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Contraception : éclaircissement sur l'affaire des religieuses congolaises

Publiée le 23-02-2016

Lors de la conférence de presse sur le vol de retour du Mexique à Rome, le pape François a ressorti l'histoire selon laquelle «Paul VI - le grand! - dans une situation difficile, en Afrique, a permis aux sœurs d'utiliser des contraceptifs pour les cas de violence». Et il a ajouté qu'«éviter une grossesse n'est pas un mal absolu, et dans certains cas, comme celui que j'ai mentionné du bienheureux Paul VI, c'était clair». Deux jours plus tard, le père Federico Lombardi a ajouté :

«La contraception ou le préservatif, dans des cas particuliers d'urgence et de gravité, peuvent aussi être objet d'un sérieux discernement de conscience C'est cela que dit le pape. L'exemple qu'il a donné de Paul VI et de l'autorisation d'utiliser la pilule pour des religieuses qui couraient le risque très sérieux et continuel de viol(ence) par les rebelles au Congo, à l'époque de la tragédie de la guerre du Congo, fait comprendre que ce n'était pas dans une situation normale que cela devait être pris en compte»

Cette déclaration laisse perplexe (voir l'article de Jeanne Smits sur le sujet), notamment parce qu'on ne voit pas bien le rapport entre des religieuses menacées de viol et le virus Zika, qui faisait l'objet de la question. L'Eglise enseigne en effet l'abstention en cas de risque sérieux dépendants des parents. Le risque de virus ne peut pas être comparé à celui de viol.

Selon Sandro Magister, traduit par Benoît-et-moi, que Paul VI ait explicitement donné cette autorisation n'est nullement avéré :

"Pour reconstruire comment cette histoire est née, on doit revenir non pas au pontificat de Paul VI, mais à celui de son prédécesseur Jean XXIII. C'était en 1961 [donc avant les éclaircissements d'Humante Vitae, NDMJ], et la question de savoir s'il était licite que des sœurs courant le risque d'être violées recourent aux contraceptifs, dans une situation de guerre comme celle qui faisait alors rage au Congo, a été soumise à trois théologiens moraux autorisés:

  • Pietro Palazzini, alors secrétaire de la Sacrée Congrégation du Concile et devenu par la suite cardinal
  • Francesco Hürth, jésuite, professeur à l'Université pontificale grégorienne;
  • Ferdinando Lambruschini, professeur à l'Université pontificale du Latran.

Tous trois formulèrent simultanément leurs opinions respectives dans un article sur la revue émanant de l'Opus Dei (?) "Studi Catolici", numéro 27, 1961, pp. 62-72, sous le titre: "Una donna domanda: come negarsi alla violenza? Morale esemplificata. Un dibattito" ("Une femme demande: Comment se refuser à la violence. Morale illustrée Un débat"). Tous trois étaient favorables à admettre la licéité de cet acte, mais avec des arguments différents entre eux. Et cet avis favorable non seulement passa indemne l'examen tout sauf docile du Saint-Office, mais il devint une doctrine commune parmi les moralistes catholiques de toutes les écoles.

En 1968, Paul VI publia l'encyclique "Humanae Vitae", qui condamna comme «intrinsèquement mauvaise toute action qui, soit en prévision de l'acte conjugal, soit dans son déroulement, soit dans le développement de ses conséquences naturelles, se proposerait comme but ou comme un moyen de rendre impossible la procréation». Et cette condamnation devait par la suite entrer en 1997, avec les mêmes mots, dans le Catéchisme de l'Eglise catholique.

Mais même après "Humanae Vitae," la licéité du comportement des soeurs congolaise a continué à être tranquillement acceptée, sans que Paul VI et ses successeurs ne disent quoi que ce soit. Et même, en 1993, sous Jean-Paul II, la question revint de nouveau sous les projecteurs, cette fois à cause non pas de la guerre au Congo, mais en Bosnie. 

Le théologien moral qui cette année-là se fit le porte-parole autorisé de la doctrine commune en faveur de la licéité fut le jésuite Giacomo Perico, avec un article dans la revue "La Civiltà Cattolica" imprimé avec l'imprimatur des autorités vaticanes, sous le titre: «Viol, avortement et contrôle des naissances»

En fait, le différend entre les moralistes, depuis lors jusqu'à aujourd'hui, ne concerne pas la licéité de l'acte en question, mais les fondements de cette licéité. Certains considèrent la licéité de cet acte comme une "exception", à laquelle on pourrait par la suite en accoler d'autres, à apprécier au cas par cas, invalidant ainsi le qualificatif d'«intrinsèquement mauvaise» - et donc, sans aucune exception - appliqué par "Humanae vitae" à la contraception. Et il y en a qui considèrent l'acte des religieuses congolaises ou bosniaques comme un acte de légitime défense contre les effets d'un acte de violence qui n'a rien à voir avec l'acte sexuel libre et volontaire qui veut exclure la procréation - sur lequel, et seulement sur lequel, tombe la condamnation - sans exception - d'"Humanae vitae".

Le chercheur qui a reconstruit avec le plus de clarté l'affrontement entre ces deux courants est Martin Rhonheimer, professeur d'éthique et de philosophie politique à l'Université pontificale de la Sainte Croix, dans le livre "Ethics of Procreation and the Defense of Human Life" (The Catholic University of America Press, Washington, 2010), aux pages 133-150. De l'avis de Rhonheimer, c'est la seconde thèse qui est la plus fidèle au Magistère de l'Eglise, tandis que la première, typiquement casuistique et "proportionnaliste", prête le flanc à la critique de "Veritatis Splendor", l'encyclique de Jean-Paul II sur la théologie morale.

Mais curieusement, c'est précisément vers cette première thèse que semblent pencher à la fois François, dans la conférence de presse volante du 17 Février, est encore plus le père Lombardi dans l'interview du 19 à Radio Vatican. L'un et l'autre, en fait, font la distinction entre l'avortement, mal absolu qui n'admet aucune exception, et la contraception, qui, en revanche - disent-ils - «n'est pas un mal absolu», mais «un moindre mal» et peut donc être autorisée dans des «cas d'urgence ou des situations spéciales». Le Père Lombardi cite une autre de ces exceptions admises: l'utilisation du préservatif dans les situations de risques de contagion, commenté par Benoît XVI dans son livre-entretien "Lumière du monde" en 2010. Mais justement, il réduit également cela à un cas d'exception. Ignorant la Note de clarification - d'un signe bien différent - que la congrégation pour la doctrine de la foi, donnant la parole à Benoît, publia le 21 Décembre 2010 relativement à la controverse qui avait éclaté à la suite de ce livre."

 

 

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