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Père P. de Laubier : "aujourd'hui l'enseignement social chrétien bénéficie d'un regain d'interet"

Publiée le 13-08-2009


La nouvelle encyclique de Benoît XVI n'est pas l'exposé d'une théorie économique ni d'un programme social, elle est vraiment ce que Jean Paul II appelait une orientation idéale. (1) C'est sa finalité qui commande une action et pour la doctrine sociale de l'Eglise, cette finalité c'est le développement de la personne.Le langage est celui de la théologie morale qui oriente la philosophie, œuvre de raison, et les sciences sociales sont mises au service de l'orientation idéale. Le titre même de l'encyclique indique son esprit : c'est un appel à l'agape = caritas chrétienne dans un monde dominé par l'eros de l'argent et du sexe. (2)

 

Le problème est de se faire écouter et comprendre dans ce monde si complexe et saturé par la technique devenue une sorte de magie contraire à la religion. La magie primitive est une religiosité inventée, l'obsession technicienne actuelle prétend pouvoir se passer de religion. Il fallait faire preuve de connaissance pratique et de science pour se faire écouter .Des économistes ont réagi très vite parce que l'encyclique avait été présentée comme une réponse à la crise actuelle et on savait qu'une première version avait été abandonnée pour tenir compte de cette nouvelle situation.

En fait Caritas in veritate se rattache à la grande encyclique de Paul VI Populorun Progressio (1967) que la remarquable encyclique de Jean Paul II Sollicitudo rei socialis (1987) avait déjà prolongée. La question sociale étant devenue mondiale, il fallait dorénavant dépasser le cadres des pays développés pour « globaliser » la réponse de l'Eglise.On sent bien que dans ce long texte on a prévu que l'accélération de l'histoire réserve bien des surprises. Qui sait par exemple si la question des migrations internationales ne va pas devenir le problème numéro un dans une génération ? La question démographique est aussi pleine de surprises possibles. L'écologie à peine évoquée antérieurement s'installe maintenant au premier rang du débat politique mondial.

Savoir si l'Eglise accepte ou non le capitalisme n'est plus une question actuelle. On sait que pour Marx le terme « capitalisme », comme le mot « bourgeois », sont utilisés de manière polémique tandis que pour nombre d'économistes classiques ou contemporains, il s'agit d'une technique se prêtant à bien des usages opposés, libéral ou étatique.Jean Paul II proposait de dire économie libre ou encore économie de marché mais il ne faut pas oublier qu'il y a maintenant en Chine un communisme de marché que Marx n'avait pas prévu !

Comme on ne pouvait pas parler dans l'encyclique uniquement d'agape indissociable de la grâce , qui elle-même exige la foi, l'encyclique développe longuement l'idéal de fraternité qui se prête non seulement à une signification religieuse, mais peut revêtir un sens purement laïc. Le monde étouffe en effet d'un manque de fraternité, mais il ne suffit pas, comme dans la France révolutionnaire, de l'inscrire sur les frontons des bâtiments publics pour l'instaurer. Bien des idéaux proclamés solennellement ont tourné en leur contraire dès qu'il fallut en arriver à l'application.

Dans un monde où les traditions religieuses et culturelles sont si variées on est parvenu à mettre sous la revendication des droits de l'homme de nombreuses exigences légitimes quitte à oublier les devoirs qui sont pourtant indissociables des droits.L'encyclique le souligne, comme elle insiste sur l'importance de la loi naturelle comme base d'une éthique universelle. Mais l'expérience et la connaissance que l'Eglise experte en humanité, a de l'homme ne lui permet pas de croire un seul instant que l'homme laissé à lui-même puisse se sauver de l'inhumain qui le menace sans cesse.

Les multiples questions qui se posent aujourd'hui doivent recevoir des réponses précises, domaines par domaines, mais ce serait un travail de Sisyphe de continuer à confier aux techniques le soin de réparer les conséquences d'une situation d'ensemble qui réclame aussi un remède vraiment général disons, mondial au sommet de la hiérarchie des valeurs. Ce sont les mentalités qu'il convient de modifier, d'orienter pour atteindre les comportements et puis les institutions , les structures en distinguant les bonnes et les mauvaises, que Jean Paul II avait qualifié de « structures de péché ».

Benoît XVI relance l'idée de Jean XXIII concernant une Autorité mondiale capable de coordonner des initiatives et de porter des jugements dont l'opinion publique, devenue elle aussi globale dans certains cas, pourrait s'inspirer. La révolution des moyens de communications, notamment l'internet, est sans conteste la nouveauté la plus infuente du monde actuel et les finalités peuvent trouver là un moyen de s'exprimer comme jamais dans l'histoire humaine.

Les six chapitres substantiels qui encadrent ce message abordent, on l'a déjà, noté, bien des thèmes, mais ce qui frappe c'est l'unité de ce long document qui, à la manière d'une symphonie, répète des leitmotivs, en approfondissant la réflexion centrale sur l'homme et sa destinée qui n'est pas uniquement terrestre, mais qui ne se joue pourtant ici-bas. C'est le paradoxe chrétien selon lequel on ne doit pas contraindre la liberté humaine qui est le lieu de l'amour, mais rien n'est pour autant facultatif car la destinée éternelle de l'homme se décide au cours de son histoire sur la terre. Des expériences totalitaires de communisme s'opposent à l'idée chrétienne de communion librement choisie ou acceptée. On pourra se demander après la lecture de l'encyclique, ce qu'il convient de faire. La réponse n'est pas un ensemble de solutions qui seraient décrites, mais plutôt une invitation à penser et à trouver des mises en œuvre concrètes aussi variées que les situations elle-mêmes, mais conformes aux exigences chrétiennes développées dans l'encyclique. L'enseignement social chrétien, on le sait, n'est pas une troisième voie et il ne dispense pas de réfléchir pour trouver des voies originales sous le signe de la fraternité. L'originalité de l'encyclique est aussi de souligner combien la justice, aussi nécessaire soit-elle, ne suffit pas pour organiser la cité. Aristote lui-même demandait qu'une amitié politique (philia politeia) conforte la justice qui, laissée à elle-même n'est pas en mesure d'établir la paix. Cette amitié devient agape=caritas dans la pensée de l'Eglise. La charité est la voie maîtresse de la doctrine sociale de l'Eglise. Toute responsabilité et tout engagement définis par cette doctrine sont imprégnés de l'amour qui, selon l'enseignement du Christ est la synthèse de toute la loi (N.2)

Il est donc clair que l'on ne propose pas une nouvelle économie politique, mais « l'économie du salut » et toute tentative pour séculariser, disons aplatir cette doctrine en ne retenant que des aspects techniques, trahirait son inspiration. La suggestion de développer une économie du don ou alors une économie de communion complètant l'économie de profit classique, qui n'est pas condamnée sauf dans la mesure où l'accumulation de l'argent serait sa seule finalité, est intéressante et mériterait d'être approfondie. Caritas in veritate n'est pas un catéchisme qui déclinerait questions et réponses. C'est plutôt une flamme qui ne demande qu'à enflammer le lecteur. Dans un ouvrage célèbre intitulé Que faire ?3 Lénine expliquait, en 1902, comment faire la révolution et il insistait d'abord sur la nécessité d'inculquer l'idéologie marxiste dans les masses qui étaient selon lui spontanément réformatrices. Il fallait donc former des révolutionnaires professionnels pour établir le communisme. Les premiers chrétiens furent acteurs d'une révolution qui leur coutât le martyre. Dans la société postchrétienne qui est en train de s'étendre dans l'Europe dont les racines furent chrétiennes, le rayonnement du christianisme peut être le fait de minorités convaincues et informées, Péguy dirait « renseignées », ce qui est précisément le but de cette encyclique qui introduit au message social chrétien et à ses finalités.

Il faut noter qu'aujourd'hui l'enseignement social chrétien bénéficie d'un regain d'intérêt que l'attente impatiente de Caritas in veritate a manifesté, mais le flux toujours plus abondant des informations risque de summerger les meilleurs documents. Pour faire fructifier ces vérités il faut le plus souvent un encadrement. L'être humain est un « animal social » et même sa spécificité rationnelle a besoin d'être vécue socialement. La formation continue vaut aussi pour la pensée sociale de l'Eglise qui par ailleurs insiste tant sur l'éducation. C'est ainsi que dans sa lettre du 1e juillet 2009 , destinée au G8 réuni à l'Aquila , Benoît XVI a surtout insisté sur l'importance essentielle de l'éducation pour le développement. Sans elle , c'est la technique produite par une minorité et mise à la disposition du grand nombre qui deviendra l'idéologie d'un monde matériellement performant , mais sans âme, sans liberté qui est le lieu de l'amour.

Paul VI en publiant, cent ans après Das Kapital (1867), l'encyclique Populorum progressio, remettait Dieu au cœur de la société non pas comme son saint prédécesseur Pie IX, en dénonçant le néopaganisme, mais en annonçant le message chrétien. Jean Paul II avait en 1987 célébré les vingt ans de Populorum Progressio dans Sollicitudo rei socialis et Benoît XVI fait un pas de plus en exposant les conditions spirituelles, culturelles, politiques, économiques et techniques d'un monde fraternel possible. Il reprendra même l'expression mémorable que Paul VI avait utilisée à Noël 1975 en prophétisant une Civilisation de l'amour.

Don Patrick de Laubier +

(1) Centesimus annus n.43

(2) Dans le grec du Nouveau testament le terme eros n'est jamais utilisé !

(3) Expression tirée du titre d'un roman de Tchernichevski en 1863, qui reprenait un passage de l'Evangile de Luc : lorsque les soldats demandent à Jean Baptiste : »Et nous que faut-il faire ? » Tchernichevski inspirateur de Lénine était fils de prêtre à Saratov et fut déporté en Sibérie.

 

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