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La démocratie face au piège du relativisme éthique

Publiée le 16-11-2016

Jean Paul II, dans l'Evangile de la Vie, 69-70

      En tout cas, dans la culture démocratique de notre temps, l'opinion s'est largement répandue que l'ordre juridique d'une société devrait se limiter à enregistrer et à recevoir les convictions de la majorité et que, par conséquent, il ne devrait reposer que sur ce que la majorité elle-même reconnaît et vit comme étant moral. Si alors on estimait que même une vérité commune et objective est de fait inaccessible, le respect de la liberté des citoyens — ceux-ci étant considérés comme les véritables souverains dans un régime démocratique — exigerait que, au niveau de la législation, on reconnaisse l'autonomie de la conscience des individus et que donc, en établissant les normes de toute manière nécessaires à la convivialité dans la société, on se conforme exclusivement à la volonté de la majorité, quelle qu'elle soit. De ce fait, tout homme politique devrait séparer nettement dans son action le domaine de la conscience privée de celui de l'action politique.

On observe donc deux tendances, en apparence diamétralement opposées. D'une part, les individus revendiquent pour eux-mêmes la plus entière autonomie morale de choix et demandent que l'État n'adopte et n'impose aucune conception de nature éthique, mais qu'il s'en tienne à garantir à la liberté de chacun le champ le plus étendu possible, avec pour seule limitation externe de ne pas empiéter sur le champ de l'autonomie à laquelle tout autre citoyen a droit également. D'autre part, on considère que, dans l'exercice des fonctions publiques et professionnelles, le respect de la liberté de choix d'autrui impose à chacun de faire abstraction de ses propres convictions pour se mettre au service de toute requête des citoyens, reconnue et protégée par les lois, en admettant pour seul critère moral dans l'exercice de ses fonctions ce qui est déterminé par ces mêmes lois. Dans ces conditions, la responsabilité de la personne se trouve déléguée à la loi civile, cela supposant l'abdication de sa conscience morale au moins dans le domaine de l'action publique.

70. La racine commune de toutes ces ten dances est le relativisme éthique qui caractérise une grande part de la culture contemporaine. Beaucoup considèrent que ce relativisme est une condition de la démocratie, parce que seul il garantirait la tolérance, le respect mutuel des personnes et l'adhésion aux décisions de la majorité, tandis que les normes morales, tenues pour objectives et sources d'obligation, conduiraient à l'autoritarisme et à l'intolérance.

Mais la problématique du respect de la vie fait précisément apparaître les équivoques et les contradictions, accompagnées de terribles conséquences concrètes, qui se cachent derrière cette conception.

Il est vrai que dans l'histoire on enregistre des cas où des crimes ont été commis au nom de la « vérité ». Mais, au nom du « relativisme éthique », on a également commis et l'on commet des crimes non moins graves et des dénis non moins radicaux de la liberté. Lorsqu'une majorité parlementaire ou sociale décrète la légitimité de la suppression de la vie humaine non encore née, même à certaines conditions, ne prend-elle pas une décision « tyrannique » envers l'être humain le plus faible et sans défense? La conscience universelle réagit à juste titre devant des crimes contre l'humanité dont notre siècle a fait la triste expérience. Ces crimes cesseraient-ils d'être des crimes si, au lieu d'être commis par des tyrans sans scrupule, ils étaient légitimés par l'assentiment populaire?

En réalité, la démocratie ne peut être élevée au rang d'un mythe, au point de devenir un substitut de la moralité ou d'être la panacée de l'immoralité. Fondamentalement, elle est un « système » et, comme tel, un instrument et non pas une fin. Son caractère « moral » n'est pas automatique, mais dépend de la conformité à la loi morale, à laquelle la démocratie doit être soumise comme tout comportement humain: il dépend donc de la moralité des fins poursuivies et des moyens utilisés. Si l'on observe aujourd'hui un consensus presque universel sur la valeur de la démocratie, il faut considérer cela comme un « signe des temps » positif, ainsi que le Magistère de l'Eglise l'a plusieurs fois souligné.(88) Mais la valeur de la démocratie se maintient ou disparaît en fonction des valeurs qu'elle incarne et promeut: sont certainement fondamentaux et indispensables la dignité de toute personne humaine, le respect de ses droits intangibles et inaliénables, ainsi que la reconnaissance du « bien commun » comme fin et comme critère régulateur de la vie politique.

Le fondement de ces valeurs ne peut se trouver dans des « majorités » d'opinion provisoires et fluctuantes, mais seulement dans la reconnaissance d'une loi morale objective qui, en tant que « loi naturelle » inscrite dans le coeur de l'homme, est une référence normative pour la loi civile ellemême. Lorsque, à cause d'un tragique obscurcissement de la conscience collective, le scepticisme en viendrait à mettre en doute jusqu'aux principes fondamentaux de la loi morale, c'est le système démocratique qui serait ébranlé dans ses fondements, réduit à un simple mécanisme de régulation empirique d'intérêts divers et opposés.(89)

Certains pourraient penser que, faute de mieux, son rôle aussi devrait être apprécié en fonction de son utilité pour la paix sociale. Tout en reconnaissant quelque vérité dans cette opinion, il est difficile de ne pas voir que, sans un ancrage moral objectif, la démocratie elle-même ne peut pas assurer une paix stable, d'autant plus qu'une paix non fondée sur les valeurs de la dignité de tout homme et de la solidarité entre tous les hommes reste souvent illusoire. Même dans les régimes de participation, en effet, la régulation des intérêts se produit fréquemment au bénéfice des plus forts, car ils sont les plus capables d'agir non seulement sur les leviers du pouvoir mais encore sur la formation du consensus. Dans une telle situation, la démocratie devient aisément un mot creux.

 

 

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