulière ainsi qu'aux sévices auxquels elles sont exposées, les fillettes et les jeunes filles nécessitent des mesures spéciales de protection. 50. Comme toutes les personnes handicapées, et à plus forte raison encore, les enfants handicapés ont droit à la protection et à l'aide requises par leur condition. En conséquence, l'État doit aider la famille à accueillir les handicapés et favoriser leur intégration dans la société, en leur accordant le bénéfice de mesures spéciales correspondant à leur condition, de manière à ce qu'ils puissent jouir pleinement de tous les droits fondamentaux.46 51. La tâche d'approfondir la signification du droit à l'adoption est particulièrement d'actualité, en se souvenant toujours qu'il faut que « l'intérêt supérieur de l'enfant soit la considération primordiale »47 et sans y mêler aucune considération d'un autre ordre, quelque noble qu'elle puisse paraître. À la lumière de cet intérêt supérieur, il faut que soit ratifié le refus catégorique que les « unions de fait », et tout spécialement les unions du même sexe, puissent avancer un droit à l'adoption. Dans ce cas, la formation intégrale de l'enfant subirait un préjudice très grave. 5. SOLIDARITÉ ET FRATERNITÉ 5.1. Participation et liberté 52. La Déclaration universelle des Droits de l'Homme exhorte tous les êtres humains à se comporter les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.48 Par cette affirmation, le document est en harmonie avec la pensée sociale chrétienne et avec sa défense de la solidarité humaine. Comme membre de plein droit de la famille humaine, chaque homme et chaque femme a le droit et la responsabilité de participer à la vie sociale, politique et culturelle aux niveaux local, national et international. De par sa nature, la personne humaine fait partie de la famille humaine. Notre humanité est partagée, et le fait d'être des personnes nous lie, de manière immédiate et irrévocable, au reste de la communauté humaine. En vertu de ces liens de solidarité et de fraternité, nous pouvons parler de famille humaine, de la famille des peuples. 53. Pour que cette participation prenne tout son sens, elle doit être consciemment pratiquée et choisie. La vertu sociale de solidarité est la volonté de pratiquer la participation dans la recherche de la justice sociale. Il ne faut pas oublier que « la pratique de la solidarité à l'intérieur de toute société est pleinement valable lorsque ses membres se reconnaissent les uns les autres comme personnes ». Ceci implique que « ceux qui ont le plus de poids, disposant d'une part plus grande des biens et des services communs, devraient se sentir responsables des plus faibles et être prêts à partager avec eux ce qu'ils possèdent. De leur côté, les plus faibles, dans la même ligne de solidarité, ne devraient pas adopter une attitude purement passive ou destructrice du tissu social mais, tout en défendant leurs droits légitimes, faire ce qui leur revient pour le bien de tous ».49 La solidarité signifie, par conséquent, l'acceptation de notre nature sociale et l'affirmation des liens que nous partageons avec tous nos frères et toutes nos sœurs. La solidarité crée un milieu dans lequel le service mutuel est favorisé. La solidarité crée les conditions sociales pour que les droits humains soient respectés et alimentés. La capacité de reconnaître et d'accepter toute la gamme des droits et des obligations correspondantes, qui ont leur fondement dans notre nature sociale, peut se réaliser uniquement dans un climat vivifié par la solidarité. Ceci vaut également à la lumière de l'interdépendance croissante, laquelle « doit se transformer en solidarité fondée sur le principe que les biens de la création sont destinés à tous ».50 5.2. Engagement en faveur des plus faibles 54. Notre solidarité vis-à-vis de toute la famille humaine implique un engagement spécial en faveur des plus vulnérables et marginalisés. Ils doivent constituer une catégorie privilégiée pour l'amour et la sollicitude des autres. L'unité naturelle de la famille humaine ne peut se réaliser dans sa plénitude si des peuples subissent les tourments de la pauvreté, de la discrimination, de l'oppression et de l'aliénation sociale qui conduisent à l'isolement et à la déconnexion de la communauté plus vaste. 55. Cependant, pour être vertueux, notre engagement d'amour doit être bénévole. La solidarité nous pousse en particulier à instaurer des relations tendant vers l'égalité aux niveaux local, national et international. Tous les membres de la communauté humaine doivent être inclus de la manière la plus ample possible dans le cercle des relations productives et créatrices.51 56. Les peuples du Tiers-Monde, en particulier, ont subi les assauts des ennemis de la vie et méritent, de ce fait, notre sollicitude spéciale. Les mauvaises récoltes, la situation de réfugié, la guerre, des maladies comme le SIDA, la malaria, aggravées per la corruption, continuent de faucher la vie de personnes innocentes dans de nombreux pays. Ces maux entravent le plein développement et la productivité de ces peuples, et les empêchent de s'unir au reste de la famille humaine à conditions égales. Bien souvent, le développement productif et économique a lieu en laissant de côté ces peuples. La solidarité exige que la communauté internationale poursuive ses efforts pour appliquer des stratégies globales destinées à lutter contre les maladies et contre la faim et à promouvoir un authentique développement humain. La dimension normative de la solidarité requiert un effort pour établir avec les pays en développement des relations tendant à l'égalité. Dans ce processus, ceux qui jouissent des privilèges du surplus ont une obligation correspondante: celle de donner généreusement, afin de mettre les moins fortunés en condition d'atteindre par eux-mêmes des niveaux de vie conformes à la dignité humaine. 57. Néanmoins, il est nécessaire de procéder avec prudence, afin que les interventions dans les pays étrangers respectent l'intégrité des cultures et des économies locales. Trop fréquemment, au nom de la solidarité, l'aide étrangère afflue vers des gouvernements corrompus sans parvenir à ses destinataires, qui sont ceux qui en auraient le plus besoin. De plus, diverses formes d'intervention engendrent au niveau local des distorsions qui sont de nature à créer une dépendance, de sorte que loin de favoriser l'égalité des conditions, elles détruisent les moyens d'autosuffisance. Les programmes d'aide au nom de la solidarité doivent être conçus de manière à intégrer à la logique de la solidarité de solides principes économiques, culturels et politiques. De cette façon, la solidarité aboutira à une union significative entre les peuples, dans le contexte de la diversité humaine. 5.3. Solidarité entre hommes et femmes 58. En tant que première communauté naturelle, la famille est le lieu exemplaire de la solidarité. C'est dans la famille que l'être humain prend peu à peu conscience de sa dignité, qu'il acquiert le sens des responsabilités, qu'il apprend à être attentif aux autres. Dans la famille, la solidarité se développe au-delà de la relation d'amour entre les époux; elle s'étend aux relations entre parents et enfants, aux relations entre frères et sœurs et aux relations entre les générations. 59. La vraie communion de la solidarité inclut et se construit sur la réciprocité des sexes. L'homme et la femme partagent à égalité les avantages et les charges de la solidarité. Ils sont complémentaires: « Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa » (Gn 1,27). Pour manifester qu'il est à l'image du Dieu trinitaire, l'être humain doit vivre son existence selon deux modalités complémentaires: le mode masculin et le mode féminin. L'existence humaine est donc participation à l'existence d'un Dieu qui est communion d'amour. 60. Egalité de dignité ne signifie pas uniformité indifférenciée. Appelés par le Créateur à vivre une relation de communion, réciprocité et solidarité, les hommes et les femmes contribuent sous une forme originale à la famille et à la société. Une authentique « culture de l'égalité » accueille et respecte la contribution originale tant des hommes que des femmes. 61. En tant que personnes, les hommes et les femmes partagent des dimensions et des valeurs communes fondamentales. Néanmoins, dans chaque sexe, ces valeurs se diversifient par leur force, leur intérêt et leur emphase, et cette diversité se transforme en une source d'enrichissement. En conséquence, la solidarité se réalise plus pleinement quand les femmes et les hommes coopèrent les uns avec les autres dans une relation de réciprocité et de solidarité. 6. DROITS DE LA FAMILLE
ET SUBSIDIARITÉ 6.1. Société civile, société politique 62. L'Église reconnaît et soutient le devoir indispensable de l'État en matière de défense et de promotion des droits humains. Les institutions politiques ont la responsabilité naturelle de fournir un cadre juridique équitable pour que toutes les communautés sociales puissent coopérer en vue du bien commun. Le principe de subsidiarité est en soi un principe du bien commun. Un bien commun qui doit être considéré au niveau le plus ample, comme universel. C'est pourquoi les droits humains — et en particulier ceux de la famille — ne peuvent se développer qu'en opérant en accord avec la subsidiarité. « La doctrine de l'Église a élaboré le principe dit de subsidiarité. Selon ce principe, "une société d'ordre supérieur ne doit pas intervenir dans la vie interne d'une société d'ordre inférieur, en lui enlevant ses compétences, mais elle doit plutôt la soutenir en cas de nécessité et l'aider à coordonner son action avec celle des autres éléments qui composent la société, en vue du bien commun"52 ».53 63. Non seulement la Déclaration universelle reconnaît explicitement la distinction entre société et État, mais elle valorise également la contribution au bien commun de nombre de communautés qui forment ce que Tocqueville a appelé la « société civile », par opposition à la « société politique ». La société politique a pour raison d'être l'exercice du pouvoir, en recourant, le cas échéant, à la coercition. C'est pourquoi l'exercice du pouvoir doit être strictement contrôlé par des règles constitutionnelles. L'État ne doit pas intervenir dans les domaines où l'initiative des particuliers, des communautés ou des entreprises est suffisante. 64. Cette distinction illustre le bien-fondé du principe de subsidiarité. Tandis que la société politique recourt constamment au pouvoir, à ses agents et à ses règlements, la société civile fait appel aux affinités, aux alliances volontaires, aux solidarités naturelles. Cette distinction éclaire aussi la riche réalité de la famille, qui est le noyau central de la société civile. Elle a incontestablement une fonction économique importante, mais ses rôles sont multiples. Elle est, avant tout, une communauté de vie, une communauté naturelle. De plus, par le fait qu'elle est fondée sur le mariage, elle présente une cohésion que l'on ne rencontre pas nécessairement dans les corps intermédiaires. 65. Une chose qui a eu un impact négatif, durant ces dernières décennies, est le fait que la famille a subi de la part de l'État les mêmes attaques que celles qu'il a dirigées contre les autres corps intermédiaires pour les éliminer ou tenter de les régir à sa ressemblance. Lorsque l'État s'arroge le pouvoir de réglementer les liens familiaux et de dicter des lois qui ne respectent pas cette communauté naturelle qui lui est antérieure,54 il est à craindre que l'État se serve des familles dans son propre intérêt et qu'au lieu de les protéger et de défendre leurs droits, il les affaiblisse ou les supprime pour mieux dominer les peuples. 66. La Déclaration universelle prévient ces déviations. Elle reconnaît le droit de l'homme et de la femme « de se marier et de fonder ainsi une famille ».55 Le Pape Jean-Paul II a rappelé, suivant la doctrine du Concile Vatican II, que la famille est la « cellule première et vitale de la société ».56 La Déclaration insiste sur le fait que cette cellule « fondamentale et naturelle »57 a droit à la protection non seulement de l'État, mais aussi de la société. Donc, la Déclaration promeut la présence de la famille parmi les autres communautés, tout en soulignant le caractère unique de cette institution naturelle. 6.2. La famille, première éducatrice 67. La Déclaration reconnaît aussi le droit à la propriété privée non seulement individuelle, mais aussi en association.58 Elle reconnaît le droit à la liberté religieuse, y compris le droit pour les croyants à s'associer en vue du culte et de l'éducation.59 Enfin, la Déclaration insiste sur le fait que les parents ont le droit de décider et de diriger l'éducation de leurs enfants.60 68. À ce propos, il convient de rappeler que la mission éducative de la famille trouve son complément normal dans les institutions éducatives. Les parents « partagent leur mission éducative avec d'autres personnes et institutions, comme l'Église et l'État; toutefois, ceci doit toujours se faire suivant une juste application du principe de subsidiarité ».61 Il ne faut pas oublier que « toutes les autres personnes qui prennent part au processus éducatif ne peuvent qu'agir au nom des parents, avec leur consentement et même, dans une certaine mesure, parce qu'ils ont été chargés par eux ».62 69. Il est certain, comme le montrent de nombreuses études psychopédagogiques, que les premières années de l'enfant sont décisives pour la formation ultérieure de sa personnalité. C'est pourquoi il est dans l'intérêt non seulement des enfants, mais aussi de la société, que les parents puissent confier leurs enfants aux institutions éducatives de leur choix. 70. Toutefois, comme l'illustre l'exemple de nombreux pays, y compris parmi ceux considérés comme « développés », un moyen efficace pour détruire la famille consiste à la priver de sa fonction éducative, sous le prétexte fallacieux de donner à tous les enfants des chances égales. Dans ce cas, les « droits de l'enfant » sont invoqués contre les droits de la famille. Bien souvent, l'État envahit des domaines propres à la famille au nom d'une démocratie qui devrait pourtant respecter le principe de subsidiarité. Nous sommes en face d'un pouvoir politique omniprésent et arbitraire. L'État ou les autres institutions s'arrogent le droit de parler au nom des enfants et les soustraient au cadre familial. Comme en témoignent tant d'expériences funestes, passées et contemporaines, l'idéal pour une dictature serait d'avoir des enfants sans famille. Toutes les tentatives pour remplacer la famille ont échoué. 6.3. Défendre la souveraineté de la famille 71. De nos jours, la famille requiert une protection spéciale de la part des pouvoirs publics. Quelquefois opprimée par l'État, la famille est également exposée aujourd'hui aux attaques provenant de groupes privés, d'organismes non-gouvernementaux, d'entités transnationales et même d'organisations internationales publiques. L'État a la responsabilité de défendre la souveraineté de la famille, qui constitue le noyau fondamental du tissu social. 72. En outre, défendre la souveraineté de la famille contribue à sauvegarder la souveraineté des nations. Aujourd'hui, au nom d'idéologies d'inspiration malthusienne, hédoniste ou utilitariste, la famille est victime d'agressions qui la menacent jusque dans son existence même. En propageant une séparation totale des significations unitive et procréatrice de l'union conjugale,63 les moyens de communication banalisent les expériences sexuelles multiples pré- et para-matrimoniales, affaiblissant ainsi l'institution familiale. Dans divers pays, l'âge moyen du mariage a augmenté de façon significative, de même que l'âge auquel les femmes ont leur premier enfant. La proportion des mariages qui aboutissent à un divorce a atteint un niveau alarmant.64 Les familles brisées et « recomposées », qui sont pour les enfants la cause de tant de souffrances, engendrent la pauvreté et la marginalisation. Il existe un contraste entre le rôle primordial et décisif que l'on reconnaît à la famille (très significatif, d'après de nombreuses enquêtes), et l'indifférence et l'hostilité dont l'institution familiale fait l'objet, ainsi que l'érosion dont souffre la famille dans certaines régions et nations. 73. Le pire de tout, c'est que sous l'impulsion de certains organismes publics internationaux, on préconise de soi-disant « nouveaux modèles » familiaux qui comprennent les foyers monoparentaux et même les unions homosexuelles. Certaines agences internationales, soutenues par de puissants lobbies, cherchent à imposer aux nations souveraines de « nouveaux droits » humains tels que les « droits à la reproduction », qui comprennent le recours à l'avortement et à la stérilisation, le divorce facile et un « style de vie » des jeunes qui favorise la banalisation du sexe et l'affaiblissement de la juste autorité des parents dans l'éducation de leurs enfants.65 74. Tandis qu'on exalte de la sorte un individualisme libéral exacerbé, allié à une éthique subjectiviste qui pousse à la recherche effrénée du plaisir, la famille souffre également de la résurgence de nouvelles expressions du socialisme d'inspiration marxiste. Une tendance apparue à la Conférence de Pékin (1995) prétend introduire dans la culture des peuples l'« idéologie du genre » — « gender » —. Cette idéologie affirme, entre autres, que la forme d'oppression la plus grave est celle de la femme par l'homme, et que cette oppression est institutionnalisée dans la famille monogamique.66 Les idéologues en concluent que, pour mettre fin à cette oppression, il convient de mettre fin à la famille fondée sur le mariage monogamique. Le mariage et la famille, basés sur l'union hétérosexuelle, seraient le produit d'une culture apparue à un certain moment historique, et doivent disparaître pour que la femme puisse se libérer et occuper la place qui lui revient dans la société de production. 75. Nous sommes conscients que le Saint-Père, et à sa suite le Conseil Pontifical pour la Famille, se sont déjà prononcés à maintes reprises sur ces idéologies qui sont non seulement anti-vie et anti-famille, mais qui sont aussi destructrices pour les nations. À l'approche du troisième millénaire, la pastorale de la vie, généreusement reçue et transmise dans la famille, apparaît comme une exigence prioritaire en vue de la célébration jubilaire. Il est « nécessaire que la préparation du Grand Jubilé passe, d'une certaine manière, à travers chaque famille. N'est-ce pas à travers une famille, celle de Nazareth, que le Fils de Dieu choisit d'entrer dans l'histoire de l'homme? ».67 7. CONCLUSION 76. Les divers droits des individus et des communautés sont renforcés par une culture de la liberté dans laquelle les êtres humains peuvent contribuer au bien commun, culture qu'ils renforcent à leur tour. De fait, la Déclaration universelle des Droits de l'Homme affirme de maintes manières que les êtres humains se perfectionnent à travers l'initiative individuelle, les associations privées et l'engagement politique au service du bien commun. La Déclaration reconnaît, par exemple, les droits à la propriété intellectuelle,68 en vertu desquels l'invention, la distribution et l'exploitation du savoir ne sont pas simplement ou uniquement le fait de l'État. Comme l'a observé Jean-Paul II, « la principale ressource de l'homme est l'homme lui-même ».69 La Déclaration universelle reconnaît avec sagesse qu'une partie essentielle de la liberté d'association70 — qui comprend la liberté de s'unir en syndicats71 — réside dans le fait que l'État ne peut pas obliger les individus à entrer dans une association.72 Tous ces droits dont jouissent les individus et les associations privées sont vitaux pour le développement de la « société civile ». Ils représentent une sauvegarde contre le totalitarisme. 77. La reconnaissance pratique des droits de l'institution de la famille dans le cadre du développement des droits humains ne peut ignorer les termes originaux, la finalité et l'esprit de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme de 1948. La Déclaration reconnaît dans l'institution naturelle du mariage comme don mutuel d'amour entre l'homme et la femme — constitutif d'une union stable et ouverte à la procréation et à l'éducation de la progéniture —, le principal fondement de la famille. Nous lançons un appel à tous les peuples et à toutes les nations afin qu'ils appliquent scrupuleusement les normes de la Déclaration universelle et ne renoncent pas à ses protections bénéfiques et salutaires. 78. « L'avenir de l'humanité passe par la famille! ».73 C'est par conséquent à travers la place que les peuples donnent à la famille, à travers la reconnaissance de sa valeur fondamentale et irremplaçable, ou au contraire à travers les diverses formes d'indifférence, d'hostilité ou de harcèlement qui entravent sa mission, que se construit l'avenir de l'humanité.   DECLARATION UNIVERSELLE
DES DROITS DE L'HOMME 10 décembre 1948 Préambule Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde, Considérant que la méconnaissance et le mépris des droits de l'homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l'humanité et que l'avènement d'un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l'homme, Considérant qu'il est essentiel que les droits de l'homme soient protégés par un régime de droit pour que l'homme ne soit pas contraint, en suprême reco

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