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Bioéthique : le massacre des embryons congelés continue !

Publiée le 06-02-2010

Pierre-Olivier Arduin, dans Liberté Politique - 5.2.2010

Recherches sur l'embryon, transfert d'embryon post-mortem, procédure d'accueil d'embryon,… la liste des dérives éthiques actuelles ne doit pas faire oublier qu'elles prospèrent toutes sur une transgression initiale inscrite dans la loi : la production in vitro d'embryons en surnombre et la congélation de tous ceux qui ne sont pas transférés in utero. Malgré un début de prise de conscience, le rapport Leonetti sur la révision des lois de bioéthique recommande de maintenir le statu quo [1].

Dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation, la législation française autorise les couples à demander que soit réalisée la fécondation d'un nombre d'ovocytes supérieur à celui qui sera effectivement réimplanté de manière à disposer d'un stock d'embryons cryoconservés susceptibles d'être réutilisés en cas d'échec ou de souhait de grossesse ultérieure (cf. article L. 2141-3 du code de la santé publique). Les embryons restants dont la morphologie est satisfaisante, qualifiés de « surnuméraires » sont congelés. La loi n'impose aucune limite supérieure au nombre d'ovocytes à féconder.

Des chiffres impressionnants

La biologiste de la reproduction Jacqueline Mandelbaum a rappelé devant la mission d'information parlementaire que « la technique de fécondation in vitro (FIV) permet le recueil de 8 à 10 ovocytes en moyenne et que 25% des couples suivant un protocole de FIV bénéficieront d'une congélation d'embryons » (Audition du 11 février 2009, Rapport p. 87).
Le président de l'Académie nationale de médecine a ainsi révélé combien « les chiffres à l'heure actuelle sont impressionnants : il faut 240 000 embryons pour avoir 12 000 naissances par an » (Audition du 27 janvier 2009, Rapport p. 84).

Les statistiques fournies par l'Agence de la biomédecine dans son dernier bilan donnent le vertige. Au 31 décembre 2007, 154 822 embryons étaient congelés dans les centres d'AMP (134 358 en 2004, 141 460 en 2005, 176 523 en 2006), pour 43 282 couples. Si nous allons dans le détail des tentatives en AMP intraconjugale en 2007, nous obtenons les chiffres suivants : pour la FIV (hors ICSI), 93 493 embryons ont été conçus, 31 396 transférés et 21 709 congelés ; s'agissant de l'ICSI, 141 505 embryons ont été fécondés, 51 883 transférés et 32 413 congelés ; enfin, 36 186 embryons ont été décongelés et les 24 499 qui ont survécu à cette procédure ont été transférés [2].

Ce dernier point montre d'ailleurs que la cryoconservation est en soi une technique qui entraîne la mort d'un pourcentage considérable d'embryons humains. Enfin, si l'on tient compte du fait que l'abandon de projet parental concerne près de 40% des embryons congelés, soit par défaut de réponse ou désaccord du couple (22,9%), soit par consentement explicite (15%), ce sont environ 60 000 embryons qui sont voués à être détruits à plus ou moins brève échéance (quelques dizaines seront « donnés » à un autre couple après procédure judiciaire [3]).

Une surconsommation embryonnaire

Le rappel des faits nous permet d'en déduire que les pratiques d'assistance médicale à la procréation, présentées généralement comme anodines sur le plan éthique, alimentent des phénomènes faramineux de surconsommation embryonnaire que l'instruction doctrinale Dignitas personae n'a pas manqué de dénoncer : « Compte tenu du rapport entre le nombre total d'embryons produits et ceux effectivement nés, le nombre d'embryons sacrifiés reste très élevé [...]. L'acceptation tranquille du taux très élevé d'avortement que comportent les techniques de fécondation in vitro démontre de manière éloquente que la substitution de l'acte conjugal par une procédure technique – outre sa non-conformité au respect dû à la procréation, contribue à affaiblir la conscience du respect dû à l'être humain [4] ».

La congélation des embryons ne fait qu'accroître cette dérive ainsi que le rappellent les rédacteurs du document romain : « La cryoconservation est incompatible avec le respect dû aux embryons humains : elle présuppose leur production in vitro et les expose à de graves dangers de mort ou à des altérations de leur intégrité physique, ainsi que le montre le pourcentage élevé qui ne survit pas à la technique de congélation et de décongélation. Elle les prive, au moins temporairement, de l'accueil maternel et du développement dans la gestation et les place dans une situation qui les expose à des atteintes et manipulations ultérieures » (n. 18).

Un début de prise de conscience ?

Pour la première fois pourtant, on semble déceler un début de prise de conscience au plus haut niveau. L'ampleur des chiffres que nous avons mentionnés a déjà conduit les pouvoirs publics à publier le 11 avril 2008 un arrêté qui tend à limiter à deux ou trois le nombre d'ovocytes fécondés, une disposition que le couple peut cependant refuser. Le rapport de la mission d'information parlementaire sur la révision des lois de bioéthique va plus loin en posant cette question jusqu'ici taboue : « Avant de s'arrêter sur la transgression que constituerait l'instrumentalisation de l'embryon à des fins de recherche, ne faut-il pas d'abord s'interroger sur ce qui peut apparaître comme la transgression première, c'est-à-dire la faculté de concevoir […] des embryons en surnombre ? » (Rapport p. 83). Jean Leonetti note ainsi que « la conception et la congélation d'embryons surnuméraires suscite plusieurs interrogations, voire une contestation de son principe même » (p. 84).

Le vécu douloureux des parents confrontés à l'existence de ces embryons « en trop » explique certainement cette reconnaissance du problème. Nous avions ici même fait état de plusieurs enquêtes journalistiques sur ces couples en souffrance [5]. Le docteur Pierre Boyer, praticien en biologie de la reproduction à l'hôpital Saint-Joseph de Marseille, a porté à la connaissance des députés les conclusions d'une étude dont il ressort que la moitié des femmes éprouve un sentiment d'abandon d'enfant lorsque les embryons congelés ne sont pas implantés (Audition du 10 juin 2009, Rapport p. 85). Geneviève Delaisi de Parseval elle-même a estimé que la congélation embryonnaire représente « dans tout le domaine de l'AMP le point qui lui inspire, comme psychanalyste, le plus de réserves [...]. Les membres du couple voulaient un ou deux enfants, mais pas quinze embryons surnuméraires qui leur posent un problème dont ils se seraient volontiers passés… » (Audition du 4 février 2009, Rapport p. 85). Pourquoi ne pas surseoir à cette pratique contestable comme l'a demandé aux députés Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme-Lejeune, ajoutant qu'on aurait dû le faire dès 2004 ? (Audition du 3 juin 2009, Rapport p. 85)

Se contenter du statu quo ?

Au lieu de se donner les moyens de rendre effectif ce souci de « ne pas multiplier excessivement le nombre d'embryons conçus in vitro » (p. 87), le rapport parlementaire campe sur le statu quo en préconisant une meilleure information des couples qui s'engagent dans une procédure de FIV, notamment au regard du devenir de leurs embryons « en excès ». Le point de vue du docteur Jacqueline Mandelbaum – et donc des centres d'AMP ? – semble ainsi l'avoir emporté. Après avoir déclaré « ne pas partager la hantise de l'embryon surnuméraire », elle affirme que le nombre de couples en souffrance est somme toute peu important et conseille au législateur de laisser aux praticiens le soin de s'entendre à l'avance avec les couples pour limiter le nombre d'embryons surnuméraires » (Rapport, p. 88). Qui peut croire un instant que la problématique des embryons surnuméraires sera résolue en fournissant aux couples quelques informations au début de la procédure d'AMP ?

Alors même que le rapport Leonetti était parvenu à soulever enfin quelques questions pertinentes trop longtemps occultées, il conclut que « la législation actuelle paraît globalement satisfaisante » et que « la congélation embryonnaire doit relever des bonnes pratiques sous le contrôle de l'Agence de la biomédecine… ».

Interdire la congélation embryonnaire à l'instar de l'Allemagne

Deux députés UMP de la mission se sont élevés contre ce manque de cohérence. Xavier Breton, député de l'Ain, a ainsi proposé que la France « s'engage dans une démarche progressive et volontaire de limitation de la production d'embryons surnuméraires, un objectif qui pourrait être fixé par la loi » (Rapport p. 534). Le député des Yvelines Jean-Frédéric Poisson a souligné que le rapport ne faisait que « consacrer » la fécondation d'embryons surnuméraires : « L'impasse totale, sur le plan éthique, que représente le sort des dizaines de milliers d'embryons congelés dans notre pays doit conduire à remettre en cause cette manière de pratiquer l'assistance médicale à la procréation. En ne remettant pas en cause ces modalités de principe, on ferait perdurer inutilement cette impasse éthique » (p. 543).

Deux arguments plaident en leur faveur. D'abord de nombreuses études montrent que le transfert d'embryon unique est aussi efficace en terme de taux de grossesses que l'implantation de deux ou trois embryons, réduisant en outre le risque des gestations multiples. Pourquoi ne pas tenir compte des publications internationales en ce domaine et inscrire dans la nouvelle législation que doit être procédé à la fécondation d'un embryon qui sera immédiatement réimplanté ?

D'autre part, des États prohibent la congélation des embryons depuis de très nombreuses années, Autriche, Italie et Allemagne en tête. Ce dernier pays est d'ailleurs cité à trois reprises dans le rapport, justement en raison de sa législation qui interdit la cryoconservation d'embryons surnuméraires. Lorsqu'il conduisait la mission d'information parlementaire sur la fin de vie, Jean Leonetti n'a pas hésité à se rendre en Grande-Bretagne pour apprécier l'organisation des soins palliatifs dans le pays qui les a inventés ou aux Pays-Bas pour constater par lui-même les conséquences sociales et médicales de la dépénalisation de l'euthanasie. On aurait souhaité qu'il fît de même à l'occasion de ce vaste débat parlementaire sur la révision des lois de bioéthique. En se déplaçant dans de grands centres d'AMP chez notre voisin et en rendant compte des pratiques des équipes médicales allemandes dont nous savons peu de choses, nous aurions eu des éléments tangibles pour envisager l'interdiction de la congélation d'embryons en surnombre et limiter les méfaits des fécondations in vitro dans notre pays.


 

 


[1] Cf. Décryptage 29 novembre 2010, une première analyse du rapport Leonetti sur le bébé-médicament.
[2] Agence de la biomédecine, Rapport annuel. Bilan des activités 2008, p. 268-274.
[3] Cf. P.-Ol. Arduin, Derrière l'"accueil d'embryons", l'abandon d'un orphelin, Décryptage, 6 novembre 2009
[4] Congrégation pour la doctrine de la foi, Instruction Dignitas personae sur certaines questions de bioéthique, 8 septembre 2008, Fécondation in vitro et destruction délibérée des embryons, n. 14-16.
[5] Cf. P.-Ol. Arduin, Pourquoi l'Église dit non à l'assistance médicale à la procréation, Décryptage, 23 janvier 2009
 

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